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I POÈTES FRANÇOIS
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DEPUIS LE Xlle SIÈCLE
I JUSQU'A MALHEKBE,
I AVEC
J UNE NOTfCE HISTORIQUE ET LITTERAIRE
I SUR tl\ QUE POÈTE.
TOME CINQUIÈME.
\ PARIS,
DF. F; ?'PR1MERIE DE CRAPELET, %
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BIBLIOTHEOUE
ClIOlblE
DES POETES FRANÇOIS
JUSQU'À lAIALIÏERBE.
TOME \.
A PARIS,
Aht.-Adg. RENOUARD, TREUTTELet WlJRTZ, LEFKVRE,
rue de Tonrnon , n" 6, rue de Bonrbon, n° 17. rue de l'Eperon, n" 6.
1824.
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LES I
POÈTES FRANÇOIS, ;
DEPUIS LE Xir SIÈCLE j
JUSQUÀ MALHERBE,
AVEC {
UNE NOTICE HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE j
SUR CHAQUE POtTE. ■
TOME CINQUIEME.
#r A PARIS,
DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET.
M. DCCC. XXIV.
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http://www.archive.org/details/lespotesfran05augu l
LES
POÈTES FRANÇOIS,
DEPUIS LE XII' SIÈCLE
JUSQU'A MALHERBE.
ROBERT GARNIER.
Robert Garnier, né en i534, à la Fertë-Bernard ,
au Maine, tut d'abord lieutenant-criminel du Mans,
et ensuite conseiller au grand-conseil. 11 mourut au
Mans en 1590, suivant Baillel, et, suivant La Monnoye,
en 1600 ou 1601 i il tut inhumé dans l'église des Cor-
(leliers de cette ville.
Contemporain de Jodelle, Garnier le surpassa dans
la même carrière. De son temps, ses tragédies turent
rcirardées comme autant de chefs-d'œuvre. 11 en reste
huit: Porci'e , Hippoljte, Cornclie , Marc- Antoine ^ la
Troode , ou la Destruction de Troje, Antigone , Bra-
daniantc, et Sédécias , ou les Juives.
Garnier avoit pris Sénèque pour modèle : trois de
ses tragédies , Hippoljte, la Troade et Antigone , sont
en partie imitées de ce poète.
Toutes les tragédies de Garnier, excepté Brada-
mante, ont des chœurs qui sont de véritables odes;
V. i
'1 ROBERT GARNIFR.
on y trouve quelquefois ce sul)linie d'expression et
d'image qui est le caiactcre distinctit" de ce genre de
poésie.
Si, comme les autres pièces de cette époque, celles
de Garnier manquent d'action ; si elles onî une marche
lente et'trop souvent entravée par de fréquents récits,
(»n y trouve du moins une couleur tragique; la versi-
fication en est plus correcte; le style a plus de noblesse
et plus d'élévation ," il y a des situations intéressantes ;
les discours des personnages sont quelquefois à la hau-
teur des sentiments dont ces personnages sont agités.
Les progrès de lart sont déjà sensibles.
COMPLAINTE DE HO.-ME.
CHOEUR.
On ! combien roulent d'accidens
Des cieux sur les choses humaines !
De combien d'effets discordans
Ils ont leurs influences pleines !
Après les grandeurs incertaines.
L'on se tourmente vainement:
Car, comme elles viennent soudaines.
Elles s'en vont soudainement.
Notre courte félicité
Coule et recoule vagabonde,
Connue un gallion agité
Des vagues contraires de l'onde.
Celui qui, volage, se fonde
Sur un si douteux fondement,
ROBERT GARNIER.
Semble qu'en Taresne inféconde
Il entreprenne un bastiment.
La Fortune n'outrage pas
Volontiers les personnes basses ;
Elle n'appesantit son bras
Que sur les plus illustres races : "^
Les rois craignent plus ses menaces,
Que les durs laboureurs ne font ;
Et le foudre est souvent aux places,
Qui plus haut élèvent leur front.
Les édifices orgueilleux,
Voisinant le ciel de leurs testes ,
Ont tant plus le chef sourcilleux
Battu d'ordinaires tempestes ,
Qu'ils élèvent plus haut leurs testes;
Et les Aquilons furieux
Ne battent guère que les faistes
Des rochers plus audacieux.
Mais aux chaumières du pasteur,
Qui s'applanissent contre terre,
Les foudres d'été ne font peur,
Ni les vents que l'hiver desserre :
Jupin ne darde son tonnerre
Contre les humides vallons ;
Et les roseaux n'ont jamais guerre
Contre les roides Aquilons.
ROBERT GARNIF.R.
FRAGMENT DE LA TRAGEDIE DE CORNÉLIE.
CÉSAR ^ rentrant victorieux dans liu.we.
O sourcilleuses tours! 6 costeaux décorés!
O palais orgueilleux! 6 temples honorés!
O vous nuus, que les dieux ont maronnes eux-mêmes,
Eux-mtmes étoffés de mille diadèmes,
Ne ressentez-vous point le [)laisir en vos cœurs.
De voir votre César, le vainqueur des vainqueurs,
Par tant de gloire acquise aux nations étranges,
Accroistre votre empire, ainsi que vos louanges?
Et toi, fleuve orgueilleux, ne vas-tu par tes (lots
Aux tritons mariniers faire bruire mon los,
Et au père Océan te vanter que le Tyhre
Roulera plus fameux que l'Euphrate et le Tvgrc ?
Jà presque tout le monde obéit aux Romains :
Ils ont presque la mer et la terre en leurs mains;
Et soit oii le soleil, de sa torche voisine,
Les Indiens perleux au matin ilhunine ;
Soit où son char, lassé de la course du jour,
Le ciel quitte à la nuit, qui connnence son tour;
Soit où la mer glacée, en cristal se resserre;
Soit oîi l'ardent soleil sèche et brusle la terre,
Les Romains on redoute ; et n'y a si grand roi
Qui au cœur ne frémisse, oyant parler de moi.
César est de la terre et la gloire et la crainte;
César des vieux guerriers a la louange éteinte :
Taisent les Scipions, Rome, et les Fabiens.
ROBERT GARNIER.
Lps Fabiices , Métels , les vaillans Déoiens !
Les Gaulois, qui jadis au Tybre venoient boire
Ont vu boire sous moi les Romains dans la Loire •
Et les Germains affreux, nés au métier de Mars,
Ont vu couler le Rhin dessous mes étendars.
CHOEUR.
Nos gémlssemens sont plus doux,
Quand chacun gémit comme nous :
Notre douleur est moins cuisante,
Et mord nos cœurs plus lentement ,
Si-tost que , pour notre tourment ,
Un peuple nombreux se lamente.
Ah ! toujours, toujours un grand mal
Se plaist de trouver son égal,
Un compagnon toujours désire ,
Et rien ne nous soula<;e tant
Que de voir un autre portant
Le mesme deuil qui nous martyre.
Personne jamais ne se croit
Misérable , encor qu'il le soit.
Ostez les personnes heureuses ,
Ostez les riches, vous verrez
Les pauvres, qui sont attérés,
Lever leurs testes orgueilleuses.
Nul ne se pense malheureux ,
Qu'accomparé d'un bienheureux.
pFi.
ROBERT GARNIER.
Las! qu'un homme qui se lamente
Sent peu de consolation ,
Si quelqu'un , en sa passion ,
L'aborde la face riante !
Quand Pyrrlia, et son vieil iwari,
, Restans seuls du monde péri ,
^ Virent noyer la race humaine ,
Leur mort ils ne pleurèrent pas ,
Pource que de pareils trépas
La vagueuse terre étoit pleine.
SCENE DE LA TRAGEDIE DE LA TROADE,
où HÉCUBE ET ANDROaiAQUE APPRENNENT LA MORT p'ASTi'ANAX.
H ECU BE.
Ne bougez ; entendons ce discours mortuaire :
Toi, messager, poursuis , ne crains de nous déplaire;
De feu, de sang, de cris, de larmes je me pais ;
Mon ame de douleurs se nourrit désormais.
MESSAGER.
Il nous reste une tour de la défunte Troye,
Que le feu n'a rongé, que la cendre ne noyé.
Là naguère, Priam, sur les créneaux, étoit
Dedans son trosne assis , pendant qu'on combattoit;
De la voix et des mains, à bas sous les murailles ,
Grave en longs cheveux gris, arrangeoit les batailles,
Mignardant tendrement , et tenant en ses bras
Le petit-fils d'Hector, lui montrant les combats,
ROBEIIT GARNIKK.
Et comme, à coups de pique, endosst^ de ses armes.
Son père alloit fendant la presse des gens-d'armes
Les rompoit, foudroyoït, terrassoit par monceaux
Et de sang et de feu reinpiissoit leurs vaisseaux.
Cette fameuse tour, ornement de la ville.
Mais, las 1 (|ui ressemble oro un rocher inutile,
De peuple étoit pressée; on voyoit lour-à-Jpur,
Les chefs et les soldats , fourmiller tout-autour :
Chacun sort des vaisseaux, et par troupes s'assemble;
L'onde en frémit au loin, tout le rivage en tremble.
Loin s'élève uncostean, qui peu-à-peu descend
Jusqu'au pied de la tour, et en plaine s'étend:
Là l'Argoliepie arim se campe;
L'iiii (le pird , et de mains à toute force rampe
Au laiste des rochers, et balancé des pieds,
Découvre de la mer les grands flots repliés :
Cclui-ri veut gravir au haut d un précipice ,
Celui-là sur le toit d'un fameux édifice,
Ou sur un pan de nnu' à demi-consumé ,
B(li(jucs dllion par les Grecs enflammé:
Quelques-uns même, 6 crime ! osent marcher sans crainte
Sur la tombe d'Hector, inviolal^le et sainte;
Quand nous voyons venir Ulysse l'inhumain.
Avec Astyanax, qu'il menoit par la main:
Puis montés, en tournant, par une vis fatale.
En réîage dernier de cette tour royale,
L enfant cki fier Hector, d'un visage ra.ssis.
Regarde constamment les peuples épaissis ,
Ondoyans par la plaine, ainsi qu'une tourmente
De longs épis flottans, quand Zéphyr les évente.
s ROBERT G ARMER.
De tons costés il tourne et retourne ses yeux,
L.'inçant de toutes parts un regard furieux ;
Il montre sur son front le dépit de son aine : >
De ses deux yeux sortoit une hrillajite flame.
Un désir de vengeance; et la sévérité „^
De son père luisoit en son front irrité.
Ce hr^ve naturel , superbe et magnanime ,
Émouvoit un chacun; tous l'avoient en estime:
Les peuples, et les chefs, à pleurer sont contraints,
Et chacun essuyoit ses larmes de ses mains;
Mesme le dur Ulysse, attendri de courage.
De pitoyables pleurs s'est baigné le visage.
Le prêtre à peine aux dieux demande lui prompt retour.
De lui-mesme , l'enfant s'élance de la tour ,
Sur le dos des rochers.
ANDnOMAQUE.
Quel Gelé, quel Tarlarc ,
Et quel Colque a commis un acte si barbare?
Quel peuple sans pitié, sans police, sans loix,
"Vivant dans les déserts, privé d'humaine voix
Et d iunnaine raison , sur les monts d'Hyrcànie ,
A commis , a conçu si grande félonie ?
Il ÉCUBE.
De Rusire n'éloient les sacrifices tels.
Car le sang des enfans ne baignoit ses autels.
andhomaque.
O misérable enfant! et (jui, las! aura cnrc
D'ensevelir ton corps digne de sépulture?
MESSAGER.
Son corps est si meurtri, qu'au regard incertain.
ROBERT GARNIER. g
Il est méconnoissable , et n'a plus rien d'humain.
ANDROM AQUE.
Son sort est plus cruel que celui de son père.
O dieux! que votre main est contre nous sévère!
Meurtrir ce. pauvre enfant, le faire torturer,
Auparavant qu'il s'çust ce que c'est qu'en^durer!
Me l'aviez-vous donné, me l'aviez-vous fw^iYàistre,
Pour, de sa dure mort^, les yeux grégeois repaistre ?
Hélas ! et ne m'étoit-ce assez d'affliction ,
Que mes frères germains , que mon père Etion ,
Que mon époux aimé , que ma natale ville ,
Thebes aux hautes tours , fussent détruits d'Achille,
Si je n'avois exprès un enfant par malheur,
Pour, de sa mort cruelle, accroistre ma douleur!
Enfant, où que tu sois, souviens- toi de ta mère;
Ne me laisse servir en maison étrangère :
Supplie , si tu peux , à la noire Atropos ,
Que bientost avec toi je trouve le repos ,
Effaçant mes ennuis dedans l'onde oublieuse .
Et l'ennui que me fait cette vie odieuse.
Si faut-il, mon enfant, que j'aie le souci
De te faire un sépulcre en quelque part ici :
Je ne permettrai pas que tu sois la pasture
Des bestes , des oiseaux de gloutonne nature.
Je vais prier les Grecs.
MESSAGER.
Les Grecs l'ont étendu
Dans le bouclier d'Hector, pour vous estre rendu.
ANDROaiAQUE.
O bouclier, l'ornement d'une dextre guerrière.
l<^ ROBERT GARMER.
Vous servez maintenant à mon enfant de bière 1
On vous a vu jadis, 6 bouclier renommé,
Plus redouté des Grecs que le foudre allumé;
Et lors j'espérois bien , ô trompeuse pensée !
Voir un jour, quand.d'IIector la vieillesse^ avancée
Par les irîLvaux guerriers, auroit courbé son dos.
Que son'^is', liéritier de son antique los,
Se pareroit de vous, vous porteroit en guerre.
Hélas ! et maintenant vous le portez en terre.
CHOEUR.
Toujours la tempeste bruyanU
Les vagues ne fait écumer ;
Toujours Aquilon ne tourmente
Le repos de Tondeuse mer;
Toujours du marchand , qui traverse
Pour le profit, jusqu'au Levant,
Le navire creux ne renverse
Sous le flot , agité du vent :
Toujours Jupiter ne desserre ,
Animé de sanglant courroux ,
Les traits flambans de son tonnerre ,
Contre les rocs , et contre nous ;
Toujours l'ardent été ne dure
Sur le sein des champs endurci.
Et toujours la gourde froidure
Ne les endurcit pas aussi.
ROBERT GARNIER. li
Mais toujours, tandis que nous sommes
En ce bas monde séjournant,
Les malheurs, compagnons des hommes,
Vont notre vie entretenant :
J^ss. adversités éternelles
Se perchent dessus notre chef.^^f "^
Et ne s'en vont point, qu'au l?^!î d'elles
Ne survienne un plus grand méchef.
Nature , en naissant , nous fait estre
Sujets à les souffrir toujours :
Comme nous commençons à naistre,
A naistre commencent leur cours;
Et croissant notre mortel âge ,
Ces malheurs croissant avec nous,
S'appesantissent davantage,
Et semblent redoubler leurs coups.
Que font les grandeurs passagères ?
Las ! plus superbes elles sont ,
Et plus nous voyons de misères
A rencontre lever le front.
Aux couronnes elles s'attachent.
Les menaçant, et, maintes fois.
De grande fureur les arrachent
Du chef tyrannique des rois.
En vain, par les ondes secrettes,
Nous irons, pour les éviter,
Aux Scytes et aux Messagettes ,
Loin sur la Borée habiter :
12 ROBERT GARNIER.
En vain sur les plaines bouillantes,
Où Phœbus lance ses rayons ,
Toujours nous les aurons présentes,
En quelque part que nous soyons.
Les ténèbres plus obstinées ''^ ^
N«;'fV>ignent la pesante nuit;
La Clarté , dorant les journées ,
De plus près le soleil ne suit;
Et ne suit plus opiniastre,
L'ombre légère , un corps mouvant ,
Que le malheur, pour nous abattre,
Sans cesse nous va poursuivant.
Heureux, heureux, en sa misère.
Qui , le cours de sa vie usant ,
Loin des princes se va retraire ,
Et leurs charges va refusant!
Heureux qui n'eut jamais de vie!
Heureux à qui , dès le berceau ,
Par pitié , la mort l'a ravie ,
L'emmaillottant dans le tombeau!
CHOEUR.
Comment veut-on que maintenant,
Si désolées,
Nous allions, la fluste entonnant,
Dans ces vallées ?
Que le luth, touché de nos doigts,
Et la cithare,
ROBERT GARNIER.
Fassent resonner de leur voix
Un ciel barbare ?
Que la harpe, de qui le son
Toujours lamente ,
'•assemble avec notre chanson
Sa voix dolente ? '" *
--/
Trop nous donnent d'affection
Nos maux publiques ,
Pour vous réciter de Sion
Les saints cantiques.
Hélas ! tout soupire entre nous,
Tout y larmoyé !
Comment donc en attendez-vous
Du chant de joye?
Remplissons les airs de soupirs
Sortans à peine ,
Qui renforceront des Zéphyrs
La foible haleine.
Hélas î eh ! qui se contiendra
De faire plainte ,
Lorsque de toi nous souviendra .
Montagne sainte?
Nos enfans nous soient désormais
En oubliance ,
Si de toi nous perdons jamais
La souvenance !
J4 ROBERT GARNIER.
" ' CHOEUR.
L'ame fut de relui méchantement hardie-,
r-, Hardie a noire mal ,
Qui voguvff^ pi'^'î^icr sur la mer assourdie ,
Et son flot inégal;
Qui put, bravant la mort à ses desseins compagne,
Et prodigue de soi ,
Préférer aux moissons d'une herbeuse campagne,
Un élément sans foi ;
Qui vit le Capharés, et les rages de Scille,
Qui vit Charybde auprès,
En son ventre engloutir les ondes de Sicile ,
Pour les vomir après !
Sans cause Jupiter la terre a séparée
D'une vagueuse mer,
Si les hardis mortels, de l'une à l'autre orée,
Font leurs vaisseaux ramer.
Qu'heureux furent jadis nos regrettables pères.
En leur temps bienheureux ,
Qui de voir, nautonniers, les rives étrangères,
Ne furent désireux :
Ains d'avarice francs, d'envie et de cautelles,
Les pestes de ce temps ,
Paisibles labouroient leurs terres paternelles,
Dont ils vi voient contens.
ROBERT GARNIER. l5
On ne connoissoit lors les humides Pléiades,
Orion , ni les feux ,
Les sept feux redoutés des pleureuses Hyades,
Le charon , ni ses bœufs.
Tiphys tfenta' premier la poissonneuse plaine
Avec le fils d'Eson , J*
Pour aller dépouiller une rive lointaine^
De sa riche toison :
Puis l'amoureux Paris , de voiles et de rames ,
Fendit Tonde à son tour :
Mais , au lieu de toison , il apporta les fiâmes
D'un adultère amour.
CHOEUR DES SOLDATS DE POMPÉE,
VAINCUS PAR CÉSAR.
Tout ce que la massive terre
Soutient de son dos nourricier,
Est sujet au ciel qui l'enserre,
Et à son branle journalier :
Les félicités, les désastres
Dépendent de ce mouvement ,
Et chaque chose prend des astres
Sa fin et son commencement.
Les empires qui , redoutables ,
Couvrent la terrestre rondeur ;
De ces lournemens variables
Tirent leur perte et leur grandeur :
ROBERT GARNIER. <
Et les hommes, foihle puissance, j
Ne sçaiiroient arrester le cours '
De cette céleste influence, ;
Qui domine dessus nos jours.
j
; |*^n de durable ne séjourne ;
V/olite chose naist pour périr ; !
Et tout ce qui périt retourne, ■
Pour une autre fois refleurir. |
Les formes des choses ne meurent
Par leurs domestiques discords, i
Que les matières qui demeurent \
Ne refassent un autre corps.
La rondeur des boules mouvantes, ]
Tournoyant d'un égal chemin, |
Couple des natures naissantes i
Le commencement à leur fin : '
Ainsi les cités populeuses ,
Qui furent champs inhabités, |
Redeviendront plaines poudreuses, '
Puis retourneront en cités. 1
Ne voit-on pas comme les veines '\
Des rochers dressés en coupeaux, S.
Enfantent les belles fontaines, ' ]
Et les fontaines les ruisseaux ,
Les ruisseaux les grosses rivières , i
Des rivières les flots chenus 5
Se vuident aux eaux marinières, i
Et la mer aux rochers veinus? îî
ROBERT GARNIER. 17
Comme notre ville maistresse
Des princes a senti les loix ,
La suite des temps vainqueresse
L'assujettira sous les rois;
Et la couronne blondoyante ,
Qui ceignit des tyrans le chef,
De mille gemmes rayonnantes
Le viendra ceindre de rechef.
Mais ainsi que la tyrannie
Vaincra nos cœurs abastardis ,
Advienne qu'elle soit punie
Ainsi qu'elle le fut jadis ,
Et qu'un Brute puisse renaistre,
Courageusement excité,
Qui, des insolences d'un maistre,
Redélivre notre cité.
FRAGMENT DE SCENE
DE LA TRAGÉDIE DE MARC- ANTOI NE.
CÉSAR, -victorieux.
Grands dieux, qui, sans mourir, livrez tout au trépas;
Qui, sans jamais changer, changez tout ici-bas;
Vous avez élevé jusques au ciel , qui tonne ,
La romaine grandeur, par l'effort de Bellonne,
Maistrisant les humains d'une horrible fierté ,
Captivant l'univers , veuf de sa liberté !
Toutefois aujourd'hui cette orgueilleuse Rome ,
Sans bien , sans liberté , ployé au vouloir d'un homme ;
38 ROBERT GARNIER.
1
Son empire est à moi, sa vie est en mes mains;
Je commande , monarque , au monde et aux Ptomains ;
Je fais tout, je peux tout, je lance ma parole ,
Comme un foudre bruyant , de l'un à l'autre pôle ,
Soit où Phébus attelle au matin ses chevaux ;
Où la nuit les reçoit, recrus de leurs travaux;
Où les flammes du ciel bruslent les Garamantes;
Où souffle l'Aquilon ses froidures poignantes ;
Tout reconnoist César, tout frémit à sa voix,
Et son nom seulement épouvante les rois.
CHOEUR DES SOLDATS CÉSARIENS.
Toujours la guerre domestique
Rongera notre république ?
Et sans désemparer nos mains
Des glaives dans notre sang teints,
Et sans dépouiller la cuirasse ,
Notre ordinaire vestement.
Nous irons-nous, de race en race.
Massacrer éternellement ?
Il faut donc que le ciel ne cesse
De voir notre affi-euse détresse ,
Et découvre de toutes parts
De nos corps cent morceaux épars
Qui rendent fertiles les plaines
Des étrangères régions ,
Orgueilleuses de se voir pleines
De tant de braves légions !
ROBERT GARNIER,
J'espere que la cause ostée
De cette guerre ensanglantée ,
Et qu'étant nos cruels discords
Rompus par nos derniers efforts ,
On verra, dessus notre rive,
Pâlir les rameaux nourriciers
De la palladienne olive,
Au lieu de stériles lauriers;
Et que de Janus, le bon père.
Le temple, que Mars sanguinaire
Tenoit ouvert par ci-devant.
L'on fermera dorénavant :
Et le morion inutile.
De ses panaches dépouillé ,
L'on verra pendre à la cheville,
Et le coutelas enrouillé.
SCENE DE LA TRAGEDIE D'ANTIGONE.
OEDIPE, ANTIGONÉ.
CE D I P E.
Toi, de qui la constante et fidelle tendresse
Conduit ton père aveugle et courbé de vieillesse.
Antigone, ma fille, abandonne mes pas;
La fleur de ta jeunesse avec moi n'use pas;
Retire-toi, ma fille. Eh ! de quoi me profite,
Si je veux m'égarer, ta fidelle conduite?
Je ne veux point de guide au chemin que je sui ;
Je cherche le trépas, pour finir mon ennui.
20 ROBERT GARNIER.
Retire donc ta main qui tendrement me serre ,
Et permets que tout seul par ces montagnes j'erre;
J'irai sur Cithéron , aux longs costeaux touffus,
Où, dès que je fus né, dès qu'au monde je fus.
Ma mère m'envoya, pour dans un arbre paistre
Les corbeaux de ma cbair qui ne faisoit que naistre :
Il me demande encore , il faut m'y retirer ;
C'est lui, c'est Cithéron, que je dois désirer;
C'est mon premier séjour , ma demeure première :
La raison veut qu'il soit ma retraite dernière.
Je veux mourir vieillard, où je fus destiné
De mourir enfançon , si-tost que je fus né.
Redonne-moi la mort , rends-moi la mort cruelle ,
La mort, qui me suivoit tiré de la mamelle,
O meurtrier Cithéron! tu m'es cruel toujours.
En allongeant ma vie, et retranchant mes jours,...
Las ! pourquoi me tiens-tu, ma fille : eh î vois-tu pas
Que mon père m'appelle et m'attire au trépas ?
Pourquoi me retenir? penses-tu qu'il me reste
Encore un parricide , et encore un inceste ?
J'en ai peur, j'en ai peur; ma fille, laisse-moi :
Le crime maternel me fait craindre pour toi.
ANTIGONE,
Ne me commandez point que je vous abandonne;
Je ne vous laisserai pour crainte de personne :
Rien , rien ne nous pourra séparer que la mort ;
Je vous serai compagne en bon et mauvais sort.
Que mes frères germains le royaume envahissent.
Et du bien paternel à leur aise jouissent :
Moi, mon père j'aurai, je ne veux autre bien.
ROBERT GARNIER. 2\
Je leur quitte le reste , et n'y demande rien.
Mon seul père je veux ; il sera mon partage :
Je ne retiens que lui , c'est mon seul héritage.
Ne me rejettez point : me voulez-vous priver
Du bonheur le plus grand qui me puisse arriver!
S'il vous plaist de gravir sur l'ombrageuse teste
D'un Cousteau bocager, me voilà toute preste;
S'il vous plaist un vallon, un creux antre obscurci,
L'horreur d'une forest , me voilà preste aussi :
S'il vous plaist de mourir , et qu'une mort soudaine
Seule puisse finir votre incurable peine,
Je mourrai comme vous; le nautonnier Charon
Nous passera tous deux sur les eaux d'Achéron.
OEDIPE.
O la grande vertu ! bons dieux, se peut-il faire
Que j'aie oncque engendré fdle si débonnaire ?
Se peut-il faire, hélas! qu'un lit incestueux
Ait pu jamais produire enfant si vertueux ?
Ma fille , laisse-moi ; veux-tu bien que j'endure
Que mon père soit mort, sans venger son injure?
Je ne fais qu'alonger la trame de mes maux ;
Je ne vis pas, je sens les funèbres travaux
D'un qui tombe au cercueil ; mon ame prisonnière
Est close de ce corps, comme un corps de sa bière.
Tu penses me bien faire, en prolongeant ma fin ;
Mais je n'ai rien si cher, qu'abréger mon destin.
Tu retardes ma mort, qu'avancer je désire.
Et me croyant sauver, ta main me vient occire.
Ma fille , laisse-moi : j'ai moi-mesme quitté
Du royaume thébain l'antique dignité;
2 2 ROBERT GARNIER.
Mais, je n'ai pas, laissant ce royal diadesme,
Dépouillé le pouvoir que j'avois sur moi-mesme.
Je suis maistre de moi....
A N T I G O N E.
N'aurez-vous point pitié de ma douleur amere?
CE D I P E.
N'auras-tu point pitié du malheur de ton père ?
ANTIGONE.
Votre malheur est grand; mais un cœur généreux
Surmonte tout malheur, et n'est plus malheureux.
OE D I p E.
J'ai ma mère épousée , et massacré mon père.
ANTIGONE.
Mais vous n'en sçaviez rien , vous ne le pensiez faire.
OE D I p E.
Tu m'arrestes en vain ; tu tasches, pour néant.
De me clorre l'enfer , qui est toujours héant :
La mort s'offre sans cesse ; et combien que la vie
De tout chacun puisse estre à tout moment ravie,
La mort ne l'est jamais, la mort on n'oste point;
Quiconque veut mourir , trouve la mort à point :
Mille et mille chemins au creux Achéron tendent,
Et tous hommes mortels, quand leur plaist, y descendent.
Sus! donc, OEdipe, sus! ne t'outrage à demi;
Ce n'est pas assez d'estre à tes yeux ennemi ,
Tes yeux seuls n'ont forfait, tu es en tout coupable.
Et n'y a rien de toi qui ne soit punissable.
Ouvre- toi l'estomac , déchire-toi le sein ,
ROBERT GARNIER. 23
Arrache- toi le cœur de ta sanglante main,
De ta main parricide....
ANTIGONE.
Ah! mon père , appaisez, appaisez votre mal ,
Puisqu'il ne vient de crime , ains d'un malheur fatal!
Écoutez-moi , pauvrette ! et votre oreille douce
Ma suppliante voix, par dédain, ne repousse!
Je ne demande pas que vous veuillez encor
Reprendre en votre main le sceptre d'Agenor:
Mais, Dieu ! qu'espérez-vous aux rives ténébreuses,
Éternel compagnon des âmes malheureuses ?
Est-ce pour ne voir plus ce beau jour écarté ?
Vos yeux déjà du jour ont perdu la clarté.
Est-ce pour vous priver du royal diadesme?
Vous avez scu déjà vous en priver vous-mesme.
OE D I P E.
Je me veux séparer moi-mesme de mon corps ;
Je me fuirai moi-mesme aux plutoniques bords :
Eh ! puis-je encor fouler les campagnes fécondes
Que Cérès embellit de chevelures blondes ?
Puis-je respirer l'air, boire Teau qui refuit.
Et me paistre du bien que la terre produit?
Puis-je, encore souillé des baisers de Jocaste,
De ma dextre toucher la tienne , qui est chaste ?
Puis-je entendre le son qui, las! le cœur me fend !
Des sacrés noms de père , et de mère , et d'enfant !
Je ne voyois encor la clarté vagabonde
Du jour, et je n'étois encores en ce monde.
Qu'on décida ma mort, misérable! Devant
24 ROBERT GARNIER.
Que je fusse animé , que je fusse vivant , ,
J'étois jà parricide , et ma vie naissante
D'un sort contraire étoit coupable et innocente.
Le sort sauva mes jours , afin que d'un poignard
J'ouvrisse un jour le sein de mon père vieillard ,
Et pour comble de maux, me fit, 6 chose infâme!
L'incestueux mari de ma mère sa femme.
Quel Scythe, quel Sarmate, et quel Gete cruel,
Dépouillé de raison , commit onc rien de tel ?
J'ai ma dextre lavé dans le sang de mon père;
J'ai d'inceste souillé la couche de ma mcre ;
J'ai produit des enfans en son ventre fécond ,
Qui frères et enfans tout ensemble me sont.
Ores j'ai tout quitté, fors toi, mon Antigone;
J'ai laissé h la fois femme , enfans et le trosne ,
Le loyer de mon crime , et pour le gouverner ,
Mes barbares enfans se vont assassiner.
Hélas ! c'est le destin du sceptre agénoride ,
De s'acquérir toujours avec un parricide!...
ANTIGONE.
Par vos cheveux grisons, ornement de vieillesse,
Par cette douce main tremblante de foiblesse ,
Et par ces chers genoux, que je tiens embrassés;
De votre ame aftligée , ah ! mon père, effacez
Ce désir de mourir....
Vivez tant que nature ici vous souffrira ,
Puis recevez la mort, quand elle s'offrira....
OE D I P E.
Ma fille , leve-toi , tu me transis le cœur :
ROBERT GARNIER. 25
Oui , ton desir pieux sera du mien vainqueur ;
Oui, je vivrai, ma fille, afin de te complaire,
Et traisnerai mon corps par ce mont solitaire;
Je vivrai, je mourrai, selon qu'il te plaira :
Ta seule volonté ma conduite sera.
ELEGIE SUR LA MORT DE RONSARD.
A DESPORTES,
Nature est aux humains sur tous autres cruelle :
On ne voit d'animaux ,
En la terre et au ciel , ni en l'onde infidelle ,
Qui souffrent tant de maux.
Notre esprit incertain , aussi-tost qu'il raisonne ,
La mort va redoutant ;
Et sans cette frayeur, que la raison nous donne,
On ne la craindroit tant.
Nous craignons de mourir, de perdre la lumière
Du soleil radieux ;
Nous craignons de passer, sur les ais d'une bierre.
Le fleuve stygieux.
Encor, dès que le ciel, en une belle vie,
Quelques vertus enclost,
La chagrineuse mort, qui les hommes envie ,
Nous la pille aussi-tost.
Ainsi le verd émail d'une riante prée
Est soudain effacé ;
26 ROBERT GARNIER.
Ainsi l'aimable teint d'une rose pourprée
Est aussi-tost passé.
La jeunesse de l'an n'est de longue durée ;
Mais l'hiver, aux doigts gourds,
Et l'été , rembruni de la torche éthérée ,
Durent presque toujours.
Mais , las ! 6 doux printemps , votre verdeur fanie
Ptetourne au mesme point :
Mais, quand notre jeunesse une fois est finie.
Elle ne revient point.
La vieillesse nous prend maladive et fascheuse ,
Hostesse de la mort,
Qui, pleins de maux, nous pousse en une tombe creuse.
D'où jamais on ne sort.
Desportes, que la Muse honore et favorise.
Entre tous ceux qui ont
Suivi le saint Phebus, et sa science apprise
Dessus le double mont !
A Ronsard , vVpolion , ni les Muses pucelles
N'ont de rien profité ,
Bien qu'ils eussent pour lui les deux croupes jumelles
De Parnasse quitté.
C'est grand cas que ce dieu, qui dès l'enfance l'aime ,
Affranchit du trépas
Ses divines chansons , et que le chantre mesme
N'en affranchisse pas !
Vous-mesme vous verrez le fleuve où tout arrive,
Et paîrez le denier
ROBERT GARNIER. o.n
Que prend , pour nous passer jusques à l'autre rive
L'avare nautonnier.
Adieu, mon clier Ronsard! î/abeille, en votre tombe,
Fasse toujours son miel !
Que le baume arabique à tout jamais y tombe ,
Et la manne du ciel !
Le laurier y verdisse , avecque le lierre
Et le myrthe amoureux !
Riche en mille boutons, de toutes parts l'enserre
Le rosier odoreux !
Ah ! vous estes heureux , et votre mort heureuse ,
O cygne des François !
Ne lamentez que nous, dont la vie ennuyeuse
Meurt le jour mille fois.
Vous errez maintenant aux campagnes d'Elise,
A l'ombre des vergers,
Où mûrit en tout temps , assuré de la bise ,
Le fruit des orangers ;
Où les prés sont toujours tapissés de verdure ,
Les vignes de raisins.
Et les petits oiseaux gasouillant au murmure
Des ruisseaux crystallins.
En grand' foule accourus, autour de vous se pressent
Les héros anciens ,
Qui boivent le nectar, d'ambroisie se paissent
Aux bords élisiens.
Sur tous , le grand Eumolpe et le divin Orphée ,
Et Line et Amphion,
28 ROBERT GARNIER.
Et Musée , et celui dont la plume échauffée
Mit en cendre llion :
Le louangeur thébain , le chantre de Mantoue ,
Le lyrique latin ,
Et, avecque Seneque, honneur grand de Cordoue
L'amoureux florentin :
Tous vont battant des mains, sautellent de Uesse ,
S'entredisans entr'eux :
Voilà celui qui dompte et l'itale et la Grèce
En poëmes nombreux !
L'un vous donne sa lyre, et l'autre sa trompette,
L'autre vous veut donner
Son myrthe, son lierre , ou son laurier prophète,
Pour vous en couronner.
Ainsi vivez heureuse, ame toute divine ,
Tandis que le destin
Nous réserve au malheur de la France , voisine
De sa dernière fin.
JACQUES DE BILLY.
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JxlCQUES DE BILLY.
Jacques de Billy, né à Guise en i535, de Louis
de Billy , gouverneur de cette ville , descendant de l'an-
cienne maison de Prunay , célèbre dans le pays Char-
train , fut envoyé à Paris dès sa première jeunesse ; il
y fit de rapides progrès dans la langue latine. Rappelé
à 1 âge de dix-huit ans , il fut envoyé successivement à
Orléans et à Poitiers , pour y suivre des cours de droit.
La mort de ses parents lui laissa, peu de temps après,
la liberté de se livrer à son goût pour les lettres,
qu'il aimoit de passion. Il se retira à Lyon , et en-
suite à Avignon , où il apprit les langues grecque et
hébraïque.
Jacques de Billy avoit embrassé l'état ecclésiastique;
il fut d'abord abbé de Ferrières en Anjou, et prieur
de Taussigny en Touraine. Ces deux bénéfices , qui
lui rapportoient quatre mille livres de rente , suffi-
soient à son ambition ; mais , vivement pressé par son
fi'ère aîné , Jean de Billy , il consentit à se charger des
abbayes de Saint-Michel en l'Herm , et de Notre-Dame-
des-Chatelliers, que celui-ci lui résigna pour se faire
chartreux. Sur ces entrefaites , les guerres civiles
s' étant allumées , l'abbaye de Notre-Dame-des-Chatel-
liers fut pillée , et celle de Saint-Michel entièrement
ruinée. Billy s'épuisa pour réparer ces pertes. Peu de
temps après , la nouvelle de la mort de quatre de ses
frères et de deux de ses oncles , tués au service , vint
3o JACQUES DE BILLY.
mettre le comble à ses chagrins. Il mourut à Paris le
o
aS décembre i58i , clans la quarante-sixième année de
son âge , et fut inhumé à Saint-Severin.
Jacques de îîilly passa pour l'un des plus savants
hommes de son temps. Ses deux Livres d'observations
sacrées, ses Locutiones grœcœ , et les différentes traduc-
tions et éditions qu'il nous a laissées des ouvrages de
quelques pères grecs , prouvent que cette réputation
n'étoit pas usurpée. Mais ses productions poétiques
doivent seules nous occuper ; elles se composent ,
1 °. de deux Livres de Sonnets spirituels recueillis pour
la plupart des anciens théologiens, tant grecs que latins :
CCS sonnets sont accompagnés d'un commentaire en
prose ; le premier Livre fut imprimé en iSyS ; il ren-
ferme cent neuf sonnets : le second , qui en contient
cent, parut en iS-S; — 2°. D'un poème en six Livres,
qui a pour titre Second Âdveneinent de Jesus-Christ ;
ouvrage rempli de piété et d'onction ; — 3°. Et enfin ,
d'un traité de saint Bazile, intitulé Du Jugement de
Dieu, etc. Ce traité est suivi des Quatrains sententieux
de saint Grégoire de Nazianze.
JACQUES DE BILLY. 3r
SONNET i8« DUI" LIVRE DES SONNETS SPIRITUELS.
QUE CELUI QUI TIENT LE CHEMIN DE SALUT NE DOIT
TOURNER SA VUE EN ARRIERE.
On voit communément qu'étant l'homme arrivé
En lieu fort haut et aspre , et plein de précipice ,
Soudain de grand frayeur tout le poil luy hérisse ,
Et son corps de vigueur presque est du tout privé.
Que si d'un tel danger il veut être sauvé ,
Et garder que la peur son esprit n'éblouisse ,
Luy reste un seul moyen , c'est qu'en bas ne fléchisse
Son œil , ains tienne haut , et toujours élevé.
Ainsi, qui, du vallon des péchés pleins d'ordure.
Au sommet est monté de vertus et droicture,
D'une chose garder se doit soigneusement ;
C'est de baisser les yeux et les ficher en terre ,
Et le monde laissé , rechercher à grand erre ,
Comme un chien qui retourne à son vomissement.
SONNET 25% TIRE DU MEME LIVRE.
A QUOI SE RECONNOISSENT LES VRAIS ENFANS DE DIEU.
L'aigle étant incertain des petits qu'il élève,
S'ils sont siens, que fait-il, pour tel doute vuider?
Où Phœbus ses rayons plus vifs il voit darder,
Les met, de tout soupçon afin qu'il se relève;
32 JACQUES DE BILLY.
Car s'il voit que leurs yeux le soleil point ne grève,
Pour siens il les ad voue, et les vient à garder.
Si leurs yeux trop foiblets ne l'osent regarder,
Comme faux et bastards de ses griffes les crève.
Ainsi cet aigle grand ( car aux divins escrits
Souvent, au lieu de Dieu, l'aigle on voit être pris)
Remarque et les bastards, et ceux dont il est père ;
Car si au ciel il voit nos yeux estre fichés,
Il nous juge estre siens ; si en terre panchés ,
Lors pour race il nous tient bastarde et adultère.
QUA.TRAINS
TRADUITS DE SAINT GREGOIRE DE NAZIANZE.
MIEUX VAUT BIEN VIVRE QUE BIEN PARLER.
Mieux vaut l'œuvre muet, qu'un caquet inutile;
Sans la vertu , jamais nul ne fut excellent.
Cent et cent l'ont été par un parler coulant.
La grâce aux bien-vivans , non aux causeurs distille.
LA VRAIE NOBLESSE GIT EN VERTU.
Rougis d'estre méchant, non de race peu claire,
Car noblesse ne vient que de corps jà pourris.
Mieux vaut qu'elle ait par toy commencé , que fin pris :
Comme estre beau vaut mieux qu'estre né de beau père.
JACQUES DE BILLY. 33
qu'en toutes choses est requis de prendre CONSEIIj
d'autrui.
l'oeil voit tout fors que soy, mesme est il nécessaire ,
Pour autre chose voir, qu'il ne soit chassieux :
Donc user du conseil sois toujours soucieux;
Le pié du pie , la main a de la main affaire.
V.
34 NICOLAS RAPIN.
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NICOLAS RAPIN.
Nicolas Rapin naquit à Fontenay -le -Comte en
Poitou, vers l'an i535. 11 fit ses études à Poitiers, où
il eut pour condisciples Scévole et Louis de Sainte-
Marthe, et fut reçu avocat au Parlement de Paris.
Quelque temps après , ayant été nommé maire de
Fontenay , il s'y maria , et eut un grand nombre
d'enfants.
Il acheta, en iSyô, la charge de prévôt des maré-
chaux, qui venoit d'êti'e créée pour Fontenay et le
Bas-Poitou. Sa sévérité lui suscita des ennemis; ils
portèrent leurs plaintes aux grands jours de Poitiers ,
où présidoit Achille de Harlay : mais ce magistrat
intègre n'en fit aucun cas; au contraire, il fut charmé
de l'esprit et de la probité de Rapin; et lorsque , dans
la suite (en i584), d obtint la charge de premier pré-
sident du Parlement de Paris, il lui fit donner celle de
lieutenant de robe-courte de la prévôté de Paris. Ce fut
encore à la recommandation du président de Harlay
que Henri m nomma Rapin grand-prevost de la con-
nestablie.
Rapin s'attacha au parti du roi pendant les troubles
de la Ligue ; la reconnoissance lui en faisoit un devoir,
et il le servit avec beaucoup de zèle : aussi, en i588 ,
fut-il chassé de Paris pour être bon serviteur du roi , et
dépouillé de son état, nous dit L'Estoile dans ses 3Jc-
nioires pour l'Histoire de France. On le réhabilita dans
sa charge , puisqu'il la possédoit encore sous Henri iv,
NICOLAS RAPIN. 35
en 1099 ; mais il s'en démit peu de temps après. Par-
venu à un âge avancé , il ne put résister au désir de
rentrer dans ses foyers ; il se retira dans une maison
qu'il avoit dans l'un des faubourgs de Fontenay et
s'y livra tout entier à la culture de la poésie.
Cependant l'impatience de revoir ses anciens amis
lui fit entreprendre le voyage de Paris au fort de 1 hiver.
Il tomba malade à Poitiers, et y mourut en 1608 ou
1609, âgé d'environ soixante-huit ans. Comme il l'a voit
ordonné par son testament , son corps fut transporté
sans pompe à Fontenay; mais un grand nombre de
poètes composèrent en son honneur des épitaphes en
grec, en latin et en françois.
Gillot et de Sainte-Marthe , à qui il avoit confié en
mourant la plupart de ses manuscrits , les firent impri-
mer en i6io, in-4^, sous le titre d^OEuvres latines et
françoises de Nicolas Rapin. Ce recueil se compose ,
pour les poésies latines, de deux Livres d'épigrammes,
d'un Livre d'élégies , et d'un autre de ^ poésies di-
verses, etc. l^es poésies Jrancoises sont des traductions
de quelques épîtres, satires et odes d'Horace ; des deux
Livres du Remède d'amour d'Ovide , etc. ; des poésies
diverses , comme une Ode au duc de Sully, des Stances
a Phillis , des sonnets, etc. ; d'autres stances, les unes
a Rosni, les autres sous le titre de la Douche aux belles
biberonnes des eaux de Fougues, etc.; l'Amour philo-
sophe^ pièce galante qui avoit déjà paru en 1599; une
traduction des Sept pseaumes penitentiaux ; enfin, deux
Livres de vers mesurés a la façon des Grecs, etc.
Ce fut conjointement avec Passei-at , comme nous
l'avons dit à l'article de ce poète , que Rapin composa
les vers de la satire Ménippée.
36 NICOLAS RAPIN.
SIXIEME SATIRE
BU PREMIEn LIVRE d'hORXCE, Il O C F. RAT IN rOTIS.
A M. LE PRÉSIDliNT DE THOU.
C'ktoit ceci que j'avois désiré,
Un coin de terre hors du bruit retiré,
Basty aux champs, de closture moyenne,
Au pied duquel y eût une fontaine
De vive source, et un bois au-dessus.
Dieu m'a donné quelque chose de plus.
Me voilà bien : je n'ai plus d'autre envie
Que voir la paix le reste de ma vie.
Pour ne voir plus un soldat étranger,
A tous propos nos maisons saccager.
Quand je séjoiniie en ce doux hermitage.
Où je laboure un petit héritage.
Loin de la ville et loin des bruits divers.
J'ai tout loisir de composer des vers ;
Car je ne sens la curieuse envie
Des nouveautés qui troublent notre vie :
L'ambition ne corrompt mes desseins;
Les vents, la pluye et l'automne mal-sains.
Qui font gagner les cricurs et les prestres,
Ne viennent point ébranler mes fcnestres.
Fascheux procès, ennemi du bon temps,
Qui entretiens les fols et mal-contens,
Les uns d'espoir, les autres de rancune.
Pourquoi viens-tu corrompre ma fortune;
NICOLA.S RAPIN. 87
Et m'arracher de cet heureux loisir,
Me contraignant voyager sans plaisir
Jusqu'à Paris , et là , pour peu de chose ,
Solliciter une méchante cause ?
Quand je suis là, plaidant, je ne dors point;
Je suis sur pied dès-lors que le jour point ;
Et quelque hrume ou mauvais temps qu'il fasse ,
Il faut aller à la pluye , à la glace ,
Tantost au Louvre et tantost au Palais,
Accompagner les coches et mulets;
Il faut pousser, il faut fendre la presse
Et quereller le premier qui me presse ,
Heurter celui qui va trop lentement :
Marche , coquin , avance vistement.
Voici déjà le septième an qui passe ,
Que j'ai cet heur d'estre en la honne grâce
De ce seigneur, qui, en toute saison.
Permet que j'aye entrée en sa maison.
Non que de lui trop privément j'approche,
Mais il me met quelquefois en son coche
Jusqu'au Palais, ou me mené avec lui,
Allant aux champs pour éviter l'ennui,
Ne s'enquérant que de chose commune;
Quelle heure est-il? qu'avons-nous de la lune ?
Ne dit-on rien de nouveau du pays?
Les Rochelois sont-ils point ébahis ?
Ceux qui trop tost ont laissé leur fourrure.
Sentent encore, au matin, la froidure.
Bref, ne me dit, en devis familier.
Que ce qu'on peut dire à un écolier.
38 NICOLAS RAPIN.
Et néanmoins, depuis cette accointance,
Beaucoup de gens briguent ma connoissance.
Vient-il un bruit du Louvre ou de la cour?
Incontinent vers moi chacun accourt;
L'un m'interroge, un autre me rappelle;
Je suis enquis sur chacune nouvelle :
Eh bien, monsieur, est-rl vrai ce qu'on dit?
Que sçavez-vous de ce nouvel édit ?
Car approchant des dieux, comme vous faites,
Vous sçavez tout , et leur secret vous estes.
Moi, dis-je lors, certes, je ne scais rien.
Ho! disent-ils, que vous vous moquez bien!-
Moi, dis-je encore, ou que Dieu me confonde
Présentement, si je sçais rien au monde.
Publira-t-on la bulle par moitié ?
Ne feront point nos princes amitié ?
Tant plus je jure et tant plus on admire
Que le sçachant , je n'en veuille rien dire.
Le jour se passe en semblables discours.
Non sans avoir aucune fois recours
A mes souhaits, regrettant en moi-mesnie
Mon Terre-Neuve et mon jardin que j'aime.
O petit trou, quand aurai-je pouvoir
D'aller encore en Poitou pour te voir !
Ou quand pourrai-je, en douce solitude,
Dormir à l'ombre ou dedans mon étude ,
Tout à loisir mes livres feuilleter,
Sans avoir soin que d'aller visiter
Mon petit pré , mes vignes et mes plantes ,
Et les fruits verds de mes nouvelles antes !
Î^ICOLAS RAPIN. 39
Oh ! quand verrai-je à ma table servir
Du bœuf salé pour ma faim assouvir,
Des choux au lard et des fèves encore,
Bien qu'elles soient du sang de Pythagore !
O doux repas ! ô mets délicieux ,
Aussi plaisans que les banquets des dieux !
Mon mestayer, revenant de sa grange,
Sis près de moi, sans faire de l'étrange,
Porte la main au plat, et du surplus
Nos serviteurs sont nourris et repus.
Si mes voisins me viennent voir, aux festes.
Après la messe, ils trouvent tables prestes,
La nappe blanche et le feu préparé ,
Et le vin froid si l'air est altéré ;
Puis on met sus quelque propos honneste.
Non de la guerre, ou nouvelle conqueste
Sur l'Espagnol, encore moins combien
Nos voisins ont de terres et de bien ;
Mais nos discours sont de l'agriculture,
Si le labeur peut forcer la nature ;
Et lequel est plus content et heureux ,
Ou l'homme riche, ou l'homme vertueux ;
Quelle est la fin et but de notre vie ;
Si la vertu doit céder à l'envie,
Et si le point de la félicité
Gist en l'honneur ou en l'utilité.
Il me souvient qu'un jour, entre les autres ,
Comme Gaultier, qui étoit l'un des nostres ,
Louoit la ville et Tlieur des courtisans,
Feu Michonnet, l'honneur des paysans.
4o NICOLAS RAPIN.
Facétieux, bien-disant et affable,
Vint commencer à compter cette fable :
Un rat des cbamps, pauvre et bon ménager,
Reçut un jour, dans son creux, à loger
Un rat de ville, et, pour la connoissance ,
De bien long-temps n'épargna la dépense
Pour le traiter; il lui donna des poix.
Des raisins cuits, du pain dur et des noix,
Qu'il réservoit avec une couëne
De lard rongé; bref, se mettoit en peine
De contenter, par la diversité
De plusieurs mets, son boste dégousté,
Qui , d'une dent délicate et superbe ,
Dédaignoit tout : lui, coucbé dessus Iherbe,
Près du pallier, rongeottoit seulement
Le menu grain d'un épi de froment.
Laissant le lard et clioses plus friandes
A son ami, qui, las de ces viandes,
Lui dit ainsi : Malotru que tu es!
Veux-tu toujours, auprès de ces forests,
Mourir de faim ? Ces montagnes stériles
Et ces prés verds sont-ils plus que les villes?
Viens , disoit-il , sors d'ici et me croi ;
Laisse ces cbamps et t'en viens' quant et moi.
Puisqu'ainsi est que toute cbose née,
Par une fin doit estre terminée.
Et que le foible, aussi-bien que le fort,
Doit succomber sous le faix de la mort ,
' Le Rat de mile et le Rat des champs, La Fontaine, Livre i,
Fable 9,
NICOLAS RAPm. 4l
Pour peu de jours que nous avons à vivre ,
Prenons notre aise, et commence à me suivre.
De tels propos le pauvre rat tenté,
Sort de son trou, laisse sa pauvreté,
Se met aux champs, et d'un trotter agile,
Tous deux ensemble arrivent à la ville,
Passent les murs, et entour la minuit
Se vont camper doucement et sans bruit
Dans la maison superbe et honorable
D'un grand seigneur qui tenoit bonne table,
Où l'on voyoit, dessus les lits tendus,
Les beaux tapis de Turquie épandus,
Les ciels couverts de soye en broderie,
Et les parois tous de tapisserie.
Dans la dépense y avoit à monceaux.
Restés du soir, force friands morceaux ,
Perdrix, levreaux , faisans, canes sauvages,
Gasteaux sucrés, craquelins et fromages.
Quand le bourgeois eut ainsi fait tout voir
Au rat des champs , il le va faire seoir
Sur un loudier de pluclie incarnadine ,
Puis, retroussé, s'en court à la cuisine,
Tourne et retourne , à toute heure apportant
Morceaux divers, dont il taste pourtant
Tout le premier, n'oubliant rien à faire
De courtoisie et de civile chère.
Le villageois , étant ainsi traité ,
Repaist très-bien , joyeux d'avoir quitté
Son antre froid et ses granges désertes ,
Quand tout-à-coup trente portes ouvertes
42 NICOLAS RAPIN.
Vont faire un bruit qui fait en un moment
Ces pauvres rats courir liastivement
Tous éperdus, laissant leur table grasse
Et tournoyant çà et là par la place,
Pour se sauver; ils pensent estre pris.
Au bruit que font les cliiens clans le pourpris.
Vraiment, ce dit le villageois à l'heure.
Je n'ai besoin de si belle demeure.
De tant de rost ni tant de venaison.
Adieu vous dis, ville et riche maison,
Toujours de peur et d'alarmes suivie!
Je m'en retourne à ma première vie ,
Dans mon pailler, où les noix et le fruit
Me nourriront sûrement et sans bruit.
A M. DE HARLAY,
PREMIER PRÉSIDENT AU PARLEMENT DE PARIS.
DÉTOURNE tes pensers des faveurs de la cour;
Maintiens ton grave front, quoique le temps qui court
Desireroit des mœurs qui fussent moins austères.
Aux grands maux , comme sont les nostres d'à présent.
Le médecin perd tout, qui se rend complaisant:
Les breuvages amers sont les plus salutaires.
NICOLAS RAPIN. 43
ODE D'HORACE,
DU PRK3JIER LIVRE M(E C E N A S jiTAVIS,
ADRESSÉE A M. LE DUC DE SULLY, PAIR DE FRANCE.
Race des ducs de Flandre , illustre de Bé thune,
O riionneur et l'appui de ma foible fortune !
Il se trouve des gens qui n'ont autre plaisir
Qu'à bien courre la bague, et, d'un noble désir,
Piquer bien un cheval , rompre bien une lance ,
Et faire en un tournois paroistre leur vaillance,
S'estimant plus que rois , quand , de l'honneur épris ,
En faveur d'une dame ils emportent le prix.
Aucuns se plaisent tant à labourer leur terre ,
Cultiver leurs jardins, ordonner un parterre,
Et ménager leurs fruits, sur leur bien résidens,
Que, quand un roi voudroit les faire présidens
Ou conseillers d'état, ils n'y voudroient entendre.
Moins encor du Pérou le voyage entreprendre.
Le marchand qui se trouve en mer hors de saison ,
Battu de vents divers , regrette sa maison :
Y est-il de retour? ses vaisseaux il r'habille.
Impatient encor de quitter sa famille.
Un autre sans rien faire aime à passer son temps,
L'hyver auprès du feu, dessus l'herbe au printemps,
Cherche le vin de Beaune, et, la bouteille pleine.
S'étend sous un boccage ou près d'une fontaine.
Plusieurs aiment la guerre et le bruit des tambours,
Ouïr tirer canons, voir brusler des faubourgs,
/| i NICOLAS RAPIN.
Prendre un chasteau d'assaut, faire des funeradlcs,
Et n'ont d'autre plaisir que celui des batailles.
Un chasseur passera trois jours, le j)liis souvent,
A courir les forests si ses chiens ont le vent
D'un cerf ou d'un sanglier, tant que la nuit l'afiame ,
Sans se ressouvenir ni denfans ni de fenune.
Quant à moi , j'av à part ma fantaisie aussi ;
J ay plaisir d'estre à l'ombre, et mon premier souci
Est de suivre Apollon pour gagner la couronne
Du laurier, (|ui le front des doctes environne;
La danse des silvains, les nymphes au milieu,
Me srparent du peuple et me font demi-dieu;
Mais si la Muse fait que, (juand mon lui h je pince.
Les accords de ma voix aillent jusqu à mon prince.
Qui puisse faire cas de mes vers mesurés ,
Je frapperai du chef les liants cieux asurés.
A M. DE ROSiVY,
CONSEILLER D ITAT , ET SUIUNTE^DANT DES FINANCES
DU IlOI.
RosxY, de qui le soin brillant,
Comme un dragon toujours veillant ,
Garde les pommes hesj)erides
Contre les avares Phorcides,
A vous je me suis adressé,
Pensant estre ])lutost dressé
De (jurhjuo souunr <|ui m'est due,
Déjà trop long-temps attendue.
NICOLAS RAPIN. 45
Vous m'écoutez parler assez ;
Mais pardessus tout vous passez,
Et vous rendez inexorable,
Sans me dire un mot favorable.
Je cherche volontiers l'honneur
De prendre au corps un gouverneur,
Et cliastier une province
Qui fait la rebelle à son prince.
Des mcchans j'abats la fierté ;
Aux bons j'apporte sûreté.
Chassant cette canaille vile
De voleurs, qui troublent la ville.
Mais si on m'oste les moyens
De servir mes concitoyens ,
Seroit-ce pas folie extresme
De ne me point servir moi-mesme?
Sans plus enfin me consommer,
Je serai contraint m'enfermer
Dans un cabinet, sur un livre,
Pour le temps qui me reste à vivre.
J'ai appris les poètes grecs
Et des vieux Latins les secrets.
Façonnant l'élégie et l'ode
Sur la lyre, à l'antique mode.
J'ai mis au dorien niveau ,
Par un artifice nouveau.
De notre langue les mesures
En quantités et en césures.
'|('> NICOLAS RAPIN.
J'apporterai cet ornement
En France avec étonnenient ,
Pourvu qu'au dernier de mon âge
Pauvreté n'entre en mon ménage.
Je n'ai j)as si (oible la voix
Que, si votre faveur j'avois,
Je ne fisse ouïr vos louanges
Jusques aux nations étranges.
Mais vous n'aimez ces honneurs vains
Des chantres et des écrivains
Qui ne servent (|iic de (Ifj)enses
En pensions et recompenses.
C'est pourquoi je ne m'attends pas
Que de mes vers vous fassiez cas,
Ni qu'Apollon , ni .que Minerve
De rien auprès de vous me serve.
Encor que soyez amateur
D'un l)on livre it d'un bon auteur,
Et des sciences et des langues,
Si n'aimez-vous point les harangues.
Non-valeur et faute de fond ,
Etoiciit un al)isme profond;
Tout l'or (|uc la l'rance moissonne
Se jjcrdoil sans paver personne.
Les subsides, mal départis,
S'engageoienl au\ mauvais |)artis,
Et n'y avoit j)lus de ressource
Que pour ceux qui tenoient la bourse.
NICOLAS RAPIN. 4?
Mais , par votre frugalité ,
Vous ramenez l'égalité,
Et d'un zèle sans artifice
Vous joignez l'ordre à la justice.
Pouvant à tous faire du bien,
Pour vous seul vous ne faites rien ,
Et , maniant un fonds si ample ,
De continence estes l'exemple.
Votre bien est en mesme état ;
Votre train n'a point plus d'éclat;
Votre table et votre écurie
Sont d'un Caton ou d'un Curie.
L'bumble , le doux , le violent ,
Le misérable et l'opulent,
Sont tous traités de mesme sorte ,
Avant que rien de vos mains sorte.
Imprenable de tous costés.
Grands et petits vous rebutez ;
Vous estes mal-plaisant en somme ,
Et plutost un rocher qu'un homme.
Mais à bon droit on peut nommer
L'épargne des rois , une mer
Qui s'enfle, par maintes manières.
Des eaux de diverses rivières;
Puis sous terre, en canaux secrets.
Ces mesmes eaux font un regrès.
Pour départir en mainte source
Des ruisseaux l'éternelle course.
48 NICOLAS RAPIN.
Ainsi les grands trésors humains ,
Qui procèdent de plusieurs mains,
Pour à un seul se venir rendre ,
Doivent sur plusieurs se répandre.
Si vous passez par un tranchant,
Autant le bon que le méchant.
Personne n'aura plus courage
De bien faire au fort de Torage.
La vertu n'est pas un nom vain,
Et s'aigrit comme du levain,
Si , après son service , on pense
La priver de sa récompense.
Il fait bon estre ménager,
Pour les laboureurs soulager;
Mais, à la majesté royale.
Il sied bien d'estre libérale.
La maison d'un prince si grand,
Chacun y apporte et y prend ;
Et celle n'est pas magnifique.
Où quelque larron ne pratique.
Serrer le bouton de si près,
Engendre plusieurs maux après ;
Les valets gastent les ménages.
Quand le maistre retient les gages.
Pour moi, qui ne tourne à tout vent,
Tant i\\w le roi sera vivant.
Quelque parti qui se débauche.
J'irai droit et jamais à gauche.
NICOLAS RAPIN. 49
J'aime ce prince en ses humeurs,
Son règne est commode à mes mœurs,
Et n'ai pas peur, quoi qu'on en die ,
Que sous lui la vertu mendie.
Je ne crains point, quand il vivra,
Que le poison qui enivra
La France de guerres civiles,
Trouble le repos de nos villes.
Qu'il vive les ans de Nestor,
De peur que, comme fit Hector,
Dont la fin fust la fin de Troye,
Il laisse son royaume en proye.
Je suis de sept enfans chargé ,
A cent créanciers engagé,
Et mes forces sont consommées ,
Des frais que j'ai faits aux armées.
Bref, si aujourd'hui ou demain
Vous ne tenez un peu la main
Que mieux ci-après on me traite,
Je puis bien sonner la retraite.
D'offices et d'états privé ,
Je m'en irai vivre en privé;
Car c'est le point où je me fie
Au bout de ma philosophie.
Je fais des vers une fois l'an ;
Et , pour le duché de Mdan ,
Je ne vôudrois ni ne souhaite
Qu'on me tinst pour un grand poëte.
4
5o NICOLAS RAPIN.
S'il falloit que ce qui m'est dû,
Mon bien et mon temps fust perdu ,
Au lieu de me mesler de crimes,
J'irois me consoler en rimes.
Mais j'espère qu'un temps viendra.
Durant ce roi-ci, qu'on tiendra
D'un homme de bien plus de compte.
Qu'on ne tient d'un duc ou d'un comte.
JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET. 5l
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JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET.
Jean-Baptiste Chassignet , fils de Jacques Chassi-
gnet , docteur en médecine , naquit à Besancon ; il fit
une grande partie de ses études sous Antoine Huet
principal du collège de cette ville , qui lui inspira le
goût de la poésie; il fut ensuite docteur en droit.
L'époque de sa naissance et celle de sa mort sont
incertaines.
Ce poète étoit encore fort jeune quand il publia un
recueil intitulé le Mépris de la Fie et la Consolation
contre la Mort, qui se compose d'environ cinq cents
sonnets, de plusieurs discours, odes, prières, etc. De
pareils sujets n'occupent pas d'ordinaire les pensées
des jeunes poètes ; mais Chassignet a soin de prévenir
ses lecteurs qu'il étoit d'un caractère triste et mélan-
colique : « 11 n'y a rien, dit-il, dont je me sois plus
« entretenu que des imaginations de la mort, voire en
« la saison plus licentieuse de mon âge , parmi les danses
« et les jeux , où tel me pensoit empêché à digérer, à
« part moi , quelque trait de jalousie , cependant que je
« me guindois en la contemplation des maux et incon-
« véniens qui nous choquent de tout côté etc. »
Son second ouvrage est une paraphrase des cent
cinquante Pseaiiines de David. Il y en a quelques uns
qui peuvent passer pour de véritables odes. Ces deux
recueils sont tout ce qui reste des productions de
Chassignet.
Sa JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET.
Voici comment il exprime, dans la préface du se-
cond recueil , l'idée qu'il s'étoit formée de la poésie :
« Ni plus ni moins que la voix contrainte dans l'étroit
« canal d'une trompette sort plus aiguë et éclate plus
« fort , ainsi me semble-t-il que la sentence pressée
« aux pieds nombreux de la poésie, s'élance bien plus
« brusquement et nous frappe d'une plus vive se-
•c-cousse, etc.» C'étoit la définir en poète; et il faut
avouer que Chassignet avoit de son art une connois-
sance aussi parfaite qu'elle pouvoit l'être dans le temps
où il vivoit. Les enjambements sont bien moins fré-
quents cbez lui que dans la plupart de ses contempo-
rains; et sa versification ne manque ni d'harmonie ni
d'une certaine correction.
LE MEPRIS DE LA VIE,
ET CONSOLATION CONTRE LA MORT.
Je te viens faire entendre, en mes tristes discours,
De quelle façon va la course de nos jours.
Les arbres ont leur temps dans lequel ils commencent
A jetter leurs bourgeons, dans lequel ils avancent
Leurs scions tendrelets , et de feuillages verds
Revestent leurs rameaux élancés de travers ;
Incontinent se perd la fleur délicieuse,
Et prend d'un fruit nouveau la forme gracieuse.
Mais ({uelquefois aussi plusieurs sortes de fruits
En leurs tendres boutons sont bruslés et détruits ;
Les autres en leur fleur incontinent périssent;
Sitost qu'ils sont formes , les autres se fanissent :
JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET. 53
Encore, entre ceux-ci, ce désastreux hasard
Arrive aux uns plus tost et aux autres plus tard;
Le hasard fait leur sort : les traînardes chenilles
Vont des uns dévorant les fleurettes gentilles.
Les autres sont mangés, en jettant leurs boutons,
Du scadron bourdonnant des goulus hannetons.
C'est le portrait de l'homme : il bourgeonne en renfance ;
Depuis, ayant atteint la forte adolescence,
Il pullule et fleurit , et de-là va croissant
Jusqu'au dernier degré de l'âge fleurissant,
Auquel étant monté , à la fin il succombe ,
Dévallant peu à peu sous la poudreuse tombe.
Mais il n'est pas à tous ordonné de vieillir ;
Les uns, encore enfans, nous voyons défaillir;
Les autres, retranchés par la faulx vengeresse
Du vieillard fugitif, trépasser en jeunesse :
Quelques-uns opprimés en la virilité,
Peupler des monumens l'aveugle obscurité;
Et d autres, parvenus au bout de la carrière.
Déjà vieux et grisons, charger le cimetière.
Cependant il advient, par accidens divers,
A l'un de choir plus tost dans les tombeaux couverts;
A l'autre un peu plus tard; plusieurs par maladie,
Lente ou précipitée, ont vu trancher leur vie;
Les uns sont par les champs des voleurs attrapés;
Les autres, au logis, du tonnerre frappés:
Les uns meurent blessés au milieu de la guerre ,
Les autres fracassés de l'éclat d'une pierre;
Les uns d'un mol pépin s'estouffent en mangeant;
Les autres, sous les eaux, meurent en navigeant.
54 JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET.
Entre tant de dangers s'écoule notre vie,
Tant que par le destin elle nous soit ravie.
Va-t-en dans un verger, et remarque des yeux
Ou les jeunes scions , ou bien les arbres vieux :
Chacun a sa saison; l'un mûrit en automne,
L'autre quand à Cerés on fait une couronne
D'un tortillon d'épis , et l'autre au renouveau
Se parfait en sa forme et prend un teint nouveau.
Ainsi l'homme on voit croistre ; ore viste, ore à peine
Atteignant de son corps la croissance certaine.
Voire même ceux-là qui sont plus tost venus ,
Deviennent rarement ou grisons ou chenus,
Ains délogent soudain, suivant la décadence
Qui par même chemin marche avec l'accroissance;
Si bien que le trépas, qui nous est coutumier.
Par intervalle joint le dernier au premier.
L'on connoist aux jardins quelle est la différence
Qu'ont les arbres entre eux d'humeur et de substance.
Aux dattes Ton connoît les fertiles palmiers.
Les vignes au raisin, aux pommes les pommiers,
Aux glands les chênes vieux, les savoureuses prunes
Au fructueux prunier, le noyer aux noix brunes.
Mais si-tost que le tronc du sol est arraché ,
Que la feuille est tombée et les reins ébranchés,
Que le fruit est cueilli , que la racine tendre
Est sèche est mise au feu , et puis réduite en cendre.
Croyez-vous qu'à la voir notre œil reconnoistroit
De quel arbre fruitier telle cendre seroit ?
Au chemin d'ici-bas , tels pullulent et croissent
Les fragiles humains , dont les uns se connoissent
JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET. 55
Aux racines et troncs de leurs prédécesseurs ,
Les autres aux scions des enfans successeurs.
Enfin nous convenons en une même chose,
C'est que nous courons tous dedans la tombe close ;•
C'est que nous mourons tous et tombons tous au seuil
Du logis de Pluton, prisonniers du cercueil.
Mais, las! quand une fois la mort a fait résoudre
La masse de nos corps en quelque vile poudre,
Ce n'est plus rien de nous; et les grands empereurs
Ne sont point reconnus parmi les laboureurs ,
Ils gissent pesle-mesle; et sous la tombe noire
Ils n'ont point d'avantage , ou d'honneur ou de gloire.
PARAPHRASE DU PSEAUME LXXIX,
qui REGIS ISRAËL, INTENDE.
O grand Dieu , qui conduis le peuple israélite ,
Ainsi que le berger conduit et sollicite
Un troupeau de moutons ,
Exauce ma prière , offre-moi ta conduite.
Et préserve ton parc des animaux gloutons!
Grand Dieu , qui de tout temps , assis en sentinelle
Sur les deux chérubins , qui couvrent de leur aisle
L'arche du testament ,
Montres de ta grandeur la lumière nouvelle,
Illuminant les yeux de notre entendement :
Déployé en Ephraïm, manifeste en Manasse,
Découvre en Benjamin ton pouvoir et ta grâce,
56 JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET.
Nous sauvant des mallieurs :
Seigneur, convertis-nous; si nous voyons ta face ,
Nous serons délivrés de toutes nos douleurs.
Jette l'œil sur ta vigne , autrefois apportée
D'Egypte en ces quartiers, oii tes mains l'ont plantée,
Autour d'elle arrachant
Des profanes gentils la tige surmontée ,
Et de tes propres mains toi-même la bêchant.
Soudain le froid tremblant de son large feuillage
Mit les champs à couvert , mit les monts à l'ombrage,
Et ses reins plantureux
Passèrent en grosseur de tronc et de branchage
Les cèdres plus puissans du Liban odoreux.
Cette vigne de Dieu si soigneusement faite ,
A l'instant commença de rechausser la creste ,
Avançant ses provins
De la mer jusqu'au fleuve, et d'une longue traite,
Porter au loin les bras de ses pampres divins.
Pourquoi, sire , à ce coup, négligeant sa culture ,
As-tu démantelé les murs de sa closture ,
Mis en proie son vin ?
Pourquoi l'as-tu donnée aux passans en pasture ,
Qui, pour la vendanger, s'écartent du chemin ?
Les sangliers outrageux , hostes des bois sauvages ,
Les animaux des champs, qui gistent es bocages.
Les ours et les limiers ,
L'ont froissée et détruite, en ont fait tels ravages.
Qu'on n'y voit un seul trait de ses honneurs premiers.
JEAN-BAPTITE CHASSIGNET. 37
O grand Dieu des combats ! retourne et considère
Des yeux de ta merci quelle est notre misère;
Et du ciel , ton séjour ,
Viens, hélas! visiter ta vigne solitaire,
Qui maintenant ressemble un désert sans amour !
Sur-tout regarde, ô Dieu ! ce petit sep débile.
Que tu as élevé en puissance virile ,
Par toi-mesme planté ;
Parfais-le , et le remets en état plus tranquille ,
Si que ton sacré los en soit par-tout chanté.
O grand Dieu des combats , qui rehausse ou terrasse
Ceux à qui tu dépars ou la mort ou la grâce ,
Les biens ou les malheurs !
Seigneur, convertis-nous; si nous voyons ta face ,
Nous serons garantis de toutes nos douleurs.
SONNET.
Assieds-toi sur le bord d'une ondante rivière.
Tu la verras fluer d'un perpétuel cours ,
Et flots sur flots roulant en mille et mille tours ,
Décharger par les prés son humide carrière.
Mais tu ne verras rien de cette onde première,
Qui naguère couloit : l'eau change tous les jours.
Tous les jours elle passe, et la nommons toujours
Mesme fleuve et mesme eau , d'une mesme manière.
Tu vois dans ce portrait celui du genre humain :
L'homme n'est aujourd'hui ce qu'il sera demain ,
Tant le temps en son cours le mine et le consume!
58 JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET.
Le nom, sans varier, nous suit jusqu'au trépas;
Et dans ce jour enfin , quoique je ne sois pas
Celui qui vivoit hier, toujours mesnie on me nomme.
DU PSEAUME VI,
DOMINA, NJS IN FURORE, etc.
Daigne me regarder des yeux de ta clémence ;
Ne me corrige point, Seigneur, dans ta vengeance,
Et n'étends sur mon chef ton courroux endurci ;
Mais , touché des accens de ma plainte éplorée ,
Evoque , Père doux , ma cause déplorée
Du siège de justice au trosne de merci.
Seigneur, si de tes mains les ouvrages nous sommes,
Pardonne aux criminels comme père des hommes,
Et non point comme auteur de leur iniquité :
Siéroit-il pas bien mieux à ta divine essence
D'effacer le péché par ta grande clémence ,
Qu'effacer le pécheur par ta sévérité ?
Tire-moi des langueurs qui me suivent sans nombre ,
Comme les corps humains sont suivis de leur ombre ,
Plutost par ta bonté que par ton jugement;
Et retourne sur moi les yeux de ton visage ,
Tels qu'ils luisent en toi , quand tu portes l'image ,
Non d'un juge irrité , mais d'un père clément.
Que si tu veux, Seigneur, perdre ta créature,
Quel est celui de nous, qui dans la sépulture
JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET. 5ç)
Se souviendra de toi au royaume des morts ?
Est-ce dans le tombeau, dessous la terre noire,
Que les corps sans esprit célèbrent de ta gloire
La renaissante histoire et les vivans accords ?
Qu'excessif et cruel est le mal qui me touche !
Je n'ai plus pour parler de langue ni de bouche ;
Ma bouche ne fait plus que se plaindre et gémir;
Mon lit toutes les nuits est trempé de mes larmes ;
Çà et là combattu de diverses allarmes,
Quand tout le monde dort, je ne puis m'endormir.
Pourrois-je bien dormir, pécheur abominable,
Si mes yeux , devenus en fleuve inépuisable ,
Ne font plus que pleurer mes immortels ennuis ?
J'en ai trouble la vue , et leur prunelle éteinte ,
Devant mes ennemis, s'éblouissant de crainte.
Au lieu de voir des jours , ne voit plus que des nuits.
Mais tu sais pardonner , et ta main tu retire ,
Sitost que nous cessons de provoquer ton ire ;
Et c'est ainsi , grand Dieu , que variant le sort ,
Ceux qui sur notre honte établissent leur gloire ,
De vergogne éperdus , voyent en nos victoires
Leur honte et notre honneur, notre vie et leur mort.
Ils se réjouissoient de nous voir en tristesse;
Nos pleurs étoient leurs ris , nos pertes leur richesse.
Nos peines leur repos , nos hy vers leurs printemps ;
Tous nos jours de tempeste étoient leurs jours de calme ;
Nos plaisirs leurs douleurs, nos défaites leurs palmes,
Et nos jours pluvieux le plus beau de leurs temps.
6o JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET..
Mais en moins d'un moment, confondus en leurs trames ,
Ils frémiront d'horreur, reprochant à leurs âmes
Tant d'injustes desseins contre moi projettes ;
Et la Honte bientost , à Téchine courbée ,
A. l'œil cave , au teint rouge , à la bouche plombée ,
Sera le plus doux fruit de leurs impiétés.
SONNET.
Sais-tu que c'est de vivre ? autant comme passer
Un chemin tortueux; ore le pied te casse,
Le genou s'affoiblit, le mouvement se lasse,
Et la soif vient le teint de ta lèvre effacer.
Tantost il t'y convient un tien ami laisser,
Tantost enterrer l'autre ; ore il faut que tu passe
Un torrent de douleur, et franchisses l'audace
D'un rocher sourcilleux , fascheux à traverser.
Parmi tant de détours, il faut prendre carrière
Jusqu'au fort de la mort; et fuyant en arrière
Nous ne fuyons pourtant le trépas qui nous suit :
Allons-y à regret ? l'Eternel nous y traisne ;
Allons-y de bon cœur ? son vouloir nous y mené ;
Plutost qu'estre traisné, mieux vaut estre conduit.
JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET.
SONNET.
Tu accuses la mort des tourmens rigoureux
Que tu souffre en mourant , et tu ne considère
Que tu as bien souffert de douleur plus amere ,
Etant encore esclave en ce corps langoureux :
Commençant en langueur ton âge douloureux,
Tu le parfais en pleurs , et finis en misère ;
La vie , et non la mort, de tes maux est la merc,
Qui te rend en mourant et vivant malheureux :
Le bout, et non le bord de notre foible route ,
Est ce qui nous tourmente , et fait que Ton redoute
L'inévitable loi du temps et du destin ;
Ne t'émerveille donc , puisque notre souffrance
Vivant avecque nous, avecque nous commence.
Si le soir de nos jours ressemble à son matin.
PSEAUME IX,
CONFITEBOR TIBI , DOMINE , IN TOTO CORDE MEO.
Je me réjouirai en ta grandeur sublime ,
Et d'un hymne sacré à ton nom magnanime.
J'exalterai , grand Dieu , l'effet de ta bonté !
Puisque mon ennemi renversé sur la terre,
Languissant et recru, ne m'a sçu vaincre en guerre,
Combattu de ma main, par la tienne dompté.
Des barbares gentils tu dissipes l'audace.
Tu détruis les médians, tu consommes leur race,
62 JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET.
Effaçant de la terre et leurs corps et leur nom.
Des mains des ennemis les glaives tu retire;
Tu rase leurs cités , et laisse leur empire ,
Par le feu dévoré, sans gloire et sans renom.
Vous donc , peuples dévots , glorifiez sans cesse
Ce grand moteur des cieux, qui dans la forteresse
De la sainte Sion , a posé son séjour ;
Annoncez ses décrets , publiez ses louanges ;
Allez chanter sa gloire aux nations étranges,
Quelque part que Phébus donne au monde le jour.
Regarde, ô Tout-Puissant, dès le haut de ton temple;
Regarde ma misère , et propice , contemple ,
Prenant pitié de moi , l'état de mes ennuis :
Vois comme mes jaloux m'accablent de leurs haines,
Me battent de fureur , me surchargent de peines ,
Viens, et délivre-moi des dangers où je suis.
Ah ! fais que de la mort la faulx étincelante
N'ose approcher de moi, et permets que je chante,
Aux portes de Sion ,, tous tes faits merveilleux :
Te rendant cet honneur , en dépit de l'envie ,
D'avoir mis , par ta grâce , en sûreté ma vie
Contre les attentats des -tyrans sourcilleux.
Les peuples ont creusé une grande ouverture ,
Afin de me surprendre ; et leur propre imposture
Les a jusqu'à la mort eux-mesmes confondus :
Ils ont tendu des rets; ils ont mis des cordelles
Aux lieux où je passois ; mais leurs pieds infidèles
Se sont eux-mesmes pris aux rets qu'ils m'ont tendus.
JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET. 63
PSEAUME LXXXI,
DEUS STETIT IN SYNAGOGA DEORVM.
(C'est Dieu qui parle.)
JcsQUES à quand, corrompus par présens,
A prix d'argent, rendrez-vous vos sentences,
Ployant, au gré des courtisans,
La droiture de vos balances?
Jusques à quand autoriserez-vous
Sur les petits , des hautains l'arrogance ?
Jusqu'à quand, d'un visage doux,
Resarderez-vous l'insolence ?
Faites justice aux pupilles honteux :
Gardez le droit à la veuve dolente ;
Et que le pauvre souffreteux ,
D'injustice ne se lamente.
Tirez des mains des tyrans oppresseurs
Les innocens dépourvus de défenses,
Ne permettant aux ravisseurs
De terrasser leur innocence.
Que tout le monde entre en confusion ,
Pour la fierté , l'audace et l'ignorance
Des juges pleins de passion.
Autant que vuides de prudence.
Juges hautains , et vous , rois glorieux ,
Qui vous paissez de vos fausses louanges,
64 JEAN-BA.PTISTE CHASSIGNET.
Je vous avois tous nommés dieux,
Du Très-Haut les fils et les anges.
J'ai mis la paix et la guerre en vos mains ;
Dessous vos loix j'ai la terre asservie,
Vous octroyant sur tous humains ,
Puissance de mort et de vie.
Mais le tranchant d'une vengeante mort
Terrassera l'orgueil de votre audace,
Enfermant, sous un mesme sort.
Le prince avec la populace.
PSEAUME XCI,
BONUM EST CONFITJERI DOMINO ET PSALLERE.
Soit que du beau soleil la perruque empourprée
Redore de ses rais cette basse contrée ;
Soit que la nuit, du monde efface les couleurs.
J'exalterai , le jour , ta louange sacrée ,
La nuit, je chanterai ta grâce et tes valeurs.
Quoi ! les ingrats pécheurs, dépourvus de science.
Ne se tourneront point devers ta sapience.
Ne reconnoistront point tes hauts faits merveilleux ;
Innombrables hauts faits , que par expérience ,
Tu révèle aux petits , et cache aux orgueilleux ?
Ils ne connoistront pas que les ouvriers iniques
De toute impiété, fleurissent magnifiques,
Sur l'avril de leurs jours, en richesse et splendeur ;
JEAN-BAPTISTE CHASSIGNET. 65
Comme on voit au printemps, es campagnes rustiques,
Les herbes s'éniailler de grâce et de verdeur :
Mais qu'ils meurent aussi au janvier de leur âge.
Sans honneur, sans crédit, comme le verd herbage
Se tanne au premier froid de l'hyver casanier.
Lorsqu'on le voit changer de teint et de visage,
Et perdre en un moment son lustre printanier.
Pour moi , Seigneur , lavé dedans l'huile d'olive ,
Ma face reprendra une couleur plus vive,
La bouche un teint plus gai, l'œil un ris plus gaillard;
J'aurai le chef moins gris, la marche plus hastive,
D'âge , plus que de corps , langoureux et vieillard.
Cependant l'homme droit fleurira de la sorte,
Qu'auprès de Jéricho fleurit la palme forte ,
Que le cèdre fleurit au Liban bocageux;
Le vent ni la chaleur aucun coup ne lui porte,
Verdoyant au milieu des liyvers orageux.
La plante qui prendra, dans la maison divine
Du Seigneur notre Dieu, une ferme racine,
Se vestira de fleurs, parera de rameaux,
Sans redouter des vents la tempeste mutine,
Ni le chaud de l'été , ni le débord des eaux.
Le cours du temps goulu ne pourra rien sur elle;
Sa jeunesse sera, sans vieillir, éternelle;
Les oisillons du ciel y viendront faire bruit;
Son ombre allégera le passant qui pantelle,
Donnant en sa saison et la feuille et le fruit.
v. 5
66 JEAN-BAPTISTE CHASSIGNÈT.
Ces plantes étendant leurs racines profondes
En la maison de Dieu, engendreront, fécondes,
Comme leurs devanciers, un grand nombre d'cnfans,
Sans que des ans rongeurs les courses vagabondes
Effacent la verdeur de leurs chefs trlomplians.
Ces enfans nouveaux-nés, admirant la sagesse
De Dieu le Créateur , annonceront sans cesse ,
Par les quatre climats de ce bas univers,
La grandeur de ses faits, le fruit de sa promesse.
Qui , provignant les bons , extirpe les pervers.
SONNET.
Vous avez beau croupir en l'humaine carrière,
Le temps de votre mort vous ne diminuerez ;
Mais aussi longuement endormis vous serez ,
Que si vous étiez morts en voyant la lumière.
Là oïl finit la vie, elle est toujours entière;
Ce que du temps futur, mourant, vous laisserez,
N'étoit non plus à vous, que les ans expirés
Avant d'estre conçus au sein de votre mère.
Nul meurt avant son jour; peut-estre, au mesme temps
Que vous rendez l'esprit, mille autres, moins contens,
Ressentent de la mort l'homicide rudesse.
N'estimeriez-vous pas les pèlerins bien fous,
D'aller sans aucun but? chetlfs, et pensiez-vous
N'arriver jamais là où vous couriez sans cesse?
JEAN-BAPTISTE CIÏASSIGNET. 67
LIVRE II. PSEAUME XLVIII.
Voi-TU bien ces richards , superbement vestus
De pourpre et d'écarlate,
Qui donnent mille ébats à leur chair délicate ,
Mettant en leurs trésors leurs plus belles vertus?
Le frère, toutefois, ne sçauroit de la mort
Sauver son propre frère ,
Ni présenter à Dieu une offrande si chère.
Qui réveille un mortel qui sous la tombe dort.
L'inviolable loi du Destin le défend ;
La Mort aime carnage ,
Et frappe également l'ignorant et le sage.
Le prudent et le fol, le vieillard et l'enfant. l^
Et puis , ces malheureux , qui tant ont fait de pas ,
Qui tant ont pris de peines
Povu^ garder des trésors , délaissent leurs domaines
Aux mains d'un héritier qu'ils ne connoissent pas.
Leurs jardins, si bien faits , leurs parterres si beaux,
Leur palais et leur grange
Echappent de leur main, et, par un triste échange ,
Au lieu de leurs maisons, ils peuplent des tombeaux.
Cependant ils pensoient, perpétuant leur nom,
Qu'éternels en leurs races ,
Ils pourroient prolonger jusqu'aux dernières traces
Du monde consumé, leur gloire et leur renom. »
68 JEAN-BAPTISTE CHASSIGNÊT.
Le bras du Tout-puissant de Tenfer abvsiné
Délivrera mon ame,
Me recevant à soi aussi-tost que la lame
Revomira mon corps, derechef animé.
Mais, quand pour les médians le jour s'éclipsera.
De leur richesse altiere
Ils ne remporteront que les ais d'une bière,
Et leur gloire au tombeau ne les assistera.
Et soudain qu'ils seront dans l'enfer arrestés,
Compagnons de leurs pères.
Après avoir quitté leurs grandeurs passagères.
Ils pleureront long-temps leurs courtes voluptés.
ANTOINE DE COTEL. 69
*«*«e-«C«fiSft«5«Q«&«eS9«fr«8^d«a-«99 3«9«<^9«9«9«9«a9»«««9«.««99?9e9^^9
ANTOINE DE COTEL.
AntoiiXE de Cotel , né à Paris , et conseiller au
Parlement de cette ville, appartenoit à une famille
noble 5 c'est ce qu'il nous apprend dans l'un de ses
sonnets :
Je suis, je le confesse, et ay toujours esté
Moyen , non pourtant vil , noble , de race honneste ;
mais il ajoute qu'il préféroit au vain titre de gen-
tilhomme une réputation sans tache et la gloire que
donne l'esprit.
Les productions d'Antoine de Cotel furent impri-
mées en i5y8 (Paris, in-^\ sous le titre de Premier
Livre des mignardises et gayes poésies , etc. , avec quel~
qiies traductions , imitations et inventions du mesme au-
theur.
Les Mignardises se composent de trente-huit son-
nets entremêlés de rondeaux et de chansons, de quatre
élégies , d'une épître , de quelques épigrammes , de
la Cigale , poème d'une assez grande étendue 5 des
Bergeries , et enfin de plusieurs autres sonnets et épi-
grammes. La plupart de ces pièces ont l'amour pour
objet.
On trouve parmi les Traductions une version du
quatorzième Livre de \ Iliade d'Homère, en vers de
dix syllabes , quelques imitations de Théocrite et
d'Ovide, etc.
Les épigrammes de Cotcl ne sont pas sans mérite j
70 ANTOINE DE COTEL.
il en est deux surtout que nos lecteurs verront avec
plaisir, l'une commence par ces vers :
T'ayant vu ce matin , saluer par la rue
Un grand ane emjiourpré qui jamais ne salue, etc.
C'est un apologue qui a été traité depuis par notre
bon La Fontaine ( Fable i4, Liv. v, F À ne portant des
reliques)'^ l'autre a pour objet l'avarice d'une cour-
tisane qui amasse pour aclieter des adorateurs, lorsque
le temps aura rendu ses attraits impuissants. Jacques
Tabureau s'étoit déjà exercé sur le même sujet.
SONNET.
J'ai vécu deux jours attendant ,
Nourri seulement d'espérance,
Pratiquant de la patience
La simple vertu cependant.
Encore , faut-il que , gardant
Deux autres jours ma pénitence ,
Je fasse si dure abstinence ,
Ou que je meure , en vous perdant.
Mais si, déçu de mon attente,
La récompense ne contente
Avec usure mon espoir,
Adieu patience , et ma vie !
Il vaut mieux, mourant, voir finie
Sa peine , que toujours l'avoir.
ANTOINE DE COTEL.
EPIGRAMME. •
T'ayant vu ce matin , saluer par la rue
Un grand ane empourpré qui jamais ne salue ,
Je ne puis me garder , ami , de te conter
L'histoire , qui soudain s'est venu présenter ,
D'un ane de jadis qui ayant sur Téchine ,
De la déesse Isis la statue divine,
Par la ville d'Argos d'aventure passoit,
Où le peuple dévot à genoux se baissoit,
Et avec grand honneur , adorant la déesse ,
Tapissoit le pavé d'une jonchée espaisse ;
Dont le pauvre baudet, sot et lourd qu'il étoit,
Ne sachant la grandeur du fardeau qu'il portoit.
Et trop outrecuidé , se donnant assurance
Qu'à lui seul s'adressoit cette humble révérence,
D'aise s'enfloit les flancs, marchoit d'un grave pas
Lentement mesuré d'un sévère compas ;
Sans tourner çà ne là, hochoit tout beau la tête.
Et d'un branle d'oreille, et d'un soupir honnête,
Ne pouvant faire mieux, par signe au moins disoit
Qu'il prenolt bien à gré l'honneur qu'on lui faisoit.
Il s'en alloit hennir : mais l'anier, qui devine
Le vouloir fantastic de son ane à la mine.
De trois grands coups de fouet son derrière émouchant,
Dans le nœud de sa gorge étouffa ce doux chant,
' L' Ane portant des reliques. La Fontaine, Liv. v, Fab. 14.
,..i*
72 ANTOINE DE COTEL.
Puis encor se moquant, lui dit de cette sorte :
Baudet, il n'est pas dieu, qui Dieu sur le dos porte.
C'est assez pour ce coup , plus dire je n'en veux :
Mais fais-en ton profit, ami, si tu le peux.
SONNET
SUR LA MORT DE LOUIS LE ROI, CÉLÈBRE SAVANT DU
SEIZIÈME SIÈCLE.
Le Roi , c'est un grand cas, vu ton ancien ^2e,
Ton savoir, ton moyen, et que tu es mort vieux.
Que tu n'eus en ta vie un meuble précieux,
Ni certaine maison, ni le moindre héritage;
Que l'un de tes pourpoints trotta toujours en gage.
Si jamais , comme on dit, tu t'en vis avoir deux.
Et que tu as toujours été nécessiteux ,
Cliétif, sans feu, sans lieu, sans buron , ni ménage.
La mort doncques. Le Roi , aux autres dommageable ,
Te servant de repos, t'est d'autant profitable.
Que tu ne seras plus souffreteux désormais;
Que tu es affranchi de fortune muable ;
Que tu n'as plus besoin de lit, buffet, ni table,
Et qu'elle t'a donné demeure pour jamais.
K:l^
Mv
ANTOINE DE COTEL. 7 3
SONNET.
DE DEMOISELLE I. L. D.
Pendant qu'elle pleuroit, comme une prude femme,
Son mari languissant de long-temps dans un lit,
L'embonpoint la laissa ; son beau teint se pâlit ;
Une fièvre la prit dont elle rendit l'ame.
Mais lai qui avoit jà un pied dessous la lame ,
Quitté des médecins , dès que libre il se vit
Maître de sa maison , tout dru , il se refit ,
Voire , fut tôt épris d'une nouvelle flame.
Ainsi doncque, pauvrette , elle mourut pour lui :
Et il fut, plus heureux, malade pour autrui.
Ainsi le mal de lui fut enfin la mort d'elle.
Et lui, tout au rebours, au lieu d'elle vêquit,
Et au printemps nouveau, gai, quasi renasquit,
Ainsi , comme un phénix , des cendres de la belle.
EPIGRAMME.
Bâtir châteaux, courir grands tables,
Faire l'amour, coucher gros jeu.
Sont grands chemins , qui , délectables ,
Conduisent l'homme en pauvre lieu.
74 ANTOINE DE COTEL.
CHANSON.
HÉLAS , chétlf ! une belle maîtresse ,
Par la moitié mon pauvre cœur m'ôta,
Et à l'instant, une autre larronesse
Me vint embler l'autre qui me resta.
Il est en deux ; pourtant chacune d'elles
Sans le partir, me le possède entier;
Et les servant, mes services fidelles
Se font entiers, et non point par quartier.
Toutes les deux ne me sont non plus qu'une,
Et l'une m'est autant que toutes deux :
Je n'en veux qu'une , et les voyant , chacune
Toujours me plaît : ainsi les deux je veux.
Vivant pour Tune, ainsi ma destinée
A toutes deux serviteur m'a donné ;
Je veux mourant de cent morts pour l'aînée ,
Etre pour l'autre à cent morts destiné.
1
ÊÈkM.
ANTOINE DE COTEL. ^5
SONNET.
Thulene% et son état , sont éteints d'un coup, sire;
Toutefois , s'il vous plaît , encore est il en vous
De les faire revivre : il est assez de fous ,
Et trop de demandeurs, pour vous faire encor rire.
Entre un poëte et un fou, il y a peu à dire :
Chacun d'eux est mocqué, et se mocque de tous;
L'un est sou vent dépit, l'autre est prompt à courroux ;
Chacun d'eux dit et va où son plaisir le tire.
L'un porte un gai chapeau , l'autre des bonnets verts :
Chacun aime son chant : l'un jaloux de ses vers ,
L'autre de sa marotte on ne sauroit défaire.
Ils différent pourtant d'un seul point en vivant :
Car l'on dit que fortune aide aux foux bien souvent,
Et qu'aux poètes elle est quasi toujours contraire.
' Voyez le sonnet de Passerai sur le même sujet, t. iv, p. l\ii.
ri
76 SCÉVOLE DE SAINTE-MARTHE.
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SCEVOLE DE SAINTE-MARTHE.
ScÉvoLE DE Sainte-Marthe naquît à Loudun, le 2
février i536, de Louis de Sainte-Marthe, seigneur de
Neuilly, procureur du roi à Loudun , et de Nicole Le
Fèvre de Bizay, fille du seigneur de Bizay, en Loudu-
nois. Il fit ses première études à l'Université de Paris ,
sous Adrien Turnèbe , Muret et Ramus. Son père , qui
le destinoit à la magistrature , l'envoya ensuite à Poi-
tiers et à Bourges pour y étudier la jurisprudence.
Chargé de grands emplois sous les règnes de Henri m
et de Henri iv, Scévole de Sainte-Marthe les remplit
avec autant de zèle que d'intégrité. 11 fut nommé,
en iSyg, maire et capitaine de Poitiers, et, quelque
temps après, trésorier de France dans la généralité de
cette ville. Cette dernière charge ayant été suppri-
mée , Scévole de Sainte-Marthe fut député par ses con-
frères pour faire au roi des représentations à ce sujet.
Henri m lui accorda sa demande, en disant qu'il n'y
avoit point dédits qui pussent résister à une si forte
éloquence. Scévole de Sainte-Marthe reçut, en i^pS,
le grade d'intendant des finances dans l'armée de Bre-
tagne, et en iSg/i il contribua de tout son pouvoir à
fiiire rentrer la ville de Poitiers sous l'obéissance de
Henri iv. Cependant ces différents emplois avoient
sensiblement altéré sa santé, et il étoit sur le point
de rentrer dans ses foyers, lorsqu'il fut élu maire de
Poitiers. Le terme de ses fonctions expiré , il fit encore
im voyage à Paris, et se retira peu de temps après à
SCEVOLE DE SAINTE-MARTHE. 77
Loudun, où il se livra tout entier au commerce des
Muses. En reconnoissance des services qu'il avoit ren-
dus à cette ville , ses concitoyens lui décernèrent le
titre de Père de la patrie. Il y mourut le 29 mars 1628 ,
dans la quatre-vingt-septième année de son âge.
Théophraste Renaudot, médecin du roi, et le célèbre
Urbain Grandier, prononcèrent son oraison funèbre,
l'un au palais de Loudun, le 5 avril 1628, et l'autre
dans l'église de Saint-Pierre de Loudun , le 1 1 sep-
tembre de la même année.
Scévole de Sainte-Marthe se fit d'abord connoître
par ses poésies latines. Sa Pœdotrophie, où il traite
principalement de la manière de nourrir les enfants à
la mamelle, fut mise, pour le mérite de la versifica-
tion, au rang des ouvrages qui ont illustré le siècle
d'Auguste. Ce poète avoit plus de trente ans quand il
commença à écrire en françois ; mais ses ouvrages n'en
sont pas moins fort nombreux : l'édition qu'il en donna
en 1600 (Poitiers, wz-i2), est divisée en huit parties;
la première a pour titre les Métamorphoses sacrées,
production singulière, où il se proposoit de faire pour
la religion chrétienne ce qu'Ovide avoit fait pour la
fable; mais les troubles politiques ne lui permirent
pas de terminer cette pieuse entreprise. La seconde
partie contient, sous le titre de Poésie royale, plu-
sieurs pièces relatives à la famille royale ; la Poésie
meslée forme la troisième partie ; la quatrième est
intitulée Boccage de sonnets inesles; la cinquième se
compose àes Epigrammes ; la sixième des Vers d^ amour;
la septième des Alcyons, traduction d'Ovide; enfin,
la huitième partie renferme quelques Imitations de
divers poètes latins , etc.
78 SCÉVOLE DE SAINTE-MAUTHE.
L'AVANT MARIAGE DU ROI CHARLES IX.
Amour, le plus gaillard des dieux,
A qui le meurtre est odieux ,
Nagueres déployant ses aîles ,
Vola devers notre liorison,
Pour apporter la guérison
A nos peines continuelles;
Et gravant du bout de son trait
D'une princesse le portrait,
Devant les yeux de notre prince,
Au fond de son cœur généreux
rit couler le feu bienheureux
Qui doit embellir sa province.
Puis joyeux et enflé de cœur.
Pour se voir être le vainqueur
D'un qui doit seul vaincre le monde ,
Reprend son vol pour s'en aller
Vers sa mère, lui révéler
Sa joie à nulle autre seconde.
Du coté du soleil levant
Est un mont bien haut s'élevant
Dessus la cote cyprienne ,
Qui regarde jusques au Nil,
Et découvre le champ fertil
Que semé la gent' pharienne.
SCÉVOLE DE SAINTE-MARTHE. 79
Là, se voit irguer en tout tems
La douceur du jeune printems:
Aussi la place en est sacrée
A Vénus , mère des plaisirs ,
Qui, féconde en nouveaux désirs,
Parmi ses bandes s'y récrée.
Ce parc, défendu aux humains,
Auquel jamais les rudes mains
Des laboureurs ne font outrage ,
Foisonne en fruits que les zéphirs
Nourrissent de tendres soupirs;
Et n'y faut autre labourage.
Sous un bocage bien épais ,
Naît un ombrage toujours frais ,
Et par le feuillage qui tremble
Court un petit bruit dont le son
S'accorde à la douce chanson
Des oiseaux que l'amour assemble.
Rien n'est en ce plaisant séjour
Qui ne sente les feux d'amour ,
Qui d'amour doucement se mêle
Parmi les rameaux verdissans
Des arbres , qui sont languissans
D'une passion mutuelle.
Là , les plans se courbans en bas
Vers les plans étendent leurs bras;
Là, brûlés de flammes secrettes,
Les palmiers cherchent les palmiers,
8o SCÉVOLE DE SAINTE-MARTHE.
Et leurs siflemens coutiimiers
Sont messagers des amourettes.
En un val , sous des myrtes verds ,
Bouillonnent deux sourgeons divers:
L'un d'eau douce, l'autre d'amere,
Qui mêlent ensemble leurs eaux ,
Et de deux contraires ruisseaux
Ne font qu'une même rivière.
Là, est la molle oisiveté,
Et la libre lasciveté,
Les vrais ris, et les larmes Teintes :
Les doux jeux, les tendres soupirs.
Les douleurs auprès des plaisirs ,
Et les désirs parmi les craintes.
Au bas de la sainte forêt ,
Le château superbe apparoît ,
Où loge la tendre déesse,
Vulcan même en fut le maçon ,
Et lui donna telle façon ,
Que l'art y combat la richesse.
Sur colonnes de diamant
S'eleve le haut bâtiment
D'or, qui flamboie en mille pointes :
De fin or luit le grand portai,
Et les serrures de cristal
A doux d'éméraudcs sont jointes.
Là, voit-on par un appareil
En pompe à nul autre pareil ,
SCÉVOLE DE SAINTE-MARTHE.
Les lys de sok- délicate
Tous garnis de drap d'or frisé ;
Et du meuble le moins prisé
La matière est de fine agate.
'■■o'
Amour y vint tout glorieux ;
Son port , son visage et ses yeux
Témoignoient sa haute victoire :
Et Vénus, pour s'en enquérir,
De ces paroles vint ouvrir
Ses dents blanches de pur ivoire :
Il est certain qu'à cette fois.
Du plus grand des dieux ou des rois
Ta main les dépouilles m'apporte ;
Et lors baisant ses blanches mains ,
Ce petit meurtrier des humains
Lui répondit en cette sorte :
Mère, j'ai rangé sous nos lois
Charles, qui ses peuples gaulois
Fait fleurir en paix et en guerre.
L'amour des hommes et des dieux ,
Prince désiré de nos cieux
Autant qu'il est cher à la terre.
Et ce n'est belle de bas prix ""
Qui brûle ses divins esprits ,
Mais bien qui sa naissance' tire
De la race grande en renom.
D'un autre Charles dont le nom
A grandi le nom de l'empire.
V.
8:i SCÉVOLE DE SAINTE-MARTHE.
De toi dépend l'avancement
De mon heureux commencement:
Fais que, cédant à l'hymenée,
Mars se retire désormais,
Et qu'un sacré nœud pour jamais
Lie la couple fortunée.
A peine avoit dit, et alois
Tout soudain fut reçu le mords
Par les cignes, qui s'accouplèrent
Deux, à deux au timon connu;
Où les Charités au sein nu
A double rang les attelèrent.
Les oiseaux joyeux d'obéir ,
Par l'air commencent à fuir,
Sitôt qu'Ericine est entrée
En son char, qui par eux porté
Dore de nouvelle clarté
Toute la prochaine contrée.
Dessous leur vol , la grande mer
Par-tout commence à se calmer ,
Respectant la haute présence
De la déesse de l'amour,
Qui en son humide séjour ,
De l'écume prit sa naissance.
Puis gagnant chemin plus avant ,
Sur l'échiné du plus doux vent.
Enfin sous eux la terre ils voyent ,
Et découvrent les riches ports
SCÉVOLE DE SAINTE-MARTHE. 83
De la Provence , dont les bords
Montrent leurs citrons qui jaunoyent.
Adonc Mars délogea d'ici
Laissant à Vénus le souci
De l'entreprise qu'elle brasse ,
Et traversant les eaux du Rhin ,
Reprit lentement le chemin
Du séjour connu de la Thrace.
Voyant que les destins amis
Ont amené le tems promis,
Qui un si grand bonheur envoie ,
Le Rhin tire hors de ses eaux
Son chef couronné de roseaux,
Afin de témoigner sa joie.
Puis rassurant le tendre cœur
Des nymphes tremblantes de peur,
Par ces gracieuses nouvelles ,
Sur le bord les fait élancer,
Et fouler d'un plaisant danser
La terre qui fleurit sous elles.
Ce fut alors à qui mieux mieux
Pousseroit sa voix jusqu'aux cieux :
Sur toutes, la nymphe lorraine,
Pour son frère appellant ce dieu ,
Faisoit résonner tout le lieu
De chants dignes d'une sirène.
O , disoit-elle , enfant divin ,
Qui seul conduis à bonne fin
84 SCÉVOLE DE SAIXTF-MARTHE.
L'amour d'honneur acconipagnrt' ,
Viens, portant en main ton flambeau
Et sur la tête un gai chapeau,
Vole vers nous , blond Hymenée.
Tu es des amans le désir ;
Des maris tu es le plaisir :
Et les pucelles qui soupirent
Au lit coupable de leur soin ,
Secrètement à leur besoin
Ta chère présence désirent.
Va ravir d'une brusque main ,
Au sein de l'empire germain ,
Des princesses l'honneur plus rare ,
Et l'amené au lit fortuné
De notre prince le mieux né ,
A qui nul autre s'accompare.
Qui ne le prendroit pour un dieu,
Quand il marche haut au milieu
De ses frères , dont la lumière
A découvert avant le tems
Leur vertu non sujette aux ans,
Comme les vertus du vulgaire !
Que tardes-tu donc , 6 des dieux
Le plus aimable et gracieux ,
D'amener si bonne journée ?
Viens, portant en main le flambeau
Et sur la tête un gai chapeau ,
Vole vers nous, blond Hymenée.
SCÉVOLE DE SAINTE-MARTHE.
SONNET.
Desportes , quand le tems , qui toute chose emmené,
L'usage du François aura tout aboli ,
Par le même destin qui rend enseveli
Et l'usage du grec et la langue romaine,
Ton ouvrage sera une vive fontaine ,
Où puiseront ceux-là, qui, pour vaincre l'oubli,
Apprendront en lisant ce langage accompli.
Dont aujourd'hui ta voix est l'école certaine.
Ils trouveront chez toi cette naïveté
Qui unit la douceur avec la gravité.
Et diront en voyant tes rimes si faciles :
Il paroît bien qu'alors que ce poëte écrivoit.
Un prince tel qu'Auguste en la France vivoit,
Puisqu'il fit de son tems renaître des Virgiles.
EPITAPHE D'UN GUERRIER.
Bien que la fiere mort me range sous sa lame ,
Si ai-je cet honneur en dépit du tombeau
D'aimer mieux en mourant à mon Dieu rendre l'ame.
Que rendre aux ennemis en vivant un château.
86 SCÉVOLE DE SAINTE-MARTHE.
ÉPITAPHE DU MÊME.
Comme je m'efforçois par mon langage induire
Le cœur de mes soldats à mourir pour le roi ,
Moi-même je suis mort, afin qu'on vît en moi
Que je savois bien faire autant comme bien dire.
COMPARAISON DU POETE ET DU FINANCIER.
Mon garrant , qui es favori
De la muse qui m'a nourri ,
Folle seroit la fantaisie
De celui qui penser voudroit
Que suivre ensemble on ne pourroit
La finance et la poésie.
Tel homme ne connoîtroit pas
L'union de ces deux états
Qui de tous points est si parfaite ,
Qu'on peut voir assez clairement
Symboliser entièrement
Le financier et le poëte.
Tous deux sont subtils et adroits,
L'un de l'esprit , l'autre des doigts ;
L'un et l'autre ses plaisirs aime ;
Tous deux suivent d'un soin pareil ,
L'un Phébus, l'autre le soleil.
Qui n'est qu'une déité même.
SCÉVOLE DE SAINTE-MARTHE. 87
Tous deux se recréent aux sons ,
L'un d'écus, l'autre de chansons,
Deux choses d'effets non contraires :
Les vers à l'amour sont duisans ,
Et ces beaux écus bien luisans,
En amour sont trop nécessaires.
Tous deux également ont soin
D'étendre leur renom plus loin ,
Rendant la France décorée
De leurs superbes monumens,
L'un de somptueux bâtimens,
Et l'autre d'écrits de durée.
L'un est prompt à compter l'argent,
L'autre n'est pas moins diligent
A nombrer des vers la cadence :
Bref, ils ne différent tous deux ,
Sinon que l'un est souffreteux ,
L'autre se baigne en l'abondance.
Nous donc , mon garrant , qui suivons
L'un et l'autre , si nous pouvons
Les tempérer tous deux ensemble ,
De Tune et l'autre extrémité ,
Tirons la médiocrité ,
A qui le vrai bonheur s'assemble.
88 SCÉVOLE DE SAI^^TE-MARTHE.
EPIGRAMME.
Je confesse bien comme vous,
Que tous les poètes sont fous :
Mais puisque poëte vous n'êtes,
Tous les fous ne sont pas poètes.
EPIGRAMME.
Bien que notre ennemi , favorisé de Mars ,
Ait fait rougir les champs du sang de nos soldars ,
Si florira leur gloire , à peu d'autres commune ,
Puisqu'au moins en mourant ils ont bien combattu.
Avoir été vaincu, cela vient de fortune ,
Mais n'avoir point fui, cela vient de vertu.
EPIGRAMME.
Si Plutus a de toi bon soin ,
Etendant loin ton héritage ,
Et s'il ne me donne en partage
Que ce qu'il faut à mon besoin ;
Si tu habites les palais ,
Traînant d'hommes une grand' suite ,
Et moi en ma maison petite,
Obéi de peu de valets;
Si chacun t'ôte le chapeau,
Et personne ne me salue ,
SCÉVOLE DE SAINTE-MARTHE. 89
Si tu t'ornes de soie élue ,
Si la laine couvre ma peau ;
Ne pense pas que pour ton bien ,
En mon bas état je te cède :
Car c'est ton bien qui te possède ,
Mais moi je possède le mien.
EPIGRAMME.
AU ROI CHARLES IX.
Auguste fut neveu du premier empereur,
Vous êtes fils des rois, les plus grands de la terre.
Auguste, jeune d'ans , fut des vieux la terreur,
Et votre jeune bras les plus rusés atterre.
Auguste ayant conquis le monde par la guerre.
Le garda par la paix : vous en ferez ainsi.
Il aima les savans : aimez-les donc aussi ,
De peur que sa vertu , par écrits ennoblie ,
Ne gagne, dessus vous, cet avantage ici.
Que sa gloire on connoisse, et la votre on oublie.
SONNET.
MoRiN, cher nourrisson de la muse Aonide ,
Qui te fait , en savoir , être un second Varron ,
En naïve éloquence, un autre Ciceron,
Et en prompte mémoire , un nouveau Simonide ,
Poussé d'un saint désir, qui devers toi me guide,
Je viens voir le pays , orgueilleux de ton nom ,
go SCÉVOLE DE SAINTE-MARTHE.
Et l'Océan voisin, qui , prenant ton renom ,
Le résonne , joyeux , à son rivage humide.
Que ce m'est de plaisir, après un si long tems,
Renouer l'amilié que notre doux printems
A vu naître jadis, sur la croupe jumelle!
Chastes sœurs, s'il est vrai que vous ayez été
Le premier fondement de cette privante ,
Faites que, comme vous, elle soit immortelle.
ÉPIGRAMME.
Ne blâmons la façon de fortune inconstante ,
Qui par-là remédie à ses propres assauts,
Flattant les affligés , pour le moins, d'une attente
Qu'ils recevront des biens, ayant reçu des maux.
Quand le bien nous arrive, après longue souffrance,
Il nous semble, pour lors, double bien nous venir;
Car autant que du bien nous plaît la jouissance ,
Autant des maux passés nous plaît le souvenir.
SONNET.
VOEUX POUU CHARLES IX.
Seigneur , qui n'as borné l'étendue infinie
Que de soi-même prend ton immortel pouvoir ,
Tu peux , et je te pri' qu'il te plaise vouloir ,
De Charles jeune d'ans favoriser la vie.
SCÉVOLE DE SAINTE-MARTHE. 91
Garde son tendre corps de toute maladie ;
Fais qu'heureux en ses faits France le puisse voir ;
Conduis son noble esprit, et lui fais concevoir
De justement régner la généreuse envie ;
Fais que de peu-à-peu en âge se haussant,
Il soit de plus en plus en honneur florissant.
Comme il en donne à tous un espoir manifeste;
Fais qu'en paix ses sujets il gouverne ici bas.
Et quand il changera sa vie à son trépas.
Qu'il change son royaume au royaume céleste!
LA STATUE DE PIGMALION.
A M. DE VILLEROY, SECRETAIRE d'ÉTAT.
Puisque l'amour n'est rien qu'une folie extrême,
Comment ne seroient fous tous ceux qu'amour époint ?
Celui est de raison bien dépourvu lui-même.
Qui cherche la raison en ceux qui n'en ont point.
Je ne m'étonne donc , si tant d'hommes au monde
En ont perdu le sens par les siècles passés :
Mais en cette fureur à nulle autre seconde,
Un seul Pigmalion les a tous surpassés.
Cet homme , ayant horreur de l'impudique flame
Des femmes de son tems , plus qu'autre vicieux ,
En libre solitude , à soi-même , et sans femme ,
Goiitoit des longues nuits le repos ocieux.
92 SCÉVOLE DE SAINTE-MARTHE.
Tandis ayant taillé d'une femme l'image ,
En marbre élaboiiré d'un ciseau bien appris,
Il se plût tellement lui-même en son ouvrage,
Qu'il fut de son ouvrage ardentement épris.
On eût dit, à la voir, qu'elle eût été vivante.
Et que sans une honte eût voulu se mouvoir :
Tant l'artifice grand de cette main savante ,
En se cachant si bien , d'autant mieux se fait voir.
Pigmalion l'admire, et d'une feinte vaine,
Sent une vraie ardeur; il retâte souvent
Si c'est un corps d'ivoire, ou bien de chair humaine,
Et démentant ses doigts , maintient qu'il est vivant.
Il devise avec elle , il la baise , il la flate ,
Et croit en la baisant qu'il en est rebaisé ,
Et serrant cette peau , qu'il trouve délicate ,
Craint de fouler le corps qui du sien est pressé.
Il lui fait des présens, pour gages d'amourettes.
De perles , de joyaux , de riches bracelets.,
De parfums d'ambre gris, de chapeaux de fleurettes.
De fruits de la saison, de chiens et d'oiselets.
La fête de Vénus en Cypre célébrée
Avoit fait son retour; et de sang épandu.
Mainte genice blanche, à la corne dorée,
Avoit souillé son corps sous les coups étendu.
Sur les autels sacrés, témoins du saint office,
Voloit d'encens fameux une épaisse vapeur;
Et lors ce pauvre amant, offrant son sacrifice.
Fit sa prière aux dieux, plein de honte et de peur.
SCÉVOLE DE SAINTE-MARTHE. gS
Vénus qui asslstoit , favorable à sa fête ,
Propice à sa demande , anime la beauté ;
Pigmalion s'approche , il admire, s'arrête,
Et du nouveau prodige il demeure enchanté.
Il ne s'abuse point, et plus il la retâte.
Plus il sent obéir la chair à cette fois.
Ainsi qu'auprès du feu la cire dont la pâte
Prend en s'amoUissant la forme de nos doigts.
Alors, reconnoissant, il bénit la déesse.
Qui propice a daigné ses douleurs appaiser,
Et à bon escient, caressant sa maîtresse,
Donne à sa bouche vraie un savoureux baiser.
Elle qui l'a senti, honteuse est devenue.
Et ouvrant peu-à-peu craintivement les yeux ,
Pour saluer du jour la lumière inconnue ,
D'un même coup a vu son amant et les cieux.
Les poètes souvent ressemblent à cet homme,
Follement amoureux de leurs propres écrits ,
D'une amour qui sans fruit , vainement les consomme.
Auprès d'un froid poëme et sans vie et sans prix.
Mais si pour réchauffer sa froideur languissante,
Ils savent le vouer à quelque noble nom,
La gloire par ce nom soudainement naissante
Les peut faire jouir d'un immortel renom.
Ainsi un Villeroy pourra donner la vie,
Par les justes honneurs dont il est revêtu ,
A l'ouvrage qu'ici ma Muse lui dédie ,
Pour rendre, par mes vers , hommage à sa vertu.
g4 SCÉVOLE DE SAINTE -MARTHE.
EPIGRAMME. '
J'ai passé mon printems, mon été, mon automne;
Voici le triste hyver qui vient finir mes vœux ;
Déjà de mille vents le cerveau me bouillonne^
J'ai la face ridée et la neige aux cheveux.
D'un pas douteux et lent, à trois pieds je chemine ,
Appuyant d'un bâton mes membres languissans,
Mes reins n'en peuvent plus, et ma débile échine
Se courbe peu à peu , sous le faix de mes ans.
Une morne froideur sur mes nerfs épanchée.
Engourdit tous mes sens, désormais curieux,
D'un glaçon endurci j'ai l'oreille bouchée ,
Et porte en un étui la force de mes yeux.
Mais bien que la jeunesse en moi ne continue ,
Dieu , fais que ton amour me conserve le cœur !
Autant que de mon sang la chaleur diminue ,
Daigne de mon esprit augmenter la vigueur.
Que sert de prolonger une ingrate vieillesse ,
Pour regarder sans fruit la lumière du jour ?
Heureux qui sans languir en si longue vieillesse,
Retourne de bonne heure au céleste séjour !
' Ce sont les derniers vers qu'ait faits Scévole de Sainte-Marthe.
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. qS
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JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
Jean Vauquelin, sieur de La Fresnaye, naquit, en
i536 , au château de La Fresnaye, près de Falaise en
Normandie. Envoyé fort jeune à Paris pour y faire
ses études sous Turnèbe et Muret, la lecture des ou-
vrages de Ronsard, de Baïf et de du Bellay, lui inspira
le goût des lettres. Ce goiit devint bientôt une pas-
sion : à peine âgé de dix-huit ans , il se rendit à Angers
pour y prendre des leçons de poésies de Jacques Tahu-
reau , dont nous avons déjà parlé , et de là à Poitiers ,
où il se lia d'amitié avec Scévole de Sainte-Marthe.
C'est à cette époque, et dans cette dernière ville, que
Vauquelin publia (en 1 555) deux Livres de Foresteries.
Il alla ensuite étudier le droit à Bourges. De retour
dans son pays natal, il y remplit d'abord la charge
d'avocat du roi au bailliage de Caen , ensuite celle de
lieutenant-général, qui lui fut résignée par Charles
Bourgeville , dont il épousa la fille , et enfin celle de
président au présidial de Caen , qu'il paroît avoir con-
servée jusqu'à sa mort , arrivée en 1606.
Les Œuvres de Jean Vauquelin de La Fresnaye
furent recueillies et publiées six ans après la mort de
ce poète (Caen, 1612, i>i-8°); elles se composent:
1°. de \ Art poétique en trois Livres; 2°. de cinq Livres
de Satyres; 3" de deux Livres à'idjiies ou Idylles;
4°. d'un Livre ai Epi^r animes ; 5°. d'un Livre à^Epi-
taphes ; 6". et enfin d'un Livre de Sonnets.
96 JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
C etoit sans doute une difficile entreprise que de dé-
terminer les règles de la poétique francoise vers la fin
du seizième siècle, lorsque la langue n etoit pas en-
core fixée 5 Vauquelin ne la jugea pas au-dessus de
ses forces, et son ouvrage n'est pas sans mérite, même
après celui de Boileau, dont il fut le précurseur. Le
poète y a consacré des préceptes fort judicieux et qui
contribuèrent beaucoup à accélérer les progrès du
goût en France. Il y remonte à l'origne de la poésie ;
et , parcourant successivement les différentes révolu-
tions qu'elle avoit éprouvées chez les Grecs et chez
les Romains, il arrive enfin à l'époque où elle fut
cultivée en France. C'est à nos Troubadours que Vau-
quelin attribue l'invention de la rime: Alors, dit-il,
Alors des Troubadours
Fust la rime inventée en chantant leurs amours ;
Et quand leurs vers rimes ils mirent en estime ,
Ils sonnoient, ils chantoient , ils balloient sous leur rime.
Du son se fît sonnet, du chant se fit chanson ,
Et du bal la ballade en diverse façon.
Ces Trouverres alloient par toutes les provinces
Sonner, chanter, danser leurs rimes chez les princes.
Des Grecs et des Romains cet art renouvelle,
Aux François les premiers ainsi fut révélé.
Vauquelin s'attache ensuite à faire connoître ceux
d'entre nos poètes qui, avant lui ou de son temps,
avoient acquis une brillante réputation. Les éloges
qu'il leur prodigue sont sans doute fort exagérés ;
mais l'on ne peut qu'applaudir au zèle qu'il fait pa-
roître pour l'honneur de sa patrie. Il voudroit que la
France l'emportât sur toutes les autres nations par
son goût et son amour pour les lettres.
Les Satjres de Vauquelin sont dans le goût des
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. 97
Latins. Elles n'ont peut-être pas toute la verve et le
caustique de celles de Régnier, mais on y trouve plus de
justesse dans les pensées et dans l'expression. Ses Idylles
ont de la douceur et de la mollesse ; ses Epigrammes
se font distinguer par un tour heureux et piquant.
Nous avons encore de Vauquelin un poëme en vers
de dix syllabes , qui est intitulé pour la monarchie de
ce rojaume contre la division , etc. , et Vlsraélite ou
l'Histoire de David ; ce dernier ouvrage n'a pas été
imprimé.
Jean Vauquelin de La Fresnaye eut de son mariage
avec la demoiselle Bourgueville quatie fils, dont l'un,
Nicolas Vauquelin des Yveteaux, qui fut précepteur
de Louis xiii, est aujourd'hui bien plus connu que
son père.
SATIRE.
A J. A. DE BAÏF.
Si pour avoir tu suis la poésie,
Et si tu l'as pour le profit choisie.
Docte Baïf, à vivre tu n'entens.
Et tu ferois juger avec le teins
L'opinion dont la Muse te lie,
N'être à la fin qu'une pure folie;
Car qui seroit de sottise si plein.
Qui ne sauroit qu'on a besoin de pain?
A la catin le poète est semblable;
Belle au matin, le soir peu désirable.
Il fait beau voir un teint damoiselet,
Frais ^ coloré de roses et de lait,
V. 7
98 JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
Et la jeunesse où la beauté repose,
Comme au rosier la vermelllette rose,
A qui l'humeur au printems ne défaut;
Mais quand sa fleur vient à sentir le chaud,
Et puis le froid qui flétrit sa verdure.
Sans que l'humeur lui prête nourriture.
Elle devient sèche et très-laide à voir.
Sans plus d'honneur des hommes recevoir;
La poésie étant nécessiteuse.
Belle devant, ainsi devient hideuse.
L'homme se fait pauvrement immortel
Quand il n'a point de pain à son autel.
Il ne vit point de luths et d'épinettes ,
D'odes, sonnets, d'amours, de chansonnettes:
Car entre nous ne vaut pas un liard,
Le bon Virgile, au prix d'être gaillard
Comme Vaumord, dont la fine ignorance,
A vingt pour cent, double son abondance.
J'ai de grands biens, disoit le vieux Certout:
Avec ce mot soudain il couvroit tout
Ce qu'il avoit en lui de vilainie :
Quand on dit j'ai , toute la compagnie
S'en éjouit; mais quand on dit je sai,
Je suis savant et j'en ai fait l'essai,
Cela ne plaît : rêva- t'en à l'école,
De rien ne sert ta savante parole ,
Lui répond-on ; retourne étudier ,
Ce que tu sais ne vaut pas un denier.
Les Muses sont filles de la disete.
Les vers leurs fils, vrais pères de souffrete;
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. 99
Et les chantant on périroit de faim ,
Qui ne voudroit leur apporter du pain.
Tout son cœur met en ses vers le poëte;
Mais le richard, son ame plus parfaite,
Met en son or; auprès duquel combien
Pourroit valoir des Muses tout le bien?
Aux carrefours les Muses déprisées
Ne servent plus que de folles risées;
Et même c'est un crime à l'opulent
Que d'être docte et poëte excellent.
Oh ! que lourdauts et que bêtes nous sommes
De tant louer indignement les hommes!
J'entends les grands qui pensent qu'on leur doit
Tous les beaux vers qu'un bel esprit conçoit.
Quiconque écrit sert de fable et de conte
A cette gent qui d'écrits ne tient compte;
Quand ton Phœbus quelqu'un estimera.
L'autre aussitôt, ami, te blâmera;
Tu t'éjouis les en oyant bien dire,
Tu es marri quand quelqu'autre en veut rire ;
Si que tu sens, entre le bien et mal,
Un déplaisir au court plaisir égal;
Puis tu verras, si de près tu regardes.
Que ton honneur bien souvent tu bazardes
En un sonnet, en quelque bref discours.
Que tu remplis de fadeurs et d'amours,
Même en quelque air, plein d'indiscrettes fiâmes,
Qu'on va chantant à l'oreille des dames.
Ha! j'ai pitié de l'homme travaillé.
Ayant long-tems à ses Muses veillé.
loo JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
Lorsque son œuvre aux princes il présente ,
Et qu'on le paist seulement d'une attente !
Lui qui n'est point à la fraude nourri,
En se voyant d'un grand prince chéri,
Se part de là bouffi d'outre-cuidance.
D'avoir chez lui la corne d'abondance ;
Et par sur tous pense avoir le crédit,
Ne sachant pas ce qu'en arrière on dit.
Et si tu veux lui dire : Considère
S'il n'y a rien en tes vers k refaire ,
Ceci n'est pas , ce me semble , assez bien ;
Incontinent, sans te dire plus rien.
Encontre toi, tournant sa folle plume.
Comme Archilloc, sa fureur il allume,
Ou t'estimant être son envieux ,
Va t'assaillir de vers injurieux;
Car il n'est point aucun dessous la lune,
Encor qu'il n'ait chetif science aucune ,
Qui son esprit échangeât à Platon ,
Et le plus fou pense être un Salomon.
O pauvre Homère, 6 malheureux Ovide!
Dont l'un mourut sur le rivage humide
De l'isle los, et l'autre tristement
Eut en Pologne un glacé monument !
On ne voit plus d'hommes bons en ce monde,
Qui vertueux et de nature ronde.
Avec l'effet arrachent la vertu
Des vieux haillons, dont le docte est vêtu.
De peu de cas les poètes se paissent;
Mais les larrons abondamment s'engraissent
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. lOl
De bons chapons, de perdrix, de faisans.
Et sur leur table ayant tous mets plaisans,
Ils ont encor souvent chez eux plantée ,
Comme en trophé', la corne d'Amaltée:
"Vautours goulus, non jamais assouvis
De tant de biens qu'au peuple ils ont ravis ;
Et va pressant leur griffe déloyale
Le suc coulant de l'éponge royale.
A dire vrai, que sert, disent-ils, l'art
Que des premiers a ramené Ronsart,
Et toi, Baïf, et la belle cohorte.
Ayant depuis écrit en mainte sorte?
Et que sert -il qu'ore notre françois
Egalé soit au Romain et Grégeois ?
Qu'importe encor que ta belle Francine
Ait emporté la couronne myrtine
Par dessus Laure ? et qu'on voit tous les jours
Etre imprimés nouveaux sonnets d'amours ?
Puisqu'il n'est point si petit secrétaire,
Qui des sonnets ne se môle de faire?
Clercs de Palais en leurs bancs retirés ,
Clercs de finance en leurs contoirs dorés?
Je ne crois point qu'on trouve de boutique
Dedans Paris sans jargon poétique;
Et chaque dame a , selon son humeur,
Ou son bouffon , ou son petit rimeur
On n'use point pour son manger et boire,
De tous les chants des filles de Mémoire
Ni d'Apollon , lequel le plus souvent
Ayant dîné, ne soupe que de vent ,
102 JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
Puis en ce fait, ni d'ode, ni de rime,
Tant honnes soient on ne fait point d'estime :
Chacun s'en mocque, et le riclie usurier
Ne bailleroit là dessus un denier :
Il faut porter une autre chose en gage;
Car on ne \ïi de vers ni de langage. '
Mais si Phœbus en Thessale pasteur,
N'eût rien du roi dont il fut serviteur.
Quand languissant en province étrangère,
Il le suivoit conduit d'amour légère.
Qu'espérez-vous des princes d'aujourd'hui.
Qui n'êtes point dieux ainsi comme lui ?
Partant, Baïf, il faut que tu sois homme;
Car maintenant ou jamais je te somme
D'abandonner les Muses et Phœbus,
Qui ne sont rien que souffreteux abus^
Et plus priser, si tu me voulois croire,
L'or et l'argent que d'avoir la victoire
En ce bel art, dessus le beau romain.
Ou sur le grec te travailler en vain.
Il faut songer à tout ce qui profite ,
Sans mettre en jeu tes vers ni leur mérite.
Ains pense à toi : du tiens sois défendeur
Et de l'autrui prodigue dépendeur.
Je veux encor que tu sois prompt à prendre
Et bien tardif quand H te faudra rendre ;
Grand prometteur et bailleur de beaux jours,
Aux longs délais ayant ton seul recours.
■ Je vis de LonDC soupe et non de beau langage ,
dit le bon homme Chrisale dans les Femmes savantes de Molière.
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. 1 o3
L'homme s'abuse aux promesses vanteuses ,
Comme l'enfant aux paroles menteuses.
Et fais surtout , en cour, de l'empcché ;
Tantôt du gai, puis tantôt du fâché
De ne pouvoir parfaire un grand négoce
Pour un seigneur d'Angleterre ou d'Ecosse.
Les grands prélats il te faut pratiquer;
Tu gagneras un monde, à trafiquer
Des biens de Dieu : l'on en fait marchandise ;
Non seulement entre les gens d'Eglise,
Mais le seigneur, le brave chevalier,
Pour maintenir l'honneur de son colier,
Ou pour gagner le marchand, en trafique.
Comme il feroit du drap de sa boutique.
Pour en avoir tu dois mettre en avant
Tout ton esprit , si tu veux que savant
Chacun te tienne, et n'être comme une ombre
Qui ne sert plus au monde que de nombre.
Et si tu veux de l'argent emprunter.
Courtoisement apprends à bonneter;
Et s'il te faut éviter un dommage ,
Ou bien un coup faire à ton avantage.
Fais pour un cinq un sept à tout besoin ;
Mais s'il te faut reculer au plus loin
Ton créancier, fais par dol qu'il attende
Trente ans et plus la dette qu'il demande.
Parle toujours de ce que moins tu sais :
Fais semblant d'être un Barthole en procès. .
Et bien que peu de dépenses tu fasses ,
Et que du soir le reste tu gardasses
lo4 JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
Pour le matin, pourtant feindre il te faut
Que tu mangeasse et perdrix et levraut,
Et que souvent tu changes de viande ,
Etant un peu de nature friande.
Sois charlatan, cauteleux et mattois ,
Change souvent de langage et de voix ,
Et tu vivras comme on vit à cette heure ,
Sinon toujours pauvre et savant demeure.
Tâche en un mot d'avoir, par tous moyens
Que tu pourras, richesses et moyens;
Puisque tu vois que l'or et la richesse
Tiennent toujours nos cœurs en allégresse;
Que l'or fait taire un malin envieux.
Et qu'un savant sans biens est odieux;
Lors tu auras une Muse parfaite,
Qui te fera philosophe ou poëte,.
Et plus ton bien t'aquerra de savoir,
Que toi savant n'en sus jamais avoir.
ÉPIGRAMME.
DE T.' OR.
Jadis Epicarme chantoit
Qu'un dieu le beau soleil étoit;
Que l'eau, les vents, l'air et la terre,
Et tous les astres radieux
Etoient pareillement des dieux ,
Comme l'éclair et le tonnerre.
Mais Menandre estime en ses vers
Que les grands dieux de l'univers ,
JEAN VAUQEELIN DE LA FRESNAYE. io5
Les plus beaux et les plus utiles,
Ce sont de belles pièces d'or,
Et d'argent la monnoie encor.
Faisant toutes choses faciles ;
Car si-tot que tu les as mis
En ta maison pour vrais amis,
Tout ce que tu voudras souhaite;
Champs, juges, témoins, avocats,
Tout sera tien. Tes beaux ducats
Sont dieux enclos en ta bougette ;
Dieux qui te donnent des châteaux.
D'argent et d'or meubles nouveaux.
Et chacun ses présens leur offre :
Qui les a toutes choses peut ;
Car il tient tout ainsi qu'il veut
Jupiter enclos en son coffre.
SATIRE.
A JEAN DE MOREIi, CHEVALIER, etc., VICOMTE DE FALAISE.
Le mois qui porte encor jusqu'à cet âge
Du nom d'Auguste, auguste témoignage,
Est le septième à cette heure depuis
Que je parti tout morne et plein d'ennuis,
Pour m'en venir dedans cette province ,
Où, exerçant la justice du prince.
J'ai grand regret, plein d'affaires et d'ans,
De n'offrir plus aux Muses mon encens.
io6 .7EA.N VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
De ce travers moi-même je me blâme,
Et mon erreur je confesse en mon ame ,
Et peu me sert encore de la voir,
Si je ne cède aux loix de mon devoir.
Toi plus discret , qui conduis et qui menés
Plus sagement les affections vaines,
Affections qu'avec si fermes doux,
Dès le berceau, nature attaclie en nous.
Corrige-moi : docile je sçai prendre
De bonne part ce qu'on me fait entendre.
Mais je ne puis le prendre doucement.
D'un qui devroit se corriger avant.
Je ne bas point; personne je ne tue;
De faire bien à tous je m'évertue;
Qui me fait mal est bien souvent témoin
Que patient je m'en retire au loin.
Et toutefois je ne veux entreprendre
De vouloir dire ou bien vouloir défendre
Que mon erreur ne soit erreur pourtant;
Mais je dirai que je n'en ai pas tant,
Qu'à plus grand mal le peuple ne pardonne,
Quand de vertu le nom au vice il donne.
Le sieur d'Ambrun , plein d'un cœur dévorant
D'aller des biens en tous lieux acquérant.
N'aime son fils, son frère ni soi-même,
Si fort il brûle en ce désir extrême;
Et néanmoins bomme bien renommé,
Homme d'esprit de tous il est nommé,
Homme d'honneur, de valeur, de science,
Et, qui plus est, de bonne conscience.
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. 107
Le sieur d'Auly, qui fut fait chevalier
Avant que d'être à grand peine écuyer,
Brillant ne voit que le monde qui brille,
Et s'ouhliant dédaigne sa famille;
Il hait son nom; il veut, voluptueux,
Passer les grands en habits somptueux;
Il ne dit rien qu'en mots de seigneurie,
Et son étable il appelle écurie ;
Il veut avoir un friand cuisinier.
Maître d'hôtel, dépensier, aumônier.
Et quand on veut lui faire un grand service,
Il faut nommer sa dépense l'office.
Il veut avoir des chiens et des oiseaux.
Et veut bâtir sur des dessins nouveaux;
Tous ses chevaux ne sont que de manège,
Et tous les jours ses rentes il abrège ;
Car sur le dos il porte son moulin.
Teint d'écarlate aux eaux de Gobelin.
Tantôt il vend la grande métairie,
Et puis demain l'herbage ou la prairie.
Comme un limas en la belle saison
Portant sur lui son fardeau , sa maison.
De mises plus il a que de recettes ,
Et ses habits lardés de vieilles dettes.
Ce qu'en long-temps son père et ses ayeux
Avoient acquis d'un labeur soucieux ,
A pleines mains à l'abandon il jette ,
Non peu à peu , la vie étant sujette
A tant de maux, trop jeune il n'apperçoit
Qu'on vit souvent bien plus qu'on ne pensoit.
o8 JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
D'Arsin d'ailleurs tant de charges a prises ,
Et tous les jours mené tant d'entreprises ,
Qu'un grand mulet, qu'un sommier le plus fort,
Suivant la cour en seroit déjà mort;
Or' tu le vois à la chancelerie,
Or', près d'un grand en quelque galerie,
Aux intendans des finances aller.
En un clin-d'œil de-là les ponts voler.
Et puis au Louvre oii toujours il trafique ;
Et nuit et jour le cerveau s'alambique
Comme il pourra rechercher les moyens
En surpassant tous les Italiens,
Ou d'augmenter le parti des gabelles ,
Ou de trouver des recettes nouvelles :
Disant à tous que la nécessité
Force les loix de notre honnêteté.
Au cabinet d'un prince il en devise ,
Et des moyens d'autrui fait marchandise.
Haï du peuple , on le suit toutefois ,
Comme chéri des princes et des rois;
Le gentilhomme et le pauvre en leur perte
Ne vont à lui qu'à tête découverte.
Le sieur d'Armont, au bonheur arrivé.
Du bien public a fait son bien privé;
Regnard, son fait près des grands il commence ,
Et puis Lyon, à force ouverte avance
Ses beaux desseins; toujours montant plus haut
Ne trouve rien , ni trop froid , ni trop chaud.
Il s'est acquis le nom de caut et sage ,
Pour avoir fait aux gens de bien outrage ,
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. 109
Et pour avoir les médians élevez ,
En la boisson des vices abreuvez.
Sa faute ailleurs n'est pourtant apperçue ;
Ce peuple enfin, dont si trouble est la vue,
Un noir corbeau blanc cygne appellera,
Et le blanc cygne un corbeau nommera ;
Et s'il savoit mon amour pour la rime,
Juge sévère il m'en feroit un crime.
Or que chacun blâme ou loue à plaisir
Ce goût des vers qui vient me ressaisir,
O cher cousin, en somme je confesse
Qu'ici je perds le chant et la liesse ,
Et que voici le premier vers chanté
Depuis que j'ai perdu la liberté.
Je pourrai bien alléguer davantage
D'autres raisons qui m'ètent le courage.^
Quand ma Fresnaye autrefois j'ai chanté
Par plusieurs vers qui vaincront le Lé thé,
J'étois alors eu ma fleur avrilliere ,
Au mai plaisant de ma saison première.
Et je passe or' non-seulement mon juin,
Ains, j'entre au mois où l'on cueille le vin.
Mais ni les eaux, ni la terre sacrée
Ou de Libette, ou Permesse ou d'Ascrée,
Ne peuvent pas me faire écrire mieux
Que je n'écris, sans un cœur plus joyeux.
Ce m'est honneur, en la balance égale,
Faire honorer la majesté royale;
Mais on ne voit mille soucis mordans.
Qui nuit et jour me rongent au-dedaus.
Iio JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
Au ménétrier je suis presque semblable,
Lequel on trouve aux festins agréable,
Et qu'on estime autant se réjouir
A bien sonner, comme on fait à l'ouïr.
Si je prens l'air aux cbamps ou en la rue,
Je suis suivi d'une épaisse cohue
De gens grondans : si je veux reposer,
Soudain il faut procès verbaliser.
Soit d'une vue ou soit sur une enquête ,
Ou soit pour rendre une dépêche prête;
Importuné d'écrire au Parlement,
De confronter, faire un récolement,
Puis aussitôt entendre à la police.
Penserois-tu , faisant cet exercice,
Que de sa Delphe Apollon s'éloignât,
Et les beaux lieux de Cynthe abandonnât
Pour venir voir des procès les tempêtes,
Les procureurs, les sergens trouble-fêtes.
Qui de tabuts remplissent nos palais.
Lui qui sans plus ne cherche que la paix?
Tu pourras donc, cousin Morel, me dire
Pourquoi ce fût que je voulus élire
Cette grand' charge, et les Muses laisser
Pour de justice aller m'embarrasser.
C'est qu'en ce point, ami, tu me vois être
Tel que ceux-là qui, sans trop se connoître.
Juges se font; puis faut qu'avec ennui
Ils jugent tout par la bouche d'autrui,
N'avisant pas que d'argent la grand' somme
Fait l'officier et non pas l'habile homme :
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNATE. 1 1 1
Et toutefois souvent sans nul égard,
Les moins prudens en courent le hasard.
De moi je suis à ce coq tout semblable,
Qui rencontra la perle sous la table,
Et n'en tint compte; ou mauvais écuyer.
Je m'accompare à ce bon chevalier
Vénitien, auquel en Allemagne
Fut fait présent d'un beau genêt d'Espagne
Par Charles Quint; et pour montrer l'honneur
Qu'il recevoit d'un si brave donneur,
Monta bientôt ce cheval d'excellence ,
Ne jugeant pas qu'il y a différence
A se servir de bride et d'éperon ,
Comme à s'aider de rame et d'aviron,
Qui le sentant lors à sauter commence;
Lui de sa part serre contre la pance
Les espérons, disant je ne veux pas
Que d'ici haut tu me jettes en bas.
Le gai genêt, sentant la main farouche
Du bon nocher qui lui presse la bouche.
Et l'éperon qui lui serre le flanc ,
Tant que par-tout en découle le sang.
Ne sait comment obéir ni que faire.
Etant poussé d'une force contraire ,
Du frein lequel le tire par devant
De l'éperon qui le chasse en avant;
Quand par hasard le cheval se débride.
En peu de sauts la selle reste vuide ,
Jettant par terre étendu rudement
Le chevalier sans poulx ni mouvement.
1 1 2 JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
Qui fut long-tems sans r'avoir sa parole.
Il estimoit, maniant la gondole,
Qu'il maniroit aussi bien le genêt.
Enfin rompu, tout poudreux et mal net,
Il se relevé, étant plein de furie.
D'avoir reçu si grande mocquerie ;
Et se tenoit, quand il y eut pensé,
De l'empereur fort mal récompensé.
Long-tems après il s'en plaignoit encore ;
Depuis prudent , davantage il honore
Les belles nefs qu'un cheval furieux.
H eut mieux fait, et moi j'eusse fait mieux,
Lui du genêt, et moi de la province
Le très-grand bien, si en parlant du prince
J'avois alors sagement répondu :
O mon grand roi, ce don ne m'est point dû;
Un autre aura cet office agréable ,
Qui plus que moi s'en connoîtra capable.
SATIRE.
A M. DE REPICHON , TRÉSORIER GENERAL DE FRANCE
A CAEN.
Repichon , qui plutôt desires en ton cœur
Les fruits de l'olivier, que du laurier vainqueur;
Fuyant les passions, tu montres, pacifique.
Un exemple nouveau de la prudence antique.
Crois si chacun voyoit des yeux de vérité
Comme du monde est grande ici la vanité,
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. Il3
Nous n'aurions tant de maux, tant d'ennuis, tant de peines .
Que nous prenons en vain pour les choses mondaines :
Car, prenant comme un jeu tout ce qui s'offre à nous,
Ni du peu ni du trop nous n'aurions de courroux.
Bienheureux est cehii qui , bien loin du vulgaire ,
Vit en quelque rivage éloigné, solitaire,
Hors des grandes cités, sans bruit et sans procès ,
Et qui , content du sien , ne fait aucun excès :
Qui voit de son château, de sa maison plaisante.
Un haut bois , une prée , un parc qui le contente ;
Qui, joyeux, fuit le chaud aux ombrages divers.
Corrigeant par le feu le froid des longs hyvers !
Il prend son passetems de voir dedans les villes ,
Tant d'hommes convoiteux, tant de troupes serviles,
Courre aux biens, aux profits, aux états, aux honneurs.
Pour aller faire après les grands et les seigneurs.
Il ne voit près de lui l'horreur des grands armées ,
N'entend point la rumeur des troupes affamées,
Qui mangent la substance au pauvre villageois ,
Qui rançonnent la ferme et les biens du bourgeois.
Le jour il ne craint point, et dans sa maison belle,
On ne pose la nuit garde ni sentinelle.
Il n'est point désireux de hausser son renom
Plus haut qu'entre les siens avoir toujours bon nom :
Entre ses bas vallons , sa basse renommée ,
Sans autre ambition, se tient close et fermée.
H va se reposer dessous l'ombrage épais
D'un grand hêtre feuillu , pour prendre un peu le frais;
Il oit dans les forets des vents un doux murmure ,
Qui semble caqueter avecque la verdure ;
V. S
I 1 4 JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
li oit le gazouillis de cent mille ruisseaux,
Dont les Naïades font parler les claires eaux; •
II oit mille oisillons qui sans cesse jargonnent,
Et les gais rossignols qui par dessus fredonnent ;
Il oit un escadron , un essain bourdonnant
D'avettes , qui là vont un grand bruit démenant.
Un autre jour après , il fait planter la vigne ;
Un autre , fossoyer les beaux parcs à la ligne ;
Il plante le sapin aux vergers ombrageux,
Les saules et Tosier aux lieux marécageux.
Puis il cueille la prune et noire et violette ,
L'abricot savoureux , la cerise rougette ;
Et quand Tété brûlant par une forte ardeur ,
Du feuillage et des prés a flétri la verdeur,
Avecque ses raisins il fait cueillir ses pommes ,
La poire que Pomone aussi départ aux hommes.
Oh! qu'il est en son cœur content et satisfait,
Quand il tient un beau fruit du fruitier qu'il a fait ;
Quand il tient une grappe en sa vigne choisie ,
Dont la couleur combat avec la cramoisie !
Jamais il ne se fâche ; il est paisible et doux ,
A moins qu'un mouton gras ne lui mangent les loups ;
Car alors il leur fait la chasse et la huée.
Un grand peuple il assemble, une louve est tuée.
On en porte la hure après par les hameaux ;
On reçoit des présens des riches pastoureaux.
Il ne craint jamais faire en la mer de naufrage:
Il se rit de celui qui risque à son dommage;
Cette infidelle roue, où chacun à son tour.
Tantôt haut, tantôt bas, va tournant à i'entour,
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. 1 1 5
Ne le tourmente point ; et sans être haussée ,
On né voit pas du moins sa fortune abaissée.
Après, quand l'hyver vient, il assaut les oiseaux,
Avec glus, avec rets, avec mille arts nouveaux:
Comme il a pris, l'été, la caille à la tirace ,
Il prend à la passée en hy ver la bécace ;
Aux sources, aux étangs de tout son environ ,
Il tire chevalant au canard , au héron ,
Au friand butoreau, qui, surpris par sa ruse,
Ne se peut garantir de la prompte arquebuse.
Il a ses chiens courants, qui, beaux, sont blancs et gris.
Par qui, malgré sa course , un lièvre est toujours pris,
Et les cerfs dégourdis viandant es gaignages.
Surpris le plus souvent demeurent pour les gages.
Il fait la chasse aux dains, il la fait aux sangliers.
Qu'il enserre acculés par ses plus forts lévriers.
Une autrefois il prend grand plaisir à la pêche ;
Il cherche les refonds , toutes gens il empêche ;
Avecque le tramail, la nasse, le vervain ,
La ligne , l'hameçon et l'épervier soudain ,
Il prend le grand brochet , la truite saumoniere ,
La carpe , le saumon , l'alose marinière.
Au soir, à son retour, il conte à la maison.
Quelle peine il a pris après sa venaison,
Qu'il met lors sur la table, et prend une grand' gloire
De montrer le beau fruit de sa belle victoire ;
Sa femme l'accolant l'admire et le chérit ;
Tous les siens en ont joie, et le ciel même en rit.
Eh ! qui pourroit penser qu'une infidelle flamme
Pût embraser le cœur d'une gentille dame
Ii6 JEA.N VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
En ces champêtres lieux, quand, sans aucun loisir,
Elle prend seulement au ménage plaisir ;
A nourrir ses enfants, de qui la petitesse,
Par mille passetems la tient en allégresse;
Et pour avoir le soin de toute sa maison ,
Où les biens abondants sont en toute saison ?
Bien que peinte ne soit sa foce naturelle,
De vermillon d'Espagne , elle n'est pas moins belle :
Car le joyeux travail, qu'au ménage elle prend.
Toujours belle, vermeille et joyeuse la rend.
O dame bienheureuse au ménage empêchée ,
Qui d'un amour de cour n'es jamais débauchée!
Tel mari de sa femme est toujours bien traité,
Trouvant fort à propos son manger aprêté
Par un net cuisinier, qui, hors de la cuisine,
Avec le jardinier le plus souvent jardine.
Il boit de meilleur vin, qui par le bon salé,
A reboire d'autant est souvent rappelle.
On prend en son paillier les mets dont on le traite ;
On prend de son gibier, si que rien on n'acheté;
Il a bonne garenne et fertile verger ;
Il a bon colombier, bon jardin potager.
Hé ! qui vivroit ainsi, voudroit-il les viandes.
Les mets délicieux des tables plus friandes.
Pour être fait esclave aux superbes palais
Des rois , où les seigneurs ne sont que des valets ?
Oh ! qu'il a d'aise à voir revenir pêle-mêle
Les vaches , les taureaux et le troupeau qui bêle ,
Les aumailles marcher lentement pas à pas.
Et puis d'autre côté galoper le haras ,
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. 1 1 7
Et voir les bœufs ayant achevé leur journée ,
Ramener leur charrue à l'envers retournée!
Par un seigneur de cour tel propos fut conté.
On eût dit que son prince il eût du tout quitté ,
Etant hors de faveur, pour vivre et pour se plaire
En ses maisons des champs , champêtre et solitaire :
Car tout son train s'étoit à son vouloir rangé ,
Et son vivre civil en rustique changé.
Il ne blâmoit rien tant que la cour et le vice,
Les impôts, les partis, des contans l'artifice.
Mais ayant regagné de son roi la faveur,
Il estima plus grand le gain et le bonheur
De lui faire service et commander en France
A ceux qui manioient l'argent et la finance,
Et profits à monceaax sur profits amasser,
Que de vivre au village et aux forêts chasser.
LA BELETTE.
FABLE. '
Il advint d'aventure un jour qu'une belette ,
De faim, de pauvreté, gresle , maigre et défaite,
Passa par un pertuis dans un grenier à blé ,
Ou fut un grand monceau de froment assemblé,
Dont gloute elle mangea par si grande abondance,
Que comme un gros tambour s'enfla sa grosse pance ,
Mais voulant repasser par le pertuis étroit.
Trop pleine elle fut prise en ce petit détroit.
' La Belette entrée dans un grenier. La Fontaine , Liv. m, Fab. 17.
1 1 8 JEAN VAUQUELIN DE lA FRESNAYE.
Un compère le rat lors lui dit : O commère !
Si tu veux resortir, un long jeûne il faut faire;
Que ton ventre appétisse, il faut avoir loisir,
Ou bien en vomissant perdre le grand plaisir
Que tu pris en mangeant, tant que ton ventre avide,
Comme vuide il entra , qu'il s'en retourne vuide.
Autrement par le trou tu ne repasseras;
Puis au danger des coups tu nous demeureras.
EPITAPHE.
L'Aretin repose en ce lieu.
Qui de tout médit , fors de Dieu :
Car l'Aretin ne médisoit
Que de cela qu'il connoissoit:
Dieu ne connoissant en nul point,
L'Aretin n'en médisoit point.
EPITAPHE DE JAC. TAHUREAU,
ÉCUYER , SIEUR DE LA CHEVALERIE.
Mon Taliureau mignardelet,
La Parque , fatale déesse ,
Rompit de tes ans le fdet
Au bel été de ta jeunesse,
Sachant que toujours tu vivrois,
Et que jamais tu ne mourrois ,
Si tu parvenois en vieillesse.
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. I H)
ÉPITAPHE DE P. DE RONSARD.
Ronsard, Tours te bâtit fidelle
Un tombeau : sais-tu bien pourquoi ?
Afin que tu vives par elle ,
Et qu'elle vive aussi par toi.
EPIGRAMME.
DE LA VARIÉTÉ DE FORTUNE.
Celui qui pauvre s'alloit pendre,
Trouve un trésor dans un poteau :
Pour le trésor qu'il alla prendre,
Il laissa là son vil cordeau.
Mais celui qui riche avoit mise
Sa pécune au poteau fendu ,
A du pauvre la corde prise ,
Et , misérable , s'est pendu.
SATIRE.
A JEROME VAUQUELIN, SIEUR DE MÉHEUDIN, LORS CONSEILLER,
DU ROI AU PARLEMENT DE ROUEN , ET DEPUIS AVOCAT-
GÉNÉRAL.
QuA-ND je pense comment le tems ailé s'enfuit,
Combien en s'envolant sa faulx qui nous poursuit.
Sait accourcir nos jours , je déplore sans cesse
De cet être mortel la fâcheuse détresse.
I20 JEAN VAFQUELIN DE LA FRESNAYE.
L'homme est bien insensé qui se flatte et déçoit
Pour être jeune et fort , et tandis n'apperçoit
La mort à son talon ; j'ai vu porter en bière
La fdle pensant être à sa mère héritière ;
Le jeune aller devant son grand-perc chenu,
Dont en herbe il tondoit déjà le revenu.
La mort commune à tous, sans fard ni tromperie,
Tient, ainsi comme aux rois , au peuple hôtellerie :
Chacun, comme il arrive, est assis en honneur,
Et le moindre souvent au dessus du seigneur.
Tandis que nous vivons, ébattons-nous ensemble,
Ce peu que nous avons , que beaucoup il nous semble;
N'ayons plus désormais de désir sans raison ;
Et si pleine d'argent n'est point notre maison.
Et si nous n'avons point un grand nombre d'herbages,
De prés, de bois, forêts, campagnes, pâturages.
Et là mille haras , mille troupeaux bêlants.
Taureaux et bœufs membrus , et genissons beulans,
Des châteaux, des comtés, des bourgs, desbaronnies.
Des fiefs, des marquisats, duchés, châtellenies,
Si nous sommes contens de ce que nous avons ,
Plus heureux mille fois que les rois nous vivons.
Toutes les cours des rois d'ennuis sont toutes pleines,
De trahisons, de soins et d'ambitions vaines;
N'aimant point le repos des Muses souhaité.
Ni d'un esprit gentil la douce liberté.
Ah! que plutôt cherchant les ombres écartées,
Au chant des rossignols y passant les nuitées ,
Seul j'aimerois bien mieux librement vivoter,
Que les grandes maisons en bombance habiter!
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. 121
Oh ! qu'il vaudroit bien mieux avec sa pastourelle
Qui n'a pour se parer que la fleur la plus belle,
Pasteur auprès des bois , ne vivre que de fruits ,
Qu'être en grande maison accompagné d'ennuis.
Et se voir appipé d'une langue flatteuse.
Qui (loulîle nous déçoit par sa voix cauteleuse !
Toujours autour des grands bouffons et flagorneurs
Couvrent leurs cœurs masqués de mille faux honneurs ;
Adorant seulement l'homme à l'heure présente,
Le quittant si de lui la fortune s'absente.
Libres de tous ennuis , joyeux doncque vivons ,
Et par fois les ébats des doctes sœurs suivons;
Et dans la joie enfin de prudence suivie ,
Laissons, si nous pouvons, écouler notre vie.
Las ! comme on ne voit pas , après un rude hiver,
(Mais présente on la voit) l'hyrondelle arriver,
On ne voit point venir la vieillesse chenue :
Mais on est ébahi qu'on la trouve venue ,
Et que , sans y penser , on voit d'un œil marri ,
Déjà de tous côtés , son chef être fleuri.
Obéissons au sort , laissant en terre étrange
Les avares voguer des Gaddes jusqu'au Gange :
Et souvent rencontrant un naufrageux écueil ,
Du ventre des poissons se bâtir un cercueil.
Fuyons, cousin, fuyons la convoitise avare.
Et toujours la vertu suivons comme un clair phare ,
Qui rappelle les nefs en un tranquille port :
Et joyeux cependant, sans redouter la mort,
Ni sans la désirer, ébattons nous à l'aise,
Quelquefois es coteaux des roches de Falaise ,
19.2 JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
Quelquefois à chasser le lièvre ou le coiinin ,
Quelquefois à pêcher en ton heau Méheudin ,
Quelquefois à passer sous le frais des ombrages,
Avec plaisans discours, le tems dans les bocages
Ou soit de ton Perron , soit de nos Iveteaux ,
Soit de notre Boissai, la maison des oiseaux.
Et toi brûlant encor de l'amoureuse flame
De ta belle , gentille et vertueuse femme ,
Tu te déroberas avec elle à l'écart,
Seulet pour la baiser en quelque coin à part ,
Et dans le plus touffu d'une ombre reculée
Attiédirez l'ardeur que vous tiendrez celée;
Et lors peut-être oyant les ramiers amoureux
Roucouler, se baiser bec-à-boc, deux-à-deux,
Et d'un autre coté les chastes tourterelles
Prendre leur doux plaisir en trémoussant des aîles,
Vous recommencerez en si plaisant séjour,
Jeunes et vigoureux, les ébats de l'amour.
Et moi, de l'autre part, feignant une autre affaire,
Seulets je vous lairai dans ce lieu solitaire,
Pour hâter le souper; je dirai ce discours
A ma chère Philis , et lors de nos amours
Redirons quelque chose , et du tems qu'en liesse
Dans nos bois nous passions notre tendre jeunesse.
Jamais au mont Ida, si fécond en ruisseaux,
Paris et son OEnone en gardant leurs troupeaux
Sous les cèdres ombreux, sur la belle verdure,
Oyant des ruisselets le délicat murmure.
N'eurent tant de plaisir en leur printems nouveau,
Quand ils gravoient à force avecques un couteau ,
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. 128
Leurs noms entrelacés sur l'écorce des hêtres,
Que nous en eûmes lors en nos beaux lieux champêtres,
Regrettant n'avoir pas, bien que sans grand renom.
Vécu seulets ainsi que Bauce et Pliilemon.
Or donc, cher Vauquelin, toujours il nous faut suivre
En repos la vertu , s'éjouir et bien vivre ,
Se contenter du sien , porter d'un cœur joyeux
Et le bien et le mal de ce monde ennuyeux.
Celui qui vit ainsi , fait que de sa mémoire ,
Cent ans encore après, se raconte l'histoire.
EPIGRAMME.
DE CUJAS.
S'uN jour les loix doivent périr ,
Cujas, tu mourras avec elles;
Mais si les loix sont immortelles,
Tu ne dois craindre de mourir.
ÉPITAPHE SUR UN CAS PITOYABLE.
Passant , de ce tombeau la pitié considère :
Par mégarde la sœur tua son petit frère :
La mère occit sa fille , et le mari la mère ;
Et la justice fit décapiter le père.
I 24 JEAN VAUQUELIN DE I,A FRESNAYE.
SATIRE.
s M. LE BLAIS, CONSEILLER DU ROI AU PARLEMENT
DE ROUEN.
Mon cher Le Biais, dont le beau jugement,
Comme un soleil , reluit au parlement,
Dont l'amitié conjointe à Talliance,
A ta vertu me fait avoir fiance :
Fors que de toi, de tous autres j'entens
Que prendre femme avisé tu prétens ,
Et résolu par un conseil bien sage ,
Tu te veux mettre aux loix du mariage.
Tu me le cèle, et si ne sai pourquoi :
Car nul ce fait n'approuve tant que moi.
Si j'ai osé, par manière de rire ,
Sur les époux quelques sornettes dire ;
Aussi j'ai dit plusieurs fois, qu'en bonté.
Nul n'est parfait, sans femme à son côté.
Et qu'on ne peut jamais vivre sans blâme
Ni sans péché , quand on vivra sans femme :
Car qui de soi n'en a point , il faut bien
Qu'il en emprunte à quelques gens de bien.
Prend donc , cousin , femme , si la dois prendre :
S'il se doit faire , hé ! fais-le sans attendre
Que la vieillesse ait tes sens éblouis ;
Ainsi que fit le sire dom Louis,
Qui, vieillard, prit un palfroy d'Angleterre,
Pour le porter en paradis grand' erre ;
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. 12!
Et comme a fait ton voisin glorieux ,
Qui vieil a pris un hobin furieux :
Car le vieil âge est trop plus convenable
A bien servir Bacchus en une table,
Qu'au lit, Venus : et puis on ne peint point
Hymen vieillard, mais jeune, frais et coint.
Par un vieillard, des jeunes épousées,
N'étant les fleurs du jardin arrousées,
Et ne voulant les laisser dessécher.
Elles s'en vont ailleurs de l'eau chercher
Pour leurs secours, pauvretés langoureuses !
Et font jaser les langues dangereuses.
Mais, cher Le Biais, tu feras bien vraiment,
En prenant femme , y penser sagement :
Car on ne peut par après se dédire ,
Depuis qu'on a le traité fait escrire.
Je la voudrois de moyenne grandeur.
Sans grand' beauté , ni sans grande laideur :
Quand on prend garde , il y a , ce me semble ,
Un beau chemin entre les deux ensemble,
Où beaucoup vont, qui marchantes ainsi,
N'ont la beauté ni la laideur aussi.
Que si tu veux la prendre du tout belle ,
Maints amoureux tu verras autour d'elle.
Tu ne la dois prendre si laide aussi ,
Pour prendre ensemble un ennuyeux souci.
Ta femme soit débonnaire et gentile ,
Douce faisant , et propre et bien habile ;
Qu'elle ne dorme avec les yeux ouverts ,
Et que jamais ne guigne de travers :
126 JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
Car être sotte et laide sans remède,
Sera toujours des laideurs ia plus laide.
Si tu me crois , d'Hymen suivant la loi ,
Dix ou douze ans elle aura moins ({ue toi.
Plus que toi vieille, ou bien de pareil iige,
Ne la fais point commander ton ménage ;
Car puisqu'on voit le bon temps et les ans ,
Plus tôt qu'en nous , aux femmes se passans ,
Elle pourroit te sembler en vieillesse ,
Que tu serois en ta pleine jeunesse.
Mais si tu veux prendre femme aujourd'hui ,
Il faut du tout laisser le nid d'autrui ,
Pour être au tien, de peur qu'étant volage.
N'y vînt nicher quelque oiseau de passage.
Beaucoup ont eu jadis opinion ,
Pour du médire oter l'occasion ,
Qu'on ne doit perdre une Hélène de vue :
Car aisément chose belle est perdue.
Regarde bien qui hante en ta maison.
Et si quelqu'un n'y va point sans raison ;
Mais une fois si son désir la mené
A t'en donner, ta résistance est vaine.
Il fut jadis un peintre de renom.
De qui je n'ai souvenance du nom ,
Qui souloit peindre avec face agréable ,
Avec beaux yeux et beaux cheveux, le diable,
Ne lui faisant , ni les ongles griffus ,
Cornes au front, ni les cheveux touffus,
Ains plaisamment une chère éveillée ,
Comme au bel ange allant en Gallilée ,
JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE. 127
Où le grand Dieu l'envoya messager ;
Il le peignoit , dispos, gaillard, léger,
Tant que le diable estima devoir être
Ingrat tenu, sans ce bien reconnoître,
Et que par lui vaincu d'honnêteté ,
Un grand honneur lui pourroit être ôté.
Au peintre en songe , en une matinée ,
Un peu devant que l'aube ensafrannée
Ouvrît le jour , il s'apparut , disant
En bref propos , qu'il allât avisant
Ce qu'il voudroit , qu'il étoit ce beau diable ,
Qu'il avoit peint en port tant agréable,
Exprès venu pour lui rendre merci
De l'avoir peint si beau jusques ici.
Le pauvre peintre ayant lors une femme ,
Excellemment belle sur toute dame,
Dont toutes-fois il étoit fort jaloux,
Vivant toujours en défiant courroux,
L'alla prier ( puisqu'il lui permit dire
Cela, que plus en ce monde il désire)
De lui montrer au certain la façon
Comme un mari peut vivre sans soupçon,
Bien assuré que sa femme très-belle
Ne lui sera nullement infidelle.
Lors lui sembla que le diable un anneau
Lui mit au doigt, lui disant, bon-hommeau.
Tandis qu'au doigt tu auras cette bague ,
De crains jamais que ta femme divague.
Le peintre alors assuré par ceci ,
Qu'il pourroit bien sans un jaloux souci.
128 JEAN VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.
Garder sa femme , en cœur joyeux s'éveille ,
L'esprit ravi de si grande merveille :
Mais Lors son doigt il trouva justement,
Au lieu qu'il craint de voir prendre à l'amant.
Or en son doigt cet anneau ferme tienne
Sans point l'ôter, qui voudra de la sienne
Jamais vergogne ou corne recevoir :
Et toutes fois il aura beau l'avoir,
S'elle ne veut, ou s'elle est disposée
A voir la bague en autre doigt posée.
EPIGRAMME SUR UN RUVEUR.
On dit à Jean que par trop boire ,
Il perdroit à la fin les yeux :
Buvant, dit-il, j'aurai mémoire
D'avoir vu la beauté des cieux :
Adieu , mes yeux ! assez j'ai vu ;
Biais encore assez je n'ai bu.
AMADIS JAMIN. 129
»
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3«««
AMADIS JAMIN.
Am ADis Jamin , secrétaire de la chambre de Charles ix,
naquit à Chaource, bourg du diocèse de Troyes. 11
eut pour maître Ronsard, qui avoit beaucoup d'atta-
chement pour lui.
Amadis Jamin publia le premier volume de ses
OEuvres en iSjS (Paris, 1/1-4", Robert Etienne). Ce
recueil est divisé en cinq Livres ; le premier se com-
pose, en grandepartie, de pièces adressées à Charles IX,
ou relatives aux principaux événements de la vie de ce
prince; d'un poëme sur la Chasse; d'un autre qui a
pour titre la Libéralité, et de quelques poésies cliré-
tiennesjle second Livre contient, sous le titre d'6^/Yrt«6',
une multitude de pièces galantes; le troisième ren-
ferme les Amours d'Euryinedoa et de Callirée; le qua-
trième, qui est intitulé Artemis , roule encore sur
l'amour; enfin, les Meslanges forment le cinquième
Livre.
Ce ne fut qu'en i584 qu'Amadis Jamin fit paroître
le second volume de ses OEuvres (Paris, in-\i ); ce
sont des odes , des prières , la paraphrase de quelques
hymnes de l'Eglise , un poëme sur \ Ingratitude et per-
fidie d'Origille, pièce moitié morale et moitié roma-
nesque ; vingt-six sonnets , etc. ; enfin , quelques vers
contre la cour et la vie des courtisans.
Hugues Salel avoit traduit les onze premiers Livres
tle Y Iliade , en vers de dix syllabes ; Amadis Jamin
V- 9
la
lio AMADIS JAMIN.
fraduisit les autres en vers héroïques. Voici ce que Jean
Vauquelin de La Fresnaye dit, dans son Jrt poétique,
de cette iraduction de \ Iliade :
Salel premier ainsi du grand François conduit,
Beaucoup de V Iliade a doucement traduit ,
Et Jamin bien disant l'a tellement refaite,
Qu'à l'auteur ne fait tort un si bon interprète.
Aniadis Jamin avoit encore entrepris la traduction de
\ Odyssée, dont il ne fit que les trois premiers Livres.
Quoique Jamin eût pris pour modèle Ronsard,
alors dans toute sa gloire, il sut éviter les défauts
de ce poète ; et s'il a moins d'imagination et de verve
que son maître, son style est beaucoup plus correct 5
sa versification a de la noblesse et quelquefois de
l'élégance, mais elle est en général trop uniforme.
DE LA LIBERALITE.
AU ROI.
Rien ne sied mieux aux majestés royales
Que d'avoir l'ame et les mains libérales;
Même celui qu'on trouve libéral ,
N'étant pas roi , prend le nom de royal.
Vertu consiste à donner, non à prendre:
Pour ce, les rois doivent leiu's biens épandre
Sur les mortels, qui, tout dévotieux,
Leur font honneur et les estiment dieux.
Dieu prête aux rois une riche abondance ,
Afin qu'après, pleins de magnificence,
Ils fassent bien à qui l'a mérité.
Pour son loyer , le guerrier indompté
AMADIS JAMIN. i3l
Veut obtenir l'honorable et l'utile.
Le bon poëte, à bien chanter habile,
JYe veut sacrer à l'immortalité
Les rois ingrats qui ne l'ont point fêté.
Cet Alexandre à qui la terre et l'onde
Ne suftîsoient comme trop petit monde,
Par ses bienfaits fertilisa son tems
En bons esprits et braves combattans,
D'où vient qu'encor la terre n'est remplie
Que des labeurs achevés en sa vie.
Rien ne vaut tant que les dons gracieux :
Mêmes ils sont agréables aux dieux;
Quoique nos biens ne leur soient nécessaires,
Par là pourtant s'appaisent leurs colères.
Toujours de rien ne s'engendre qu'un rien :
Du bien toujours il en renaît du bien.
Jamais les rois prodigues ne se nomment :
Car leurs moyens jamais ne se consomment.
François premier, illustre de renom.
Qui pour ses faits de Grand eut le surnom,
Par ses bienfaits, par sa magnificence.
Sut appeller les neuf Muses en France.
Il conjoignit Tune et l'autre Pallas,
Phœbus ensemble et le dieu des soldats ,
Ainsi que vous , et de la dextre même
Qui combattoit, écrivit maint poëme.
Exemple soit votre père Henri,
Un second Mars, des étoiles chéri,
Qui, libéral, excellent, magnifique.
Honora tant la science bellique ,
l32 AMADIS JAMIN.
Et tous les arts , renvoyant bienheureux
Ceux qui venoient pauvres et souffreteux,
Henri qui fut es guerres admirable,
Rendant son lys à l'aigle redoutable.
Cyrus disoit : Un sceptre bien doré ,
Mon fils , ne donne un royaume assuré :
Mais des amis la fidelle assistance
D'une couronne est la sûre défense.
Il te les faut acquérir par bienfaits;
Car on ne peut les rencontrer tous faits:
Ce point n'est pas des choses naturelles,
Que tous humains puissent naître fidelles.
Comme une source, épanchant un ruisseau,
Plus elle jette, et tant plus le vaisseau
De la fontaine enceinte de verdure ,
Est toujours plein d'une onde vive et pure ;
Tels sont les rois. Ne voyons-nous la mer
Où toutes eaux se viennent abîmer ?
Bien qu'elle envoyé aux nations diverses
Deçà delà, par légères traverses.
L'humide cours de ses fleuves cornus
Pour arroser les rivages connus ,
Et par les champs fournir de nourriture.
Malgré cela, de ses vagues Tenflure
Ne décroit point , et ses flots et reflots
Courent enflés en tout tems sans repos.
Qui peut compter les goûtes vagabondes
Dont l'Océan fuit l'amas de ses ondes ;
Qui peut compter les flambeaux de la nuit
Lorsque la lune en son plein nous reluit.
AMADIS JAMIN. l33
Celui dira les trésors de la France.
Bacchus vineux père d'éjouissance
Sur nos coteaux a ses thyrses plantes :
Cérès la blonde a ses grains apportés ,
Qui savoureux nourrissent notre vie
Mieux que le gland venu de Chaonie.
Pan aime France, et paît mille troupeaux
Parmi les prés amoureux des ruisseaux.
Pomone aussi , déesse de fruitage ,
Montre partout son rustique héritage :
Je vois les dieux prêts à nous contenter,
Et sous Henri nos Gaules habiter :
Je vois déjà votre haute largesse
Nous départir faveur avec richesse.
On ne voit point que les pauvres mortels
Chantent aux dieux devant leurs saints autels,
Sinon Thonneur que leur grandeur mérite ,
Quand aux humains leur déité profite.
Force , santé , l'abondance , la paix
Nous viennent d'eux , et d'autres biens parfaits
Viendront de vous, afin que l'on vous nomme
Un dieu sur terre en la forme d'un homme.
ODE.
DE l'iîVCONSTANCE.
Accuse qui voudra les hommes inconstans
Qui ne peuvent garder leur amour qu'un printems ,
Je les veux excuser : par vraie expérience ,
Je sais bien que le mal ne vient de leur côté ,
i34 AMADIS JAMIN.
Mais des clames qui sont pleines de volonté ,
Gn'oiiettes en l'air, siège de Tinconstance.
Si l'amant est miiable alors qu'il apperçoit
Que d'une feinte amour sa dame le déçoit ,
J approuve sa façon : tel que lui je veux être.
Si la dame est légère , il faut être léger :
Si elle fait l'étrange, il s'en faut étranger:
Un serviteur loyal doit imiter son maître.
Le soigneux jardinier, après avoir planté
L'arbre d'un bon terroir en saison apporté
Pour en faire l'honneur de tout son jardinage ,
N'accuse que la terre, alors qu'il ne produit.
Ingrat de son labeur, feuilles, ni fleur, ni fruit;
Et l'arrachant, le plante en un autre boccage.
Ainsi quand un amant ne se voit profiter
Aux avances d'amour , il se doit dépiter
Et soudain arracher son amitié plantée:
Loin du clos infertile , il doit planter ailleurs ,
Tant que Vénus lui donne autres destins meilleurs ,
Dont sa peine à la fin puisse être mieux rentée.
Une femme est pareille à ce vague élément
De l'eau qui sans couleur glisse légèrement ,
Empruntant le seul teint de la terre où il passe.
Ainsi, sans conserver aucune impression,
La femme sait vêtir diverse affection ,
Qui se grave soudain, et tout soudain s'efface.
Mais qui pourroit fonder sur un fondement tel
Incertain et mouvant un amour immortel ?
AMADIS JAMIN. l35
Le vent n'est si léger que leur foible pensée ;
La neige ne se fond sous le tiède soleil
Si tôt que leur faveur : leur amour est pareil
A la vitre pour rien en cent pièces froissée.
Pour bien aimer enfin, je voudrois être aimé,
Que le cœur de l'aimée au mien fût transformé.
Le serrant bien étroit d'une chaîne éternelle :
Qu'elle sentît plaisir, quand je serois présent.
Qu'elle sentît douleur, quand je serois absent,
Et que telle amitié demeurât immortelle.
ODE.
POUR JUSTIFIER l' I N CONS T AN C E.
Ne blâmons désormais des femmes le courage ,
Comme ignorant, aveugle, inconstant et volage;
La nature est leur loi : tout change sous la mer ,
Dans les airs, sur la terre ; et n'est pas chose étrange,
Si tout en ces bas lieux se change et se rechange,
Afin que l'un mourant puisse l'autre animer.
La faulx du temps goulu tranche tout et consomme
Empires et châteaux, villes, cités et l'homme:
Il est vrai que le genre et les espèces sont
Toujours en l'univers, et que jamais le monde
N'est vuide d'animaux , d'une suite féconde ;
Mais les individus se perdent et s'en vont.
On voit toujours marcher des hommes sur la terre.
Et des fleurs qu'en avril son riche sein desserre ;
i3f) AMADIS JAMIN.
On voit mille poissons nouer entre les eaux;
On voit mille chevaux hennissants par la prée ;
Mille oiseaux balancer d'une aile diaprée;
Mais les vieux en mourant donnent place aux nouveaux.
Ainsi l'amour qui naît en notre fantaisie ,
Cet amour mutuel dont notre ame est saisie ,
Ainsi qu'il naît, se meurt : comme la passion
Qui d'autre cause en nous tourne , vient et repasse :
L'une dure long-temps, l'autre soudain s'efface,
Afin de recevoir nouvelle impression.
La mort de vieille amour fait naître une nouvelle;
Ainsi tout ce qui vit au monde renouvelle,
Sans que rien soit perdu : les choses seulement
Changent de place et forme, et file à file coulent,
Ainsi que les ruisseaux des grands fleuves s'écoulent,
Une onde poussant l'autre en l'humide élément.
Autant sont les effets et les choses durables ,
Que les causes ne sont diverses ni muables ;
Autant que la beauté, qui nous cause l'amour,
Autant que les vertus, les honneurs et la grâce,
Autant que la constance en nos dames ont place ^
Autant fait en nos cœurs Cupidon son séjour.
Jamais aucune amour ne se verra si forte
Que la longueur du tems à la fin ne l'emporte;
Tout passe, et ce passé perd à nous sa saison.
L'inconstance est constante, et le soleil qui tourne
Sans cesse au zodiac, en un lieu ne séjourne,
Ains repasse et revient de maison en maison.
AMADIS JAMIN. iSy
La nature se plaît en cent diverses choses ;
Tantôt elle produit violettes et roses,
Tantôt jaunes épies; belle en diversité,
Qui ne veut point faillir doit suivre la nature ;
On ne se paît toujours d'une mcme pâture;
Rien ne donne plaisir comme la nouveauté.
SONNET.
Sommeil léger, image déceptive ,
Qui m'es un gain et perte en un moment ,
Comme tu fais écouler promptement.
En l'écoulant, ma joie fugitive!
De tous amans, nul qui au monde vive
Ne recevroit plus de contentement
Que j'en reçois si mon bien seulement
Ne s'envoloit d'une aîle trop hâtive.
Endimion fut heureux un long tems
De prendre en songe infini passe-tems,
Pensant tenir sa luisante déesse.
Je te demande en pareille langueur
Un pareil songe et pareille douceur :
L'ombre du bien n'est pas grande largesse.
i38 AWADIS JAMIN.
SUR LA DIVERSITÉ DE RELIGION.
A M. DE P I M P O I N T.
Docte Pimpoint , que les savantes sœurs
Ont allaité de leurs saintes douceurs,
En ce dur tems que veux-tu que je chante?
Quel son rendra ton oreille contente ?
On n'oit que sang et que boulets sonnans,
Fers acérés sur l'enclume sonnans ;
On ne voit plus les bœufs par la campagne ,
Ores elle est pour les chevaux d'Espagne.
Le soc ouvrier de sillonner les champs
Tourne sa forme en des glaives tranchans.
La prud'homie et la droite justice
Volent au ciel voyant notre malice ,
Et plus ici ne se maintient la foi ;
Car on n'a point ni de Dieu ni de roi.
D'oïl vient, Pimpoint, que le vice exécrable
Rend, 6 forfait! la France misérable?
Cela ne vient que des opinions
Que font ici tant de contagions
Qui terre et ciel virent à la renverse,
Nous bâtissant religion diverse.
Les ours cruels ne font la guerre aux ours,
Et les vautours sont amis des vautours ;
Aujourd'hui Thomme à Thonnue ne s'accorde.
Et des serpens plus sainte est la concorde.
AMADIS JAMIN. i39
Chacun se iioye au déluge des eaux,
Et laissant l'arche , est pâture aux corbeaux ;
Car les médians, à bien faire inutiles,
Troublent l'état et le repos des villes.
Pareils malheurs , du temps des Albigeois ,
Vinrent troubler l'union des François.
Considérons la gent qui sous Moyse
Aux saintes loix étoit si bien apprise ;
Considérons l'histoire des Hébreux :
Yit-on jamais hommes plus furieux,
Plus acharnés aux batailles meurtrières.
Pour repousser des erreurs étrangères?
Mais qui ne sait, chose horrible, combien
De monstres eut pour dieux l'Egyptien?
Et quantes fois, exercé de furie.
Mit en pillage et ses biens et sa vie?
Ils se tuoient pour leurs impuissans dieux
Sans cœur, sans mains , sans oreille et sans yeux.
Un peuple avoit pour Dieu le crocodile.
Et l'on craignoit dedans une autre ville
L'Ibis qui paît son ventre du serpent;
Et le poisson qui les eaux va coupant.
Fut révéré par d'autres villes fîeres.
Autant de peuple, autant sont de manières.
En maints endroits les chats et pesants bœufs
Etoient priés d'un million de vœux.
D'un oignon-dieu la vénérable tête
Oyoit ailleurs prières et requête ;
Ailleurs le chien , gardien de la maison ,
Des supplians écoutoit l'oraison ;
i/|0 AMADIS JAMIN.
La chèvre ailleurs grande déesse on nomme :
L'homme adoroit ce que méprisoit l'homme.
Mais il ne faut, pour mon dire prouver,
Qu'en nos cités des exemples trouver;
Chacun trompé des hérétiques charmes ,
Porte en la main les parricides armes.
Hé! Dieu du ciel, permettras-tu jamais
Que parmi nous vienne habiter la paix?
Et les médians exercans les malices ,
De leurs forfaits n'auront dignes supplices ?
Trois fois heureux si nature suivions!
Elle commande et veut que nous pleurions
Quand notre ami tombe en quelque disgrâce ,
Quand un pupile est pillé par sa race ;
Quand l'innocent ou le pauvre affligé ,
Sans nul forfait, à la mort est jugé.
Le naturel veut qu'on verse des larmes
Quand d'une vierge, hélas! pleine de charmes.
Le corps s'enterre, et que, sous le tombeau,
L'enfant est clos en sortant du berceau.
La bête sent ; mais dans le corps de l'homme
Qui de l'Auteur l'image se renomme,
Loge l'esprit, le sens et la raison;
Suivant leurs loix , nul mal nous ne faisons :
A tous humains nous voulons prêter aide ,
Et d'eux aussi nous empruntons remède.
Par ce moyen , les hommes égarés
Se sont ensemble es villes retirés.
Lors seulement ils ne faisoient carnages
Que de lions et de bêtes sauvages :
AMADIS JAMIN. i4r
Mais maintenant l'un à l'autre ils sont loups,
Tant lignorance aveuglés les rend fous!
Nous en voyons que la fureur allume
Plus que le fer qui se bat sur l'enclume.
De l'Orient jusques au mont d'Atlas
On vit voler d'Europe les éclats :
D'armes par tout fourmille l'Allemagne:
D'armes se vét la belliqueuse Espagne;
France gémit soiis l'effort du harnois ;
Et l'Océan sous les vaisseaux anelois :
Bref, notre Europe est toute ceinte d'armes ,
Ne voyant rien que rapine et gens d'armes.
Ainsi, contraint d'une juste douleur
Que chacun prend de si triste malheur,
Je vais pleurant nos trop longues misères.
Tristes effets d'opinions légères ;
Et mes regrets je t'adresse aujourd'hui.
Sachant combien ton cœur souffre d'ennui,
De voir la France en proie à tant de rage.
Par les siens même exposée au pillage.
DIALOGUE.
LE PASSANT ET LE GÉNIE DE MONTCONTOUR.
LE PASSANT.
Ces corps traînés ici comme une vile ordure.
Ensanglantés de coups, qui sont-ils? dis-le moi:
Seulement au regard je tremble tout d'effroi,
Les voyant des corbeaux et des chiens la pâture.
1^1 AMADIS JAMIN.
liE GÉNIE.
Aux médians n'appartient le droit de sépulture ,
Qui, séduits des abus d'une nouvelle loi,
Ont trahi leur pays, leurs parens et leur roi,
Et rompu tous les droits de Dieu et de nature.
LE PASSANT.
Les roses et les lys naissent dessus les corps
De ceux qui , pour leur prince , en leur pays sont morts ,
Ronces, chardons, halliers, de ceux prennent naissance,
Qui furent des François l'épine et le souci;
Et que dans les enfers ils reposent ainsi.
Comme ils ont en repos laissé vivre la France !
AU ROI CHARLES IX.
Les puissans rois , à qui tout obtempère ,
Sont les enfans du dieu Saturnien,
Et d'Apollon , père parnassien ,
Ce Jupiter est estimé le père.
Mais Apollon, qui la lyre tempère,
A enfanté le chœur permessien;
Vous lui devez, sire, faire du bien,
Puisqu Apollon son père est votre frère.
Les poètes sont des grands rois les neveux ,
Et si souvent ils vivent souffreteux ,
Ayant de l'eau pour unique héritage.
Faites connoître au moins à cette fois.
En me donnant quelque bien en partage.
Que vous pensez qu'ils sont parens des rois.
AMADIS JAMIN. 1 4'3
ELEGIE.
A M. DE PIBRAC.
Celui n'a mérité de voir le jour des cieux
Qui tâche d'effacer le nom de ses ayeux,
Et perdre leur mémoire : ignorant que la race
De nous cliétifs mortels ainsi qu'un vent se passe,
Et que nous ne pouvons ou dire ou faire rien,
Que premier nos ayeux n'ayent fait aussi bien;
Car tous les siècles d'or, d'argent, d'airain , de cuivre,
Reviennent et revont, ne cessant d'entresuivre.
Tout ce qui a sur soi le lunaire flambeau.
Est sujet à changer et se faire nouveau,
Mais son supérieur n'éprouve rien d'étrange ;
Toutefois sans mouvoir, mouvant tout, il le change ;
Le sage qui connoît et garde au souvenir
Le passé , le présent et ce qui doit venir,
Ne s'étonne de rien , ni l'éclat du tonnerre
Ne le peut effrayer, ni l'effroi de la guerre.
De tous ces changemens il fait comparaison.
Aux saisons qui par ordre amènent leur saison ,
Car tout ce qui advient sont choses coutumieres;
Mais vivans révérons la cendre de nos pères.
Et pensons que là bas nous tomberons comme eux
Accablés sous le faix du tombeau ténébreux ,
Et que ceux qui des vieux éteignent la mémoire,
Méritent de mourir sans regret et sans gloire ,
Indignes du nom d'homme et de respirer l'air.
l44 AMADIS JAMIN.
C'est la loi de nature et rompre et violer ,
Et c'est ôter la vie à qui nous l'a donnée.
Ceux qui de cette erreur ont l'ame environnée,
Commettent parricide et sont encore pis ,
D'autant que de nos ans la gloire c'est le prix ;
Car heureux est celui qui, mourant avec gloire,
Laisse après son trépas une heureuse mémoire ,
Un bon parfum aux lieux es quels il a passé ,
Soit un grand empereur dont le bras s'est lassé
A soutenir un sceptre en force souveraine ,
Soit un bon laboureur qui guide par la plaine
Ses bœufs et sa charrue ! et si , tout bien compté ,
Le monde et ses effets ne sont que vanité.
De l'hier aujourd'hui n'est aucune parole;
Au nombre de mille ans jà passés il s'enrôle ,
Ou bien au rang de ceux qui ne furent jamais ;
Voilà comme l'oubli vient engloutir nos faits.
SONNET.
A M, BRIJLART, SECRETAIRE DU ROI, A QUI RONSARD VENOIX
DE DÉDIER UN DE SES OUVRAGES.
Te donner, mon Brulart, de belle poésie.
C'est aux Corinthiens envoyer de l'airain.
C'est envoyer de l'eau dedans l'humide sein
De Thétis, c'est donner des fleurs à la prairie.
Nombre de tes ayeux ont eu l'ame saisie
Des fureurs d'Apollon : ils ont de main en main
AMADIS JAMIN. l45
Héritage immortel d'un esprit plus qu'humain,
Gardé si beau trésor dedans leur fantaisie.
Qui ne sait des Bourdins et Brularts le savoir,
Et comme ils n'ont jamais oublié leur devoir,
Pour bien servir les rois d'un fidèle courage ?
Donc tu n'as de Ronsard ce livre sans raison;
Car envoyer des vers en ta docte maison,
Ce n'est que les remettre en leur propre héritage.
lo
i/jô CLAUDE MERMET.
w«««&«$^«®S«'S-^Od-9«V«»«0^$-S3^^«&«->*£-d^-«'9-d&«9^i»d^ÀJ^^S3^e«&4i>&dd^9?#
CLAUDE MERMET.
Claude Meumet étoit originaire de Saint-Rambert
en Savoie. Parvenu à un âge mûr, il alla s'établir à
Lyon, où il iut, selon Duverdier, notaire ducal et
escrivain. il étoit encore dans cette ville en i585.
Ses productions se bornent à un fort petit recueil
(Lyon, i585) , qui a pour titre le Temps passé de
Claude Mer met , de Saint-Kambert en Savoy e , œu<i>re
poétique sententieuse et morale , pour donner profitable
recréation h tous gens qui aiment la vertu. Dans plu-
sieurs morceaux de ce recueil , il plaide le bon droit
des femmes , et il enseigne le secret de les empêcher
d^étre mauvaises, etc. Ce secret consiste à avoir pour
elles beaucoup d'attentions, à ne les traiter qu'avec
douceur , à ne leur rien refuser de ce que la raison ou
la justice les autorise à demander , et enfin à être
indulgent pour leurs foiblesses. Dans d'autres pièces
réunies en forme de quatrains , sous le titre collectif
de la Pierre de touche du vrai ami , il s'attache à prou-
ver, ce quimallieureusement n'a pas besoin de preuves,
que ce n'est que dans l'infortune qu'on peut discerner
un véritable ami.
On trouve encore dans le même recueil un Adieu a
la ville de Saint-Rambert ; — le Cas merveilleux dhin
jeune Soul-dart , etc., espèce de conte moral; — la
Métamorphose du verre , etc. , poème fait à l'occasion
de la gelée qui fit périr, en i573, une grande partie
des vignes.
CLAUDE MERMET. 147
Il existe encore du même poète une traduction fort
médiocre , en vers françois, de la Sopfionisbe du Trissin ,
imprimée aussi à Lyon en i585.
CHANSON.
LAVIS DE MARIAGE.
Toi qui veux femme choisir,
A plaisir,
Si ta belle te demeure,
Des amis de ses beaux yeux,
Curieux,
Te viendront voir à toute heure,
Si tu mets en ta maison.
Sans raison,
La laide et mal gracieuse,
Elle qui rechignera.
Te sera
Toute sa vie ennuyeuse.
Si de force dépourvu,
Tu as eu
La femme jeune et féconde.
C'est un cheval , pour soudain ,
Comme un daim.
Te porter en l'autre monde.
Si tu veux, par fol désir,
Te saisir
De la vieille jà chenue.
i48 CLAUDE MERMET.
Tu regretteras toujours
Les beaux jours
De ta jeunesse perdue.
Si tu veux la riche avoir,
Son avoir
La rendra bien si rebelle ,
Qu'elle te méprisera,
Et dira
Que tu ne vivrois sans elle.
Si la pauvre tu attends.
Le bon tems,
Chez toi , n'arrêtera guère ;
Pauvreté , par désarroi ,
Tire à soi
Toute sorte de misère.
Si d'avarice surpris ,
Tu as pris
Une femme fausse et fîere ,
Tu t'es mis la corde au col ,
Comme un fol,
Qui se noie en la rivière.
Mais toi qui, par ton savoir.
Dis avoir
Femme belle et bonne ensemble ;
O beau Phénix devenu ,
Cher tenu ,
Heureux est qui te ressemble!
CLAUDE MERMET. iZjcj
EPIGRAM3IE.
SUR LE RICHE.
Le pauvre est en plus haut servage:
Car devenir riche il ne peut;
Mais le riche a cet avantage ,
De devenir pauvre s'il veut.
ÉPIGRAMME.
UN GEOLIER PARLANT AU MARI D UNE PRISONNIÈRE.
Veux-tu laisser ici ta femme désormais,
Pour un peu de l'argent? Hé, prételui la main!
Si tu ne la reprens aujourd'hui ou demain,
Foi de hon compagnon, tu ne l'auras jamais.
RÉPONSE.
De te donner argent pour elle je ne puis.
Si tu me la détiens, je ne m'en donne esmoi.
Quand tu l'auras gardée autant de tems que moi,
Tu en seras peut-être aussi las que j'en suis.
l5o CLAUDE MERMET.
EPIGRAMME.
A tJN ÉCOLIER INGRAT.
Si 6ter je te pouvois,
Une fois ,
Ce que je t'ai su apprendre,
Tu me viendrois caresser,
Sans cesser,
Me priant de te le rendre.
EPIGRAMME.
DES AMIS.
Les amis de l'heure présente
Ont le naturel du melon ;
Il en faut essayer cinquante
Avant qu'en rencontrer un bon.
EPIGRAMME.
d'un enfant de bonne maison.
Quand quelque riche fait folie,
Le monde dit cela n'est rien ;
Mais quand quelque pauvre s'oublie
Croyez qu'on le redresse bien.
CLAUDE MERMKT. i ;) f
É P I G R A M >I E.
A U.\ GENTIL COMPAGNON, QCI SENT TOUTOUUS SO\
PAYSAN.
Ti dis ([iii' fil es geiilllliomnio
Par la favoiir du parchemin;
Si un rai le trouve en dieniin,
Qui- ^cias-tn .' coinnie un autre honniie.
CHANSON
p o f R r, E s no \i M E s.
Si lu le plains ipu' ta leininc est trop bonne,
L'ayant gartiée trois semaines en tout,
Attends un an, et tu perdras à coup
I/occasion de t'en plaindre à personne.
Mais si elle est malicieuse et fiere ,
Par mon conseil, ne l'en estime moins;
Je prouverai toujours par bons témoins
Que la mauvaise est bonne ménagère.
Si par nature elle est opiniâtre,
Commande-lui toute chose à rehours ;
Et tu seras servi suivant le cours
De ton dessein, sans frapper ni sans battre.
Si elle dort la grasse matinée.
C'est ton profit, d'autant qu'elle n'a pas
l52 CLAUDE MERMET.
Tel appétit, quand ce vient au repas,
Et son dormir lui vaut demi-dînée.
Si elle fait la malade par mine ,
Va lui percer la veine doucement
Sans la blesser, et tu verras comment
Tel éguillon lui porte médecine.
Si elle est vieille ou malade sans cesse,
Tu la sauras, sage, contre-garder,
Attendant mieux , et tu pourras garder ,
Pour un besoin , la fleur de ta jeunesse.
Si tu te plains que ta femme se passe
De faire enfans, par faute d'un seul point,
Sois patient; mieux vaut ne s'en voir point,
Que d'en avoir qui font honte à leur race.
Mais si tu dis que la charge te pesé
D'enfans petits, dont la tête te deult,
Ne te soucie , il n'en a pas qui veut :
Ils t'aideront à vivre en ta vieillesse.
Si quelquefois du vin elle se donne;
Cela lui fait sa malice vomir;
C'est un pavot qui la fait endormir;
Femme qui dort ne fait mal à personne.
CLAUDE MERMET. i53
ÉPIGRAMME.
d'un sot qui vocloit blesser l'iionn'eur des femmes.
Quand quelqu'un dit à une femme
Qu'elle est prodigue du corps sien ,
Il est sot en la haute gr.me;
Car ce qu'il dit ne sert de rien.
S'il dit vrai, elle le sait bien,
Il n'est besoin de le lui dire;
S'il ment, il n'est homme de bien,
Jamais donc on ne doit médire.
ÉPITAPHE.
sur un qui pleuroit la. mort du banquier.
]Ve pleure plus, tu te fais tort;
Ce n'est qu'une personne morte.
RÉPONSE.
Ah! je ne pleure pas le mort;
Je pleure l'argent qu'il m'emporte.
ÉPITAPHE D'UN RICHE DÉCÉDÉ.
L'héritier va pleurant le mort,
Pour la vieille coutume ensuivre;
Mais si le mort retournoit vivre.
L'héritier pleureroit plus fort.
i54 MARC CLAUDE DE BUTTET.
MARC CLAUDE DE BUTTET.
Marc Claude de Buttet , gentilhomme savoisien ,
de l'une des premières familles de Cliambëry , fut
envoyé fort jeune à Paris pour y faire ses études. Le
cardinal de Châtillon , dont ses talents lui concilièrent
l'estime , le présenta à la princesse Marguerite de
France , qui épousa peu après Emmanuel Philibert,
duc de Savoie.
Buttet se trouva quelque temps embarrassé sur le
choix de la profession qu'il devoit suivre; mais le
mariage de sa protectrice mit un terme à son indéci-
sion. Cette alliance rendoit la paix à la France. Buttet
ne consulta plus que son goi\t pour les lettres. 11 com-
posa un épithalame pour Marguerite et Philibert , où
il avoit adroitement fait entrer l'éloge de Henri ii, du
cardinal de Châtillon et de plusieurs autres personnages
distingués. Cependant la mort du roi, qui avoit été
blessé dans un tournoi, changea ces fêtes en deuil;
et notre poète , n'osant présenter son épithalame dans
de si fâcheuses conjonctures, étoitprêt à le supprimer.
Ses amis l'en dissuadèrent ; il le présenta , et le fit
imprimer (Paris, loSp, Robert Estienne ). Bultet
accompagna Marguerite dans les états de son mari;
et, toujours favorablement accueilH à la cour de Savoie,
il s'y occupa exclusivement de la poésie et des mathé-
matiques. Ce poète vivoit encore en i584; il pro-
mettoit alors quelques ouvrages , qui n'ont pas vu
le jour.
MARC CLAUDE DE BUTTET. l55
F.n id6i, Claude Euttet avf)it publié un recueil de
poésies (Paris, Michel Fezandat) où se trouve son
Epitlialame sur le mariage de Marguerite , et une Ode
sur la paix, qui a voit déjà paru en i Sop ( Paris , Gabriel
Buon ). Ces pièces sont suivies de deux Livres d'odes et
de cent vingt-huit sonnets , réunis sous le titre col-
lectif à'yimalthée.
Lacroix du Maine ^ite du même poète plusieurs
autres ouvrages, qui étoient encore manuscrits en 1 584-.
et qui sans doute n'ont pas été imprimés : ce sont quel-
ques poënies contre Barthelemi Aneau de Bourges y —
\ Histoire de Job, en versfrancois ; — et la Maison ruinée.
Marc Claude de Buttet se faisoit gloire d'avoir intro-
duit en France les vers saphiques, c'est-à-dire les vers
françois mesurés à la manière des Grecs et des Latins,
mais ayant la rime de plus que ces derniers. Baïf,
Rapin et quelques autres poètes lui ont disputé ce
genre de poésie ; mais Pasquier regarde Buttet comme
le premier qui en ait fait usage.
AU ROI.
ODE.
Heiyri, le plus grand roi que soutienne la terre,
Apres avoir montré combien tu peus en guerre ,
Mesme avoir envoie jusqu'au ciel tes hauts faits,
Retirant tes fureurs qui les mauvais punissent,
Affin qu'en tes pais tes belles loix fleurissent,
Sogneux de notre bien , tu apportes la paix.
Te publiant en tout roi tant émerveillable.
Que ça bas sous le ciel d'une gloire semblable
l56 MARC CLAUDE DE BUTTET.
Ne marche ton pareil, soit qu'il faille parler
De tes divines loix , ou des effrois belliques :
Tu t'y montres si grand que tous les rois antiques
A ta haute vertu ne peuvent s'égaller.
Combien t'aime le ciel sus les ans le temogne
En tes premiers efforts ta conquise Bologne ,
Et le septre écossois en ton poing fleurissant :
Bien souvent a senti Charles, César, Auguste,
Avec le meur conseil d'un roi chrestien si juste,
Ce que peut au besoing un prince si puissant.
Le Rhin en est témoin, qui en l'aspre furie
De Mars, accourageant ta grand' gendarmerie
Te vit, et te connut au front de tes aïeux :
Et voiant sur ses bords l'honneur roial du monde.
Libéral te rendoit , en t'esclavant son onde ,
Si tu eusses voulu , de soi victorieux.
Je laisse du Piémont les fortes villes prises,
La tremblante Italie en justes entreprises ,
Les Siennois de ta main doucement recuillis,
La ligustique mer humble dessous ta force ,
Qui t'ouvrit ses grands bras, pour te donner la Corse,
A'oiant venir de loin les saintes fleurs de lis.
Ton antique Calais paravant imprenable
A tes septrés aieux, aux plus forts effroiable.
D'un haut mur sourcilleux, n'a sceu tant présumer
De ses forces , qu'en fin ta mai tresse puissance
N'ait chassé pour jamais les fiers Anglois de France ,
Trainans leur honneur mort tous confus par la mer.
MARC CLAUDE DE BUTTET. 167
Et qui ne scait Teffort de la foudre galUque ?
Dieu en te découvrant la secrette Amérique,
Y descendit les tiens, menés d'un si bon heur,
Que sous un autre ciel , ou de nuit ne se glissent
Les astres tels qu'a nous , ja veincueurs ils bâtissent
Une seconde Gaule, à ton roial honneur.
Bref le destin guidant ta prudente vaillance ,
A étandu les bords de ta croissante France
Par les terres et mers , si loin avec ton nom ,
Qu'au bruit de tes assauts encor' en est saisie
D'un grand étonnement et l'Aphrique, et l'Asie ,
Qui sans te voir t'adore oiant ton seul renom.
Mais sire , sauf l'honneur de ta grande coronne ,
En parlant de tes faits plus de los on te donne
D'avoir du joug de Mars tiré ton peuple franc :
Car qui doute soi mesme , et connnande à son ire ,
Est bien un plus grand roi, et plus digne d'empire
Qu'un qui massacre tout et par flamme , et par sang.
Eut battu l'univers jusqu'à forcer Neptune
Ta puissance invincible , en cela la fortune ,
Reine par dessus tout, prendroit l'honneur à soi,
Un los t'en demourroit avec tes caplteines ;
Mais d'avoir trlumphé de ces antiques haines
Sans avoir compagnon , la gloire est toute à toi.
Le cruel dieu guerrier qui effroie le monde ,
A la merci du fer , acquit la terre et l'onde ,
Par dix mille travaux aux antiques Césars :
Il est si trespuissant qu'il a sur tout victoire ,
l58 MARC CLAUDE DE RUTTET.
Mais par la douce paix triumphant de sa gloire ,
Tu seras appelle le grand veincueur de JMars.
Quelque autre chante donq' tes sanglantes batailles,
Tes triumphes gagnés aux captives murailles
Des peuples loin doutés, se courbans sous ta loi ;
Moi , sire , je dirai ta divine justice ,
Tes étas bien rangés, et ta sainte police,
Ta roiale bonté, ta clémence et ta foi.
En confessant qu'en guerre et paix, on ne voit estre
Roi plus vaillant ni doux, et n'en pourroit tel naitre.
Bien que par toi s'en vient l'âge d'or précieux :
Par l'un à juste droit il faut que tu te nommes
D'un titre mérité le plus grand roi des hommes.
Par l'autre, l'on te voit çà bas semblable aux dieux.
A MADAME DE SAINT- VALLIER.
ODE.
Nous qui de cette vile terre
Sortons , puis y sommes remis ,
Avons trois puissans ennemis
Cauteleux , qui nous font la guerre.
Le Tems saccageur, et brisant
Noz œuvres en les déprisant;
L'Envie palle, qui empogne
La vertu des cueurs triumphans;
Et la Mort, mesme aux jeunes ans ,
Qui de nous gueres ne s'élogne.
MARC CLAUDE DE BUTTET. 1 Sq
Sur ces trois la sagesse humaine
Pour néant clierche son povoir,
Si la raison ne vient provoir
Aux niau.v dont cette vie est pleine.
Car le fort Tems qui tout abbat,
Hardi nous livre le combat ;
L'Envie de travers nous gronde ;
Et si sommes tous destinés
D'estre par la Mort ruinés
Entrant au misérable monde.
Onq' en vain pourtant ne travaille
La vertu, (jui nous lait priser,
Et par noz, faits éterniser
En tems de paix ou de bataille.
Car contre eux les tout-voians dieux
De Timmorlalité des cieux
Arment leurs favoris poètes:
Et par leurs carmes bien-heureux
Les heroës chcvalereux ,
De la race desquels vous estes.
Or' les saintes Muses et Grâces
Equippent ja Buttet en point
La trousse en son flanc. Tare au poing.
Pour résister à leurs menaces.
Aux armes vont l'industriant :
Puis la plus belle en me riant
Un bouclier garde-corps me donne
Pour aux hasards m'accompagner^
i6o MARC CLA.UDE DE BUTTET.
Sur lequel on voit rechigner
L'horrible chef de la Gorgonne.
J'appreste une lame tranchante,
Contre le Tems caut attrapeur :
Puis mon grand bouclier donne peur
A l'Envie de dueil crevante.
Ainsi d'un martial octroi,
Ces dames m'ont promis pour toi
En leurs grands efforts les détruire :
Voi me ci ja armé, ja soit
Que ta vertu qui les déçoit
Se peut revanger de leur ire.
Aussi telle grandeur ne glisse
Au tour des ans qui se resuit,
Indigne en la profonde nuit
Qu'un long oubli Tensevelisse.
Il ne faut quethresor si beau
S'accable dessous le tombeau,
Ni que ton nom là bas arrive
Sans gloire, aux ombres se plaignant
Que les beaux vers le dédaignant,
N'ont fait qu'en noz bouches il vive.
O si Mars , ami de ma muse ,
Et Phœbus, que tant j'ai cherché,
M'ouvrant un antre non touché ,
Ses beaux lauriers ne me refuse ,
Quelquefois on m'orra tonner
Les grands assauts qu'on vit donner
MARC CLAUDE DE BUTTET. iG
Quand les deux princes allobroges,
Voisins ennemis de Ion" lens.
Firent au sang des eonibattans
Les grands flots de l'Jsere rouges.
Lors que la gent savoisienne
En peu de nombre époventa,
Assaillit, rompit et douta
Le fort camp du daupbin de Vienne.
Cbantant Berol, et son bon lieur,
Je n'oblierai point l'honneur
Illustrant ta maison antique,
Ni les noms aux astres voUans
De tes aieux de Miolans ,
Coulonnes de la republique.
Je (lirai des lauriers la gloire
Qu'ils lesoient en leur sang bagner,
Se perdans , pour mieux se gagner
A l'inviolable mémoire.
Je publirai, par leurs moiens,
De quel cueur les Savoisiens
Conquirent et chasteaux et villes,
Et que plus leur pais leur doit
Que jadis Rome ne devoit
Aux Scipions, ni aux Camilles.
1 1
i62 MARC CLAUDE DE BUTTET.
A APOLLON.
VERS SAPHIQUES.
ODE.
Prince des Muses , joviale race,
Vieil de ton beau mont subit , et de grâce
Montre moi les jeux , la lyre ancienne ,
Dans Mitylene,
Qu'autrefois Sapphon sona si dolente ,
Quand le cueur bruloit à la pauvre amante,
Père, si tu veux que je les fredonne,
Donne la , donne.
Et que d'un archet résonant je pousse
Mille grands beautés de ma nymphe douce.
Douce, non, mais las à l'amant fidèle
Toute cruelle.
Or que dans ces bois je me tire à l'ombre.
Plein d'amours nuisans , que je porte sombre
Trompe mes langueurs , la doleur , la peine ,
Qui me regeine.
Vange toi , Paean , de la Cyprienne ,
Qui va commandant à la bande tienne ;
Pas ne suis du rang de sa trouppe serve.
Mais de Minerve.
O l'honeur par tout révérend de Clare ,
Des faveurs tiennes ne me sois avare ,
MARC CLAUDE DE BUTTET. i63
Montre les hauts cieux en ma gloire belle,
Perpétuelle.
Par fureurs saintes loge clans ma teste ,
Contre les Parcjues sacre mol poète ,
Des nouveaux, lauriers à la jeune muse
Dieu ne refuse.
Mets Tamour tousjours de la belle en estre,
Fai (|ue ton liitli d'or resone en ma dextre,
Et que Tord Python de sa langue inique
Plus ne me pique.
SUR LA MORT D'UNE DAMOISELLE.
ODE.
Levés vous aux prières miennes,
O saintes vierges tespienncs ,
Et or' à ce triste tombeau,
Accoures , immortel trouppeau :
Debout, sortes des vertes ombres
D'Helicon , pour voir les encombres.
L'angoisse et le regret profond
Que les destins souffrir nous font-
La beauté ou les douces Grâces
Choisirent leurs duisantes places,
Lors que le dur tens les troubloit ;
La nymphe qui vous ressembloit,
Du ciel pour un miracle offerte ,
De soi et de nous a fait perte.
l64 MARC CLAUDE DE BUTTET.
Las! si les Heliades seurs
Lamentant fondirent en pleurs,
De dures écorces étreintes,
Regretant en vain par leurs pleintes
Leur frère mal caut attelant
Le char tout l'univers brûlant:
Au moins soient meslés en voz carmes
Durs soupirs , compagnons des larmes ;
Et d'un cri étrange et peu beau
Fendes cet avare tombeau,
Menant une pleinte si grande ,
Que le ciel mesme vous entende.
Et moi , me rongeant jours et nuits ,
Je verrai avec mes ennuis
Si mes angoisses inhumaines ,
Si mes aspres sanglots et peines ,
Et mes pleurs pronts à le laver.
Seront forts pour le soulever.
Prins tu plaisir , ciel , de parfaire
Ce bel euvre pour le défaire ?
O terre mère ! peus tu bien ,
Perdant ton plus souverein bien ,
Ores tes gais atours reprendre?
La fiere parque a fait descendre ,
Ah Dieu, en un moment si brief!
Dessous toi, ô creve-cueur grief!
O dure parque inexorable!
Tout ce qu'eut ce tens d'admirable ,
De douceur, de grâce et beauté ,
Et n'a peu fléchir sa bonté
MARC CLAUDE DE BUTTET. l6j
La rigueur d'une loi si dure :
Mais le ciel en print tant de cure ,
Qu'encores elle a le povoir ,
Maugré la mort , faire revoir
Sa vertu survivante au monde.
Hé Dieu , quelle angoisse profonde ,
Ah ! quel regret perpétuel
Yoir choir sous un astre cruel
La beauté des dieux admirée !
Voir, helas! devant la serée
L'unique rose ainsi fanir!
Quiconque ici vaudra venir
De pleurs bagne un tombeau si rare.
Et fut un du roch plus barbare
Des froids Scytes la connoissant,
Qu'il aille par tout annonçant
Que ces cendres encores belles
Furent Tbonneur des damoiselles.
Las! comme un bref lis qui fleurit,
La plus grande beauté périt;
Et de noz ans le tant court nombre
Derrier' nous fuit ainsi qu'une ombre ;
Car tout en ce val terrien
Semble un songe, et est moins que rien,
Tant peu noz plaisirs y séjournent.
Les beaux soleils couchés retournent
Plusieurs fois, leur course élevant
Au tour éternel, se suivant
Tousjoms en leur splendeur semblable :
Mais si d'un coup inévitable
r66 MARC CLAUDE DE BUTTET.
La parque en ses cruels effors ,
Empoudrant ce terrestre corps ,
Nous a notre lumière éteinte,
Ains qu'avoir la grand' borne atteinte
Que de terre on resortira,
Longue nuit nous assopira :
Las! au monde rien n'est durable.
Puis donq' que le sort indontable
N'a de noz plus beaux jours merci,
Muses, mettes le pié ici.
Et sur la nymphe ensevelie
Jettes la rose frais-cueillie,
Jettes voz plus beaux lauriers verds,
Lui gravant mémorables vers :
Affin qu'ainsi le passant sache
Quel thresor cette terre cache.
SONNET.
Dix et neuf ans j'avoi heureusement,
Gardant encor' mon innocence entière ,
Et le poil d'or de ma barbe première ,
Sur mon menton se frisoit seulement.
Allors qu'Amour, trop cauteleusement.
En me flattant d'une douce manière ,
Me fit ton serf, mesme avec la prière
Me promettoit un fort bon traittement.
Mais je n'ai eu que peine à ton service,
Que mal, qu'ennui, et sans faire un ssul vice
Pour tout guerdon je n'emporte que blâme :
MARC CLAUDE DE BUTTET. 167
Avec la mort que j'aten brièvement.
Voilà le bien , Theur et l'avancement
Que j'ai gagné pour vous servir, madame.
SONNET.
Combien, combien je t'ai en révérence,
JN'aiant voulu renoncera tes loix,
Ingrat Amour orendroit, tu le vois;
Mais, las! j'en ai bien pauvre recompense.
Et que me vaut d'avoir parmi la France
Cbanté tes traits, ton arc et ton carquois?
Et que me vaut t'a voir sacré ma voix.
Si tousjours plus tu me fais de nuisance?
Ne voi tu , las ! sur moi ta trousse vuide ?
Je ne suis pas l'outrecuidé Tydide,
Qui de ta mère outra la belle main.
Au premier choc je t'ai donné victoire :
De me tuer auras tu quelque gloire ?
Mal sont égaux un dieu et un humain.
i68 GUILLAUME DU SABLE.
«•99»«^SSe«0«<t«««>0«e«?«««<^9«»«4-«««9«<t«»«»«««(l««9»«««Q»«-»'fi-«»®»«C-S»^
GUILLAUME DU SABLE.
Guillaume du Sable avoit été élevé à la cour de
François i", et avoit servi domestiqiiement sept rois,
François r', Henri ii , François ii, Charles ix, Henri m,
Henri iv et Louis xm. Ses poésies furent imprimées
à Paris en i6ii,sur un privilège du 26 mai 1608.
Guillaume du Sable y prend le titre de gentilhomme
ordinaire de la vénerie du roi , qualité qui l'a déter-
miné à donner à ses poésies le titre de la Muse chasse-
resse. Parmi des pièces très insipides, on en trouve quel-
ques unes d'intéressantes. H composa un grand nombre
de sonnets en Ihonneur d'une demoiselle d'Agen, nom-
mée Armoise ou Armaisede Loumagne. Li pièce intitu-
lée Coq-a^Fasne de la truje au foin, est une satire passable
sur les affaires. Un défaut né<^essairemcnt attaché à ce
genre de poésie , c'est de n'être entendu que par les
lecteurs contemporains , ou par des personnes très
instruites de l'histoire anecdotique du temps. Le Coq-
a-Vasne de Guillaume du Sable est une histoire abrégée
de la Ligue et de quelques événements particuliers,
surtout depuis la mort de Henri 11. H y auroit un long
commentaire à faire à cette pièce et à celle qui en est
une continuation ; et l'une et l'autre peuvent servir à
éclaircir les ouvrages critiques du temps , tels que la
Confession de Sancy, la Satire Ménippèe , ou le Cat/io-
licon, etc. L'auteur est un huguenot déterminé, et
parle de la religion catholique et du pape sur le ton
GUILLAUME DU SABLE, 169
des ministres les plus emportés ; il ne ménage per-
sonne, pas même ce qu'il y avoit de plus considérable
à la cour, comme Lavarenne , Diacetti ou Dajacet
Albert de Gondi, la maison de Lorraine, la Sorbonne
le chancelier Birague, Catherine de Médicis elle-même.
Dans le second Coq-a-V asne , l'auteur dit :
Nostradamus a eu ses vogues.
Molossos, en latin , sont dogues ;
Mais mulets pour un chancelier.
Cela revient au conte que fait Henri Etienne, dans son
Jpologie pour Hérodote , que Henri viii , roi d'Angle-
terre, ayant envoyé trois des plus beaux dogues en
présent à François i", avec une lettre latine où il lui
annonçoit ce présent , le roi , qui ne savoit pas le latin ,
donna la lettre à interpréter au cardinal Duprat, son
chancelier, qui expliqua ces mots : Mitto tibl très
molossos, par ceux-ci : Je -vous envoya trois mulets.
Le roi ayant reçu ensuite les dogues, dit au cardinal
qu'il lalloit qu'il se fût trompé, et que les mots de
la lettre ne signifioient pas sans doute ce qu'il lui avoit
dit , puisque le roi d'Angleterre, au heu de trois mulets,
lui avoit envoyé trois dogues. -< Sire , cela se peut , dit
« le cardinal en revoyant la lettre ; j'aurai pris molossos
« pour multtos. >. On a accusé Henri Etienne d'avoir
imaginé ce conte , comme beaucoup d'autres , dans
son Apologie. Guillaume du Sable se montre , dans ses
poésies , ennemi irréconciliable de la Ligue et des
Ligueurs. 11 y a plusieurs sonnets pleins de conseils
hardis adressés à Henri m.
170 GUILLAUME DU SABLE.
SONNET.
Si ce brave Toscan vlvoit pour le jour d'huy,
Et que cognolssance eut de ma nymphe agenoise,
Je crois qu'il quitteroit sa Laure avignonoise,
Pour m'oter et ravir ce bien que je poursuy.
Lors, ainsi qu'un jaloux doubteux et plein d'ennuy,
Contre ce Florentin prindrois querelle et noise;
Car luy, la connoissant tant aimable et courtoise,
Si avare en seroit, qu'il voudroit tout pour luy.
Je veux bien Tavouer , ô excellent Pétrarque !
Qu'en ton vivant, tu fus le vray prince ou monarque
De ceux qui, en aimant, n'ont point faussé leur foy;
Nous en avons encore ici bas la mémoire ;
Ne pense toutefois sur tous avoir victoire;
J'en cognois aujourd'huy d'aussy loyaux que toy. '
' La fin de ce sonnet ressemble assez à celle du sonnet de Joh
qui finit, comme tout le monde le sait, par ce vers:
J'en connois de plus misérables.
GUILLAUME DU SABLE. 171
SONNET.
SUR LES DÉVOTIONS PRETENDUES DE HENRI III.
D'estre amateur de paix, aux pauvres charitable;
A la veufve assister, consoler l'affligé;
Défendre l'orphelin, qui du riche est mangé;
Toujours estre au public utile et profitable ;
Aux bons se montrer bon, aux méchans redoutable;
Ne souffrir aucun tort sans estre corrigé :
A chascun faire droict , comme on est oblisé ,
C'est du debvoir d'un roy, pour se rendre équitable.
Non pas se conformer aux capucins pouilleux ,
Ni aux jésuites feints, ligueurs et scandaleux,
Lesquels ont inventé ce mauldit monopole:
De pratiquer la Ligue à leur dévotion ,
Pour planter à la France une inquisition,
Et les faire sur nous régner à l'espagnole.
i']2 FLORENT CHRESTIEN.
<S«S'5«8'A'E9e«««€-®e««-S6^3«$«'9S-€'«9^$-«'S«9e«-«^-«-&«S^e^««e«<e'«ç®C^a«'0'S89 3 4
FLORENT CHRESTIEN.
Florent Chrestien, né à Orléans en i54o, étoit
fils de Guillaume Chrestien, gentilhomme, originaire
de la Bretagne , médecin distingué , qui s'attacha
d'abord , en cette qualité , au duc de Bouillon , et en-
suite à François i"' et à Henri ii, Florent Chrestien se
livra de bonne heure à l'étude des langues grecque et
latine , et s'y rendit très habile. Son mérite le fit ap-
peler auprès de Henri iv, alors prince de Béarn, à
qui il servit de précepteur. 11 fut dans la suite nommé
bibliothécaire à Vendôme , où il s'étoit retiré. Les
Ligueurs l'ayant fait prisonnier loisqu'ils s'emparè-
rent de cette ville, Henri iv, qui n'étoit encore que
roi de Navarre , paya sa rançon et le délivra. Florent
Chrestien avoit embrassé la secte calviniste : il se fit
catholique sur la fin de ses jours. 11 mourut à Ven-
dôme au commencement du mois d'octobre iSgô,
dans la cinquante-sixième année de son âge.
Parmi les nombreux ouvrages qu'a laissés Florent ,
sa traduction des quatre Livres de la Vénerie (VOppien,
poète grec d'Arnabaze, mérite de tenir le premier
rang. 11 ne falloit pas moins de patience que d'érudi-
tion pour oser l'entreprendre j sa version est d'une
fidélité rare, et sa diction est assez correcte pour le
temps où il écrivoit; mais on ne peut pas en dire au-
tant de sa versification, qui est généralement dure et
hérissée d'enjambements. Cette traduction, que Jean
FLORENT CHRESTIEN. lyS
Dorât et quelques autres savants ont beaucoup louée,
est aujourd'hui fort rare et très recherchée j elle fut
imprimée en iSyS (Paris, z>?-4% Mamert Pâtisson,
avec les caractères de Robert Etienne ).
Les autres productions de Florent Chrestien sont :
1°. une tragédie de Jephté, ou le î^œu; 2". le Corde-
lier, ou le saint François ; 3". un Hymne génethliaque
sur la naissance de M. le comte de Soissons; 4.°. le Ju-
gement de Paris ^ 5". un Cartel, avec quelques stances
et sonnets, faits pour les tournois a Valéry^ en Van
1557, etc. , etc.
Jephté f ou le Vœu, est une traduction assez littérale ,
en vers de douze , de dix et de huit syllabes , de la
même pièce composée en latin par Buchanan. Elle
fut imprimée à Orléans en i Sôj , wz-4° , et à Paris en
iSyS (Robert Etienne, /«-8°).
Ce n'est que dans la première de ces éditions que
l'on trouve, à la suite de Jephté, le premier Chapitre
des lamentations de Jercmie , traduites en stances.
Florent Chrestien se signala par quelques écrits
satiriques en prose et en vers, contre Ronsard et ses
partisans, dont il étoit l'ennemi juré, mais avec les-
quels il se réconcilia dans la suite , à la grande satis-
faction de Ronsard , qui paroît avoir fort redouté le
génie satirique de notre poète.
174 FLORENT CHRESTIEN.
FRAGMENT DE LA. TRAGÉDIE DE JEPHTÉ.
JEPHTÉ.
O vray monarque! 6 Dieu plein de justice!
O tout puissant! 6 deité propice!
Père clément, mais vers tes ennemis
Cruel vengeur, bénin à tes amis.
Dieu en courroux, severe et redoutable,
Mais s'appaisant, 6 Seigneur irritable.
Mais plein d'amour, nous avions mérité
Noz durs travaus et la captivité
Où nous estions, nostre meschante vie
Fut à bon droit aus mescliants asservie;
Car te laissant nostre libérateur.
Père de vie et de tout bien auteur,
Nous présentions, helas! aus pierres sourdes.
Au bois muet noz offrandes trop lourdes,
Dont je rougis, avec nostre oraison;
Lbomme qui est capable de raison,
Qui participe à la vie éternelle, *
Adore un tronc qui n'a point de cervelle ,
H donne encens à un sepulclire infaict.
Et l'bomine ouvrier craint l'œuvre qu'il a faict.
Ainsi, Seigneur, tes faveurs ordinaires
Nous ont laissé, nous di-je, refractaires
A tes edils, et ainsi justement
Fusmes mattez d'un cruel cbastiment,
Quand or' Ammon, or' la force Idumee
FLORENT CHRESTIEN. jn^
Or' Palestine encontre nous armée,
Or' ceux de Syre ont gasté et poilu
Ton héritage et ton partage esleu;
Et à la fin encores à grand peine
Priasmes-nous ta bonté souveraine
Pour quelque maus que nous peussions avoir.
Mais toy, Seigneur, selon ton bon pouvoir.
Par ta douceur miséricordieuse,
Tu as brisé ton ire furieuse :
Et oubliant toute haine du tout,
Tu as remis tes enfans dessus bout ,
Eux qui jadis s'estoyent par leur audace
Déshéritez et ostez de ta grâce,
Et comme si tu avois peu donné
De leur avoir leurs forfaits pardonné.
Tu les remplis, comme pour accessoires.
De grands honneurs, de triomphe et victoires.
Noz ennemis sont ores desarmez
Et mis en route, ou bien tous consumez,
Leurs arcs rompus , les morts jettez par terre
Ostent la fuite aus chariots de guerre;
Tel menassoit de douter la cité.
Et nous tenir tous en captivité ,
Qui maintenant estendu par la voye ,
Sert de viande à tout oiseau de proye ;
Les champs par tout de corps morts sont couvers,
Les eaux de sang : Père de l'univers.
Pour ceste cause ores en toutes places
Nous te louons en action de grâces:
A toy. Seigneur, et en toutes saisons ,
176 FLORENT CHRESTIEN.
Nous présentons nos humbles oraisons,
Sacrifians aux autels ordinaires.
Te chantant Dieu, et père de nos pères,
Toy qui jadis, par les flots menassants,
A nos ayeus fis des chemins passans.
Quand toy parlant, la paresseuse masse
De la grand mer vint à leur faire place.
Posant ses vents, la mobile liqueur
Se contraignit et s'estonna de peur.
De-çà , de-là les ondes s'escartantes
Representoyent deus murailles pendantes,
Et firent voye. Et pour ce maintenant,
O Seigneur Dieu , comme en te souvenant
De ta bonté et de ton alliance,
Reçoy les veus que mon obéissance
Or' te présente, et bien qu'ils soyent petits,
Si ne sont-ils d'un petit cœur partis.
Or' pour monstrer ma promesse tenue ,
Quand ma maison sentira ma venue.
Quand sain et sauf je viendray triomphant,
Ce que premier me viendra au devant.
Sur ton autel te sera sacrifice :
Bien que. Seigneur, le moindre bénéfice
Que nous sentons par ta bénignité
Surpasse encor la superfluité
De tous nos dons : les oblations grasses
N'egallent point tes faveurs et tes grâces;
Mais tov, Seigneur, qui prens en bonne part
Les petits dons qu'un bon cœur te départ,
Comme tu es véritable sans cesse.
FLORENT CHRESTIEN. 177
Gardant ta foy et tenant ta promesse ,
Aussi, 6 Dieu débonnaire, tu veus
Que les humains s'acquittent de leur veus
Fidèlement, tu monstres ta puissance
Aux refragans , et ta douce clémence
A tous craignans ; car à toy appartient
Tout ce grand monde et tout ce qu'il contient!
JEPHTÉ, LE PRESTRE.
JEPHTÉ.
O grand soleil, auteur du jour, ô pères viens!
O hommes innocens , destournez loing voz yeus
Du meschant sacrifice, où toy, terre patente,
Qui dois boire le sang de la vierge innocente,
Ouvre-toy jusqu'au fond, et tout vif m'engloutis
Dans un abisme creus, devore-moi tandis
Que je ne suis meschant : quelque part où je meure
Il ne m'en chaut, pourveu que je meure à ceste heure.
D'aller mesme aus enfers je ne refuse pas,
Pourveu que je ne soy' parricide là bas;
Que di-je, les enfers? j'y fay ma demeurance,
Les enfers sont chez moi : de quelle contenance
Par ma femme pleurante or seray-je abbordé ?
De quel port, de quel œil seray-je regardé
Par ma fdle vouée à la mort misérable ,
Qui viendra m'accoller en sa voix lamentable ?
LE PRESTRE.
Tousjours ce dueil advient aus maus désespérez,
Toutes et quantesfois que les cueurs ulcérez
V. 12
178 FLORENT CHRESTIEN. "
Chassent le médecin, et que la maladie \
Du crime perpétré ne veut qu'on remédie.
Mais il est en ton chois ou d'estre malheureus ,
Ou de ne l'estre pas : regarde l'un des deus,
Ou immolle ta fdle, ou fais tout le contraire;
L'un et l'autre est en toy, tu le pourras hien faire; ^
Et si , pour mieus parler, il n'est en ton pouvoir,
Si ce n'estoit qu'un homme eust plaisir de se voir
Misérable et meschant; comment t'est-il possible
De perpétrer ainsi un crime si horrible,
Que nature deffend et la dévotion, «
Et qui est envers Dieu abomination ;
Car d'aimer ses enfans cela vient de nature, 1
Et non seulement nous, mais toute créature
Qui vole par le ciel, qui nage dans la mer, i
Tout ce qui vient de terre est sujet à aimer.
Tout sent dedans soymesme un affection sainte:
Ceste grande vertu dans noz cœurs est emprainte
Par le sage vouloir de la divinité,
Afin que par ainsi chacun soit incité
A nourrir ses enfans , à contenir le monde
En un commun accord, et la race féconde
A se multiplier, et pour estroitement ,
Imprimer mieus ce nom dans nostre entendement,
Il s'est fait père et veut que père l'on l'appelle ,
En nous recommandant l'amityé paternelle ;
Par son exemple mesme , et par l'exemple aussi |
Des oyseaus et poissons qui ont ce saint soucy.
Nous qui devrions avoir l'humanité plus grande,
Comme hommes qui portons ce nom qui nous commande , I
FLORENT CHRESTIEN. 179
Plus que les animaus nous sommes inhumains ,
Et ne nous contentans de polluer noz mains
D'un péché malheureus, d'un forfait exécrable,
Nous en accusons Dieu et l'en faisons coupable,
Faisants accroire, helas ! que Dieu reçoit en gré
L'holocauste sanglant dessus l'autel sacré,
Crime que ne feroit 1 ^Egypte qui ignore
Le service de Dieu, ny l'Assyrie encore
Qui est pour aujourd huy sur toutes nations,
La plus pleine d'erreurs et superstitions,
De mensonges, d'abus, de dévotions folles,
D'abominations qui se font aus idoles;
Mais il vaut mieus garder la pureté des mains,
Nous qui sommes issus de pères purs et saints.
Et n'offrir rien à Dieu que choses bien sacrées
Et pures ; car le sang des bestes massacrées
N'appaise nostre Dieu, Dieu n'est point contenté
Par le meurtre d'un bœuf qui luv est présenté.
La vraye oblation , le plaisant sacrifice
C'est un cœur non poilu, nettoyé de tout vice,
C'est une ame reculte en simple vérité ,
En chaste conscience, en sainte pureté.
J E P H T É.
Pourquoy donc en sa loy requiert il sacrifice?
LE p RESTEE.
Ce n'est point qu'il se plaise au sang d'une génisse.
Ou qu'il soit affamé d'un veau pour en manger,
Mais affin qu'à sa loy nous nous venions ranger.
JEPHTÉ.
Quand on promet un veu , ne le faut il pas rendre ?
i8o FLORENT CHRESTIEN.
LE PRESTRE.
La loy veut qu'il soit juste , et ainsi le faut prendre.
JEPHTÉ.
Tout se fust mieus porté si du commencement
Je n'eusse rien promis que bien et sagement.
Mais ores que c'est fait, la loi du ciel venue
Veut que toute promesse au Seigneur soit tenue.
LE PRESTRE.
Quelle loy veut qu'un père immole son enflant ?
JEPHTÉ.
Celle qui veut qu'un veu se paye au Dieu vivant.
LE PRESTRE.
Ce qu'il ne faut tenir, faut il qu'on le promette ?
JEPHTÉ.
Si ne doit on fausser une promesse faite.
LE PRESTRE.
Si c'estoit pour brusler les lois des pères viens ?
JEPHTÉ.
Tels veus ne se font point que par gens furieus.
LE PRESTRE.
D'autant qu'il contrevient à la saincte parole :
JEPHTÉ.
Voire.
LE PRESTRE.
Quoy donc ? celui qui son enfant immole ?
JEPHTÉ.
La cause et non le fait ici doit avoir lieu.
LE PRESTRE.
Penses tu par ainsi bien obéir à Dieu ?
FLORENT CHRESTIEN. j8t
J E PHTÉ.
Dieu commanda qu'Isac fust tué par son père.
LE PRESTRE.
Dieu qui le commanda l'empescha de ce faire.
J E PHTÉ.
Mais il le commanda.
LE PRESTRE.
Affin que ceste foy
D'Abraham fust cogneue.
JEPHTÉ.
Et l'engarda : pourquoy ?
LE PRESTRE.
Pour monstrer à chacun que l'humble obéissance
Lui plaist plus que l'hostie.
JEPHTÉ.
A sa saincte puissance
Il faut donc obéir?
LE PRESTRE.
Voire.
JEPHTÉ.
Veut il exprès
Qu'on fasse veus ?
LE PRESTRE.
Oui.
JEPHTÉ.
Et qu'on les rende après?
LE PRESTRE.
Oui.
JEPHTÉ.
Les desloyaus et tardifs à les rendre
Seront doncques punis.
l82 FLORENT CHRESTIEN.
LE PRESTRIi.
Tu ne sçaurois défendre
Encor en cest endroit ny couvrir ton forfait.
Tout homme qui s'oblige à quelque meschant fait,
Est transporté de soy, ses passions saisies
Obéissent tousjours aus folles phantasies.
Au reste, quehjue veu que tu ayes traité,
Cesse d'accuser Dieu de ta meschanceté.
Et ne pense que lui qui, en sa loy divine,
Hait les hommes meschants, et leur faits abomine,
S'appaise dun forfait dont il est irrité.
La parole de Dieu, pleine de vérité.
Est constante à jamais, son commandement stable.
Eternel, permanent et qui n'est point muable,
Dont il ne se faut point détourner çà de là.
Yoilà le but où faut tousjours viser, voilà
Où il se faut régler; ceste loy souveraine
Doit être le conseil de nostre vie humaine.
Puisque Dieu nous la donne afin de nous garder.
Et que comme un flambeau elle puisse guider
Nos pas mal asseurez, et qu'elle nous gouverne.
Or ayant délaissé bien loing ceste lanterne
Si témérairement, rentre au chemin, devant
Que l'erreur te destourne encores plus avant.
Mais tu es abusé bien fort si tu estimes
Qu'un veu fol soit payé par ineschantes victimes ;
Car tant s'en faut qu'ainsi ton crime soit oslé,
Que mesme il se croistra par ceste cruauté ,
Et, pour n'estre trompé ici à l'aventure.
Comme Dieu prend plaisir à l'oblation pure
FLOPvENT CHRESTIEN. l83
Des sacrifices saints, aussi a il horreur
Des veusmeschants et pleins d'abominable erreur,
Et qui de feu profane un autel environne,
Quand son intention encores seroit bonne,
Ne demeure impuny; or regarde en ce lieu.
De croire un bon conseil, cesse d'irriter Dieu
En cuidant l'appaiser; car Dieu ne s'accommode
Qu'à sa volonté seule, et non pas à ta mode.
Et ne veut qu'on le serve ou honore autrement.
Que comme veut sa loy et son commandement.
JE PHTÉ.
J'av souvent apperceu que ces messieurs les sages.
Qui sont estimez tels par les communs langages ,
Ont bien peu de sagesse et sont sur toutes gens
Les moins gardans les loix, et les plus negligeus
Des misteres sacrez : la simple populace
Garde tousjours ses veus, ignore la fallace,
N'estimant rien plus grand, plus stable et solennel,
Que ce qu'elle promet au Seigneur éternel ;
De sorte qu'aujourd'huy, si l'on m'en faisoit juge,
La sagesse n'est rien qu'un voile ou un refuge
A la meschanceté, qu'un prétexte et un fard
Pour couvrir les forfaits. Ah ! que de nostre part
Ne songeons nous plustost à A'ivre en innocence
Que par le faus manteau d'une vaine prudence
^■oiler nos meschants cœurs et nostre intention,
Qui cherclîje seulement la réputation,
N'aquerant que le bruit de mener bonne vie.
Pourtant je suis d'advis que quiconque a envie
De voir en pieté ses enfans renommer,
i84 FLORENT CHRESTIEN.
Qu'il ne les face trop aus lettres consommer;
Car plus riiomme est lettré et remply de science,
Plus il est envers Dieu remply de nonchalence.
LE PRESTRE.
Or, si tu peus , escoute encores le danger
Où tu es emmené pour croire de léger :
Celuy qui se deffend par l'erreur variable
Du vulgaire ignorant, n'est point plus excusable;
Jamais, comme je croy, la sainte majesté
Ne donnera ce règne à la mesclianceté.
Que le consentement d'un meschant populaire
Puisse changer le droit en tort, et puisse faire
Que le mal soit le bien: et, bien que le flatteur,
Qui devant les tyrans est dissimulateur.
Loue ordinairement les forfaits, et renverse.
Par le masque du nom une chose diverse ,
Si ne fera il point que vertu soit vertu.
Pour estre ainsi avis à un peuple testu;
Car la vertu est simple et toute la puissance
Des tyrans altérez du sang de l'innocence.
Et tous les potentats, par leur autorité.
Ne corrompront jamais sa pure intégrité.
Maintenant nous voyons qu'entre le peuple ignare
L'homme le plus indocte, incivil et barbare.
Prendra plus de licence, et plus arrogamment.
Sur les points plus obscurs asserra jugement,
Et plus ostinement, selon son ignorance,
Soustiendra puis après sa première sentence ,
Sans poiser cependant les maus qu'il entreprend ,
Et sans examiner la raison qu'il deffend ;
FLORENT CIIRESTIEN. l85
Et bien cju'll soit aveugle entre tous, il argue
De son aveuglement ceus qui ont bonne veue ,
Comme un qui ha la fièvre, endurant sans repos
Vn accès chaleureus qui luy brûle les oz,
Il trouve tout amer, et loutesfois il pense
Avoir seul entre tous un goust par excellence,
Combien qu'il soit tout seul sans aucun goust; ainsi,
Vous qui avez lesprit de ténèbres noircy,
Environné d'erreurs comme de gros nuages,
Vous voulez commander à ceux (|ui sont plus sages ,
Et en lieu d'obéir et les suivre tout dous,
Or vous les contraignez d'aller avecques vous,
Tirant vers un escucil et en danger extresme
Un navire asseuré et ferme de soymesme.
La religion vraye et vraye piété
N'est pas honorer Dieu selon ta volonté,
N'y comme maintenant follement tu estimes
De luy sacrifier telles quelles victimes,
Mais ce que les décrets du ciel ont avoué,
Et que nos pères ont anciennement loué.
JE PUT É.
Tout ce que l'homme fait en bonne conscience
Est agréable à Dieu; Dieu, par sa bienveillance,
Aime un petit présent parti d'un simple cœur.
Approuvant non tant l'or que le cœur du donneur.
LE PRESTRE.
Si la meschanceté de ton ame perverse
Corrompt ce qui est droit, et qu'elle le renverse,
Ton pervers jugement toutesfois ne sçauroit
Dresser ce qui est courbe et faire qu'il soit droit;
i86 FLORENT CHRESTIEN.
Car ce que vous nommez choses droites , jolies ,
Simples, bonnes, ce sont vanitez et folies;
Si peut estre il n'y a plus grande vanité,
Que de fermer les yeux au jour de vérité.
Puis volontaire aveugle avec un tiltre honneste,
Tu veus avoir louange en un fait qu'on déteste,
M-eslant et confondant tout indifferamment
Quand tu rapportes tout au simple jugement
Du vulgaire inconstant , le droit et l'injustice ,
L'honneur, le déshonneur, la vertu et le vice;
Que si l'avis des fols ha tant autorité.
De faire que le faus devienne vérité,
Le profane sacré, et l'inique équitable,
Et l'injure le droit, pourquoy, en cas semblable,
N'estimerons nous pas qu'ils puissent de nouveau
Transformer Teau en feu, et puis le feu en l'eau?
Et les pierres en bois, les bois en pierres fortes.
Et redonner la vie aus personnes ja mortes.
Et arrester du temps les mouvemens divers.
Et confondre et troubler l'ordre de l'univers?
Et si, comme il est vray, tu penses que ces choses
Ne sont en leur puissance, ains seulement encloses
En la main du Seigneur, sans que l'humain soucy
Y ait pouvoir aucun, tu dois penser aussi
Que la loy du Seigneur est autant éternelle,
Est autant stable ou plus, où la force mortelle
N'a aucune puissance; et ce grand jour prédit
Pour juger les humains ne rompra cet edit.
Le feu dissoudra bien en la haute journée
La terre , l'eau , le ciel ; mais la loy ordonnée
FLOBENT CHÎIESTIEN. 187
Par la bouche de Dieu dure éternellement,
Sans que le temps en perde un seul point seulement.
J E P HTÉ.
Or suivez donc cela, si c'est vostre sentence,
Vous qui faites leçon de sagesse et prudence :
Jaime mieus une simple et sotte vérité,
Qu'une sagesse belle en toute impiété.
SONGE DE GEORGE BUCHANAN.
Vers le matin que le prochain soleil
Rend la clarté des astres palissante,
Quand vers l'Aurore un plus estroit sommeil
Verse sur nous sa vertu languissante ,
Devant mon lit sainct François j'avisay,
Enchevestré d une corde puissante ,
Pleine de neuds, estant stigmatisé.
Tenant en main une robbe sacrée,
Un grand manteau, un glaive desguisé,
Des brodequins îj gueule fenestree.
Tenant un livre, une corde, un chapeau;
Puis en riant me vient dire d'entrée :
Soy mon soldat, pren cet habit nouveau.
Et fay estât d'abandonner le monde,
Fuy les appas de ce qu'on trouve beau ;
Fuy le soucy et la vie oli abonde
Le vain plaisir accompagné de peur.
Desprise moy l'espérance inféconde,
Et bref tout soing , m'ayant pour conducteur,
j88 FLORENT CHRESTIEN.
En me suivant , c'est la voye certaine
Pour être au ciel près de nostre Seigneur.
Voyant ainsi cette image soudaine ,
Je m'estonnay, puis contraint à la fin ,
Je parle ainsi à ce beau capitaine,
Ja ne déplaise à l'ordre serafin
Si je dis vray : Geste robbe trop rude,
N'est pas mon cas, ce n'est point mon dessin:
Qui voudra vivre en dure servitude
Prenne l'habit, quant à moy, j'aime mieus
La liberté ou j'ay mis mon estude ;
Prenne l'habit qui voudra en tous lieus
Estre eshonté : la honte m'en engarde,
La modestie et le cœur vertueus.
Qui portera ceste robbe cafarde,
Soit tousjours prest à chacun abuser,
Contrefaisant la mine papelarde ,
Selon le temps propre à se desguiser;
Ou moy, ma vie est à jamais vouée
A la simplesse , et ne sçait point user
De ce beau fard dont leur ame est douée.
Non que je craigne une bande d'ennuis,
Gomme de pous, d'une voix enrouée,
D'espouvantaus qui tracassent les nuicts ,
Ou bien de vivre, ainsi comme une beste,
De jour en autre , ou aller par les huis
Hurler bien fort ou bien faire la queste.
(Si toutesfois encore à recevoir
Tous ces fratras la cour du ciel s'appreste )
Mais le chef rase et vuide de sçavoir
FLORENT CHRESTIEN. 189
N'a pas grand lieu dans la céleste gloire,
Mesme à grand peine un moine y peut on voir;
Va visiter, si tu ne m'en veux croire,
Maint temple ancien et maint ancien tombeau ,
Là maint autel est basti en mémoire
De maint evesque; au monachal trouppeau
Rien ou bien peu, et surtout on ignore
La robbe grise avecques son cordeau ;
Car c'est l'habit que le ciel moins honore:
Le prenne donc qui veut prendre plaisir
A son malheur et à son dam encore;
Que si tu as , ô beau-pere , désir
De mon salut, donne la robbe grise
Aux mendians, et vien pour me saisir
D'un bonnet rouge et d'une mitre exquise.
1Ç)0 ANDRE DUCROS.
»«»a«e«««a»«>a»a««ita»a»^(iajsaaaa<»^<.a.«ia><i-ao^t>^«i^a^o^,j^,,^ya-o«o«aacao»
ANDRÉ DUCROS.
DuvERDiER est le seul de nos biographes qui ait
fait mention de ce poète, docteur médecin de Saint-
Bonnet-le-Chastel en Forest j mais il ne fait connoître
aucune particularité de sa vie.
André Ducros a laissé un Discours, en vers héroï-
ques, sur les misères de ce temps , dédié à madame de
Saint-Geniés , dame d honneur de la reine Jeanne de
Navarre. Ce discours fut imprimé d'abord à Bergerac ,
en i569, ^''~4"5 et ensuite à Angoulême et à La Ro-
chelle, par Barthélemi Bertou, la même année. Voici
comment le poète entre en matière :
De quoi sert aux mortels se réduire en mémoire
L'heureux siècle doré, sinon pour se déjjlaire
Doublement, et jeter mille ruisseaux des yeux,
Venant à contempler ce siècle injurieux.
Ducros avoit aussi composé , dit Duverdier, le Tom-
beau de nilustre Louis de Bourbon , prince de Condé,
contenant environ mille vers. Cetouvraofe étoit encore
manuscrit entre les mains de la veuve de notre poète,
lorsque Duverdier écrivoit sa Bibliothèque; il n'a pro-
bablement jamais été imprimé. Nous avons encore
d'André Ducros plusieurs sonnets et autres composi-
tions, tant latines que françoises.
ANDRÉ DUCROS. 19]
SONNET.
A CjVTHEUINE DK I-A SELLE, DAME DE CHASSINCOURT.
L'homme naist avec pleurs, présage véritable
De ce tyran malheur qui sa vie poursuit.
Le tourment pas à pas sa nourriture suit,
Ensemble devient grand, ensemble misérable.
Ennuy perpétuel tout son plaisir accable :
Pour éviter le mal , il a mal jour et nuict.
Angoisse est près de lui, lorsque plus il la fuit :
Son discours, son dessein n'est sinon qu'une fable.
Un heur dissimulé, pipeur de sa raison,
Le fait rire aujourd'hui joyeux en sa maison.
Demain la triste mort aux vers le baille en prose.
Rien n'est, dessous la lune, éternel, ne constant:
Le sage donc, La Selle, en ce monde n'attent
(Mais seulement là haut) contentement, ne joye.
192 ANDRÉ DUCROS.
SONNET.
J'ai plusieurs fois résolu de chasser
De mon esprit un objet où il vise :
J'ay prudemment fait souvent entreprise
Pour de ses lacs me pouvoir deslacer;
Mais comme un pied je cuide conunencer
A tirer hors, pour le mettre en franchise,
L'autre serré , en plus estroite prise
S'empestre alors qu'il le sent avancer.
Ainsi celuy qui , au gué d'un grand fleuve ,
Tourne à costé quand profond il le treuve,
Guidant sortir, se plonge plus avant :
Ainsi voulant sortir du marescage.
Le fort cheval d'un pié se va levant.
Mais plus alors des autres il s'engage.
GABRIEL LE BRETON. igS
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GABRIEL LE BRETON.
Gabriel i.e Rretox, ou, suivant Lacroix du Maine,
Guillaume Le Breton, Nivernois, seigneur de La Fon ,
avocat au Parlement de Paris, avoit composé , dans sa
jeunesse, im Livre d'élégies, de sonnets, etc., qui
pour la plupart ont été perdus. François d'Amboise,
son ami , publia quelques unes de ces pièces à la suite
de \ Adonis, tragédie allégorique de Le Breton,- où la
mort de Charles ix est représentée par celle d'Adonis.
Cette tragédie fut imprimée en 1079 (Paris, ///-la,
Abel l'Angelier); il en existe un grand nombre d édi-
tions, dont on peut voir les dates dans Beauchamps
( Recherches sur les théâtres , second âge du théâtre Jran-
c'o/'.ç); elle est suivie d'un poëme qui a pour titre
r Amour mercenaire.
Le Breton avoit écrit plusieurs autres ouvrages,
parmi lesquels étoient trois tragédies, Didon, Doro-
thée et Tobie ; le Ramoneur, comédie; un Paradoxe
que les dames doivent marcher le sein découvert, etc. ,■
mais aucune de ces productions , dont les titres seuls
ont été conservés par Lacroix du Maine et Duverdier,
n'étoit imprimée en 1 584 5 époque à laquelle Le Breton
vivoit encore.
iH
T94 GABRIEL LE BRETON.
FRAGMENT DU HT ACTE D'ADONIS.
Gomme souventesfois un navire étraneer
Sur les flots adrians vole prompt et léger,
Le ciel mesme se rit, la mer est toute calme;
De ses travaux passés il emporte la palme,
Eole ne se montre à ses vœux discordant ,
Les Tritons sont pour lui, Neptune et Son trident
Et tous astres bénins lui semblent faire escorte :
Tandis en un clin-d'œil vient la tempeste forte.
Mêlée de frimats, de feux et de glaçons,
Qui perd le marinier en diverses façons :
Elle ravit aux yeux le jour et les étoiles ;
Elle casse la hune, elle brise les voiles;
Le navire en morceaux vogue de toutes parts,
Adonques les nochers, hideusement épars.
Ou morts, ou demi morts, blanchissent sur l'arène:
Tel est l'état douteux de cette vie humaine.
Qui vient et s'en rêva comme un flot agité.
Nul ne se doit fier à la félicité
S'il voit qu'à bonne fin ses affaires procèdent :
Car misère et plaisir l'un à l'autre succèdent.
Le mal est plus certain , et ne faut qu'un moment
Pour changer nos plaisirs en pénible tourment.
Ores que tous les dieux se fassent recognoistre
Propices envers nous, qui s'oseroit promettre
Un demain asseuré ? mesme souvent la nuict
Après le jour heureux dommageable nous suit.
GABRIEL LE BRETON. igS
FRAGMENT DU V^ ACTE DE LA MEME TRAGÉDIE.
EsTRANGE et dure loy que les hommes descendent
Si tost dans le sépulchre et leur âge despendent.
Sans espoir de retour, ô funèbre destin!
On couppe tous les ans les mauves et le thin :
Les mauves et le thin leur verdure reprennent;
Mais les hommes s'en vont, et jamais ne reviennent.
196 JACQUES GREVIN.
««c«««£«36 3&S9&^«ftc^««w9«C<v?ôf-»«^««S-«?«^^-»«'»^f^Afi^?^S^8*Sd«S9â»v#9«^'^
JACQUES GREVIN.
Jacques Grevin naquit à Clermont en Beuuvaisis
vers l'an i 54o. On lit dans une de ses odes qu'ayant
perdu son père fort jeune, il fut élevé par l'un de ses
oncles , Pierre de Prônes. Il fit ses humanités sous le
célèbre Muret, et se distingua de bonne heure par
son talent pour la poésie.
il n'avoit pas plus de dix-sept ans lorsqu'on repré-
senta au collège de Beauvais, en i558, sa comédie
de la 'l'hrésoriere , et l'on voit dans l'avis au lecteur,
qui précède cette pièce , qu'il en avoit composé une
autre intitulée In Maubertine , qu'il n'avoit point pu-
bliée , dit-il, parce qu'on la lui avoit desrohée.
Il fit paroître en i56o sa tragédie de César, en cinq
actes et en vers, qu'on lui reprocha d'avoir prise en
partie d'une pièce latine de Muret ; mais les deux ou-
vrages ayant été confi^ontés, Grevin sortit victorieux
de cette accusation. Ce fut encore en i56o, et au
même collège de Beauvais , qu'on joua sa comédie des
Esbaliis , dans laquelle figure un certain monsieur Josse,
marchand , qui , peut-être , est la souche de cette fa-
mille de Josse , si connue dans l'orfévi'erie depuis
Molière.
Ces trois productions dramatiques lui acquirent
une brillante réputation. 11 effaçoit incontestablement
tous ceux qui l'avoient devancé dans la carrière ; et ,
ce qui ajoutoit encore à son mérite, il les effaçoit à
JACQUES GREVIN. 197
un âge où Ton ne peut guère compter sur des triomphes.
Aussi, aux applaudissements qui lui lurent prodigués,
se joignirent les témoignages les plus flatteurs de la
part des poètes de son temps. Il y a sans doute beau-
coup d'exagération dans les éloges qui lui furent
alors prodigués; mais il faut convenir cependant que
les comédies de Grevin ne manquent pas d'une cer-
taine grâce dans le style; qu'on y trouve de la gaîté,
de la naïveté ; que ses plans sont assez bien conçus et
assez bien exécutés, et que la versification en est cou-
lante et facile.
Au sortir du collège, où il s'étoit signalé par de si
éclatants succès, Grevin se livra à l'étude de la mé-
decine , et se fit recevoir docteur à la Faculté de Paris.
C'est à cette époque , ou peu de temps après, qu'éper-
dument amoureux de la fille d'un médecin, nommée
Nicole Etienne , il composa pour elle un grand nombre
de poésies qu'il publia sous le titre ^Olympe et de Jeux
Olympiens; mais cette jeune personne s'étant mariée,
Grevin suivit son exemple.
Grevin accompagna à Turin Marguerite de France ,
femme d'Fmmanuel-Philibert , duc de Savoie. Notre
poète resta au service de cette princesse en qualité
de médecin et de conseiller, jusqu'à sa mort, arrivée
le 5 novembre iSjo. Marguerite lui fit faire de ma-
gnifiques funérailles, et devint la protectrice de sa
A^euve et de sa fille , qu'elle honora de ses bienfaits.
Grevin avoit fait paroître, en i558, un Hymne sur
le jnariage de François , daupJdn de France , et de
Marie Stuart, reine d^Ecossc ; les regrets de Charles
d'Autriche^ empereur ^ cinquième du 7iom, ensemble la
description du Beauvaisis, aifec quelques autres œuvres.
198 JACQUES GREVIN.
Ces poëmes, dans lesquels il ne s'est pas astreint à
observer ralternatlvo des rimes de différents genres,
ne sont pas dénués d'agrément.
On attribue à Grevin un ouvrage intitulé Pocsnie sur
l'histoire des François et hommes vertueux dans la mai-
son des Médicis, imprimé en iSÔy. lia encore laissé les
Emblèmes d Adrian, dit Junius , mises en vers françois ,
(iSôt); les (Œuvres de Nicandre , médecin et poète
grec, traduites en vers (même année) , etc. , etc. Enfin ,
une traduction des Préceptes de Plutarque, de la ma-
nière de se gouverner en mariage.
Les poésies de Jacques Grevin eurent tant de succès ,
quelles furent traduites, les imes en grec et les autres
en latin , par Dorât, Florent Chrestien , etc. Nous avons
pensé qu'il seroit aussi instructif qu'agréable aux lec-
teurs et aux amateurs de l'art dramatique de leur offrir
l'une des premières comédies de notre théâtre; c'est
ce qui nous a déterminé à imprimer en son entier la
comédie de la Trésoriere.
JACQUES GREVm. 199
TRAGÉDIE DE CÉSAR.
ACTE V.
MARC BRUTE , CASSIUS , DECIME BRUTE , MARC ANTOINE ,
SOLDATS.
MARC BRUTE.
Le tyran est tué, la liberté remise,
Et Rome a regaigné sa première franchise.
Ce tyran, ce César, ennemi du sénat.
Oppresseur du pays , qui de son consulat
Avoit fait héritage , et de la republique
Une commune vente en sa seule pratique;
Ce bourreau dinnocens, ruine de nos loix,
La terreur des Romains, et le poison des droicts,
Ambitieux d'honneur, qui, monstrant son envie,
S'estoit fait appeler père de la patrie.
Et consul à jamais, à jamais dictateur.
Et pour comble de tout , du surnom d'empereur.
Il est mort ce meschant , qui , décelant sa rage ,
Se feit impudemment eslever une image
Entre les rois ; aussi il a eu le loyer
Par une mesme main qu'eut Tarquin le dernier.
Respire donc à l'aise , ô liberté romaine !
Respire librement sans la crainte inhumaine
D'un tyran convoiteux. Voyla , voyla la main
Dont ore est affranchi tout le peuple romain.
CASSIUS.
Citoyens, voyez cy ceste dague sanglante ,
200 JACQUES GREVIN.
C'est elle, citoyens, c'est elle qui se vante
Avoir faict son devoir , puisqu'elle a massacré
Celuy qui mesprisoit 1 aruspice sacré ,
Se vantant qu'il pou voit, malgré tous les plus sages.
Changer à son vouloir les asseurez présages.
Nous avons accompli, massacrant ce félon.
Ce que le grand Hercule accomplit au lyon ,
Au sanglier d'Erymante , et en l'hydre obstinée ,
Monstre sept fois testu, et vangeahce ordonnée
Par Junon sa marastre. Allez donc, citoyens.
Reprendre maintenant tous nos droicts anciens.
DECIME BRUTE.
Puissent pour tout jamais ainsi perdre la vie
Ceux qui trop convoiteux couveront une envie
Pareille à celle là : puissent pour tout jamais
Perdre d'un pareil coup leur gloire et leurs beaux faicts.
a Ainsi, ainsi mourront, non de mort naturelle,
(( Ceux qui voudront bastir leur puissance nouvelle
« Dessus la liberté ; car ainsi les tyrans
« Finent le plus souvent le dessein de leurs ans. »
c Ass lus.
Allons au Capitole, allons en diligence.
Et premiers en prenons l'entière jouissance.
MARC ANTOINE.
J'invoqvie des Fureurs la plus grande fureur.
J'invoque le Chaos de l'éternelle horreur ,
J'invoque l'Acheron , le Styx et le Cochyte ;
Et si quelque aultre dieu sous les enfers habite ,
Juste vangeur des maux, je les invoque tous,
JACQUES GREVm. 201
Homicides cruels, pour se vanger de nous.
Hé, traistres ! est-ce donc laniitic ordonnée
De desrober la vie à qui vous l'a donnée ?
Avez vous sceu si bien espier la saison
Pour mettre en son effect la feincte trahison
Conceue des long temps dedans vostre poictrine.
Seule qui nous enfante une orgueilleuse Erynneî
J'atteste icy le ciel , seul juste balanceur
De tout nostre fortune , et libéral donneur
Des victoires, des biens, de l'heur et de la vie.
Qu'ainsi ne demourra ceste faulte impunie ,
Tant qu'Antoine sera non moins juste que fort.
Et vous, braves soldats , voyez, voyez quel tort
On vous a faict, voyez ceste robbe sanglante.
C'est celle de César qu'ores je vous présente :
C'est celle de César, magnanime empereur,
Vray guerrier entre tous , César qui d'un grand cueur
S'acquit avecque nous l'entière jouissance
Du monde : maintenant a perdu sa puissance ,
Et gist mort estendu , massacré pauvrement
Par l'homicide Brute.
LEPREMIERSOLDAT. *
Armons nous sur ce traistre ,
Armes, armes, soldats , mourons pour nostre maistre;
Si jamais nous avons croisez les ennemis
Aux froissis des harnois, si nous nous sommes mis
Quelquefois au danger d'une trenchante espee.
Lors que nous poursuyvions la route de Pompée,
C'est maintenant, soldats, qu'il nous fault bazarder,
Yoire plus promptemcnt que n'est le commander.
2oa JACQUES GREVIN.
MARC ANTOINE.
Sus doncques , suyvez moy, et donnez tesmoignage
De vostre naturel et de vostre courage
Pour César , ne craignans de tomber au danger
De vostre propre mort pour la sienne vanger.
Moy, je vay remonstrer à ce peuple de Romme
Quels malheurs nous promet la perte d'un tel homme,
Si elle n'est vangee ainsi qu'il appartient.
LE PREMIER SOLDAT.
Voyez vous bien ,. soldats, encor' il me souvient
De nos propos tenus , qui comme un seur présage
Et certain messager d'un évident naufrage .
Nous ont predict au vray l'homicide commis.
De long temps machiné par ses propres amis ,
Aumoins qu'il pensoit siens.
LE SECOND SOLDAT.
« Geste mort est fatale
ce Aux nouveaux inventeurs de puissance royale. »
LA TRESORIÈRE,
COMÉDIE EN CINQ ACTES.
Ceste comédie fut faicte pai' le commandement du roy
Henri ii , pour servir aux nopees de madame Claude , du-
chesse de Lorraine , mais pour quelques empescliements
différée , et depuis mise en jeu à Paris , au collège de Beau-
vais , après la satyre qu'on appelle communeement les
Féaux, le 5 de février m. d. lviii.
JACQUES GREVm. 20 5
AU LECTEUR.
La liberté des poètes comiques a tousjours esté telle ,
que souventesfois ils ont usé de mots assez grossiers, do
sentences et manières de parler rejectées de la boutique
des mieux disans, ou de ceux qui pensent mieux dire ^ ce
que par aventure Von pourra trouver, lisant mes Comé-
dies. Mais pourtant il ne sefault renjrongner, car il nest
pas icj question de farder la langue dhin tnercadant ,
d'un serviteur ou d'une chambrière , et moins orner le
langage du vulgaire, lequel a plustost dict un mot que
pensé. Seulement le comique se propose de représenter la
vérité et naïveté de sa langue, comme les mœurs, les
conditions et les estât s de ceux quil met enjeu, sans
toutesf ois faire tort a sa pureté, laquelle est plustost entre
le vulgaire (Je dy si Von change quelques mots qui res-
sentent leur terroir) qu^ entre ces courtizans , qui pensent
avoir faict un beau coup quand ils ont arrache la peau
de quelque mot latin , pour déguiser lefrançois , qui n'ha
aucune grâce , disent-ils , s'il ne donne a songer aux
femmes, comme s'ils prenojent plaisir de n'estre point
entendus. Tu ne trouveras donc estrange , Lecteur, si en
ces Comédies tu ne trouves un langage recherché curieu-
sement, et enrichi des plumes d'autruj : car je ne suis
point de ceux qui font parler un cuisinier des choses cé-
lestes et descriptions des temps et des saisons : ou bien
une simple chambrière fançoise des amours de Jupiter
avec Leda, et des vaillantises d'Alexandre le Grand. J<.'
2o6 JACQUES GREYIN.
îne contente seulement de donner aux François la Comé-
die en telle pureté qu anciennement Pont baillée Aristo-
phane aux Grecs y Plaute et Térence aux Romains. Ce
que je me suis proposé tousjours en escrimant ce poëme ,
ainsi qu'ont peu appercevoir ceux qui ont vu la Mauber-
tine y première Comédie que je mis en jeu , et que j' avoje
bien délibéré te donner, si elle ne m'eust esté desrobéc.
Toutesjbis celles cy pourront siijjire pour monstrer le
chemin a ceux qui viendront après nous. Tu peux donc
maintenant, ami Lecteur, adverti de ce poinct , te mettre
a lire ce poème ; et si tu troui^es quelque chose qui ne soit
a ton goust , soUi>ienne toy que ce nest chose estrange, si
ceux qui vont les premiers en un désert et pajs incogneu
se fours>OYent souventesfois de leur chemin.
JACQUES GRE VIN. 20'
!■»«*»*«• i«9*v*»»««,a^^,i^ »^ 5^ j
AYANT-JEU.
Non, ce n'est pas de nous qu'il fault,
Pour accomplir cest eschaffault,
Attendre les farces prisées
Qu'on a tousjours moralisees :
Car ce n'est nostre intention
De mesler la religion
Dans le subject des choses feinctes.
Aussi jamais les lettres sainctes
Ne furent données de Dieu ,
Pour en faire après quelque jeu.
Et puis tout' ces farces badines
Me semblent estre trop indignes
Pour estre mises au devant
Des yeux d'un homme plus scavant.
Celuy donc qui vouldra complaire
Tant seulement au populaire ,
Celuy choisira les erreurs
Des plus ignorans basteleurs :
Il introduira la nature,
Le genre-humain, l'agriculture,
Un tout, un rien et un chascun.
Le faux-parler , le bruict-commun .
Et telles choses qu'ignorance
Jadis mesla parmi la France.
208 JA.CQUES GREVIN.
Que pourrons nous donc inventer
A fin de chascun contenter ?
Quoy ! le badinage inutile
Par qui quelquefois Martin-Ville
Se feit escôuter de son temps ?
Quoy! demandez vous ces romans
Jouer d'une aussi sotte grâce ,
Que sotte est ceste populace
De qui tous seuls ils sont prisez?
Vous estes bien mieux avisez,
Comme je croy : vostre présence
Mérite avoir la jouissance
D'un discours qui soit mieux limé.
Aussi avons-nous estimé
Que la gentille poésie
Veult une matière choisie ,
Diane d'estre mise aux escrits
De ceux qui ont meilleurs esprits :
Et non pour estre ainsi souillée,
Ou en mille pars détaillée
Par ceux qui encor' ne l'ont pas
Saluée du premier pas :
Et qui pensent, malgré Minerve,
La retenir ainsi que serve,
Ou dans l'escole la lier
Ainsi qu'un petit escolier.
Non , non , ce n'est pas sa nature
Qu'elle s'en voise à Tavanture
Vers celuy qui la veult avoir.
Il fault premièrement sçavoir
JACQUES GREVIN. aog
Petit-à-petit sa pensée:
Car ell' ne veuit estre forcée,
Ny traictee, comme souvent
Nous l'avons veue au paravant
Au joug d'une plume marastre.
N'attendez donc en ce théâtre
Ne farce ne moralité :
Mais seulement l'antiquité ,
Qui d'une face plus hardie
Se représente en comédie:
Car onc je ne pourroy penser
Qu'aucun se voulust courroucer
Encontre nous, si pour mieux faire
Nous voulons aux doctes complaire.
Or sçachez qu'en tout ce discours
Nous représentons les amours
Et la linesse coustumiere
D'une gentille tresoriere.
Dont le mestier est descouvert
Non loing de la place Maubert.
Vray est que le protenotaire.
Principal de tout' ceste affaire ,
Est de nostre université.
Mais j'ay un peu trop arresté ;
Il vault mieux avec le silence
Vous en donner la jouissance.
j4
ENTREPARLEURS.
LOYS, gentilhomme.
RICHARD, serviteur.
LE TRESORIER.
MARIE, fille de chambre de la Tresoriere.
LE PROTENOTAIRE.
BOjVIFACE, serviteur.
CONSTANTE, tresoriere.
SL'LPICE, marchand.
THOMAS, serviteur.
JACQUES GREVIN. 21 r
LA TRÉSORIÈRE,
COMÉDIE.
ACTE PREMIER.
SCENE I.
LOYS, RICHARD.
LO YS.
Eh bien , Richard , quelle nouvelle
Apportes-tu de ma cruelle?
VeuU-el!e doncque estre tousjours
Ainsi paoureuse en ses amours ?
RICHARD.
Monsieur, je croy que la pauvrette
Sans aucun repos vous souliaitte
Entre ses bras , voulez vous mieux ?
LO YS.
Je pense, moy, que tous les dieux
Prennent plaisir en mon martire :
Incessamment mon mal empire,
Sans toutesfois avoir cest heur
D'appaiser mon amour vainqueur.
RICHARD.
Non, non , monsieur, j'av espérance
Que vous en aurez jouissance
2 12 JACQUES GRE VIN.
En peu de temps : laissez moy faire ;
C'est mon office, dont j'espère
En faire si bien mon devoir.
LO YS.
Ouy; mais tousjours le vain espoir
Trompe ma trop grande constance
Au milieu de mon impuissance.
RICHARD.
Vrayment une telle beauté
A bien un amant mérité :
Et d'autant qu'estes languissant ,
D'autant quand serez jouissant
Le plaisir sera désirable.
LOYS.
Mais tousjours pauvre misérable
Le jour je me mourray cent fois
Pour son amour , et toutesfois
Desja je prevoy que l'yssue
Sera de quelque maigre veue.
Cela ne vient point que ma race
Ne fust digne d'avoir la grâce
D'une dame de plus bault lieu :
C'est, c'est bien plustost quelque dieu
Qui me cacboit dedans son sein
L'impuissance de mon dessein.
RICHARD.
Monsieur, je me tiendrois beureux
De mourir estant amoureux
D'une si parfaicte beauté.
JACQUES GREVIN. 21
LOYS.
Richarxl, Richard, la cruauté
De cest Archerot qui me domte
Selon son fier désir, surmonte
L'extrême douleur de la mort.
RICHARD,
Nous sommes en cela d'accord :
Mais à ceste longue espérance
Opposez vostre jouissance.
liO YS.
Encore, Richard, je t'asseure
Que tout le malheur que j'endure
N'est rien , si tu peux faire tant
Qu'en la parfin je sois content
RICHARD.
Ce n'est pas moy qu'il fault prier.
Il ne tient qu'à ce trésorier.
LOYS.
Le mari est-il adverti ?
RICHARD.
Non , non ; mais il n'est pas parti
Ainsi qu'elle pensoit.
LO YS.
Comment ?
RICHARD.
Pour s'en aller faire un payement
En Languedoc. Luy deslogé ,
Vostre malheur sera chansé
En un perdurable plaisir :
Car alors vous aurez loisir
2i4 JACQUES GREVm.
De recouvrer le temps perdu.
Si avez long temps attendu,
Reprenez hardiment courage.
LO YS.
Ha ! Richard , pourquoy d'avantage
As-tu celé mon doux repos?
RICHARD.
Il ne venoit pas à propos : .
Encore vostre joye augmente
De plus en plus par ceste attente.
Et si je m'en rapporte à vous ,
Si vous ne trouvez pas plus doux
Le plaisir, par le tardement,
Que n'eussiez au commencement.
T. G Y s.
Vrayment, Richard, pour ton devoir,
Tu mérites de recevoir
D'un plus grand seigneur le loyer.
RICHARD.
Monsieur, il ne fault qu'employer
Richard , quand il est question
De conduire une faction :
« Aussi le serviteur doit faire,
« Pour à son hon maistre complaire ,
« Le devoir comme il appartient
a Jusques à la mort , s'il convient
a L'endurer pour l'amour de luy. »
LO YS.
Mais dy, Richard, est-ce aujourdhuy
Que nostre trésorier se part ?
JACQUES GREVIN. 2l5
RICHARD.
Penseriez-vous bien que Richard
Vous le dist s'il n'estoit ainsi?
Vie , mettez moy tout souci
Sous le pied.
LO YS.
Mais ce trésorier
Me doit encore mon quartier.
Il fault que tu sois diligent
De recouvrer tout cest argent
Avant qu'il parte : et , qui plus est ,
Je luy payray son interest,
S'il veult faire du rigoureux ;
Car à ces braves glorieux
Il fault quitter une moitié
Pour avoir l'autre.
RICHARD.
L'amitié
Vault bien cela, c'est pour l'usagç
De son ennuyeux coquage.
LOYS.
Va-t'en vers luy , voyla quittance :
Que s'il veult faire quelque avance,
Promets luy le vin hardiment.
RICHARD.
Je m'y en vay.
li O YS.
Pareillement
Fay les recommandations
De mes journelles passions ,
PI 6 JACQUES GRF.VIN,
A ma damoiselle et maistresse:
Que si de ma longue destresse
Elle ha quelque eonipassion ,
Qu'eir me donne assignation
• Pour par un doux contentement
Mellrc la (in à mou tonnent.
RICHARD.
Mon maistre ha hien ce qu'il luy fault,
Encore qu'il ait le cueur hault ,
Et qu'il ne veuille estre domté,
Si est-ce qu'il est surmonte
Par une femme aussi couunune
Que les divers cours de la lune.
Elle peull tant envers mon maistre,
Que par babil ell' l'a faicl estre
Un parangon de pauvreté :
Et sous l'ombre d'une beauté ,
Qu'elle vend plus cher (ju'au marclié,
Elle luy a ja arraché
Les biens, l'honneur et les amis:
C'est une mer , où il a mis
Mille trésors qu'elle dévore ,
Sans les regorger ; et encore
Qu'U luv donne tant qu'il vouldra,
De rien plus il n'en adviendra
A mon maistre qu'elle déçoit ,
Ny à elle (jui le reçoit.
Et ce pendant, mille langueurs.
Et milles amoureaux vain(|ueurs
Tormentans son cucur attizé.
JACQUES GREVIN. 217
Je pensoy qu'il fiist jilus ruzé , j
Veu qu'il a tant hanté les armes ,
Les couriizans et les gensdarmes : j
Mais les plus fins y sont trompez , |
Et les plus légers attrapez,
Tant seulement sous Tapparance
D'une légère jouissance, 1
Encore si pour sa beauté '
Elle valoit le decroté ,
Je dirois : Mais quoy! seulement
La façon de l'habillement
Vault autant que la bague entière.
Et bien , c'est une tresoriere ,
Laquelle par son doux parler
Sçait bien un homme emmieler.
Mais, par ma foy, j'estime autant ,
Ma Marion, et suis content j
Encore plus de mes amours j
Que non pas luy de son velours , \
Sans qu'il me la faille prier.
Mais n'est-ce pas mon trésorier
Que je voy venir droict à moy ? l
SCENE IL
LE TRESORIER, RICHARD.
LE TRESORIER.
Puisque c'est l'affaire du roy,
Je ne diffère m'absenter,
Afin d'un chascun contenter :
Le gain recompense le mal.
2l8 JACQUES GREVIN.
Qu'on face seller mon cheval.
RICHARD.
Tant mieux, il est prest de partir,
La dame pourra départir
La jouissance de son corps.
Puisque monsieur s'en va dehors.
L,F. TRESORIER.
Encor' ay-je quelque douleur
De laisser ma femme en sa fleur :
Car, las ! ceste tendre jeunesse
Ne pourra porter la destresse
De mon absence; et puis ces gens
Qui sont soigneux et diligens
A tromper une créature ,
Qui sera simple de nature.
Vray, que je tien tant de ma femme,
Qu'avant me foire un cas infâme
Plustost endureroit la mort.
RICHARD.
Helas ! jamais ne luv feit tort ,
Elle est de bonne parenté.
TE TRESORIER.
Pensez qu'un homme est tormenté,
Depuis qu il luy convient souvent
Aller à la pluye et au vent ,
Délaissant avec le mesnage
La femme en la fleur de son aage.
RICHARD.
Le cueur luy fault, la conscience
Luy fait cognoistre son offense.
JACQUES GREVIN. 2T9
L,E TRESORIER.
Il ne m'est rien plus aggreable
Qu'avec ma femme désirable
Jouir du bien que Dieu me donne.
Mais qnoy ! la practique en est bonne :
Car je pourray, si je suis sage,
Practiquer en ce mien voyage
Trois mille francs en peu de jours.
RICHARD.
Ce pendant comment les amours
Se demerront, la damoiselle
Ne sera du tout si rebelle
Qu'auparavant ; car le loisir
Luy fera mille fois choisir
Le bon moyen , l'heur et le temps
Pour rendre ses amis contens,
Tant le courtizan que son page.
Mais il fault faire mon message,
Craignant qu'en quelque coing de rue
Je ne le perde de la veiie:
Puis je pourrois venir trop tard.
Dieu gard monsieur.
LE TRESORIER.
Eh bien , Richard ,
Comment va du seigneur Loys?
RICHARD.
Il a tousjours dix mille ennuys
Qui le tormentent, pour autant
Qu'il n'ha pas son argent contant ,
Et si ne voit qui en apporte.
2'20 JACQUES GREVIN.
Et qui pis est, jamais sa porte
N'est sans un marchand ennuyeux,
Qui, se présentant à ses yeux,
Le menace pour son argent
De luy envoyer un sergent.
LE TRESORIER.
Ricliard , par Dieu! c'est comme moy.
Car maintenant je ne reroy
A. peine rien de mon office.
Encore pour faire service
Al quelques uns , tousjours j'avance ,
Et si, ma foy, la recompense
Que j'en reçoy, n'est comme rien.
RICHARD.
Vertu-bieu! je vous enten bien,
r^e payment n'est encore prest ,
Nous demandons un intcrest ,
Voyla comment vous estes doux.
Je suis venu par devers vous
Pour entendre tant seulement
Si mon maistre aura le paymcnl
De son quartier que luy devez.
LE TRESORIER.
Vous estes fort mal arrivez
Vous venez après la bataille :
Je ne scache pas une maille.
RICHARD.
Comment, monsieur? et ce pendant
Mon maistre sera attendant
Vostrc retour ?
JACQUES GREVIN. 221
I,E TRESORIER.
Il le fault bien.
RICHARD.
Mais, monsieur, pensez-vous combien
Ce luy est chose insupportable
D'estre si long temps redevable
A un tas de gens importuns?
LE TRESORIER.
Vrayment , Richard , je scay aucuns
Qui m'ont voulu donner le quart
De leur payment.
RICHARD.
Ma foy , Richard ,
N'ha point telle commission ;
Pour donner une portion
De l'argent , il le fera bien.
LE TRESORIER.
c'est bien parlé : viença, combien
Veult-il donner pour l'interest ,
S'il trouve son argent tout prest?
Quant est de moy, je ne 1 ay pas :
Mais il n'y a que quatre pas
Jusqu'au logis d'un mien ami.
RICHARD.
Le Trésorier n'est endoi mi ,
Se voyant en main la fortune
De pouvoir gaigner la pecune.
LE TRESORIER.
Que dis-tu, Richard ?
'222 JACQUES GREVm.
RICHARD.
Je songeois
En comptant cy dessus mes doits,
Combien il voudroit bien donner.
LE TRESORIER.
Je ne pourroy plus séjourner.
RICHARD.
De trois cens livres vingt escus.
LE TRESORIER.
Ha, vrayment il mérite plus.
Vûudroit-il bien en donner trente ?
RICHARD.
Pour vingt et cinq, qu'il se contente
Je vous feray recompenser,
Si voulez encor' avancer.
LE TRESORIER.
Je le veux à mesme profit :
Aussi je voudroy qu'il me leit
Quittance des paymens entiers
Qu'il recevra des deux quartiers.
RICHARD.
Vous les aurez.
LE TRESORIER.
Mais il ne fault
Aussi m'en faire aucun default ,
Car je veux partir dans une lieure :
Parquov soyez en mon demeure
Incontinent.
RICHARD.
C'est bien assez.
JACQUES GREVIN.
Jamais ils ne seront lassez
De prendre argent de toutes pars :
Il n'est pas des pauvres souldars
Desquels ces braves trésoriers
N'attirent tousjours des deniers ;
Mais au besoing il se fault taire.
SCENE III.
MARIE, RICHARD.
MARIE.
Dieu , monsieur le Protenotaire ,
Est négligent en ses amours.
J'ay veu le temps que tous les jours
Il passoit devant la mai-^on
Cinquante fois; mais la saison,
Comme je croy, luy est venue,
Qu'il ne va plus parmi la rue:
Pensez qu'il est devenu sage.
RICHARD.
Si je joue mon personnage ,
Je sçauray d'elle tout' l'affaire
De ce jeune Protenotaire.
MARIE.
(( Nous fuyons tousjours nostre bien ,
« Jamais, jamais à un bon cbien
« Ne tombera quelque bon os : »
Apres qu'ils ont tourné le dos,
Ils font leurs meilleures risées
De celles qu'ils ont abusées.
224 JACQUES GREVIN.
RICHARD.
Les plus rusez y sont donc pris.
MARIE.
Quant ils ont l'amour entrepris
De quelque dame , à Dieu comment
S'ils en ont eu contentement.
RICHARD.
Autant ailleurs, c'est ma devise.
3IARIE.
Voyla madamoiselle esprise
De l'amour d'un jeune escolier,
Qui n'a le soûl pour employer ,
Et veult estre aimé à crédit.
RICHARD.
Ne l'avois-je donc pas bien dlct?
MARIE.
Le seigneur Loys ce pendant
Est à son amour prétendant,
Sans toutesfois avoir cest heur
D'appaiser sa trop grande ardeur,
Si n'est de quelque vaine course :
Luy qui ha plus d'escus en bourse
Que l'autre n'ba pas de deniers.
« Mais voyla comment les derniers
«Seront tousjours favorisez,
« Et les plus fermes desprisez. »
r. I C H A R D.
J'enten le neud de la matière ,
Il se fault garder du derrière.
JACQUES GREVIN. 22:
MARIE.
Voyci, Richard, le serviteur
Du seigneur Loys; j'ay grand peur
Qu'il n'ait entendu ce qu'ay dict;
Au pis, j'en ferny contredict :
Mon Dieu , Richard , venez avant.
RICHARD.
Que faites vous icy devant ?
MARIE.
Rien ; sinon que ma ('amoiselle
Veult parler à vous.
RICHARD.
Que veult-elle ?
MA RIE.
Quant à moy, je ne le sçay pas;
Elle est ja descendue en bas.
V.
15
ii6 JACQUES GREVIN.
ACTE SECOND.
SCENE I.
LE PROTENOTAIRE, BONI FA CE.
LE PROTEÎNOTAIUE.
He ! BoQiface, mon ami ,
Je suis desja mort à demi ,
Tant ce petit dieu me tormente.
Ha , ma trop cruelle Constante !
La grand' constance de ton sort ,
Seule me causera la mort.
BONIF ACE.
Comment cela, monsieur? vous ay-je
Si long temps servi au collège ,
Pour maintenant vous défier
De vostre serviteur, premier
Qui en a mis les fers au feu ?
LE PROTENOTAIRE.
Helas , Boniface ! pour Dieu ,
Si jamais la fidélité
De ton devoir m'a incité
A recompenser ton service
Comme je doy de mon office ;
C'est ores qu'il te fault prévoir
Au mal instant du desespoir,
Et monstrer ton invention.
JACQUES GREVIN. il']
BONIFACE.
Je sçay bien qu'il n'est question
Que d'argent dont avez default :
« Car le temps est venu qu'il fault
« Tousjours avoir argent en banque ,
« Qui veult que la dame ne manque. »
LE PROTENOTAIRE.
Il est vray; car tout mon torment
Vient de cela tant seulement ;
Tu sçais que nous n'avons la croix ,
Encores qu'il y ait trois mois
Avant que recevoir argent,
BONIFACE.
Vous estes par trop diligent
A faire la magnificence,
Depuis qu'avez la jouissance
De quarante ou cinquante escuz.
LE PROTENOTAIRE.
Boniface, je ne suis plus
Enfant comme je sovdois estre.
BONIFACE.
Il fault que vous soyez le maistre
Doresnavant des passions
De voz journelles actions.
LE PROTENOTAIRE.
Je le seray. Mais pense-tu
Combien est grande sa vertu ,
Et combien sa perfection
Peult dompter mon affection ?
aao JACQUES GREVIN.
BONIFACE.
Nous voyons cela tous les jours :
Ce sont voz premières amours.
L,E PROTENOTAIRE.
Ce n'est point cela, Boniface :
Tant seulement sa bonne grâce,
Son doux parler et son maintien :
Sans rien flater, méritent bien
L'amour d'un bien plus grand seigneur.
BONIFACE.
Voyla , vous y avez le cueur :
Non pas vrayment que je desprise,
Disant cela , vostre entreprise :
Mais il ne fault estre si cbaud
En ses affaires.
LE PROTENOTAIRE.
Son cueur hault
Mérite un plus parfaict service.
BONIFACE.
Mais si l'argent du bénéfice
Ne suffît à telle despense?
L,E PROTENOTAIRE.
Il fault aimer en espérance,
Il nous viendra quelque bazard.
BONIFACE.
Ouy bien , mais possible trop tard ,
Il fault prévoir à son affaire.
LE PROTENOTAIRE.
Encore le bien de mon père
Ne manquera point.
JACQUES GREVIN. 29.9
BONIFACE.
Il ne pense
Que nous façions si grand despense.
LEPROTENOTAIRE.
Ha , je veux estre entretenu
Honnestenient du revenu
Qui m'appartient.
BONIFACE.
C'est la raison :
Car vous estes d'une maison
Qui le mérite : mais aussi
Il fault avoir des siens souci.
LE PROTENOTAIRE.
Or , Boniface , il n'est pas heure
De faire plus longue demeure ;
Nous avons mesticr d'autre chose.
BONIFACE.
Je l'enten.
LE PROTENOTAIRE.
Dont je me repose
Du tout sur toy.
BONIFACE.
Je feray tant ,
Que nous aurons argent contant.
LE PROTENOTAIRE.
J'ayme mieux payer l'interest,
Pourveu que le payment soit prest.
BONIFACE.
Je vous pry', laissez faire à moy.
LE PROTENOTAIRE.
Aussi je m'en attens à toy.
:3o JACQUES GREVIN.
BONIFACE.
Vous le pouvez; allez m'attendre
Dans le palais , j'iray vous prendre
Au repasser.
LE PROTE NOTAIRE.
Le secrétaire
M'y doit trouver pour quelque affaire.
SCENE IL
CONSTANTE, BONIFACE, RICHARD.
CONSTANTE.
Richard , mon amy , dictes luy
Que j'en endure autant d'ennuy
Qu'il m'est possible, et que j'espère,
Mais qu'il soit parti , si bien faire
Qu'il sera content du devoir
Que j'en feray.
BONIFACE.
Il fault sçavoir
Que veult ce doux contentement.
RICHARD,
Vous n'en voulez foy ne serment.
Mais il vous aime de tel cueur,
Que desja sou amour vainqueur
L'a presque mis au desespoir.
CONSTANTE.
Las , Ricbard , il ba tout pouvoir
Sur moy, qui suis sienne, et j'esperc,
S'il me survient en mon affaire ,
Le recognoistre tant «[ue l'ame
JACQUES GREVm. 23i
Me batte au corps.
BONIFACE.
La pauvre femme
Ne se donne qu'à ses amis :
J'enten bien tout , elle a commis
Quelque petite portion
De l'amoureuse affection
Sur la bource tVun amoureux.
RICHARD.
Ma damoiselle , il est heureux
De ce qu'il vous plaist demander
La chose qu'il peult accorder.
CONSTANTE.
Eh bien, Richard, vous luy direz
Que je suis sienne, et le prirez
De ce dont je vous ay parlé.
BONIFACE.
Voyla le pacquet emmalé ;
Mon maistre peult bien dire à Dieu.
RICHARD.
Je ne puis plus estre en ce lieu ,
Je vay quérir l'autre quictance.
BONIFACE.
Si est-ce que j'ay espérance
D'émoucher quelque argent de vous.
CONSTANTE.
Hault, Boniface , un peu plus doux;
Quelqu'un vous fait-il desplaisir ?
BONIFACE.
Il la fault avoir à loisir.
2 32 JACQUES GREVIN.
Ha, ma damoiselle Constante!
CONSTANTE.
Quel est reuniiv qui vous tormente ?
N'y sçauroit-on bien tost' prévoir?
Il est grand seigneur, qui peult voir
Monseigneur le Protenotaire.
BONIFACE.
Il est empesché d'un affaire
Qui est de bien grand' importance,
En quoy il a bonne espérance
De parvenir à grand honneur.
CONSTANTE.
Eh bien, bien, ce sera monsieur;
Il ne vouldra plus regarder
Ses amis.
BONIFACE.
Tant eir sçait farder
Et emmicler son langage !
CONSTA NTE.
Bon Dieu , que vous estes sauvage
Depuis un peu !
BONIFACE.
c'est que je pense
A une bonne recompense
Qu'on donne pour son bénéfice ,
Si quelcun veult faire un service
De luy prester deux cens escus.
CONSTANTE.
Ne luy en fauldroit-il non plus?
JACQUES GREVIN, 23H
BONIFACE.
Non.
CONSTANTE.
N'ha-il point quelque amitié
Dedans Paris , pour la moytié ?
BONIFACE.
Non, du tout; ouy bien pour cinquante.
CONSTANTE.
Ha , vrayment je suis tres-contente
De luy prester le demourant ,
Du bon cueur, en m'asseurant.
BONIFACE.
Ma damoiselle , le plaisir
Sera selon vostre désir
Honnestement recompensé.
CONSTANTE.
A son vouloir.
BONIFACE.
J'ay avancé
Ma langue , sans son mandement.
CONSTANTE.
Vous le pouvez honnestement :
Car je suis si bien son amie,
Que s'il me demandoit la vie ,
Je luy departirois mon ame.
BONIFACE.
« Tant le bon vouloir d'une dame
« Peult aider l'ami au besoing. »
CONSTANTE.
Boniface , j'ay plus de soing
!34 JACQUES GREVIN.
De ravancemeiit de son bien
Et honneur, que non pas du mien,
Encore que j'en soy reprise :
Mais je suis tellement esprise
De son amour , que j'ay grand peur
Que ce soit mon dernier malheur.
Au pis aller, je suis heureuse
Que ceste estincelle amoureuse
A touché sa perfection.
BONIFACE.
Ce n'est qu'à bonne intention
Ma damoiselle , et le torment
Se finira heureusement.
CONSTA NTE.
Je pry Dieu qu'il vous veuille ouir.
BONIFACE.
Et alors vous pourrez jouir ,
Vous sçavez quoy.
CONSTANTE.
Ha! Boniface.
BONIFACE.
Ma damoiselle , vostre grâce ,
Et vostre parfaicte beauté
Seule vainquit sa liberté :
Car plus il vit en ce martyre ,
Tant plus constamment il aspire
A faire chose qui contente
Le seul désir de sa Constante.
CONSTANTE.
Escoutez ; je vous veux prier,
JACQUES GREVIN. 235
A cause que le Trésorier
S'appreste pour tantost partir,
D'en vouloir monsieur advertir,
Qu'il soit un peu plus diligent :
Et cependant , voyla l'argent ;
Il m'en fera recognoissance
Quand il viendra.
BONIFACE.
J'ay espérance
Qu'avant qu'il soit une bonne heure ,
Il sera dans vostre demeure.
Vive, vive l'invention
Pour bien faire une faction :
H en fault bien faire la croix
En nostre âtre : ils sont tous de poix ,
Je les ay eus tous pour le pris
Que ceste dame les a pris.
Je recognoy bien cestuy-ci ,
Et ce double ducat aussi ,
Un noble , un angelot encor :
C'estoit pour des brasselets d'or
Que monsieur luy donna un jour.
Ce demeurant vient de l'amour
Des bonnes gens de son quartier.
A tous les diables le mestier,
Qui ne nourrit et entretient
Le compaignon qui le maintient,
Et ne fust qu'un peigne de buys. ♦
CONSTANTE.
Au moins si le seigneur Loys
236 JACQUES GREVIN.
Me fait ce bien , dont je le prie,
Ma hource sera bien remplie
De l'argent que j'av debourcé.
SCENE III.
LE TRESORIER, SULPICE, CONSTANTE.
LE TRESORIER.
Croyez qu'un argent avancé
Vault bien cela.
SULPICE.
Si fait vrayment ;
Et je m'esbaby fort comment
Vous faictes si bonneste tour.
LE TRESORIER.
Sire §ulpice, c'est l'amour
Que je luy porte.
SULPICE.
Il le vault bien.
Et puis de ces gens l'entretien
Sert de beaucoup aucuncfois.
Il me souvient (ju'un jour j'estois
En la court pour un mien affaire ,
Seulement un Protenotaire
Auquel j'avois faict du service ,
Feit tout mon cas.
LE TRESORIER.
Sire Sulpicc ,
Comme vous dictes , le maintien
De gens de court est nostrc bien.
Je crains que nos faultes commises
JACQUES GREVIN. '.
A la parfin ne soyent reprises ,
Comme nous voyons la fortune
Estre plus souvent importune
A gens qui sont en tel degré ,
Qui n'ont tousjours le vent à gré :
Il ne faudroit au mal extresme
Que ce bon gentilhomme mesme
Pour bien conduire mon affaire,
S'il m'advenoit quelque misère.
SULPICE.
Vous dictes bien, il fault prévoir
Au mal qui nous peult décevoir.
C'est ainsi qu'il fault disposer ,
C'est ainsi qu'il fault aviser
A un malheur qui se présente
Pour brouiller tousjours nostre attente.
Tant nature nous est cruelle.
Mais n'est-ce pas ma damoiselle
Que je voy venir droict à nous?
CONSTANTE.
Mon Dieu! monsieur, dépeschez vous,
Vous sçavez qu'il est desja tard.
LE TRESORIER.
Je n'atten plus qu'après Richard.
CONSTANTE.
Helas , mon Dieu ! la seule peur
Qu'il ne vous avienne un malheur.
Me le faict dire; tous les champs
Sont remplis de mauvaises gens :
Sur tout gardez vous bien du soir.
..38 JACQUES GREYIN.
SULPICE.
Encor' y faict il l)on prévoir ,
Cela ne \ient que de hou cueiir.
LE TRESORir^R.
Si vous voyez le serviteur
Du seigneur Loys , que Marie
L'amené après nous.
CONSTANTE.
Je vous prie
De tost despecher vostre affaire.
SCENE IV.
MARIE, seule.
L'homme de ce Protenotaire
N'est pas des plus niez du monde :
Quand il est céans il me sonde ,
Et semble bien à l'ouyr dire
Qu'il ait intention de rire
Tout ainsi comme fiiict son maistre ;
Et croy que s'il se scntoit cstre
Si peu que rien favorisé ,
Il seroit bien assez rusé
D'essayer s'il pourroit bien faire
Ce que faict le Protenotaire.
Je n'useray plus de rudesse
En son endroit ; car ma maistresse
Dict qu'il ne fault point refuser
Ce qui ne se peult onc user.
« Aussi est-ce une grand' folie
« Que d'engendrer melancbolie.
JACQUES GRE VIN. 289
« Nous n'aurons pas tousjours le temps
« Pour rendre nos désirs contens. »
Il fault donc prendre le loisir,
Puisque nous voyons le plaisir
S'offrir d'une gaité de cueur.
Et pourquoy non ? le serviteur
N'aura-il aussi grand' puissance
De me donner la jouissance ,
Et rendre l'appelit content
De ce point que l'on prise tant,
Comme monsieur à sa Constante ?
"Je croy que le mal qui tormente
L'esprit et mon repos de nuict
Se guerist par mesme deduict :
Autant peult le lait que le prestre ,
Et le serviteur que le maistre ,
Le pauvre , comme un de grand' race.
Mais je ne voy point Boniface
Venir ainsi qu'il a promis.
24o JACQUES GREVIN.
ACTE TROISIEME.
SCENE I.
LOYS, seul.
« AujouRDHUY l'on ii'ha plus d'amis,
« Si n'est la bource et les escus ;
« Aujourd'huy Ton ne trouve plus
« Qui veuille tenir la querelle
« De quelque honneste damoiselle.
«Le gain faict tout, le gain emporte
« Les rempars d'une ville forte ;
« Le gain faict roqus les maris ;
a Le gain est le dieu de Paris ;
«C'est le dieu des inventions,
« Et la fin des intentions.
« Le sain faict courir les marclians
« Aux périls et dangers des champs ;
« Au péril des vens et tempestes ,
« Qui plus souvent dessus leurs testes
« Tombans d'épouvantable effort ,
«Leur mettent dans les dens la mort,
« Voyre au plus beau de leur jeunesse. »
Encore qu'il soit tel , si est-ce
Que jamais il n'eut la puissance
De faire fléchir la constance
De ma cruelle. De son cueur
V.
JACQUES GREVIN. 241
Amour en feut le seul vainqueur ;
Tant seulement d'une beauté
Son cueur se sentit incité :
Il repose aussi en un lieu
Digne du triomphe d'un dieu.
Qu'un dieu tout seul aussi se vante
D'avoir faict broncher ma Constante
Elle seule dessous le ciel
Qui mérite avoir l'honneur tel.
L'amour qui le commun enflamme,
N'est que neige au pris de ma flamme ,
D'autant que sa divinité
Surpasse toute humanité
Au brasier qu'il m'a faict sentir.
SCENE IL
RICHARD, LOYS.
RICHARD.
MosTsiEUR, il est prest à partir,
Et ne reste plus que quictance
Pour vostre dehte et pour l'avance ;
Car l'argent est desja tout prest.
LOYS.
Combien prent-il pour l'interest ?
RICHARD.
Vingt-cinq escus pour le payment,
Et autant sur l'avancement.
LOYS.
C'est trop vrayment de la moitié.
16
24^ JACQUES GREVIN.
RICHARD.
Encor' si n'estoit l'amitié
D'un sien voisin , il ne pourroit
Vous en bailler.
LO YS.
Et ce seroit
Un tour duquel la repentance
Suivroit de bien près la vengeance.
Retiendroit-il ainsi mou bien ?
R I c u A u D.
Monsieur, encor' n'y prend il rien;
C'est un marchant, comme j'ay dict,
L o Y s.
Pardieu, il a pauvre crédit
A ce presteur.
RICHARD.
Yoyla que cest :
« Les amis sont h interest ,
« Encore se faull-il liaster. »
L o Y s.
Or, puisqu'il en fault eschapper,
Yoyla l'autre quictance encor'.
RICHARD.
c'est mon , mais de la cliaine d'or
Que demande la damoiselle.
L o Y s.
Je n'en sçaclic point d'assez belle:
Délivre liiy cinquante escus
Pour en acheter une, ou plus,
S'il est mestier; la recompense
JACQUES GREVIN. 243
Que je prétends, vault la despence :
Au demeurant , haste le pas.
RI CHAUD.
Les escadrons et les conibas
N'eurent oncque si grand' puissance
Que monsieur n'y feit résistance :
Et maintenant une beauté
Triomphe de sa liberté.
Encor' vrayment la damoiselle ,
Quant tout est dict , n'est pas si belle ;
Toutesfois je ne la deprise;
« Car on dict que la marchandise
« Qui plaist est à demy vendue. »
Je crain que ma voix entendue
Ne soit entrée en la cervelle
De ceste rapporte-nouvelle ,
Qui m'attend là devant la porte;
Car vravment elle est assez sotte
Pour le rapporter à Constante.
SCENE III.
MARIE, RICHARD.
MARIE.
VoYcr Richard qui se tourmente
De quelque malheur advenu.
Son esprit, est bien détenu
A voir sa manière de faire.
RICHARD.
Il fault penser à mon affaire ,
Puisque j'aproche la maison.
ii44 JACQUES GREVm.
MARIE.
Venez , Richard ; c'est la raison
Que si long temps on vous attende.
RICHARD.
Eh bien, quoy, petite friande?
Vous serez donc tousjours fascheuse ,
Vous ferez donc la rigoureuse
Au pauvre Richard langoureux ?
Mon Dieu, que je serois heureux.
Si je pouvois à mon loisir
Avoir de ce sein le plaisir :
Ces deux ivoirines boulettes ,
Ces deux cerises rondelettes.
Ce sera bien quand vous voudrez.
MARIE.
Laschez vos chiens, vous les prendrez;
Car vous estes le nompareil.
RICHARD.
Si vous estes de mon conseil ,
Nous ferons bien noz besongnettes.
MARIE.
Eh mon Dieu , Richard , que vous estes
Ores esveillé pour vostre aage!
Ri CH ARD.
Ce n'est sinon que le courage,
Qui s'augmente de jour en jour.
MARIE.
Vous voulez donc l'aire lamour?
RicnARr.
Ma fov, Richard se délibère
JACQUES GREVIN. 2 45
Avoir tousjours pour l'ordinaire
Quelque chose qui soit de mise.
MARI E.
Voyla une belle entreprise.
RICHARD.
Il m'y fault or' avant prévoir.
MARIE.
Comment ? Il sembleroit à veoir
Que vous ne sceussiez troubler l'eau.
RICHARD.
L'intention est au cerveau ,
Marie ; et puis « il ne fault pas
« Estimer le moyne à son pas ,
« Quand il marche dans le couvent. »
MARIE.
Ananda, vous estes sçavant,
Vous entendez* bien cet' affaire.
RICHARD.
Je suis niez, laissez moy faire*
Aussi bien n'engendré-je point.
MARIE.
Richard , Richard , j'enten le poinct :
Vous voulez rire ; c'est cela.
RICHARD.
Ma foy , me voyci , me voyla ;
Je ne tiens jamais mon courroux :
Je suis humain , courtois et doux ,
Prest à vous faire tout service ,
A celle fin que je jouisse ;
Vous entendez le demeurant.
246 JACQUES GREVIN.
MARIE.
Sus, SUS, Richard : marchez avant;
Monsieur le Trésorier attend
Pour vous donner argent content :
Il est chez le sire Sulpice.
RICHARD.
« Prendre argent est un hon office ,
« Et mauvais d'estre fournisseur. »
MARIE.
Vous estes un heau gaudisseur,
Ananda , je m'y recommande,
RICHARD.
Adieu la petite friande.
MARIE.
Il veult resemhler Boniface.
SCENE IV.
CONSTANTE, MARIE.
CONSTANTE.
ViENÇA, meschante; quand sera-ce
Que feras ce qu'il appartient ?
MARIE.
Ce n'est pas à moy qu'il tient.
CONSTANTE.
Que jaze-tu en ceste place ?
MARIE.
Que voulez vous , si Boniface
Ne se veult d'avanture haster?
CONSTANTE.
Qu'as-tu à faire d'arrester
JACQUES GREVIN. 2^7
Le valet du seigneur Loys,
A babiller devant cest huys
Avec luy? Vous sentez le cueur :
Encor' avec un serviteur.
Sainct Jean, le bon ami de Dieu,
Vous irez en un autre lieu
Faire vostre belle menée.
Comment , madame Taffetee ,
Est-ce Testât que je vous monstre ?
Croyez que si je vous rencontre,
Vous maudirez à jamais l'heure
D'avoir entré en mon demeure.
Marchez, marchez, entrez dedans.
Voyla , c'est l'amour de ce temps :
« Aujourdhuy l'on ne voit plus homme
« Garder la fidélité , comme
« Les amoureux du temps passé , »
Le ferme amour est déchassé,
Et en son lieu une feintise .
Le seul masque , à sa place prise.
Nous ce pendant mal avisées.
Sommes plus souvent abusées
Par ceux qui ne font que chercher
Le moyen de nous débaucher.
<c Et voyla comment aujourdhuy
« La fin d'amour n'est rien qu'ennuy : »
Car des hommes l'outrecuidance
Est cause de ceste inconstance :
Eux qui tireroient d'une femme
Les biens, l'honneur, le corps et l'ame;
248 JACQUES GREVIN.
Et puis quand ils ont falct , à Dieu,
Tout autant en un autre lieu,
Ainsi que fortune leur donne :
Mais en vain je me passionne.
SCENE V.
LE PROTENOTAIRE, BONIFACE, CONSTANTE.
LE PROTENOTAIRE.
Ma Constante se plainct de moy,
Et m'accuse, comme je croy,
De ce que je demeure tant
A venir.
CONSTANTE.
Ah ! trop inconstant !
Et moy, trop facille à lo croire.
Je pensoy le Protenotaire
Estre digne d'un plus grand heur :
Mais je croy que son serviteur
A pris sur luy plus de puissance
Qu'il ne feit onc d'obéissance.
LE PROTENOTAIRE.
Ha, Boniface ! maintenant
J'aperçoy que tout ce tourment
Ne luy vient sinon (jue de moy.
CONSTANTE.
L'amour donc n'aura plus de loy ?
On n'en fera donc plus de compte?
LE PROTENOTAIRE.
L'impatience me surmonte ,
Je n'en sçaurois plus endurer.
JACQUES GREVIN. ^49
CONSTANTE.
Encor' qui me faict espérer ,
C'est la mort après longue attente.
1,E PROT ENOT AIRE.
Las ! que pensez vous , ma Constante ,
En vous menassant du trespas ?
BONIFACE.
Le voyla pris , il a son cas ;
La clame le tient à son aise.
CONSTANTE.
Helas ! monsieur , ne vous clesplaise ,
Je vous pensoys estre plus loing.
LE PROTENOTAIRE.
Comment, mon cueur? comment, mon soing?
Penseriez-vous bien qu'en amour
Je voulsisse faire un tel tour ?
Yous n'avez expérimenté
Quel vouloir ha ma fermeté ,
Encor' vous n'avez asseurance
Quelle est en amour ma constance.
BONIFACE.
Il en a tout au long du bras.
CONSTANTE.
Pardonnez moy mon seul soûlas ,
«L'amour est tousjours soubçonneux. »
BONIFACE.
c'est l'ordinaire entre amoureux,
Qui faict que la foy se renforce :
« Car c'est d'amour subtile amorse
« Que les débats de deux amans. »
iSo JACQUES GREVIN.
liE PROTENOTAIRE.
La mort puisse mes jeunes ans
Plustost retrancher en ma fleur,
Que je soy jamais serviteur
D'une autre dame que de vous.
Jamais l'amour ne me soit doux ,
Si par mon infidélité
Je sers à une autre beauté.
Plustost me laisse tout amy,
Et plustost me soit ennemi
L'aspect de mon astre fatal.
BONIFACE.
Il est au plus fort de son mal.
« Il n'y a rien dessoubz les cieux
a Ou pire , ou plus audacieux. »
CONSTANTE.
Aussi vous sçavez, monseigneur,
Que mon corps et tout mon honneur
Vous fut abandonné par moy
Sur l'asseurance de la foy,
Comme seul digne d'estre aimé.
LE PROTENOTAIRE.
Aussi tousjours ay-je estimé
Mon heur favorisé des dieux ,
Comme celuy seul sous les cieux
Qui est heureux en ses amours.
BONIFACE.
c'est la coustume; on voit tousjours
Ces jeunes gens à marier
Devenir fols.
JACQUES GRE VIN. aSl
LE PROTENOTAIRE.
Le Trésorier
A-il desja gaigné le hault ?
CONSTA NTE.
Non pas encore ; mais il fault
Entrer céans, et vous cacher:
Encor fault-il se dépescher ;
Car il n'est pas loing.
1,E PROTENOTAIRE.
Mais comment,
S'il demouroit plus longuement?
CONSTANTE.
Il est sur le poinct de partir.
SCENE VI.
RICHARD, CONSTANTE.
RICHARD.
Par le corps ! j'en veux advertir
Mon maistre ; il le sçaura. Comment l
Est-ce là donc le beau serment
De loyauté ? Je m'en doubtois ;
J'en suis certain à ceste fois :
Car de mes deux yeux je l'ay veu.
CONSTANTE.
Eh bien , Richard , avez-vous eu
Vostre payment?
RICHARD.
Une moitié.
CONSTANTE.
Mon don n'est-il point oublié ?
2 52 JACQUES GREVIN.
RICHARD.
Voicy l'argent pour en avoir ,
Si vous voulez le recevoir.
CONSTANTE.
Pourquoy non?'
RICHARD.
Ouvrez vostre main.
CONSTANTE.
Ha , Richard ! ce seroit en vain ;
Je vous pri', ne me trompez plus.
RICHARD.
Non, non; voyla cinquante escus
Pour avoir une chaine d'or.
Me pensez-vous mocqueur?
CONSTANTE.
En cor'
Vous avez de moy souvenance :
Voyla pour vostre recompense.
RICHARD.
Il m'a commandé de sçavoir
Quand il pourroit vous venir voir.
CONSTANTE.
Non pas pour aujourdhuy ; demain.
RICHARD.
Touchez en donc dedans ma main.
CONSTANTE.
Je le veux ; je me recommande.
RICHARD.
Par le corps bieu! ell' ne demande
JACQUES GREVIN. 253
Que les escuz : car , quant au reste ,
Eir ha son cas ; mais je proteste
D'en avoir bien tost la vengeance,
Et du payment , et de l'avance ,
Et des cinquante escuz encor',
Des anneaux et des chaines d'or
Dont monsieur luy a faict présent.
Eli' n'ha rien trop chauld ne pesant.
Et voyla ; la coustume est telle :
Car, envers une damoiselle ,
Il fault tousjours l'argent en main ;
Et puis on sçait bien que son gain
Est semblable à l'oiselerie.
L'oiseleur en quelque prairie
Vient espandre ses grains semez ,
Oli les oiseaux acoustumez
Ainsi se laissent amorcer:
« Car il fault un peu avancer,
« Pour en avoir du gain après ; »
Et lors qu'ils sont pris dans les retz,
Ils payent au long la despense
Dont l'oiseleur a faict l'avance.
Ainsi le bordeau , c'est le pré
Là où l'amoureux est entré
Connne un oiseau : la macquerelle
Est l'oiseleur , qui renouvelle
Souvent l'appas, et met en main,
Au lieu d'amorce , une putain :
Les caresses, les mignardises.
Les bon-jours et les gaillardises ,
254 JACQUES GRE VIN.
Le doux acueil, le deviser,
Sont les moyens d'aprivoiser.
Et en ceste façon , mon maistre
Est aux rets : mais si je puis estre
Escouté, il aura vengeance
De toute ceste grand' despense.
Encore ce beau Trésorier,
Et ce coqu, se fait prier,
Où il est le plus diligent :
Et fait acroire que l'argent
Qu'il m'a baillé n'est pas à luy.
Je luy feray dire aujourd'huy
Celuy qui a mangé le lard ,
Si je le puis tenir à part.
JACQUES GRE VIN. 255
ACTE QUATRIEME.
SCENE I.
LOYS, RICHARD.
LO YS.
Amour premier de nostre \ie
Inventa la bourellerie ,
Et cruauté, comme je croy :
Car assez en moy j'apperçoy
Combien sa rage est redoutable,
Moy qui suis le plus misérable
Qui soit en ce monde vivant.
Je suis ébranlé comme au vent,
Je suis espoind et tormenté ,
Demi-mort , rompu , transporté ,
Tourné dans la roue d'amour :
En mon esprit ne fait séjour
Aucun repos ; je suis ja las ;
Là je suis où je ne suis pas ;
Mon esprit n'est là où je suis;
Je veux cela que je ne puis :
Vivant et mourant je demeure;
Ce qui me plaist en la mesme heure
Me tourne en mescontentement,
Tant desja l'amoureux tonnent
S'est acquis sur moy de puissance ;
•2 56 JACQUES GREVIN.
Il me met en routte, il m'élance,
Il désire, il ravit, il tient;
Ce qu'il me donne , il le retient :
H me faict à l'instant deffaire
Ce que luy mesmc m'a faict l'aire ,
Et l'œuvre faicte à sa poursuitte
Est tout incontinent destruitte.
Et encor' avec ces malheurs ,
Ce seul poinct cy faict que je meurs.
Richard.
RICHARD.
Monsieur,
ï. o Y s.
Ce peult-il faire,
Que ce gentil Protenotaire
Soit jouissant de mon mérite ?
RICHARD.
Je vous ay l'affaire descrite ,
Hors mis le sault tant seulement. t
N'est-ce donc pas assez ? ^
I. o Y s. \
Comment ?
RICHARD.
Demandez vous comment j'ay sceu
Ce beau chef-d'œuvre ? je l'ay veu
De mes deux yeux : et d'avantage,
J'ay entendu tout leur langage ,
Et la conduitte de l'affaire.
I. o Y s.
Mais qui est ce Protenotaire ?
Le pourras tu bien rccognoistrc ?
JACQUES GRE VIN. 25j
RICHARD.
Ha ! je voy bien que c'est; mon maistre
Ne croira Dieu que sur bon gage.
LO YS.
Je perds le sens et le courage ,
Tant ce dur rapport me tormente.
Qui eust pensé que ma Constante
M'eust voulu faillir en amour,
Et me faire un si lasche tour?
Encore ne le puis-je croire.
As-tu veu ce Protenotaire
Entrer dedans ?
RICHARD.
Ouy, je l'ay veu.
L o Y s.
As-tu veu qu'elle l'a receu ?
RICHARD.
J'ay veu mesme qu'ell' le baisoit,
Et le flatant le courtisoit.
LO YS.
Tout cela n'est que courtoisie;
Je ne pren point de fantasie
Pour un baiser : car maintenant
Cela se fait honnestement.
RICHARD.
Mais quand avecque ce baiser
On adjouste le deviser,
Qui monstre assez l'affection
De l'amoureuse passion ,
Je crois qu'il ne fault plus de doute.
'7
a 58 JACQUES GREVIN.
I. o y s.
Est-ce ainsi donc qu'ell' me redoute ?
Seray-je donc si peu prisé ?
RICHARD.
Elle vous a dévalisé.
LO YS.
Encore ne le croy-je point.
Raconte moy de poinct en poinct
Comment le tout s'est démené.
RICHARD.
J'estois en un lieu détourné
Où j'ay entendu tout l'affaire.
LOYS.
Je suis donc contrainct de le croire :
Tu ne voudrois estre menteur.
RICHARD.
Je n'en suis que le serviteur ;
Et pour le devoir de service,
Je fais au moins mal mon office
Qu'il m'est possible. Au demourant,
Tousjours véritable, espérant
Faire tousjours de mieux en mieux.
LOYS.
L'eau, la terre, l'air et les cieux,
Et mille autres fureurs esprises ,
Contrarient mes entreprises.
Mais je veux monstrer combien peult
Mon ire depuis qu'ell' s'esmeut.
RICHARD.
M Celuy qui vouldra s'empescher,
JACQUES GREVm. ^ 259
« Qu'il entreprenne estre nocher,
« Pour dessus la grand' mer conduire
« Par son conseil une navire
« Et une femme : car au monde ,
« Il n'y a rien qui plus abonde
a En toutes affaires nouvelles
« Que les nefs et les damoiselles. »
Et pourtant si mon maistre est sage ,
Qu'il ne s'en fasche d'avantage.
Puis j'ay entendu bien souvent ,
Que d'une femme le devant
Ressemble ceste lampe ardante
Qui est dans l'église pendante ,
A fin d'alumer les chandelles
De tout' les offrandes nouvelles :
Elle en alume infinité
Sans perdre rien de sa clarté :
Aussi la femme a beau changer
Un familier à l'estranger,
L'estranger au premier venu,
Tousjours son cas est maintenu
En son entier, si d'aventure
Elle n'y mesle quelque ordure.
Et si , dit-on communément ,
Qu'après le doux esbatement
Du jeu d'amour, il n'y pert plus,
Le tablier rabaissé dessus.
26o JACQUES GREVIN.
SCENE IL
LE TRESORIER, SULPICE.
LE TRESORIER.
Sire Siilpice, j'ay vouloir
De vous le faire apercevoir.
SULPICE.
Vous me faictes par trop d'honneur.
LE TRESORIER.
Vous trouverez un serviteur,
Et un ami en mon endroit.
SULPICE.
Non, non, monsieur; quand il fauldroit
Monstrcr la bonne affection ,
Vous sçauricz quelle intention
J'ay de vous faire du service.
« LE TRESORIER.
Je le sçay bien , sire Sulpice ,
Ce n'est d'aujourd'buy scidement:
Et je vous promets le serment,
Que, tant que Dieu me donne vie,
J'auray tousjours pareille envie :
Je vous cognoy digne damier.
SULPICE.
Autant devez vous estimer
De ma part.
JACQUES GRE VIN. 261
SCENE III.
LOYS, RICHARD, THOMAS, LE TRESORIER, SULPICE.
1,0 Y s.
Ça, ça, tous en armes!
RICHARD.
Ils ont affaire à des gendarmes ;
Ils le cognoistront par effect.
THOMAS.
Monsieur , ce ne seroit mal faict
De prendre en main quelque rondelle.
LOYS.
Non, non, je n'ay que faire d'elle;
Elle pense donc que je prise
Davantage sa marchandise
Que mon honneur : je ne suis plus
De ceux qui donnent des escuz
Pour m'entretenir en sa grâce :
Je suis d'une trop nohle race.
THOMAS.
Je veux faire provision
Maintenant d'un bon morion ,
Pour couvrir le hault de ma teste.
L o Y s.
Me penseroit elle tant beste ,
Que voulsisse endurer tel tort?
LE TRESORIER.
Sire Sulpice , quel effort !
Que veult dire ceste entreprise ?
202 JACQUES GREVIN.
s U L P I C E.
Possible quelque noise esprise
Entre eux ; car tousjours ces souldars
Ont querelles en toutes pars.
LE TIIESOKIER.
Entrons dedans.
SULPICE.
Fermez vostre liuys.
LE TRESORIER.
Je cognoy le seigneur Loys ;
Je croy qu'il ne me cherche pas.
RICHARD.
Monsieur, monsieur, hastons le pas,
Le Trésorier est à la porte.
LOTS.
Ça, ça, faictes moy bonne escorte;
Qu'on me luy fende les nazeaux.
RICHARD.
Je veux, comme des bécasseaux,
Enfiler ceste Tresoriere,
Le Trésorier, la chambrière.
Pour marque qu'une telle injure
N'est impunie.
THOMAS.
Et moy, je jure
Que le premier par moy trouvé
Demourera sur le pavé,
Prolenotaire et Bonifiée.
LE TRESORIER.
Sire Sulpice, il nous menasse.
JACQUES GREVIN. 263
Helas, mon Dieu ! je suis perdu.
THOMAS.
Le Trésorier m'a entendu;
Il heurte pour entrer dedans.
SULPICE.
Ils sont armez jusques aux dens,
Et si chascun son baston porte.
LE TRESORIER.
Ne veult-on point ouvrir la porte?
Me laisserez vous massacrer?
THOMAS.
Il est en grand peine d'entrer;
Pousons dedans, armet en teste.
LO YS.
Sus , que chascun de nous s'apreste
De faire maintenant devoir.
RICHARD.
Je lui feray bien à sçavoir
A ce gentil Protenotaire ,
Qu'il n'a pas maintenant affaire
A un pédante de collège.
THOMAS.
Il est pris, il s'est mis au piège.
LOYS.
Sus, sus, dedans; enfoncez l'huys.
RICHARD.
Il me semble à voir que je suis
A l'assault de quelque rempart.
Enfonçons l'huys de part en part ;
Nous sommes sur noz ennemis.
264 JACQUES GREVIN.
SCENE IV.
MARIE, seule.
Miséricorde, mes amis;
Sommes nous en une province
Où Ton ne craigne point le prince ?
Helas , mon Dieu ! quelle fraieur !
Encore, qui plus est, monsieur
A trouvé ce Protenotaire ,
Qui n'a sceu autre chose faire ,
Sinon que, se pensant sauver,
Et voyant subit arriver
Le courtisan et ses souldars ,
Qui le chercboient de toutes pars ,
Il s'est rendu à leur mercy.
O quel ennuy ! 6 quel soucy ,
Quelle lamentable journée
Maintenant nous est ordonnée!
Voyla ; jamais nous n'aurons bien
Dans le logis : car aussi bien
Tousjours le Trésorier jaloux
Nous acravantera de coups:
Jamais il n'aura mercy d'elle.
Encore si ma damoiselle
N'eust esté prise en ce delict
Avec monsieur dessus le lict ,
L'on eust peu couvrir cet' affaire :
Mais comment? le Protenotaire
La tenoit desja embrassée ,
Quant le mari l'a devancée
JACQUES GRÉVIN. :î65
Comme elle se pensoit cacher,
Et si ne la pouvoit lâcher :
Ce qui a tant seulement faict
Qu'il les a pris dessus le faict.
Je m'esbahis bien fort comment
Il n'est venu premièrement
A Boniface : toutesfois
J'en suis eschappee.
SCENE V.
BONIFACE, MARIE.
BONIFACE.
J'estois
Pour mon profit particulier,
Quant j'ay ouy ce beau Trésorier
Heurter , crier d'une voix forte
Que l'on luy vint ouvrir la porte.
Si est-ce que j'ay si bien faict ,
Qu'il ne m'a pris dessus le faict ;
Car, quand j'ay ouy ce beau mesnage ,
Ainsi qu'un homme de courage,
J'ay gaigné le grenier au foin :
Les jambes servent au besoin ;
Encor' n'est-il que tousjours estre.
Mais, par Dieu ! ce pendant mon maistre-
Est pour les gaiges demeuré ,
Et moy un peu plus asseuré
Que je n'estois.
MARIE.
Hé , Boniface !
-^
366 JACQUES GREVIN.
Yravment vous avez bonne grâce ;
Encor vous vous niocquez des gens.
BOMFACE.
Comment cela ? ce sont sergens
Qui veulent mener prisonnier
Vostre maistre le Trésorier :
Quant à moy, j'ayme mieux m'en taire.
MARIE.
Mais monsieur le Protenotaire
Est tout seul entre ces souldars.
BONIFACE.
Je ne me mets en tels liasars;
Je pourrois bien , faisant ma monstre ,
Recevoir quelque malencontre :
Je feray cy la centinelle.
MARIE.
Las! que dira ma damoisclle ?
Il m'est avoir qu'elle me suyt.
Hé, vierge Marie, quel bruit!
Je croy que le seigneur Loys
Veult tout tuer.
BONIFACE.
Il n'est que Thuys
Pour bien escliapper du danger :
C'est assez pour m'en estranger ;
Par Dieu! je n'y retourne pas.
MARIE.
Hé , Boiiiface , parlez bas :
Je m'en vay jusque à la salette.
JACQUES GREVIN. 267
BONIF ACE.
Quant à moy, ma tasclie est ja faicte,
Je n'y retourne du jourdlmy,
Puisque l'affaire j'ay conduy
Jusqu'icy, j'en suis échappé,
Et monsieur demeure trompé ;
Qu'il se contente à sa fortune.
MARIE.
Elle nous est à tous commune ;
Encor' en fault-il voir la fin.
BONIFACE.
J'en suis bien content ; mais à fin
Que ne m'y pensiez embrouiller,
Si l'on me faisoit despouiller,
J'en aurois mon recours sur vous.
268 JACQUES GREVIN.
ACTE CINQUIÈME.
SCENE L
SULPICE, LOYS, RICHARD, LE TRESORIER.
SULPICE.
Monsieur , soyez un peu plus doux :
Quel profit pourriez-vous avoir
Quand vous le feriez à sçavoir
A la justice ?
LOYS.
C'est tout un ;
Le profit est à tous commun.
RICHARD.
Ça, ça, monsieur le Trésorier,
Vous en porterez le collier.
Et ce pour juste recompence
D'avoir pillé argent de France.
suLPicr..
Il se soumet à tout accord.
RICHARD.
Par Dieu! je seray le plus fort;
Vous viendrez aussi quant-et-quant ;
Car vous en faisiez le payment
En son nom, m'aidant à tromper :
Vous ne me pouvez eschapcr
Que ne vous face mille ennuys.
JACQUES GREVIN. 269
liE TRESORIER.
Escoutez-moy , seigneur Loys;
Nous sçavez que j'ay faict avance :
Sera-ce donc la recompence
Que pour moy vous voulez choisir,
Apres vous avoir faict plaisir ?
Auriez vous bien donc le couraige
De m'empescher en ce voyage ,
Considéré que mon affaire
Me contraint comme nécessaire
Pour le profict de nostre prince ?
RICHARD.
Vous estes subject à la pince;
C'est cela qui gaste le tout.
LOYS.
Encor' en aurons nous le bout ;
Richard, fais ce que je commande.
LE TRESORIER.
Seigneur Loys, je ne demande
Sinon avoir appoinctement
Avecque vous.
RICHARD.
Premièrement
Il fault venir en la prison,
LE TRESORIER.
Je vous feray toute raison ,
Si vous faictes un tour honneste.
RICHARD.
Cela n'est que laver la teste
De l'asne qui est aux Bons-hommes.
270 JACQUES GREVIN.
LOYS.
Voyci grand cas, tant que nous sommes
ÎS'aurons pouvoir de le mener
Au palais pour l'emprisonner.
RICHARD,
Charge le moy comme une balle
Sus le dos, ou comme une malle;
Puis nous aurons vostre courtault,
Qui le mènera aussi tost
Que commandé. .
SULPICE.
Submettez vous,
Et puis monsieur sera plus doux.
LE TRESORIER.
A celle fin d'en voir le bout,
Je suis content de perdre tout.
J'ay payé le quartier passé ;
Encore vous ay-je avancé
Celuy qui vient, pour avoir paix
Avecque vous, monsieur, je fais
Comme si n'eussiez rien reçeu.
SULPICE.
Vrayment vous ne serez deçeu
Par ce moyen, et de ma part
J'en donray le vin à Richard:
Et si désire faire plus.
LOYS.
Vous dictes bien ; mais les escuz
Que la Constante tient cncor'
Pour avoir une chesne d'or?
JACQUES GREVIN. 271
LE TRESORIEK.
Ces escuz vous seront rendus ,
Et autant d'autres despendus ,
Pour nous resjouir tous ensemble.
SULPICE.
C'est un bon parti , ce me semble.
RICHARD.
Le vin que vous avez promis
A Piichard , n'est-il pas donc mis
Parmi le marché?
SULPICE.
Si est bien ,
Je vous le veux donner du mien.
RICHARD.
Mais j'ayme bien mieux dans ma main
Le voir que d'attendre à demain :
« Car je sçay bien que les promesses
a De leur naturel sont traitresses : »
Parquoy si voulez paix à moy,
Foncez argent.
SULPICE.
Ha, par ma foy,
Vous l'aurez ; car c'est la raison.
LO YS.
Entrons doncques en la maison ,
Affîn d-e ravoir ma quictance:
Car je veux du tout asseurance.
272 JACQUES GREYIN.
SCENE IL
BONIFACE, LE PROTENOTAIRE.
BONIFACE.
Non , non , monsieur ; si j'eusse esté
Dedans nostre université,
Je leur eusse faict à cognoistre
Que la dedans je suis le maistre ;
Encore j'ay bonne espérance
D'en avoir un jour la vengeance.
LE PROTENOTAIRE.
Mais que diable es tu devenu
Ce pendant?
BONIFACE.
J'estois détenu
Combatant contre deux souldars :
Par Dieu ! c'estoient deux grans pendars
Qui m'eussent arraché la vie
Du corps , si n'cust esté l'envie
Qu'avoy de vaillamment deffendre ,
Si bien que je leur ay faict rendre
Tout le courage avec les armes ,
Encor' que ce feussent gendarmes.
LE PROTENOTAIRE.
Par Dieu ! je n'ay sceu si bien faire ,
Qu'au plus fort de tout mon affaire
Je n'aye esté surpris. Mais quoy !
Il ne se souvient plus de moy ;
Car l'ardeur du seigneur Loys ,
Oui enfonroit en bas son huvs
JACQUES GREVIN.
Pour entrer dedans la maison ,
Luy a faict perdre la raison.
BONIFACE.
Non, monsieur, je m'en veux vanger,
LE PROTENOTAIRE.
Mais , Bonifaee, en quel danger
Penses-tu que j'estois alors ?
Je t'asseure que tout mon corps
Estant aussi froid que le marbre ,
Trembloit comme une feuille d'arbre.
BONIFACE.
Ne vous pouviez vous revancher?
LE PROTENOTAIRE.
Encor' ne sçavoy-je attacher
Mes chausses cheutes aux genouls.
BONIFACE.
Ha , si j'eusse esté avec vous !
LE PROTENOTAIRE.
Encore me pensant sauver,
Un autre m'est venu trouver
Caché dans la chambre privée :
Puis Constante y est arrivée,
Ce qui a faict que me sauvant,
Je me suis trouvé au devant
Du seigneur Loys, qui suyvoit
Le Trésorier, qui s'enfuyoit.
BONIFACE.
Quelle mine vous a-il faict ?
LE PROTENOTAIRE.
Il m'a dict que c'estoit bien faict,
V. i8
2'j!i JACQUES GREVIN.
A l'homme qui cherche tousjours
Son aventure en ses amours ,
Et que luy estant pourchassant
De ce dont j'estois jouissant ,
Il se pensoit estre aimé d'elle.
BONIFACE.
Connnent ! de ceste damoiselle ?
Sçait on pas bien qui est Constante ?
LE PROTENOTAIRE.
Ouy, et qu'en ceste folle attente
Il avoit dépendu beaucoup :
Mais qu'il vouloit tout en un coup
Son argent, que le Trésorier
Retenoit dessus son quartier,
Puis qu'elle estoit ainsi commune.
BONIFACE.
Or la damoiselle en ha d'une,
L'argent qu'elle vous a preste ,
Entre nos mains est arresté
Jusque à plus grande recompense ,
Des presens et de la despence
Que vous avez faict, poursuyvant
Son amour, et dorénavant
Il se fault garder d'y rechoir.
LE PROTENOTAIRE.
Boniface , allons nous en voir
Tous les escuz de la Constante.
JACQUES GREVIN. 276
SCENE III.
MARIE, seule.
Loué soit Dieu, tout se contente;
Et qui plus est , le Trésorier
Ne sera point mis prisonnier;
J'en remercy' bien nos amis.
Encore plus, il a promis
Pardonner, dont je me contente,
A mademoiselle Constante ,
Et à moy aussi, promettant
D'en faire encor' demain autant,
Cela s'entend ; mais, par ma foy,
Je regarderay mieux à moy.
Et à mon cas dorénavant,
Que je n'ay faict par cy devant.
Ne vaudra-il pas mieux choisir,
A fin de prendre mon plaisir.
Quelque jeune homme, que tousjours
Languir aux misères d'amours ?
Si faict, pendant que la jeunesse
Esmeut dans mon cueur l'allégresse
Du doux amour , qui or' m'enlasse , ■
Et ducjuel desja Boniface
M'a faict sentir l'ébatement:
Mais ce sera secrettement;
Car voyla , l'on n'est jamais sage
Qu'après les plaits : c'est , c'est l'usage
Du temps qui court; et pour vray dire,
Ma maistresse veut tousjours rire
JACQUES GREVIN.
Au premier venu , c'est tout un ,
Autant aux nobles qu'au commun :
Et en cela gist tout Taffaire ,
De par Dieu. Le Protenotaire
Dont elle tiroit tant d'escuz ,
Maintenant n'y reviendra plus ;
Et voyla autant de praticque
Etrangee de sa bouticque.
Mais il fault aller apprester
Le banquet. De vous inviter ,
Messeigneurs , j'auroy bonne envie
Mais, anenda, la compagnie
Qui est céans mangeroit bien
Le Trésorier et tout son bien.
FIN DE LA TRESORIERE.
JACQUES GREVIN. 277
SONNET.
C'est un pesant fardeau que le siège Saint-Pierre,
Et si nous y voyons un chacun aspirer :
Un vicaire voudroit une cure attirer,
Et puis un évêclié, puis un chapeau conquerre.
Et puis la papauté , pour des amis acquerre :
Et le pape ne fait encor' que désirer
Bonne vie et santé , afin de n'expirer
A l'heure qu'il se voit le plus grand de la terre.
La plus grand part, hélas ! le fait pour vivre heureux ,
Sans soin et sans tourment, en loisir paresseux,
Faire toujours grand' chère et s'adonner aux vices.
Mais, lorsque cet état ne valloit que des coups.
Des persécutions, des chaînes et des doux.
Les hommes lors n'étoient friands de bénéfices.
178 JACQUES GREVIN.
SONNET.
Dont vient cela, Ronsard, que d'autant plus on chante
L'Amour, pour alléger ce tourment langoureux,
D'autant plus se plaignant on devient amoureux,
Et plus ce doux erreur à nos yeux se présente ?
Encore sur la mer, après que la tourmente,
Le tonnerre et l'éclair, et le ciel nubileux
Ont montré quelquefois leur front audacieux,
Nous voyons du soleil la face reluisante.
C'est, ce crois-je, Ronsard, que la mer et l'Amour
Ont même naturel ; car la mer, pour un jour
Qu'elle paroît paisible, elle éjneut le courage
Du marinier sauvé, qui retourne au danger:
Et l'Amour quelquefois, pour nous encourager,
En se montrant plus doux, nous rappelle au naufrage.
JEAN DE LA TAILLE. 279
9S«j9»«'««e«««e«^«•a«c^«S-«$«'?^««>«-«^-^'0-'9&«-S«-«-9«^^9-i('3-«-9^'?-»';'tt?'«e-«9S«'S9«~7a««
JEAN DE LA TAILLE.
Jk/VN de La Taille, ëcuyer, naquit vers Tan i54o,
au village de Bondaroy, près de Pithiviers, dans le
diocèse d'Orléans. Lacroix du Maine assure qu'il vivoit
encore en i6oy.
Ce fut en publiant les Œuvres de son frère , Jacques
de La Taille, que notre poète fit paroître son théâtre.
Il se compose de deux comédies en prose, les Cori-
vaux et le Negromant ; et de deux tragédies, la Fa-
mine , où se trouvent quelques situations attendris-
santes et assez bien ménagées , et Said le furieux. Dans
cette dernière pièce seulement, Jean de La Taille s'est
assujetti à l'alternative des rimes , qui n'est observée
que dans les chœurs de la première.
Ces productions dramatiques sont suivies de la Mort
(T Alexandre , Paris et d'OEnone, poème d'une lon-
gueur eiccessive , et du Courtisan , autre poème qui
offre quelques morceaux assez bien écrits, quoique en
général la versification de Jean de La Taille soit fort
négligée et même incorrecte.
Ce poète a encore laissé laGeomance ou fJlrt de sa-
voir, dit Lacroix du Maine, les choses passées , présentes
et à venir; et enfin un discours sur les Duels, petit livre
intéressant , ajoute le même écrivain, ^^7' la quantité de
faits curieux qu il contient.
t8o JEAN DE LA TAILLE.
LE BLASON DE LA MARGUERITE.
CHANSON.
En avril où naquit Amour,
J'entrai clans son jardin un jour,
Où la beauté d'une fleurette
Me plut sur celles que j'y vis.
Ce ne fut pas la pâquerette,
L'œillet, la rose ni le lys :
Ce fut la belle marguerite,
Qu'au cœur j'aurai toujours écrite.
Elle ne commençoit encor
Qu'à s'éclore, ouvrant un fond d'or;
C'est des fleurs la fleur plus parfaite.
Qui plus dure en son tein naïf
Que le lys ni la violette,
La rose ni l'œillet plus vif;
J'aurai toujours au cœur écrite
Sur toutes fleurs la marguerite.
Les uns loueront le teint fleuri
D'autre fleur dès le soir flétri.
Comme d'une rose tendrette
Qu'on ne voit qu'en un mois fleurir :
Mais par mol, mon Inunble fleurette
Fleurira toujours sans flétrir:
J'aurai toujours au cœur écrite
Sur toutes fleurs la marguerite.
JEAN DE LA. TAULE. 28 1
Plût à Dieu que je pusse un jour
La baiser mon saoul, et qu'Amour
Cette grâce et faveur m'eût faite ,
Qu'en saison je pusse cueillir
Cette jeune fleur vermeillette,
Qui croissant ne fait qu'embellir!
J'aurois toujours au cœur écrite
Sur toutes fleurs la marguerite.
LE BLASON DE LA ROSE.
A DEMOISELLE ROSE DE LA TAILLE , SA COUSINE.
Aux uns plaît l'azur d'une fleur,
Aux autres une autre couleur :
L'un des lys, de la violette.
L'autre blasonne de l'œillet
Les beautés, ou d'une fleurette
L'odeur ou le teint vermeillet :
A moi , sur toute fleur déclose ,
Plaît l'odeur de la belle rose.
J'aime à cbanter de cette fleur
Le teint vermeil et la valeur,
Dont Vénus se pare , et l'aurore ,
De cette fleur, qui a le nom
D'une que j'aime et que j'honore,
Et dont l'honneur ne sent moins bon :
J'aime, sur toute fleur déclose,
A chanter l'honneur de la rose.
s8a JEAN DE LA TAILLE.
La rose est des fleurs tout l'honneur,
Qui en grâce et divine odeur
Toutes les belles fleurs surpasse,
Et ([ui ne doit au soir flétrir,
Comme une autre fleur qui se passe.
Mais en honneur toujours fleurir :
J'aime, sur toute fleur déclose,
A chanter l'honneur de la rose.
Elle ne défend à aucun
Ni sa vue, ni son parfum;
Mais si de façon indiscrette
On la voidoit prendre ou toucher,
C'est lors que sa pointure aigrette
Montre qu'on n'en doit approcher :
J'aime, sur toute fleur déclose,
A chanter l'honneur de la rose.
SONNET.
Doux rossignol , dont la plaisante voix
Fait mil fiedons en musique excellente.
Si de chanter aussi hien je me vante.
Si comme toi je lamente en ces hois.
Va, je te pri', si lamenter tu m'ois.
Vers ma nuulresse, et mon mal lui présente
Par un doux chant fléchis-la et l'enchante :
Dis-lui qu'avoir tes ailes je voudrois;
JEAN DE LA TAILLE. 283
Dis-lui toujours que je repense en elle,
Çn sa douceur, en sa beauté plus belle
Que ce printems, ces roses et ces lys.
Ha! que je porte à tes amours d'envie;
Car, quand tu veux, tu caresses t'amie,
Et moi, cliétif, d'elle absent je languis!
EPITAPHE.
Puisqu'en France aujourd'hui n'abonde que souci.
Que vices, que langueurs, que misère éternelle.
Dieu en a retiré celle qui gît ici,
Voyant que ce faux siècle étoit indigne d'elle.
Et puisque les humains l'ont nommée Angélique,
Dieu et les cieux voyant qu'un tel nom méritoit
Pour être belle, et sage, et constante, et pudique
L'ont fait jouir de l'heur que son nom promettoit.
284 JACQUES DE LA TAILLE.
»>fe»«»^«^»^a^»^oa»<»a«>a«»ft^w^»^»iBJ<é»a9^&^ag»«Q«Qa»^o
JACQUES DE LA TAILLE.
Comme son frère, Jacques de La Taille cultiva l'art
dramatique, et il s'y seroit probablement distin<(ué,
s'il n'eût été moissonné à la fleur de son âge : né en
i542, il mourut de la peste en 1062.
A peine âgé de seize ans, il avoit déjà composé deux
tragédies : l'une a pour titre Alexandre, et l'autre
Darie ou Darius. On trouve dans la première quelques
situations intéressantes, des mouvements heureux et
une versification facile; mais, en général, Jacques de
La Taille avoit les mêmes défauts que son frère : il
écrivoit avec trop de négligence, et comme lui il s'est
affranchi de l'alternative des rimes. En passant d'un
acte à l'autre , il ne se faisoit aucun scrupule de changer
la mesure des vers; un acte est écrit en vers héroïques,
le suivant est en vers de dix syllabes , etc.
Entraîné par l'exemple de son siècle , et peut-être
par son goût particulier, il composa un traité sur l'art
de faire des vers métriques en françois , et il se pro-
posoit de joindre l'exemple au précepte , lorsque la
mort vint le surprendre.
JACQUES DE LA TAILLE. 2 8 5
EPIGRAMME.
d'un LYON ET DUN RENARD.
Dedans un antre , un lyon d'aventure
Trouve un renard navré mortellement,
Dont il s'approche, et voyant sa blessure :
Qui t'a, dit-il, outragé tellement?
Mais sors de là, permet tant seulement
Que je te lèche, et lors en moins de rien
Tu seras sain : tu ne sais pas combien
Ma langue est bonne et puissante en cela.
L'autre répond : Ami, je le sais bien,
Mais je crains trop pour les voisins qu'elle a.
EPIGRAMME.
d'une courtisane devant un miroir. '
Pour mirer désormais l'éternelle beauté
De ta face, 6 Vénus! je t'offre ce miroir;
Car je ne m'y vois plus telle que j'ai été ,
Et telle que je suis je ne m'y veux plus voir.
' LAÏS C0KSACRA:VT soit miroir dans le TEMPIE DE VENUS.
Je le donne à Vénus, puisqu'elle est toujours belle;
Il redouble trop mes ennuis.
Je ne saurois me voir, en ce miroir fidèle,
Ni telle que j'étois, ni telle que je suis.
Voltaire.
^86 JACQUES DE LA TAILLE.
INSCRIPTION
POUR LA REINE d' ECOSSE, MARIE.
Zeuxis voulant pourtraire une Junon,
Fit assembler les plus belles de Grèce;
Mais maintenant il ne faudroit, sinon
Que ma beauté pour peindre une déesse.
ÉPIGRAMME.
d'un devin.
Quelque devin voyant son sort fatal ,
Dit qu'il étoit à mourir destiné
L'an quarantième après son jour natal ;
Mais, quand ce vint à l'an déterming,
H n'en mourut, dont lui tout forcené,
Pour ne mentir se mit au col la liart,
Et s'étranglant, ô Ihomme infortuné!
Estima moins sa vie que son art.
INSCRIPTION
POUR LA REINE CLAUDE.
Dfku ne m'a point son bonheur épargné,
Puisque je suis en France la première
A. (jui trois rois de France il ait donné
Pour mon époux, pour mon fds, pour mon frère.
JACQUES DE LA TAILLE. 287
EPIGRAMME.
A MADAME ANNE DE HERTE, DUCHESSE DE GUISE.
D'une éloquence si rare
Vous avez la langue ornée ,
Qu'il semble que soyez née
D'Athènes, non de Fenare.
INSCRIPTION
POUR LE ROI FRANÇOIS , PREMIER DU NOM.
CÉSAR voyant d'Alexandre l'image,
Comme envieux se mit à soupirer;
Mais ce portrait auroit bien l'avantage
De faire même Alexandre pleurer.
JEAN DOUBLET.
««'GiS''«^»&ft««^-3«'fl^»«d«ï«e-e'»«a«»«»« &«««$«<»« e««^«>« 6-9 9«'&«««»«««e'«»«6«'$'9
JEAN DOUBLET.
Jean Doublet, né à Dieppe, paroît avoir vécu dans
la retraite, ou du moins avoir peu fréquenté les poètes
de son temps ; on ne connoît rien de relatif à sa vie,
et ses productions ne donnent aucune lumière à ce
sujet.
Quoique ce poète soit peu connu, il mérite cepen-
dant de l'être : ses poésies sont en petit nombre, mais
on y trouve des expressions heureuses , et son style
est presque toujours poétique. Doublet a composé des
élégies et des épigrammes, dont la plupart sont tra-
duites du grec ou du latin.
Jean Doublet a traduit en françois quelques ou-
vrages de Xénophon.
SUR LES RUINES DE ROME.
Étranger, qui viens, bon homme,
A Rome pour Rome voir,
Et ne peux, même dans Rome,
Rien de Rome appercevoir ;
Vois des murailles les masses,
Vois les marbres démolis.
Et les grand's désertes places
Des théâtres abolis.
JEAN DOUBLET. 289
Voilà Rome! considère,
Quoique morte elle soit or',
Que son ombre, brave et fîere,
Semble menacer encor.
Elle a vaincu terre et onde ,
Et puis s'est vaincue aussi ;
Afin qu'à vaincre , du monde
Ne lui restât rien ainsi.
Or, sous cette Rome esclave,
Rome sa maîtresse gît,
Et l'asservie et la brave
Dorment en un même lit !
ELEGIE.
A SA MAÎTRESSE.
Voici un cœur, qui son ame dernière,
Pour ton amour, sans regret soufflera :
Voici une foi très-entière,
Qui jamais ne te manquera.
Si tu n'ois point un long ordre de titres,
Quand on m'appelle , et n'ai qu'un petit nom ,
Si tu vois peintes en mes vitres
Des armes de peu de renom;
Si bien fort loin ses bornes ne dilate.
Mon petit fonds chichement limité;
Si sur mule, en longue écarlate.
Au palais je ne suis porté :
V. 1 c^
290 JEAN DOUBLET.
Phébus pourtant , et ses neuf doctes filles ,
De moi font compte, et m'aimer daignent bien
J'ai faveur des grâces gentilles,
J'en ai d'Amour, qui me fait tien.
Telle ma foi, telles mes mœurs je vante,
Qui en bonté ne céderont qu'aux dieux :
Et ma richesse plus vaillante ,
C'est ce cœur simple et amoureux.
Puissé-je user tout ce que plus me fde
La parque avare, auprès de toi toujours;
Et dans tes bras, cliere Camille,
Finir le dernier de mes jours !
L'ÉNIGME DE CLÉOBULE.
Un père douze enfans porte.
Qui en ont trente chacun ,
Tous de différente sorte ;
Si l'un est blanc , l'autre est brun ;
On les voit tous un à un.
Jamais deux ni trois ensemble,
Et sans qu'il en meure aucun ,
Tous les jours meurent, ce semble.
JEAN DOUBLET.
ELEGIE.
Autre que moi, pour les gras bénéfices.
Suive la mule aux prélats cramoisis:
Autre que moi courre aux offices
Tous mal donnés ou mal choisis.
Ce n'est pas moi, qui pour faux honneur vende
Ma toute d'or, ma chère liberté,
Ou pour une oisive prébende,
Entre les clercs soie compté.
En paix je tiens mon juste patrimoine.
Non loin borné, un petit fonds normand.
Qui sans rien faire , comme un moine ,
Me nourrit, si je veux, dormant.
Là, pour tout soin, je plante à 'droites lignes
Maints grands jardins de frères arbrisseaux ,
Espérant , car ce sont nos vignes
Vendanger leurs jaunes monceaux.
De la charrue aucune fois, peut-être.
Les moucherons moi-même guiderai ,
Et du fouet, que je sonne en maître.
Les jumens lasses hâterai.
Le riche été fera voir dans nos grandies
Les purs fromens, jusqu'aux toits entassés,
Et du doux revenu des branches
Nos celiers jusqu'à l'arc pressés.
aQs JEAN DOUBLET.
Car dévot suis, cl la dîme sans faute,
De tous mes fruits notre curé reçoit ;
Et n'est fête basse ni haute
Dont le jour cliommé ne me soit.
Notre patron, avec maint feu de cire.
Voit son autel de mes bons fruits couvert;
Et du prime-épi je lui tire
Un chapeau mi-jaune , mi-vert.
Son guet aussi, croyez peuple, me garde.
Et mon bétail si sûrement maintient,
Que nul larron ne s'y hasarde.
Et le loup même s'en abstient.
Pour le marché mes bêtes je n'engraisse ;
Je ne bats point, pour la halle, mes blés.
Ni n'attends des chartes la presse.
Epargnant mes greniers comblés.
Quant abondance aurait à corne pleine
Versé chez moi ses trésors par monceaux,
Par les derniers fruits à grand peine ,
Je suis conduit jusqu'aux nouveaux.
Les dieux aussi plus outre je n'invoque;
Car, assuré de mon annuel pain,
Des grands richesses je me moque;
Je me moque aussi de la faim.
JEAN DOUBLET. 29:
ELEGIE.
Comme ses yeux et comme son cœur même ,
Comme sa vie , et plus que tout son or,
S} bille jure qu'elle m'aime,
Et le jurant en doute encor.
Tantôt me nuit de notre Dieu la crainte ,
Dieu tout voyant : tantôt de mon bonheur
Las ! je vois l'espérance éteinte
Par l'austère loi de l'honneur.
Va, les plaisirs, ma Sybille, conviennent
A nos ans verds , ans trop bref limités ;
Le ciel, des amours qui nous viennent
Ne punit les témérités.
Va, Radamant', Cerbère, Tisiphone,
Styx, Acheron, songes d'hommes craintifs,
Dès long-temps n'alarment personne ,
Que quelques enfans bien petits.
Nommes-tu foi ce que ton âge tendre.
Sous le latin d'un vicaire étolé ,
Te fit promettre, sans l'entendre,
A qui déjà l'a violé ?
Avant les ans , ni garçon ni pucelle ,
Leur propre bien ne peuvent étranger :
Pouvois-tu en chaîne éternelle
Ta jeune franchise engager
tj"5^"
294 JEAN DOUBLET.
Qu'est sans amour une foi contractée ?
Quelle promesse, à ton avis, te tient?
Amour pour toi l'a rétractée;
A tort cet homme te détient.
Peux-tu baiser ce rechigné visage ,
Qui de sa vie un souris ne songea ?
Peux-tu embrasser ce vieil âge,
Sépulture et terre déjà?
Et moi, ton cœur, si fausses tu ne jures,
Je compte encor moins de trois fois neuf ans,
Moi coeffé des saintes verdures,
Qui couronnent les fronts savans.
Tel croit, honneur, te chercher, qui t'évite;
Car, sans nos vers, tu ne tiens que trois jours.
Et l'honneur, qui les ans dépite,
Par nos mains doit passer toujours.
Tant que douceurs, tant que durer au monde,
Grâces, Amour et neuf Muses pourront
Toujours , par une main féconde ,
Délie et Kémeze vivront.
I\Iais l'accident de Vénus, qui fut prise
Au dur fdet de son cocu boiteux,
Détruit cette brave entreprise
Dans ton cœur trop peu courageux.
Eh quoi! Vénus, s'il faut croire ce conte,
Par ce malheur trop jilus fine devint.
Et voulut ([u'une telle honte
Plus onc h ses amis n'advînt.
JEAN DOUBLET. 296
Dès-lors donna ces ruses mille et mille ,
Ces tours subtils aux serviteurs vaillans,
Pour tromper la garde inutile
Des jaloux sans cesse veillans.
Elle enseigna devant les maris dire
Tout ce qu'on veut avec signes discrets,
Montra chiffres obscurs écrire ,
Et deviser jargons secrets.
De fausses clefs, de légères échelles,
De pain aux chiens les amans avisa ,
De feutre mol fit des semelles
Et tout huis bruyant appaisa.
Bref jusqu'au lit, elle-même nous mené
Dans la ruelle, et marchant avec nous,
Tient le soupir de notre haleine ,
Tant que s'endorme le jaloux.
ig6 PIERRE DU RRACH.
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PIERRE DU BRACH.
Pierre du Brach , ami intime de Dul)aitas, étoit
natif de Bordeaux; on ne connoît point de particula-
rités sur sa vie. 11 nous apprend seulement que la
jurisprudence l'occupoit tous les matins :
Sans m'hahiller soudain je nie retire
Dans mon étude , où je commence à lire ,
Sur une loi , quelqu'accord discordant
Le recueil de ses poésies, imprimé en iSjô, est
divisé en trois Livres. Le premier contient quantité de
sonnets, d'élégies, de chansons adressés à son Aymée,
et qui ne sont , de son propre aveu, que la même note
cVwic Chanson trop souvent rechantée. Le second se
compose de \ Hymne sur Bordeaux , ou de l'éloge his-
torique de cette ville , adressé à Ronsard ; d'un long
poème sur le comhat de David contre Goliath; d'une
ode sur la paix , et de quelques sonnets. Les Meslanges
forment le troisième Livre; ce sont des sonnets, des
odes, des stances, une pastorale sur les troubles de la
France ; le Voyage de Gascogne , ou le récit des coiuses
que notre poète et Dubartas firent ensemble dans
cette province; des Mascarades, un C/ia/it de paix ,
un sonnet sur la mort de Charles ix, et un long poème
intitulé \ Amour des veuves.
Il existe encore de Pierr<* du Brach un(> traduction
de \j4minte du Tasse, <'t une autre des quatre pre-
miers chants de la Jérusalem délivrée.
PIERRE DU BRACH. 297
SONNET.
Tu te fis un grand tort de jouer contre moi;
Car, gagnant un sonnet, tu gagnas peu de chose,
D'autant que tous les vers que ma Muse compose.
Pour faire un paiement, sont de mauvais aloi.
Si veux-je, cependant, m'acquitter enver toi;
Mais te voulant payer, ma Muse s'y oppose,
Et pour toute raison, trop chiche, elle propose
Que pour nous endeter le jeu n'a point de loi.
Or doncques tu devois , étant au jeu plus sage.
Ou me faire payer ou bien déposer gage.
Afin qu'après ton gain ne fût désavoué.
Mais je suis un grand fol de faire mon excuse;
Car avec ce sonnet , maugré qu'en ait ma Muse ,
Je paie ce sonnet que nous avons joué.
L'AMOUR DES VEUVES.
A G. PIQUON , SON COUSIN, AVOCAT EN LA COUR.
Je te dirai, Piquon, j'ai toujours ma jeunesse
Esbatue en servant quelque belle maîtresse;
Mais onc je n'ai d'effet, ni de vouloir tenté
S'il fait bon être aux lacs d'une veuve arrêté.
Ains des veuves l'amour j'ai toujours méprisée,
Jusqu'à ce que j'ai vu ta jeunesse embrasée
298 PIERRE DU BRACH.
De l'amour d'une veuve. Alors en mon esprit
J'ai songé ce qu'on a dessus l'amour écrit ;
J'ai la fille en amour égalée à la rose,
En ses replis vermeils nouvellement éclose;
Mais lorsque balançant, j'ai de l'autre coté
Mis l'amour de la veuve avec sa liberté.
Avec toi j'ai l'amour de la veuve estimée.
Et jugé qu'elle étoit plus digne d'être aimée.
Si quelqu'un a par terre un voyage arrêté.
Son principal souci c'est d'être bien monté;
De prendre un cbeval fait qui ne craigne la peine,
Qui soit prompt, qui soit vif, qui soit de longue haleine,
Voltant à toutes mains, qui, sous le frein rangé.
Se soit vu tous les jours de sa selle chargé.
Non d'un jeune poulain qui , fougueux et farouche ,
Refuse, non dompté, le frein dedans sa bouche,
Difficile au monter, qui çà, qui là s'enfuit.
Se mocquant, en ruant, de celui qui le suit;
Qui, lorsqu'il est piqué, ne veut prendre carrière.
Au lieu d'aller avant, reculant en arrière;
Car qui se monte ainsi, lorsqu'il veut voyager.
De devenir piéton se met en grand danger.!
Celui qui sur la mer veut faire son voyage.
Afin de s'assurer en son long navigage.
Doit choisir un vaisseau , duquel les lianes voûtés
Ayent été battus par les flots irrités,
Dont justement la charge ait été mesurée :
Voguant, il doit tenir une route assurée.
Mouiller son ancre au port qu'un autre aura sondé.
Aborder où quelqu'autre a plutôt abordé ;
PIERRE DU BRACH. 299
Lorsque de deux chemins la voie est traversée ,
On doit prendre au hasard la route plus tracée.
Les pucelles, Piquon, sont semblables aux champs,
Qui par le laboureur n'ont des contres tranchans
Senti le fer denté, dont la terre pressée
Ne peut être en sillons qu'à force renversée,
Qui ne produisent rien, en friche délaissés.
Qu'épines , que buissons , que chardons hérissés.
Mais alors que la veuve a senti quelque année,
Relabourer son champ sous le soc d'hymenée ,
C'est d'un bon laboureur un champ , qui relevé
Par un premier labeur, d'une pluie est lavé ,
Qu'en deux ou trois façons, qu'après il lui redonne
Par ses bœufs accouplés , plus profond il sillonne ,
Qui pour être semé n'attend que la saison.
Pour rendre après fertile une heureuse moisson.
O filles, pardonnez une ardeur amoureuse
A toujours près de vous la victoire douteuse ;
Car en vous courtisant on est contraint par fois
De courtiser encor avec vous deux ou trois;
Car il faut, vous aimant, courtiser un vieux père,
Etre sujet aux loix d'une fâcheuse mère,
D'un frère, d'une sœur, de qui l'œil tout voyant
Vous suit toujours de près, vos façons épiant;
C'est alors qu'un désir vers vous votre amant porte
Se voir être interdit, et voir fermer la porte.
A la veuve au contraire , on fait libre l'amour,
Ouverte y est l'entrée, et la nuit et le jour.
C'est suivre après une autre une route assurée :
On dit communément que les fous font l'entrée.
3oo PIERRE DU BRACH.
QUATRAIN.
Aimée, j'aurai donc ton cœur d'amour épris,
Et pour autre j'aurai la dépouille conquise!
De battre les buissons j'aurai la peine prise ,
Et par autre que moi le lièvre sera pris!
SONNET.
Lorsque je vois la France, 6 inhumanité!
Tourner son propre fer dans ses propres entrailles,
Soi-même se pinsant de mordantes tenailles,
Pour aigrir contre soi sa même cruauté :
Je vois devant mes yeux cette grande cité.
Qu'un pasteur entoura du clos de ses murailles,
Qui se perdant au gain des civiles batailles,
Sappa le fondement de sa principauté.
Car comme Rome seule a Rome surmontée.
Ainsi la France seule a la France domptée,
Montrant qu'elle peut plus que n'a pu le Germain,
L'Espagne, le Piémont, l'Itale et l'Angleterre;
Car ce qu'ils n'ont pu faire en lui faisant la guerre,
Elle seule l'a fait, se domptant de sa main.
PIERRE DU BRACH. 3oi
ELEGIE.
A SON LIVRE,
Mon livre, mon enfant, hé! pourquoi, trop volage,
Veux-tu suivre l'ardeur de ton jeune courage ? -
Et te montrant, aveugle et sans discrétion.
Donner la voile au vent de ton ambition ?
Pourquoi dessous les pieds de ma nombreuse rime,
Oubliant le devoir d'un enfant légitime,
Veux-tu prendre la fuite en enfreignant ma loi,
Qui t'avoit commandé ne partir de chez moi ?
Tu ressembles l'enfant dont la jeunesse folle ,
En secouant le frein du maître de l'école.
Se dérobe à son père afin de voyager,
Errant et vagabond , en pays étranger ;
Qui , selon que fortune inconstante le porte ,
Bien souvent est contraint aller de porte en porte
Baissant le chef de honte et alongeant sa main.
Mendie, infortuné, son misérable pain.
Toi de même, mon fils, estimant trop severe
Le censurant courroux de ton bienveillant père.
Te dérobes de lui, pauvret, qui ne sais pas
Que pour vivre tu cours au chemin du trépas;
Sujet au jugement d'un commun populaire.
Ce grand monstre têtu à qui rien ne peut plaire.
Qui soit mal, qui soit bien, juge à tort, à travers,
Aussi diversement que son nombre est divers,
Duquel ton droit ne peut d'une juste balance
Etre contre-pesé , fors qu'au poids d'ignorance.
302 PIERRE DU BRACH.
En louant ce qu'on doit en toi le plus blâmer,
Ou blâmant ce qu'en toi Ton doit plus estimer.
Mais si, bridant le cours de ton impatience.
Tu eusses demeuré sous mon obéissance,
D'un amour paternel étant époinconné,
Qui nous force d'aimer ce qui de nous est né,
T'aimant comme celui qui de moi prends ton être,
Je t'eusse pour t'instruire été père , été maître.
Et comme on voit la mère, ayant pour premier fruit
De son lit conjugal une fdle produit.
Assembler avec soin mille jeux autour d'elle ;
Puis, quand l'Age est venu, pour la rendre plus belle,
Par un art curieux, d'une maîtresse main.
Or, d'un riche carcan elle embellit son sein,
Façonne sa façon, compose son allure,
Refrise en crépillons sa blonde chevelure,
La rend aimable à tous pour en pouvoir choisir
De ceux qui l'aimeront un selon son désir.
Avec lequel un jour elle soit amenée
Dessous les chastes loix du nocier Hymenée.
De même, mon enfant, la Muse qui toujours
D'un désir de savoir en moi verse l'amour,
T'aimant comme ta mère, en te gardant près d'elle,
Non encore sevré pendant à sa mamelle,
Elle t'eût ébattu en diverse façon,
Tantôt aux vers coulans d'une basse chanson ,
Tantôt d'une élégie en allégeant la peine.
Que j'endure en aimant une belle inhumaine.
Donnant l'ame à ta voix avec un son plus haut.
Tu eusses animé le francois échaffaut,
PIERRE DU BRACH. 3o3
Et sous un vers sanglant, horrible de furie,
Montré comme des rois la fortune varie;
Ou sous ta mâle voix bruyante dans l'airain ,
Bellone au sang francois auroit trempé sa main;
Ou bien en te rendant le courrier des louanges
Des princes et des rois , jusqu'aux terres étranges ,
Ton nom avec le mien elle t'eût fait porter;
Les vers ont ce pouvoir quand on sait les chanter.
Ainsi qu'un trait, lancé d'une main incertaine,
Se va perdre en tombant dans une mer prochaine ,
Dont l'eau suivant son cours la trace n'a laissé
Pour remarquer l'endroit où la flèche a passé ;
Ainsi au creux profond de notre mer salée,
Trouvant pour la passer trop foible ta volée,
Tu t'iras abimer sans laisser après toi.
Ni marque de ton vol , de ton coup , ni de moi.
3o4 MARIE STUART.
♦a»^»^frg»g»^»^ft^»^cC6ftft^»^o^»w»#a^ft^&*g'ao-^<^>g»»<^»^»«»^»*»*»^o^**
MARIE STUART.
Fille unique et héritière de Jacques v, roi d'Ecosse,
Marie perdit son père huit jours après sa naissance, le
n décembre i542. Sa mère, Marie de Guise, duchesse
douairière de Longueville et fille de Claude de Guise,
l'envoya, en i54H, à la cour de France, où ses deux
frères , le duc de Guise et le cardinal de Lorraine ,
jouissaient d'un grand crédit. Elle épousa, en i55j,
François, dauphin de France, fils et successeur de
Henri ii. Quelle destinée sembloit alors devoir être
plus heureuse que celle de Marie Stuart ! Comblée
des faveurs de la nature et de la fortune, portant,
à dix-sept ans , la double couronne de France et
d'Ecosse , et pouvant disputer à Elisabeth celle d'An-
gleterre et d'Irlande, elle unissoit aux charmes d'une
beauté parfaite ceux d'un esprit cultivé, d'une âme
noble et généreuse. Objet des hommages d'une cour
qui avait conservé, avec le goût des lettres, la poli-
tesse des mœurs et le ton de galanterie que François i*'"'
y avoit introduits, elle étoit aimée et admirée des
François. Ronsard, Du Bellay et tous les poètes de
ce temps célébrèrent à l'envi les grâces enchante-
resses, les douces vertus, l'esprit et les talents de la
jeune reine, et ne virent pour elle dans l'avenir qu'un
long enchaînement de prospérités. Vaines illusions !
Après dix-huit mois de mariage, François ii termine
sa carrière; Charles ix lui succède, et Catherine de
Médicis reprend toute l'autorité. Marie Stuart s'aperçut
MARIE STUART. 3o5
I)ientôt qu'elle n'étoit plus reine qu'en Ecosse, et fut
forcée d'y retourner. C'est en quittant la France qu'elle
exprime ses regrets et ses pressentiments par ces vers
si connus :
Adieu, plaisant pays de France,
O ma patrie, etc.
Dès lors sa vie n'est plus qu'un long enchaînement
de malheurs. Elle se marie à Henri Stuart Darnley son
cousin , qui, peu de temps après, fait massacrer sous
les yeux de la reine, David Rizzio, musicien italien,
qu'elle avoit pour confident et qui portoit ombrage
au prince. Le comte de Bothwel, homme ardent et
immoral, remplaça Rizzio. Darnley périt à Edimbourg
dans une maison isolée , que ses assassins firent sauter
par une mine. Marie épouse alors son amant , re-
gardé universellement comme l'auteur de la mort de
son époux. Cette union funeste soulève l'Ecosse contre
la reine. Abandonnée de son armée, elle est forcée de
se rendre aux confédérés, et de céder la couronne à son
fils. Elle nomme le comte de Murray, son frère naturel,
régent; et à l'aide de quelques partisans, elle parvient
à lever six mille hommes , qui bientôt sont vaincus et
dispersés. Obligée de chercher un asile en Angleterre ,
elle n'y trouve qu'une prison , et enfin la mort après
dix-huit ans de captivité. Elle est jugée par ordre
d'Elisabeth, et tombe sous la hache du bourreau, le
i8 février iSSj, à l'âge de quarante-quatre ans.
Marie Stuart cultiva les arts et les lettres dès sa
plus tendre enfance. A peine âgée de quatorze ans,
elle prononça, en présence de la cour de France,
qu'elle regretta jusqu'à sa mort, un discours en latin,
où elle combaltoit le préjugé qui interdit aux femmes
l'étude des belles-lettres. A la mort de François ii,
V. 20
3o6 MARTE STUART.
Marie exprima sa douleur dans une romance dont
elle fit les vers et la musique.
Les talents de cette princesse infortunée, la pro-
tection dont elle honora les lettres, son courage au
milieu de ses longues souffrances , sa fermeté hé-
roïque dans ses derniers instants , ont affoil)li le sou-
venir de ses fautes, mais non celui de ses malheurs.
SUR LA MORT DE FRANÇOIS II (en i56o).
En mon triste et doux chant,
D'un ton fort lamentable,
Je jette un œil touchant
De perte irréparable,
Et en soupirs cuisants
Je passe mes beaux ans.
Fut il un tel malheur
De dure destinée,
Ni si triste douleur
De dame infortunée,
Qui mon cœur et mon œil
Yoi en bière et cercueil ?
Qui on mon doux printems
Et fleur de ma jeunesse,
Toutes les peines sens
D'une extrême tristesse;
Et en rien n'ai plaisir
Qu'en regret et désir.
Si, en quelque séjour.
Soit en bois ou en prés ,
MARIE STUART. 807
Soit à l'aube du jour,
Ou soit sur la vesprée ,
Sans cesse mon cœur sent
Le regret d'un absent.
Si je suis en repos,
Someillant sur ma couche,
J'oy qu'il me tient propos,
Je le sens qui me touche.
En labeur, en recoy
Toujours est près de moi.
Mets , chanson , ici fin
A si triste complainte
Dont sera le refrain :
Amour vraye et sans feinte.
CHANSON I
i
FAITE LORS DU DEPART DE MARIE STUART POUR I, ECOSSE , i
ÉTANT E^CORE A LA VUE DES COTES DE FRANCE.
Adieu, plaisant pays de France,
O ma patrie
La plus chérie.
Qui as nourri ma jeune enfance!
Adieu, France, adieu mes beaux jours;
La nef qui disjoint nos amours
N'a c'y de moi que la moitié:
Une part te reste , elle est tienne ;
Je la fie à ton amitié
Pour que de l'autre il te souvienne.
3o8 GUILLAUME DE SALLUSTE.
GUILLAUME DE SALLUSTE,
SIEUR DU RARTAS.
GcTLLAXTME DE Salluste, seigneur du Bartas clans
l'Armagnac, et gentilhomme ordinaire de Henri iv,
alors roi de Navarre , étoit fils d'un trésorier de France.
Il naquit vers l'an 1544? à Montfort , à quelques lieues
du Bai'tas. A^oué dès son enfance à la profession des
armes, il obtint le commandement d'une compagnie
de cavalerie, et se fit également distinguer par son
courage et par sa prudence. Le roi de Navarre le
chargea de différentes négociations auprès des cours
d'Angleterre, de Danemarck et d'Ecosse, et il s'en
acquitta avec honneur; il y fit même paroître tant de
zèle pour les intérêts de son prince, que Jacques vi,
roi d'Ecosse , essaya de se l'attacher.
Du Bartas employoit ses loisirs au commerce des
muses ; il se retiroit alors à son château du Bartas ,
où il auroit désiré rester oublié : puissé-je , disoit-il
à ce sujet,
Puissé-jc, ô Tout-Puissant, inconnu des grands rois,
Mes solitaires ans achever par les bois
Le célèbre de Thou, qui l'avoit connu pendant ses
voyages en Guienne, nous apprend qu'il étoit rempli
de candeur et d'une sincérité à toute épreuve; que,
malgré sa grande réputation, il parloit toujours de
lui et de ses ouvrages avec beaucoup de modestie,
et qu'il se plaignoit très souvent de ce que les circon-
GUILLAUME DE SALLUSTE. 809
stances ne lui eussent pas permis de s'eclairer des
conseils des gens d'esprit et de goût. 11 mourut en juillet
i5go, dans la quarante-sixième année de son âge, des
suites des fatigues de la guerre et de quelques bles-
sures qui avoient été mal soignées.
Les productions de la première jeunesse de du
Bartas sont l'Uranie ou la Muse céleste, et Judith.
UUranie est un ouvrage consacré à l'éloge de la poésie.
Judith est un autre poëme en six chants, composé
à la sollicitation de Jeanne d'Albret, reine de Navarre.
Cet ouvrage, dans lequel il avoit taché , dit-il, d^ imiter
Homère en son Iliade , f^iri^ile en son Enéide , et autres
poèmes épiques ^ faillit lui devenir funeste. On l'accusa
d'avoir voulu autoriser, par l'exemple de Judith , la
révolte contre les souverains , et d'avoir établi en prin-
cipe que les sujets ont le droit d'attenter à la vie des
princes, etc. Il ne lui fut pas difficile de confondre la
calomnie et de réduire ses ennemis au silence.
Les autres ouvrages de du Bartas sont un Hymne
de la Paix; les neuf Muses Pyrénées ; un poème dressé
pour V accueil de la reine de JSavarre , faisant son en-
trée a ISérac , dialogue entre les trois nymphes, latine,
françoise et gascone, qui parlent chacune leur langue;
un Cantique sur la 'victoire d^lvrj y une traduction du
poëme de Jacques vi, roi d'Ecosse, sur la bataille de
Lépante; la Sepmaine ou Création du monde en sept
jours, poëme dont le succès fut prodigieux, et qui,
selon Lacroix du Maine, fut réimprimé plus de trente
fois dans l'espace de six ans , et traduit en latin , en ita-
lien , en anglois, en allemand et en espagnol; — le
triomphe de la Foj' ; Eden , ou la chute d'Adam; r Im-
posture; les Furies; les Artifices , ou l'invention des Arts ;
3lO GUILLAUME DE SALLUSTE.
r Arche de Noë , ou F histoire du Déhige; Babj'Ione, ou
la confusion des Langues; les Colonies, ou rétablisse-
ment des divers Peuples de la terre; les Colonnes j ou
V invention des Sciences ; les Pères , ou le sacrifice d'A-
braham; la Loj, ou r histoire de May se; les Trophées y
ou l'histoire de David; la Magnificence , ou la 'vie de
Salomon ; J onas ; la vocation d'Abraham; les Capitaines,
ou l'histoire de Josué ; le Schisme, ou la division des
Tribus; la Décadence, ou les Jléaux dont furent acca-
blés les Israélites.
Quelque brillante que fut la réputation de du Bar-
tas, il trouva cependant des critiques sévères. Le car-
dinal Du Perron le qualifie de très méchant poète :
« Pour l'invention , dit-il , chacun sçait qu'il ne l'a pas ,
« qu'il n'a rien à lui et qu'il ne fait que raconter une
« histoire , etc. Pour la disposition , il ne l'a pas non
« plus j car il va son grand chemin , et ne suit aucune
« des règles établies , etc. Son élocution est aussi très-
« mauvaise, impropre en ses façons de parler, impei'-
« tinente en ses métaphores, etc. « D'après Charles
Sorel : « La Sepmaine n'est quasi que l'histoire natu-
« relie de Pline, mise en vers, avec quelques autres
« remarques sur le même sujet, prises dans des livres
" fort communs, etc. »
Le père Rapin accuse du Bartas d'avoir lait con-
sister l'essence de la poésie dans la grandeur et la
magnificence des paroles, et d'avoir créé des mots
composés , à la manière des Grecs.
On demandoit un jour à Ronsard ce qu'il pensoit
de la Sepmaine, « M. du Bartas, répondit-il, a plus fait
'< en une semaine que je n'ay fait en toute ma vie. »
Cette réponse , qui n'avoit de lapport qu'à la fécon-
GUILLAUME DE SALLUSTE. 3 1 I
dite du poète, fut mal interprétée 5 on s'imagina que
Ronsard se reconnoissoit inférieur à du Bartas; on
fit même courir le bruit qu'il lui avoit donné une
plume d'or en témoignage de son admiration. Ronsard
étoit trop intéressé à démentir ce bruit, il le fit dans
un sonnet k Dorât , où il déclare en quelque sorte qu'il
se croiroit deshonoré s'il avoit pu se rendre coupable
de la pensée dont on l'accusoit.
VERS AU ROI DE NAVARRE.
Prince, daigne approcher; Pan habite en nos bois :
Ne méprise ces rocs : ces rocs ont autrefois
Nourri ces grands héros qu'à vaincre tu travailles ;
Héros qui par duels, par sièges, par batailles,
Ont poussé jusqu'au ciel l'honneur du sang de Foix.
Hercule ayant vaincu le triple orgueil d'Espagne ,
Se fit père du roi de ce coin de montagne ,
Qui des fils de ses fils a toujours pris la loi.
Henri, l'unique effroi de la terre hespéride,
Tu ne pourrois avoir plus grand ayeul qu'Alcide :
Il ne pourroit avoir plus grand neveu que toi.
DESCRIPTION DU JARDIN D'ÉDEN.
Si je dis que toujours, d'une face seraine,
Le ciel d'un seul coup-d'œil embrassoit cette plaine;
Que des rochers cambrés le doux miel distilloit;
Que le lait nourricier par les champs ruisseloit ;
3i2 GUILLAUME DE SALLUSTE.
Que les ronces avoieiit même odeur que les roses;
Que tout terroir portoit en tout temps toutes choses,
Et sous mêmes rameaux, cent et cent fruits divers
Pendoient en même temps , ni trop mûrs, ni trop verds :
Que le plus aigre fruit et l'herbe plus amere
Egaloit en douceur le sucre de Madère ;
Si je dis que Torage , en son cours violent,
Des fleuves ne souilloit le cristal doux-coulant.
Fleuves qui surmontoient en bon goût le breuvage
Qui du Cretois Cérathe honore le rivage;
Que les sombres forêts des myrtes amoureux,
Des prophètes lauriers, des palmiers généreux,
Ne s'effeuilloient jamais, ains leur nouveau feuillage
Voûtoit mille berceaux, fertiles en ombrage.
Où cent sortes d'oiseaux nuit et jour s'ébatoient,
S'entrefaisoient l'amour, sauteloient, voletoicnt.
Et mariant leurs tons aux doux accens des anges,
Chantoient et Theur d'Adam et de Dieu les louanges:
Car pour lors les corbeaux, oriots et hiboux
Avoient des rossignols le cliant doctement doux,
Et les doux rossignols avoient la voix divine
D'Orphée et d'Amphion , d'Arion et de Line.
Echo, voix forestière. Echo, fille de l'Air,
Qui ne veut ni ne peut, langarde, rien celer.
Qui ne sait s'enquérir, ains seulement répondre,
Et qui jamais en vain ne se laisse semondre ,
Y tenoit sa partie, et commençoit à temps
Chanter lorsqu'ils cessoient, et cessoit, eux chantans.
Là régnoit la musique , et toujours sur la rive ,
Un doux bruit secondoit la voix et morte et vive.
GUILLAUME DE SALLUSTE. 3l3
Si je dis que Phœbus n'y faisoit arriver ^
L'été par son retour, par sa fuite Thiver,
Ains l'amoureux printemps tenoit toujours fleuries
Des doux fleurans vallons les riantes prairies;
Que le robuste Adam ne sentoit point son corps
Aggravé des autans, ni roidi par les nors,
Ains d'un doux ventelet l'haleine musquetée ,
Coulant dans la foret par l'Eternel plantée,
Donnoit vigueur au corps, à la terre verdeur,
A la verdure fleurs, aux fleurs une aime odeur;
Qu'au jour la nuit prétoit son humeur nourricière,
Et le jour à la nuit moitié de sa lumière;
Que la grêle jamais n'atterroit les moissons ;
Que les frimats, la neige, et les luisans glaçons
N'envieillissoient les champs ; qu'un éclatant orage
N'écarteloit les monts; qu'un pluvieux ravage
N'amaigrissoit la terre , ains les champs produisoient
Les fécondes vapeurs , qui leur face arrosoient ,
Je ne pense mentir : plutôt, honteux, j'accuse
D'indocte pauvreté ma bégayante muse.
Si tu veux en deux mots la louer comme il faut,
Dis que c'est le portrait du paradis d'en haut.
Où notre aveul avoit, ô merveilles étranges!
Dieu pour entre-parleur, pour ministres les anges.
3j4 GUILLAUME DE SALLUSTE.
MORALITÉ.
Tous ces doctes esprits, dont la voix flateresse
Change Hécul)e en Hélène , et Faustine en Lucresse,
Qui d'un nain, d'un bâtard, d'un archerot sans yeux
Font, non un dieutelet, ains le maître des dieux,
Sur les ingrats sillons d'une infertile arène,
Perdent mal-avisés leur travail et leur graine,
Et tendant un fdet, pour y prendre le vent.
D'un los, je ne sai quel, qui les va décevant,
Se font imitateurs de l'araigne qui file
D'un art laborieux une toile inutile.
LE DELUGE.
L'amas des eaux du ciel, joint h nos basses eaux.
Des monts plus sourcilleux dérobant les coupeaux,
Auroit noyé ce tout, si, triomphant de l'onde,
Noé n'eût comme enclos dans peu d'arbres le monde,
Bâtissant une nef, et par mille travaux.
Conservant là dedans tout genre d'animaux.
Ils n'y furent entrés, que, dans l'obscure grotte
Du mutin roi des vents, le Tout Puissant garotte
L'aquilon chasse-nue, et met pour quelque temps
La bride sur le col aux forcenés autans.
D'une aile toute moite, ils commencent leur course;
Chaque poil de leur barbe est une humide source ;
GUILLAUME DE SALLUSTE. 3l5
De nues une nuit enveloppe leur front;
Leur crin froid et neigeux, tout en pluie se fond,
Et pressant de leur main l'épaisseur des nuages.
Les font crever en pluie, en éclairs, en orages.
Les torrens écumeux, les fleuves, les ruisseaux,
S'enflent en un moment : jà les confuses eaux
Perdent lein s premiers bords , et dans la mer salée
Ravageant les moissons , courent bride avalée.
La terre tremble toute, et tressaillant de peur,
Dans ses veines ne laisse une goûte d'humeur.
Et toi, toi même, ô ciel ! les écluses débondes
De tes larges marets , pour dégorger les ondes
Sur ta sœur, qui vivant, et sans honte et sans loi ,
Se plaisoit seulement à déplaire à ton roi.
Jà la terre se perd, jà Nérée est sans marge;
Les fleuves ne vont plus se perdre en la mer large ;
Eux-mêmes sont la mer; tant d'océans divers
Ne font qu'un océan : même cet univers
N'est rien qu'un grand étang , qui veut joindre son onde
Au demeurant des eaux répandu sur le monde.
L'estourgeon côtoyant les cimes des châteaux,
S'émerveille de voir tant de toîts sous les eaux.
Le manat, le mular, s'allongent sur les croupes
Oîi n'aguere broutoient les sautelantes troupes
Des chèvres porte-barbe , et les dauphins camus
Des arbres montagnards rasent les chefs ramus.
Pden ne sert au lévrier, au cerf, à la tigresse ,
Au lièvre, au cavalor, sa plus prompte vitesse:
Plus il cherche la terre, et plus et plus, hélas !
Il la sent, effrayé, se perdre sous ses pas.
3i6 GUILLAUME DE SALLUSTE.
Le bievre, la tortue, et le fier crocodile,
Qui jadis iouissoicnt d'un double domicile.
N'ont que leau pour maison ; les loups et les agneaux,
Les lions et les daims, voguent dessus les eaux,
Flanc à flanc, sans soupçon. Le vautour, l'birondelle,
Après avoir long-temps combattu de leur aile
Contre un trépas certain, enfin tombent lassés,
N'ayant oii se percher, dans les flots courroucés.
Quant aux pauvres humains, pense que celui gagne
La pointe d'une tour, l'autre d'une montagne.
L'autre pressant un cèdre, or' des pieds, or' des mains.
Gravit jus([u'au sommet des rameaux incertains.
Mais, las ! les flots montans à mesure qu'ils montent,
Dès que leur chef paroît , aussi-tost le surmontent;
L'un flote sur des ais, encore mi-dormant,
L'autre de pieds et bras va sans cesse ramant,
Ayant vu s'abîmer ses germaines, sa mcre.
Le plus cher de ses fils, sa compagne et son père :
Mais enfin il se rend jà las de trop ramer,
A la discrétion de l'infidelle mer.
Tout , tout meurt à ce couj) : mais les Parques cruelles,
Qui jadis, pour trancher les choses les plus belles,
S'armoient de cent harnois , n'ont ore pour bourreaux,
Que les efforts baveux des bouillonnantes eaux.
Tandis la sainte nef, sur réchine azurée
Du superbe Océan , navigeoit assurée ,
Bien que sans mat, sans rame, et loin loin de tout port:
Car l'Eternel étoit son jiilote et son nord;
Trois fois cinquante jours, le général naufrage
Dévasta l'univers; enfin d'un tel ravage
4
GUILLAUME DE SALLUSTE. 817
L'Immortel attendri , n'eut pas sonné sitôt
La retraite des eaux , que soudain flot sur flot
Elles vont s'écouler, tous les fleuves s'abaissent;
La mer rentre en prison ; les montagnes renaissent ;
Les bois montrent déjà leurs limonneux rameaux;
Jà la campagne croît par le décroît des eaux ;
Et bref la seule main du Dieu darde-tonnerre
Montre la terre au ciel , et le ciel à la terre.
3l8 FRANÇOIS LE POULCHRE.
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FRANÇOIS LE POULCHRE.
François le Poulchre , seigneur de la Motte-Mes-
semé, terre des environs de Poitiers, étoit issu d'une
famille originaire d'Anjou, et il prétendoit sérieuse-
ment descendre en ligne directe de Pulcher, consul
romain. 11 naquit vers l'an i545, à Mont-de-Marsan,
petite ville de Gascogne , où son père se trouvoit alors
en qualité de surintendant de Marguerite de Navarre.
Cette princesse, et son frère François i", le présen-
tèrent sur les fonts baptismaux. 11 fut envoyé à l'Uni-
versité de Paris ; mais son goût pour les armes ne lui
permit pas de faire de bonnes études : il étoit déjà au
service en iSSp. Charles ix, à qui le duc de Roanés
l'avoit présenté, lui donna d'abord la charge d'écuyer
d'écurie ordinaire, ensuite celle de gentilhomme ordi-
naire de sa chambre, et enfin celle de chevalier des
ordres du roi.
François le Poulchre se retira, en 1570, à Bruge-
mont, près de Saint-Nicolas, en Lorraine, où il s'étoit
marié , et ce fut là qu'il composa ses Honnêtes Loisirs.
Cet ouvrage est divisé en sept Livres; on y trouve l'his-
toire des règnes sous lesquels le poète avoit vécu ,
celle de ses amours, de la politique, de la philoso-
phie, etc. ; il fut imprimé en iSSj, avec une épître dé-
dicatoire à Henri m.
A la suite des Honnêtes Loisirs sont les Amours
(XÀdrastie^ en trente -neuf sonnets et quarante-six
stances , et un Livre de Meslanges en vers.
FRANÇOIS LE POULCHRE. 3 19
SONNET.
COMPLAINTE DE DIDON.
Que je te veux de mal , Rome, d'avoir détruit,
Par le fer , par le feu , ma ville de Carthage ,
Faisant de tous les miens un horrible carnage,
Et leur postérité en servage réduit !
Je te hais beaucoup plus , d'avoir encor produit
Un écrivain menteur, plein d'orgueil et de rage,
Qui souilla méchamment l'honneur de mon veuvage,
Couchant entre mes bras un fuyart dans mon lit.
Car tu lui as permis, qu'il m'ait abandonnée.
Par ses vers , au vouloir d'un vagabond ^Enée ,
Que je ne vis jamais; Rome, c'est sans raison,
Que par lui tu m'as fait telle peindre et décrire ,
Comme ne pouvant pas me faire rien de pire ,
Après avoir pillé et brûlé ma maison.
320 FRANÇOIS LE POULCHRE.
SONNET.
AUX DAMES.
Ne se passer un jour sans aller à régUse;
Faire dire la messe, et Inen dévotement
L'ouir à deux genoux très-attentivement;
C'est une œuvre bien bonne, et laquelle je prise.
Ses pécbés confesser, de cœur et sans feintise.
Jeûner chaque vigile , et donner largement
Aux pauvres de vos biens, pour leur nourrissement,
Sans blasphémer aussi , c'est être bien apprise.
Vous faites tout cela : mais ce seroit rêver
De croire que cela tout seul vous peut sauver;
Ne vous y arrêtez, je vous prie, madame.
D'aller en paradis, le plus certain moyen.
C'est de rendre à chacun ce que l'on a du sien;
Rendez-moi donc mon cœur, vous sauverez votre ame.
CLAUDE DE MORENNE. Sa 1
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CLAUDE DE MORENNE.
Claude de Morenne naquit à Paris. Sa famille
étoit attachée à la maison de Villeroi , et il eut pour
protecteur Nicolas de Nevifville, seigneur de Villeroi,
secrétaire et ministre d'état , qui se rendit si célèbre
sous les rèsfnes de Henri m et de Henri iv. Il fut suc-
cessivement curé de Saint-Méri et de la paroisse de
Saint-Gervais et Saint-Protais. Sa conduite , irrépro-
chable pendant les troubles de la Ligue , le fit chasser
de Paris. On trouve dans la Sat, re Mènippce qu'il fut
accusé de prêcher à ses paroissiens la soumission au
roi Henri iv. Ce prince lui accorda dans la suite , en
récompense de sa fidélité , l'évêché de Séez en Nor-
mandie, où il mourut le 2 mars 1606. Nous voyons,
dans les Mémoires de VEstoile , que Claude de Morenne
avoit beaucoup contribué à la conversion de Henri iv.
Cepoète, dans son épîtreà Villeroi, qui est en tête du
recueil de ses productions, dit qu'il ne s'occupa guère
de poésie que pendant sa jeunesse. Parmi ses Tom-
beaux ou Epitaphes , dont la plupart sont en vers latins ,
et qui forment la plus grande partie de ce Recueil, on
trouve celles de Charles ix, du cardinal de Lorraine, etc.
Le reste se compose de vingt-huit Cantiques spirituels ,
dont plusieurs en latin; de cinq Sonnets spirituels;
d'un grand nombre de quatrains , et enfin de quelques
Poèmes dii^ers , tantfrançois que latins, tels que le Pa-
negirique de Henri IV ^ fait à l'occasion de son sacre et
couronnement,
V. 21
322 CLAUDE DE MORENNE.
Claude de Morenne fut de son temps un orateur
distingue; il a laissé quelques Oraisons funèbres très
bien écrites pour cette époque.
EGLOGUE
SUR LE TRÉPAS DU CARDINAL CHARLES DE BOURBON.
PERROT.
Mop.ET, trois jours y a, qu'un foudroyant orage
Bouleverse les cieux , et trois jours qu'un nuage
D'un voile ténébreux enveloppe ce Heu.
Je ne sai pas que c'est : mais il semble que Dieu
Veuille renverser tout, tant grande est la tempête,
Qui depuis ce temps-là menace notre tête.
M O R E T.
Mes cheveux hérissés de crainte et de frayeur
Montrent bien, mon Perrot , cju'encor en ai-je peur:
Je ne saurois dormir; toujours à mon oreille
Sonne cette tempête à nulle autre pareille.
Entends comme aquilon redoul)le son souffler,
Comme de toutes parts l'eau commence à s'enfler.
PEUROT.
L'espace de six jours et voire davantage ,
J'entends sur ma maison un corbeau qui ramage
Aussi hideusement que le triste hibou ,
Qui, nonce de la mort, caché dans quelque trou,
Parmi des lieux déserts, sur une heure importune,
Vient être avant-coureur de la triste fortune.
M o R E T.
Théoplïll , qui souloit aux champs et aux forêts
CLAUDE DE MORENNE. SaS
Chanter mille chansons, pour les subtils attraits,
Dont Tavoit appâté Sophie sa mignone ,
A présent est tout triste , et pas un mot ne sonne.
Il me dit l'autre jour ([u'en menant son troupeau,
Dans ses mains se rompit son petit chalumeau ;
Depuis il ne s'est vu que malheur sur la terre.
P E R R G T.
Mais voi comme le ciel mille flammes desserre,
Mille éclairs flamboyans , qui mourans à nos yeux: ,
Dérobent tout-à-coup la lumière des cieux.
Je crois que le soleil, dans la plaine salée,
Encore a du sommeil la paupière sillée :
Cela témoigne assez que grande est sa douleur,
Et qu'il doit ici-bas avenir du malheur.
MO RE T.
Le rossignol gentil, qui, au touffu boccage,
Dégoisoit les fredons de son gentil ramage ,
Ne fait que plus se plaindre, et en ce joli mois,
Remplit l'air et les champs de sa plaintive voix.
PERROT.
Je n'entends plus ici que de vieilles sorcières ,
Qui , parmi l'ombre épais de ces fortes bruyères ,
Enchantent de leurs voix les serpens émaillés,
Et le troupeau muet des poissons écaillés :
Elles font rendre son au marbre et aux images.
Et gâtent par leur sort les bleds et les herbages.
MORE T.
Le pécheur qui souloit dans un fleuve écarté
Attirer dans ses rets le poison appâté,
3 Si 4 CLAUDE DE MORENNE.
Et puis, à la fraîcheur des grottes forestières,
Raconter ses plaisirs aux bruyantes rivières,
Maintenant est muet, ainsi (jue le poisson.
Qu'il prenoit au filet de son traître hameçon.
Mais je vois mon Janot sur cette haute roche.
Qui , blême et demi-mort , de nos troupeavix s'approche.
Comme il baisse les yeux ! comme lents sont ses pas!
Il semble avoir quitté toutes sortes d'ébats.
Même il ne porte plus sa gente cornemuse;
Il a laissé son chien et sa troupe camuse.
Allons parler à lui. Janot, mon cher ami,
Ou vas-tu, cher Janot, quand le ciel ennemi.
Dépité contre nous, vomit sa triste rage?
Peut-être que tu sais d'où vient un tel orage.
JANOT.
Demandez- vous , bergers, pourquoi le ciel troublé
Jà trois ou quatre fois ses coups a redoublé ?
Pourquoi dedans ces champs toute chose soupire?
Pourquoi souffle aquilon au lieu d'un doux zéphire?
C'est aujourd'hui le jour, que la meurtrière mort
Nous a ravi Chariot, Chariot notre support;
Chariot le grand pasteur, le mignon des Naïades,
Des Faunes, des Sylvains, des chastes Oréades;
Chariot, qui tant prisoit les jeunes pastoureaux.
Qu'il avoit soin de nous et de nos gras troupeaux.
MORET.
Chariot est mort ! hélas ! 6 dure destinée !
O ciel trop inhumain! 6 maudite journée !
Mais Janot, mon ami, dis-nous la vérité;
C'est, peut-être, un faux bruit, que l'on t'a rapporté.
CLAUDE DE MOUENNE. 323
J A \ O T.
Que toujours j'aie au cœur une amere détresse ,
Si en ce piteux cas ma langue est menteresse !
L'épouvantable cri des enroués hiboux,
Du ciel et d'aquilon l'effroyable courroux,
Et du grand Dieu d'en haut le foudroyant orage,
Etoient de ce malheur un assuré présage.
MORET.
Ah ! mon Dieu ! quel malheur d'avoir sitôt perdu
Celui qui nos troupeaux du loup a défendu !
JANOT.
Bergers, puisque le trait de la mort inhumaine
INous a ravi Chariot, que vos tuyaux d'aveine ,
Dès la pointe du jour jusqu'au soleil couchant.
N'entonnent rien , sinon quelque funèbre chant.
Chariot, les léopards, les tigres d'Arménie,
Les rochers porte -pins, les lions de Lybie,
Les ombreuses forets et les antres moussus,
La babillarde écho, et les fleuves bossus.
Pleureront ton départ, ta mort et ton absence.
PEKROT.
Comme la tendre vigne, au joli renouveau.
Laissant épandre en l'air son feuillage nouveau ,
Se fait le seul honneur de l'ormeau qu'elle embrasse.
Ou comme le taureau donne beaucoup de grâce
A un troupeau petit, et la blonde moisson ,
Au champ, qui étoit nud en la froide saison;
Ainsi, Chariot, ainsi, tu étois notre gloire;
De toi venoit notre heur; par ton moyen, la Loire
A regorgé de biens; mais, puisque le destin
326 CLAUDE DE MORENNE.
T'a de ce monde 6lé, nous serons le butin,
La proie des lirigands, qui rien n'ont en pensée,
Que voir notre maison détruite et renversée.
M OR ET.
7\dieu donc tous éliats ! adieu tous les plaisirs ,
Qu'on trouvoitdansleschampsl les amoureux, zéphirs
Ont (juitlc la campagne, et la dame Liesse
K'a laissé s'en allant que douleur et détresse.
JANOT.
Las î on ne verra plus sur un roc bien pointu,
L'antre ombrageux et frais de mousse revrtu;
On n'oira plus des eaux le doux coulant nuniiiure;
Plus on ne dormira sur la tendre verdure;
Dans les bois cbevelus, les volages oiseaux
Ne feront plus l'amour entre les arbrisseaux;
Les fdlettes du ciel , dans leurs voûtes cirées,
Ne remporteront plus les fleurettes sucrées ;
Puisque le bon Cbarlot, qui étoit notre appui.
Mourant n'a rien laissé qu'un éternel ennui.
J.WOT.
Plus ne verrez ici les brigades sacrées,
Ainsi qu'elles souloient, s'égayer par les prées ;
Les airs s'attristeront, les cliamps seront déserts,
Héritages des loups, des tigres et des cerfs.
En mémoire de <juoi d'iuie poignante alêne,
J'engraverai ces vers dans l'écorce d'un cliéne.
" Cbarlot ce grand berger, le favori des cieux,
Avant trop [)eu vécu au grand regret de France ,
Oppressé de la mort, abandonna ces lieux:
Pastoureaux . regrettez à jamais son absence. »
CLA.UDE DE MORENNE. 827
Mais sus! retirons-nous, je vois venir la nuit,
Et les astres brillans , que la lune conduit :
L'ombre de ce château, qui devers nous s'allonge,
INous dit que le soleil dedans les flots se plonge.
Sus ! délogeons d'ici ; car Chariot n'y est plus ,
Pour défendre du loup nos escadrons camus.
J ANOT.
Pauvres petits agneaux qui paissez sous ma garde.
Votre soutien est mort ; désormais prenez garde
Que le loup affamé, sortant à cette fin.
De votre tendre chair n'assouvisse sa faim.
:>28 BARTHELON DE RAYIÈRES.
9^»^9«frft-g^0«»»»»O^g«»^»^fra»»»«gft<Cfr»ft^P^fr^»»O^»lg8^g^'3»a'SCgft^<«0«
PANTALEON BARTHELON DE RAVIERES.
Du \ ERDiER est le seul de nos biographes qui ait
parlé de ce poète , et il en dit fort peu de chose. Tout
porte à croire qu'il ne jouit pas d'une bien grande ré-
putation de son vivant, et qu'après sa mort ses ou-
vrages furent à peu près oubliés.
Pantaléon Barthelon naquit à Ravières, en Bour-
gogne, et fut recteur du collège de cette ville.
Ses productions consistent en près de trois cents
distiques, qu'il composa d'abord en latin, et qu'il
traduisit ensuite en quatrains françois. Quelques uns de
ces quatrains sont assez remarquables, ou par les traits
satiriques qu'ils renferment , ou par le but moral que
le poète s'y est proposé.
QUATRAIN.
Les plus haussés du bien du crucifix ,
Ce sont ceux-là qui lui ont fait le pis ;
Comme Actéon fut mangé par ses chiens
L'Eglise n'a ennemis que les siens.
BARTHELON DE RAVIÈRES. Saq
QUATRAIN.
A la parfin , faudra venir au port ;
IViais ce sera quand n'y penserons pas:
Eien plus certain que le dard de la mort;
Rien moins certain que l'heure du trépas.
QUATRAIN.
La conscience étant coupable d'un forfait ,
A toujours devant soi l'horreur de son méfait,
Et n'ayant de repos une seule étincelle ,
Conduit et jour et nuit son enfer avec elle.
QUATRAIN.
Qui sert les seigneurs de la terre ,
De haut ou médiocre office,
Pour casser seulement un verre ,
Perdra vingt ans de bon service.
QUATRAIN.
Quand tu naquis au monde, vins tout nu
Et quelque bien que puisses amasser ,
Au départir te les faudra laisser ,
Et t'en aller comme tu es venu.
33o BARTHELON DE RATIÈRES.
QUATRAIN.
Jamais on ne connoît (|ue vaut le personnage,
Qu'après qu'on est privé du l)icn de sa présence;
Quand Toiselet est mort au sortir de la cage,
On regrette de lui les chansons de plaisance.
QUATRAIN.
Qui le devoir de porteur veuille faire.
N'en trouverez un tout seul entre dix;
Chacun sert Dieu par commis ou vicaire,
Et par vicaire ira en paradis.
QUATRAIN MORAL.
Nul n'entretient sa charge au temps de maintenant.
Et tel de son devoir la connnission donne
A son vice-gérant, commis ou lieutenant,
Qui ira en enfer rendre compte en personne.
JEAN DESPLANCHES. 33 1
<«!»^?«fi«9'Ss^e«e-S8«$«s9e«««»«ft«9^9-«$^'»^'€^&^^®'&9^'®s^&^3-dc«&«(f«9«&«o«
JEAN DESPLANCHES.
Nous plaçons ici le nom de Jean Desplanches, im-
primeur à Dijon , non parce qu'il étoit poète lui-même,
mais parce qu'il a publie un Recueil intitulé Sjnatri-
sie, ' alias , Recueil conjiiz, qui parut en 1 5 79, et qui
renferme quelques pièces d'auteurs inconnus; c'est ce
qui nous a engagé à faire de ces poésies un article sé-
paré , sous le nom de l'éditeur.
Ce Recueil se compose de plusieurs épigrammes,
quolibets, épitaphes badines ou burlesques, etc., le
tout tiré de divers écrits. Desplanches dit qu'il l'avoit
fait en s'amumnt , dans son imprimeiùe. Ces différents
morceaux sont liés les uns aux autres par quelques
lignes de prose.
DIXAIN.
d'un prêtre qui fit une part de son GATEAU PLUS
qu'il ne devoit.
Un prêtre fut, qui la veille des Rois,
En quatre parts un gâteau découpa;
Trop d'une en fit, car ils n'étoient que trois;
Dieu, et sa mère, et lui, qui se trompa.
Six ou sept fois ces quatre parts compta.
Ah ! ah ! dit-il , j'ai trop fait d'une part.
' Voyez l'article Etienne Tabouret. De La Mounoie attribue à ce
poète la plus grande partie de ce recueil.
332 JEAN DESPLANCHES.
Trois suffisoient ; le grand diable y ait part
Et puis pour Dieu, pour sa mère et pour moi.
Qui fut bien sot ? Ce fut frère Frappart :
Car il écluit que le diable fut roi.
EPITAPHE.
Ici gît mon frère Etienne ;
S'il est bien aise qu'il s'y tienne
Et ma sœur Elizabetb ,
Si hene fecit j hahet.
D'UN RICHE CHASSEUR.
Un riclie liomme a quarante chiens
Qui ont de très-bon pain pâture ,
Dont vivroient bien vingt paroissiens.
Or il parvient à sépulture,
Ses hoirs , qui de son ame ont cure ,
Veulent que pauvres pour lui prient.
Qui répondirent par droiture :
Faites que les chiens pour lui crient.
POUR CHASSER LES SERGENS.
Pour faire enfuir tous les rats,
Fais à un vif sa peau làciier,
Puis courir tu le laisseras ;
Lors tous les rats vont se cacher.
JEAN DESPLANCHES. 333
Marc qui le sut prit un boucher,
Et pour soulager maintes gens ,
Il fît un sergent écorcher,
Pour faire enfuir les sergens.
DU MARI ET DE SA FEMME,
TOUS DEUX MALICIEUX.
Puisque vous vous semblez tous deux,
Et êtes de vie pareille ,
Mari plus qu'autre vicieux ,
Femme en lUidice nonpareille,
En bonne-foi ! je m'émerveille
Que vous ne vous accordez mieux.
D'UN GROS MONSIEUR.
Monsieur, voilà tout plein de gens
Qui vous apportent des requêtes ,
Aussi quatre sergens tenans
Je ne sais quels papiers d'enquêtes.
— Allez , grand lourdaut que vous êtes î
Je vous donnerai sur la joue ;
Voyez-vous pas les cartes prêtes?
Allez leur dire que je joue.
334 JEA.N DESPLANCHES.
D'UN PRÊTRE BRETON, BRETONNANT.
Messtre Etienne est bon garçon,
S'il disoit à loisir sa messe ;
Mais quand il en fait la leçon ,
Le premier mot fait au quart presse ;
Repris de ce, il le confesse,
Et devant son éveque annonce :
Par mon serment ! ce que je laisse,
Vaut mieux que ce que je prononce.
DES CLERCS D'UN BON PERSONNAGE.
J'ai des clers de bonne nature.
Plus savans que moi quatre fois;
Si je veux dormir d'aventure
Une heure, ils veulent dormir trois;
S'il advient en quelques endroits
Qu'il soit question de repaître ,
Ils boivent comme au jour des Rois :
Savent-ils pas plus que leur maître ?
JEAN DESPLA.NCHES. 335
D'UN GENDARME ET D'UN CORDELIER.
Le gendarme blàmoit un moine
Qui pour rien avoit franche table;
Le moine lui dit pour exoine :
Vous avez un bonheur semblable ;
Reste que n'êtes tant affable
Que moi , quand départez du lieu :
Car vous prenez de par le diable,
Et l'on me donne de par Dieu.
336 RENÉ BRETONNAYAU.
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RENE BRETONNAYAU.
René Bretonnayau, né à Vernantes, en Anjou,
étoit un fort habile médecin ; il exerça sa profession à
Loches, en Touraine, où il passa la plus grande
partie de sa vie.
Ce poète s'étoit d'abord proposé de publier ses mé-
ditations ^ sous le titre à' Esciihipe francois ; mais, soit
quil craignît que le recueil ne fut trop volumineux,
ou qu'il ne fût pas également satisfait de tout ce quil
avoit composé, il n'en fit imprimer qu'une paitie
en i583.
La plupart des sujets contenus dans ce recueil sont
relatifs à sa profession ; c'est la génération de llioinme ;
la fabrique de Vœil et de son usage; de la nature du
cœur et de ses affections; du foje; il y traite aussi
de plusieurs maladies, telles que la frénésie, la mé-
lancolie, le calcul , la goutte, etc. Chacun de ces objets
est considéré sous trois points de vue différents, ana-
tomie, physique et médecine, etc. Dans son dernier
traité , qui a pour titre la Cosnio.ique et illustration de
la face et des mains, il donne aux femmes des préceptes
pour conserver leurs attraits ou pour les accroître.
RENÉ BRETONNAYAU. 3 87
LE SINGE.
N'est-ce une ingratitude grande,
Digne que la pareille on rende ,
A quiconque me fait ce tort,
D'oser se rire de ma mort?
En lieu de me pleurer et plaindre , '
Laisser ma mémoire s'éteindre?
Et pour cent mille gentils tours
Que pour toi j'ai faits en mes jours,
Pour mainte gaie singerie ,
Faut-il , ingrat , que tu te rie
Des trépassés ? Est-ce le deuil
Que tu menés sur ce cercueil ,
Pour t'avoir , à force de rire ,
Fait lâcher ce qu'on n'ose dire?
O ingrat , mal reconnoissant ,
De maître Jean, singe plaisant;
Que la coqueluche n'aguiere ,
Fit passer des morts la rivière ,
Lorsque ne pouvant respirer,
Force lui fut l'ame expirer.
Maudite sois-tu, maladie,
Qui ravir m'as cuidé la vie,
Et me faire le compagnon
De ce bel et gentil guenon;
Et es cause que n'ai pu rendre
Eucores à sa froide cendre
V. a^
338 RENÉ BRETONNAYAU.
Le piteux et dernier devoir
Que méritoit tel singe avoir!
Singe , je dis , quant à l'espèce ;
Mais presque homme quant à l'adresse
Voire qu'on rcut pris ])ieu souvent
Pour quelque docteur bien savant,
Ou pour quelque sage personne,
Tant il avoit la trogne bonne ,
Avec un acoutrement long.
Une cornette , un bonnet rond !
De sa ])ate en l'air étalée ,
Ce qu'on jettoit à la volée.
Triant , recevoit et baussé ,
Comme jouant au pot cassé,
Comme qui joue à la pelotte ,
Il grippe, rompt, brise, marmotte:
Il épluche , prend le meilleur :
Et plus léger qu'un bateleur,
Qui d'une liardiesse folle.
En l'air, dessus la corde voile,
H fait de sa chaîne à l'entour.
Souplement maint tour et retour ,
Et d'un maniment qui ne cesse ,
De mainte gaillarde souplesse.
Si un coup s'étoit apperçu
Qu'il étoit par quelqu'un déçu,
Ou bien avoir pris l'un pour l'autre,
Oh ! Dieu sait quelle patenotre ,
Grinçant entre ses dents, disoit.
Grondant, quelle mine il faisoit:
RENÉ BRETONiSAYAL. SSq
Réservant à son avantage
A faire le moqueur plus sage ,
Et lui apprendre une autre fois
]Ve prendre plus singes aux noix.
Maître Jean avoit le corsage
Si dispos , si vite , et volage ,
Qu'en moins d'un rien, tout d'un plein saut,
Des arbres grimpoit au plus haut ,
Etant dépêtré de sa chaîne ;
Ainsi qu'on voit de chêne en chêne ,
Et de branche en branche , léger,
L'écureuil bondir, voltiger;
Et l'arbre étant de fruit chargée.
Se sentoit soudain soulagée.
Quoique bête, usant de raison,
Ceux qui venoient à la maison,
Maître Jean savoit bien connoître
S'ils étoient amis de son maître :
De l'ami alloit au-devant,
Sautant, l'embrassant, le suivant.
Et d'une voix grêle et menue.
Il saluoit sa bien-venue.
Mais ceux qui ne rendoient l'honneur
Qu'on doit porter à son seigneur,
On devinoit à sa grimace.
Qu'il les mettoit hors de sa grâce.
Car grumelant et rechignant ,
Son derrière il alloit tournant.
Quel plaisir c'étoit voir ce singe
Affublé et coëffé d'un linse.
34o RENÉ BRETONNAYAU.
La chambrière coiitre-faisant,
A qui l'amour ou va faisant ,
Et qui d'une folâtre ruse
Veut qu'on le prenne, et le refuse!
Maître Jean n'étoit mal faisant :
Vieilles et laides haïssant.
Ne caressoit que les plus belles.
Maître Jean avoit des querelles
Aux petits enfans d'alentour,
Qui toujours quelque mauvais tour
Tâchoient lui faire, et le surprendre :
Mais bien il le leur savoit rendre ,
Les égratignant ou mordant,
Ou de la griffe ou de la dent,
Ne pouvant son noble courage
P'aire, ni endurer outrage.
Maître Jean fdoit au rouet,
Maître Jean aux tables jouoit,
Aux échets , aux dames ; de sorte
Que toujours sa part étoit forte.
Maître Jean dansoit et balloit,
Toujours à la cadence alloit :
Le singe maître Jean , en somme ,
Faisoit ce que peut faire un homme.
Le visage avoit rondelet ,
Le sourcil courbe en arcelet,
Qui de l'une et l'autre paupière
Ombrageoit des yeux la lumière.
Ses yeux , comme à l'homme tournés ;
Camuset il avoit le nez ,
RENÉ BRETONNAYAU. 34 1
L'oreille courte et rondelette ,
La dent d'y voire blanche et nette,
Qu'il montroit, riant, rechignant,
Caressant , ou bien dédaignant ,
Les faisant craquer dans sa bouche.
Comme un clavier d'orgues qu'on touche:
Et si d'un rasoir affilé
A maître Jean on eut taillé
Le fil qu'il avoit sous la langue ,
Il nous eût fait mainte harangue ;
Car, faisant ses lèvres trembler,
Montroit qu'il eût voulu parler :
Mais on l'entendoit à ses mines ,
Au remuement de ses babines.
Quand par aventure il trouvoit
Plume et papier, il écrivoit ;
Se morguant pour sa lettre lire ,
Qui lors se fiit gardé de rire ?
Ore est-il mort coqueluche ,
Dont chacun pleure tout fâché.
Que par moi n'est-elle chantée
Ta louange qu'as méritée! *"
Je rendrois ton los immortel ,
Si les cieux m'avoient formé tel
Que celui qui chanta la gloire.
Pour une éternelle mémoire,
De Belaut et de Peloton,
Tous deux faits hôtes de Pluton.
Cependant es lieux bas et sombres ,
Va t'enroler entre les ombres
)4?. RENÉ BRETONNAYAU.
Des bétes ; copcndaiit couvert
Soit ci ton corps d'un gazon vert,
Un exemple à toute ta race ,
Qu'il n'y a moue ni grimace ,
Gambade , souplesse , ni saut ,
Qui le sauve, quand mourir faut!
PHILIPPE DESPORTES. 3A3
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PHILIPPE DESPORTES.
La plupart des savants qui avaient brillé à la cour
de François i" n'existaient déjà plus 5 la langue Fran-
çoise , devenue plus polie , avoit gagné en douceur ce
qu'elle avoit perdu en naïveté; le goût s'étoit formé , et
la réputation brillante des Ronsard , des du Bar tas, etc. ,
commencoit à s'éclipser, lorsque parut Philippe Des-
portes, qui fut surnommé le TibuUe françois.
Ce poète naquit à Chartres en i34*3; il vint à Paris,
et s'attacha à un évéque à la suite duquel il fit un
voyage en Italie. Pendant son séjour à Rome il prit
une connoissance parfaite de la langue italienne. Ce
ne fut qu'après son retour en France qu'il se livra à la
poésie françoise. Ses premiers essais lui valurent un
grand nombre de puissants protecteurs ; nrais il s'atta-
cha particulièrement au duc d'Anjou , qu'il suivit en
Pologne en iSyS, lorsque ce prince y alla prendre
possession du trône où il venoit d'être appelé. Desportes
y resta neuf mois, comme il nous l'apprend dans sa
pièce intitulée Adieu a la Pologne.
Neuf mois entiers pour complaire à mon maistre
Le grand Henry
Pour ce désert j'ay la France laissée, etc.
Peu de poètes ont été payés aussi généreusement
de leurs vers.
Lorsqu'en i^yi, le duc d'Anjou eut succédé à
Charles ix, sous le nom de Henii m, il combla Des-
344 PHILIPPE DESPORTES,
portes de ses bienfaits, et lui donna, en iSSa, l'ab-
baye de Tiron , au diocèse de Chartres; en i $89 , celle
de Josaphat, au même diocèse, et enfin celle de Bon-
port , ordre de Cîteaux , diocèse d'Evreux. Desportes
joignit à ces bénéfices le titre de lecteur de la chambre
du roi, et celui de conseiller d'état. Outre le revenu
de ses bénéfices, qui selevoit à dix mille écus, il avoit
reçu de Charles ix huit cents écus d'or pour sa pièce
intitulée la Mort de Rodomont ; et Henri m lui en
fit compter dix mille cinq cents pour le mettre en état
de publier ses ouvrages. Il eut encore une grande part
aux libéralités du duc de Joyeuse, qui lui fit donner
une abbaye pour un sonnet. Desportes sut faire un
noble usage de sa fortune; il étoit le protecteur et
l'ami des t{ens de lettres. Non content de secourir
ceux qui se trouvoient dans le besoin , il forma une
riche bibliothèque qu'il laissoit à leur disposition.
Sa faveur et sa fortune lui suscitèrent un grand
nombre d'ennemis, qui, jaloux de son mérite, cher-
chèrent à le rabaisser. Dans un livre \niv\w\è Rencontre
des Muses de France et d'Italie, on lui reprocha d'avoir
pris des poètes italiens le tour délicat et fleuri qu'on
remarquoit dans son style, le brillant de ses figures,
la vivacité de ses descriptions ; mais , loin de se fâcher ,
Desportes, avec autant d'esprit que de modestie, dit
de l'auteur de ce livre : " Que ne m'a-t-il consulté ! je lui
« aurois fourni des mémoires plus amples, qui auroient
« bien grossi la liste de mes plagiats. »
Desporles se retira, après la mort de Henri m,
arrivée en iSSp, à son abbaye de Bonport, eu Nor-
mandie ; son attachement pour l'amiral de Villars , qui
étoit alors gouverneur de Rouen , lui fit embrasser le
PHILIPPE DESPORTES. 345
parti de la Ligue. On n'a pas manqué de lui en faire un
crime dans la Satyre Ménippée; ses bénéfices furent
saisis; mais il répara ses torts en travaillant de tout
son pouvoir à faire rentrer la Normandie sous l'obéis-
sance de Henri iv, et le prince lui accorda son amitié.
Il passa les dernières années de sa vie à composer des
poésies religieuses ; il fit une traduction des Psaumes.
Enfin il mourut dans son abbaye de Bonport, le 5
octobre 1606, âgé de soixante-un ans.
Ses Œuvres furent imprimées , pour la première
fois, en iSyS, à Paris, i>z-4°, par le célèbre Robert
Etienne. Ce recueil contient, 1°. les Amours de Diane ,
en deux Livres; 2°. les Amours (THippoljte; 3°. Cléo-
nice , dernières amours de Philippes Desportes ; ^°. deux
Livres d élégies erotiques ; 5". des imitations de VArioste^
Roland Jiirieux , au roi Charles ix; 6°. les diverses
Am.ours et autres Œuvres meslées.
Philippe Desportes contribua beaucoup , par ses
ouvrages, au progrès et à la pureté de notre langue.
Boileau lui rend justice , et dit qu'il débarrassa notre
poésie du pédantisme dont Ronsard l'avoit surchargée :
Ce poète orgueilleux , trébuché de si haut ,
Rendit plus retenus Desportes et Bertaut.
Voici le jugement de La Harpe sur notre poète :
« Desportes écrivoit plus purement que Ronsard et ses
« imitateurs. 11 effaça la rouille imprimée à notre ver-
« sification , et la tira du chaos où on l'avoit plongée.
« n évita avec assez de soin l'enjambement et l'hiatus ;
« mais, foible d'idées et de style, il n'a pu, dans l'âge
« suivant , garder de rang sur le Parnasse. 11 imita Ma-
« rot dans ses poésies amoureuses, et resta fort infe-
346 PHILIPPE DESPORTES.
■< rieur à lui. Il devança Malherbe dans ses stances,
' qu'on ne peut pas encore appeler des odes, quoique
« la tournure en soit assez douce et facile , et Malherbe
■ le fit oublier. »
SONNET.
Amour, trie et choisis les plus beaux de ces vers,
Et raye à ton plaisir ceux de moindre mérite :
Qu'à ce fâcheux labeur ta louange t'excite;
C'est dessous ton beau nom qu'ils vont par l'univers.
Ils sont nés de ta flame , et des tourmens divers
Dont tu me fis présent quand je vins à ta suite :
Ma prise et ta victoire, au vrai s'y voit déduite;
C'est le papier journal des maux cjue j'ai soufferts.
Ceux qui ne t'ont connu, sinon par ouï dire,
Ne doivent, ciuieux, s'arrêter à les lire :
Aux seuls vrais amoureux ce livre est réservé.
Les autres ne croiroient tant d'étranges alarmes :
Las ! si n'ai-je rien dit que je n'aie éprouvé ,
Et chacun de ces vers me coûte mille larmes.
PHILIPPE DESPORTES. 347
ELEGIE.
En la saison première, alors que, plus heureux,
Les hommes nouveaux-nés n'avoient pas même entr'eux
Reçu le nom de vice, ains guidés d'innocence,
Faisoient bien par nature, et non par connoissance :
Amour, puissant démon, qui le premier des dieux,
Avoit franchi le sein du chaos ocieux ,
Ayant mis fin partout au trouble et à la guerre ,
Amoureux des humains , vint demeurer sur terre.
Bien qu'il fût immortel, il ne les dédaignoit.
Mais de jour et de nuit il les accompagnoit ;
Il logeoit dans leurs cœurs , il échauffoit leurs âmes;
Et sous le doux effort de ses poignantes flammes,
Chacun pour s'alléger, sa moitié choisissoit.
Ne cessant leur amour, quand ce désir cessoit.
Lors tous vivoientcontens; l'amante étoit sans crainte
Que sous un beau semblant logeât une ame feinte ,
Qu'on apprît aux soupirs quand ils dévoient sortir.
Et que même les pleurs fussent duits à mentir;
La bouche étoit du cœur assuré témoignage ;
On ne s'amusoit point à farder son langage ,
Ses yeux, sa contenance, ains, sans dissimuler,
Qui plus avoit d'amour, mieux en savoit parler.
La beauté , la douceur , le mérite et l'adresse
Etoient les seuls efforts pour vaincre une maîtresse ,
Simple et sans artifice , et qui ne savoit pas
User, selon le temps, de rigueur ou d'appas.
348 PHILIPPE DESPORTES.
Façonner un souris , composer ses œillades ,
Pour rendre, en se jouant, les jeunes cœurs malades:
Mais qui plus est encor , l'or n'avoit aucun prix,
Rubis , perles , carcans , ne touchoient les esprits
De la moindre bergère , ains on prisoit sans cesse
La naïve amitié sur toute autre richesse.
Mais , quand naquit le vice , et qu'on sçut finement
Au poids de la richesse estimer un amant ,
Qu'on pût de cent façons couvrir sa fantaisie,
Et du beau nom d'honneur masquer l'hypocrisie ,
Amour, surpris alors de voir si-tôt changer
Un peuple qu'il croyoit aux vices étranger ,
Détestant leur malice , ainsi se prit à dire :
Il faut, il faut, dit-il, qu'ailleurs je me retire;
Ce peuple est misérable, et ne connoît combien
Il a, par ma faveur, reçu d'aise et de bien.
L'effet fut aussi prompt que la voix prononcée :
Car d'une aile à plein vol par le vague élancée,
Il se perd dans la nue, où, soutenu de l'air.
Pour dire ces propos il cessa de voler :
Tu t'en repentiras, race ingrate et chétive,
En regrettant trop tard le bien dont tu te prive ;
Car comme tous ensemble avez fait le péché.
Sur tous de ma fureur le trait sera lâché.
Vous hommes les premiers, qui n'avez voulu suivre
Le doux train des plaisirs oii je vous faisois vivre ,
Qui vous êtes lassés de la simplicité ,
Qui pensez par le change acquérir liberté ,
Pour les simples beautés qu'avez tant méprisées,
Vous aurez désormais des maîtresses rusées ,
PHILIPPE DESPORTES. 349
Au cœur dissimulé , sans foi , sans amitié ,
A qui le mieux aimant fera moins de pitié ,
Et dont tout Tartifice et la plus belle gloire
Sera de vous surprendre, et vous en faire accroire.
Leurs regards, leurs souris, leurs gestes , leurs propos
Seront tous façonnés contre votre repos ,
Ore vous retournant , si l'espoir vous emporte ,
Ore vous donnant cœur, si la crainte est trop forte ;
Puis de nouveaux souris vos esprits martellant ,
Et toujours aux froideurs la flamme entremêlant,
L'absynthe avec le miel , la joie à la tristesse ,
Et parmi les attraits , une grande rudesse ,
Afin que votre esprit , par la diversité ,
Confus et chancelant soit toujours agité.
Combien, lors forcenés, aurez-vous de martyre?
Combien de foux propos alors saurez-vous dire ?
Combien de juremens de ne les plus revoir,
Qui n'auront toutefois une heure de pouvoir?
Car il ne faudra rien qu'une larme contrainte ,
Un regard complaisant, une parole feinte,
Pour plus fort vous reprendre, et croirez fermement
Ce que vous aurez vu n'être qu'enchantement :
Lors pour plus me venger, je changerai mes flèches,
Mon carquois et mon arc, et ferai mille brèches
Diverses en vos cœurs , et non comme autrefois ,
Quand vous reconnoissiez mon empire et mes loix.
Cestuy celle aimera qui ne sera point belle ,
Et l'autre celle-là qui fera la rebelle
Sous la feinte d'honneur , et qui ne craindra pas
D'en tenir chaque nuit un autre entre ses bras,
35o PHILIPPE DESPORTES.
Tandis que le cliétif, dans son aine piquée,
Adorera Lamie en Lucrèce masquée.
L'autre, à bon droit craintif, l'inconstance doutant,
Bien que favorisé , ne sera pas content :
L'autre sera prodigue, afin qu'on le guerdonne,
Et ne connoîtra pas que celui cpii plus donne
En doit avoir le moins, afin qu'en espérant
De parvenir au but, on ait le demeurant.
Et vous, dames , et vous qui n'avez tenu compte
De la force d'un dieu qui tous les dieux surmonte ,
C'est à vous que j'en veux, pour vous faire sentir
Si de se prendre à moi l'on se doit repentir;
C'est à vous que j'en veux , qui avez préférée
A la sainte amitié la richesse dorée.
Le vice à la vertu , l'ignorance au sçavoir,
Et l'orde convoitise au fidelle devoir.
Et n'avez estimé être chose vilaine
Du revenu du lit accroître son domaine.
Vous ne jouirez plus du doux contentement
Qui provient de l'amour qu'on sent également.
Vous aimerez les grands à cause des richesses ,
Et les grands comme vous sauront mille finesses
Pour vous amadouer : car en tous leurs discours
De constance et de foi vous parleront toujours,
Pour parvenir au but où l'amoureux aspire ,
Puis lem- désir fini, ne s'en feront que rire.
Tout ainsi que l'on voit le chasseur qui poursuit,
Ardent, impatient, le lièvre qui s'enfuit,
Ore sur la montagne , ore à travers la plaine ,
Et pour bien peu de chose , il prend beaucoup de peine ;
PHILIPPE DESPORTES. 35 1
Car la chasse lui plaît , et le plaisir qu'il prend ,
Mille et mille fois plus que ce qu'il en attend :
Ainsi ferons les grands en l'amoureuse chasse,
Qu'ils n'épargneront rien pour gagner votre grâce,
Ni travaux ni sermens ; puis, dès qu'ils vous tiendront,
A quelqu'autre beauté leurs filets ils tendront ;
Et vous, sans vraie amour, aurez lame embrasée,
Voyant votre beauté si soudain méprisée.
Amsi crioit Amour, qui son aîle étendit.
Puis d'un vol redoublé dans les cieux se perdit;
Et pour notre malheur sa menace effroyable,
D'âge en âge depuis apparut véritable.
Vous le savez, madame; hélas! vous le savez,
Et de sa prophétie expérience avez :
Car vous avez été de la grandeur éprise.
Et vous avez des grands éprouvé la feintise ;
Mais vous devez cesser de vous en tourmenter,
Encor que vous voyez autre vous supplanter;
Car le même destin que le votre s'apprête
Pour celle qui si haut fait sonner sa conquête.
EPITAPHE
DE TIMOLÉOX DE COSSÉ , C03ITE DE BRISSAC.
Brissac étoit sans peur, jeune , vaillant et fort;
Il est mort toutes fois : passant , ne t'en étonne ,
Car Mars, le dieu guerrier, pour montrer son effort,
Se prend aux plus vaillans , et aux lâches pardonne.
352 PHILIPPE DESPORTES.
SONNET. •
Icare cliiit ici, le jeune audacieux,
Qui pour voler au ciel eut assez de courage !
Ici tomba son corps dégarni de plumage ,
Laissant tous braves cœurs de sa chute envieux.
O bienheureux travail d'un esprit glorieux ,
Qui tire un si grand gain d'un si petit dommage !
O bienheureux malheur , plein de tant d'avantage ,
Qu'il rende le vaincu des ans victorieux !
Un chemin si nouveau n'étonna sa jeunesse ,
Le pouvoir lui faillit , mais non la hardiesse ;
Il eut, pour le brûler, des astres le plus beau.
Il mourut poursuivant une haute aventure ,
Le ciel fut son désir, la mer sa sépulture.
Est-il plus beau dessein, ou plus riche tombeau?
DISCOURS.
Si l'Amour est un dieu, c'est un dieu d'injustice,
Reconnoissant le moins ceux qui lui font service ,
Un aveugle en nos maux, un enfant inconstant,
Au jouet du hasard ses faveurs départant.
Vous qui de ses rigueurs n'avez la connoissance ,
Ne vous esclavez point, faites-lui résistance;
' C'est un des ouvrages de Desportes qui eurent le plus de suc-
cès. U est imité du poète Sannazar.
PHILIPPE DESPORTES. 353
Les plus loyaux amans sont moins récompensés ;
Mon mal, peint en ces vers, le fait connoître assez.
Cet enfant invaincu, dieu de sang et de flame,
Un jour, pour mon malheur, me fit voir une dame
Qui de ses chauds regards tout le ciel allumoit,
Et les petits amours comme roses semoit.
Si-tôt que je la vis, mon ame fut émue,
Et l'Amour aussitôt flamboyant en sa vue,
Comme un éclair subtil , par un verre élancé ,
Passa dedans mon cœur , quil n'a jamais laissé.
Mais pour premier malheur de ma triste aventure,
Un mari défiant, de jalouse nature ,
Comme un dragon veillant, de la voir m'empêchoit ,
Et son riche trésor avarement cachoit.
Tout ce qu'on dit d'Argus, de lui se peut bien dire :
Jamais le doux sommeil, quand Phœbus se retire,
Ne lui ferme les yeux, il veille incessamment,
Ou s'il dort, il l'entend et la volt en dormant:
Et quand un papillon vole autour de la belle,
Il crie , et veut savoir s'il est maie ou femelle.
De ce maudit jaloux mon mal est procédé;
Car, depuis, la trouvant, cent fois j'ai retardé,
Trop discret pour mon bien, de lui faire ma plainte,
Et tandis mon désir croissoit par la ( ontrainte ,
Ainsi que le brasier par la cendre caché.
Ou comme un grand ruisseau par la digue empêché.
Mais plus que mon malheur, je plaignois le servage
De la jeune beauté, reine de mon courage,
Qui sous un joug si dur foiblement languissoil,
Et sans aucun plaisir sa jeunesse passoit.
V. 2.3
354 PHILIPPE DESPORTES.
Souvent de ce regret ayant l'ame blessée,
A part contre le ciel j'ai ma plainte dressée,
De ce qu'il nssembloit sans ordre et sans raison
Avec un froid hy ver cette belle saison ;
Et bien souvent aussi, plein d'amoureuse rage,
Comme s'il fût présent, j'usois de ce langage.
O mari trop cruel , pour si douce beauté !
Que penses-tu gagner, gênant sa liberté ?
Ton extrême rigueur, son vouloir ne retarde.
Si tu gardes le corps, l'ame est liors de ta garde;
Tu rends par tant de soins l'amant plus enflammé:
Un plaisir trop permis n'est jamais bien aimé.
Celle pêche le moins, qui a plus de licence.
Et ce qui déplaisoit est cher par la défense.
Argus avoit cent yeux. Amour les enchanta,
Et le palais d'airain Jupiter n'arrêta.
De mille autres propos j'accusois sa rudesse ,
M'efforçant quelquefois de lui faire caresse ;
Et pour mieux déguiser le mal qui me tenoit.
Je détournois les yeux quand sa femme venoit.
Las! qu'un nuage épais couvre l'esprit de l'homme!
Tandis qu'en ces desseins mon esprit se consomme,
Et que je perds le temps , cet archer rigoureux
Voulut qu'un jeune prince en devint amoureux;
Qui sans tant de respects découvrit sa pensée,
Rendant de sa beauté ma maîtresse blessée.
Elle, qui paravant n'osoit lever les yeux.
Se moque maintenant du soin trop curieux
De son mari jnloux: elle est toute de flamme.
Et rien plus que l'Amour ne commande en son ame.
PHILIPPE DESPORTES. 355
Ah ! prince bienheureux , roi de sa volonté ,
Que je porte d'envie à ta féhcité!
]Non pour être sorti d'un si fameux hgnage ,
Non pour tant de beaux traits qu'on voit sur ton visage
Non pour être en cent heux justement renommé,
Non pour tant de lauriers dont ton front est semé ,
Non pour mille vertus honorant ta jeunesse,
Mais pour être adoré de ma seule déesse :
Voilà ton plus grand heur, dont je suis envieux ,
Tu as joui d'un bien qui n'appartient qu'aux dieux.
Or, durant cette flamme à mon bien si contraire,
Oncques de mes liens je ne me pus défaire :
A l'envi du malheur, ma constance augmenta,
Et jamais le dépit si fort ne m'irrita ,
Que je pusse blâmer l'amour de cette belle.
Qui , si douce à autrui , m'étoit toujours cruelle.
De son nouveau désir j'accusai mon malheur,
Et, sans m'en offenser, je lui laissai mon cœur.
Prêt à tout endurer , même s'il se peut dire ,
Pensant à son plaisir, j'allégeois mon martyre.
Et l'œil devers le ciel , je priois bassement
Qu'un couple si parfait s'entr'aimât longuement,
Haïssant de grand cœur ceux qui, brûlés d'envie,
Troubloient l'heureux repos dune si douce vie.
Ainsi, ferme toujours, j'aimois sans être aimé,
Et comme si mon cœur au sien fût transformé,
J'avois part à son bien, sa liesse étoit mienne.
Oubliant ma douleur, pour soupirer la sienne.
Qui diroit le regret que mon cœur supporta,
Quand ce prince, à la fin, de ses yeux s'absenta ,
356 PHILIPPE DESPORTES.
Emportant quand et soi son anie et sa puissance ,
Et ne lui laissant rien que l'ennui de l'absence?
Il falloit que son cœur fût en roche endurci,
De pouvoir, trop cruel, Tabandonner ainsi,
Voir pleurer ses beaux yeux pour forcer sa demeure:
Pour moi, sans, la laisser, je fusse mort à l'heure.
Hélas! combien, depuis ce rigoureux départ.
Dédaignant tous plaisirs, 1 ai-je vue à l'écart,
Soupirer tendrement, pensive et solitaire.
Montrant que sans le voir rien ne pouvoit lui plaire?
Comme un que le soleil dans un bois a laissé ,
Ne peut plus remarquer l'endroit qu'il a passé ;
Une effroyable horreur couvre l'herbe fleurie,
Et ce qui lui plaisoit lui donne fâcherie.
Ainsi , se voyant loin du soleil de ses yeux,
La cour ne lui est plus qu'un désert ennuyeux;
Tout objet lui déplaît; sa parole forcée,
Montre à qui l'entretient, qu'ailleurs est sa pensée.
O cœur rempli d'amour, de constance et de foi.
Tu méritois trouver un amant tel que toi!
Que de vraie amitié ton amour eût acquise,
Si en autre qu'un grand ta fortune l'eût mise !
Mais, tandis qu'en regrets tu te vas consumant.
Maudissant la rigueur d'un triste éloignement.
Celui qui tient la clef de ton ame enchaînée,
Ne songe plus à toi, t'ayant abandonnée ;
Un autre affection règne en sa volonté ,
Foible jouet du vent, de-çà , de-là porté.
Et puis aimez les grands , croyez à leur langage !
La bise en arrivant n'abat tant de feuillage ,
PHILIPPE DESPORTES. 3j7
Et n'émeut sur la mer tant de flots écumans ,
Comme ils font et refont de divers chansemens.
Malheur affreux ! Faut-il que madame Tendure ?
Je pleure maintenant sa piteuse aventure,
Et vais blâmant le ciel d'un esprit dépité,
De ce qu'il ne punit tant de légèreté.
Loue Amour qui voudra ! c'est une frénésie
Que les fous ont fait Dieu selon leur fantaisie ;
Un mal, une fureur, un fort enchantement,
Par ses charmes cruels troublant l'entendement.
Las ! si mon foible esprit n'étoit troublé de rage.
Je me retirerois connoissant mon dommage,
Ou d'un autre désir plus doucement époint.
Je cesserois d'aimer ce qui ne m'aime point.
Mais d'un si puissant trait ma raison est forcée.
Que je suis, malgré moi, la trace encommencée ,
Et s€rs, sans profiter, une ingrate beauté.
Qui, pour aimer autrui, n'a plus de liberté.
Or, ce dernier confort, pour remède j'embrasse.
Que si dans son esprit la raison trouve place ,
Et qu'un jour le dépit justement allumé
Fasse mourir l'amour d'un qu'elle a trop aimé.
Alors de mes douleurs elle aura connoissance ,
Payant tant d'amitié de quelque récompense;
Et verra quelle erreur follement l'abusoit,
Quand un prince inconstant ses désirs maîtrisoit.
« L'amour des grands seigneurs aux belles ne sert gueres :
« La grandeur et l'amour sont deux choses contraires. «
358 PHILIPPE DESPORTES.
CHANSON.
Oh, bien lieiireux qui peut passer sa "vie
Entre les siens, franc de haine et d'envie,
Parmi les champs, les forêts et les bois,
Loin du tunndte et du bruit populaire.
Et qui ne vend sa liberté pour plaire
Aux passions des princes et des rois !
Il ne frémit , quand la mer courroucée
Enfle ses flots, contrairement poussée
Des vents émus soufflans horril)lement,
Et quand, la nuit, à son aise il sommeille,
Une trompette en sursaut ne l'éveille
Pour l'envoyer du lit au monument.
L'ambition son courage n'attise ;
D'un fard trompeur son ame il ne déguise;
Il ne se j)laît à violer sa foi;
Les grands seigneurs sans cesse il n'importune
Mais, en vivant content de sa fortune.
Il est sa cour, sa faveur et son roi.
Je vous rends grâce, ô déités sacrées
Des monts, des eaux, des forêts et des prées.
Qui me privez de pensers soucieux ,
Et qui rendez ma volonté contente.
Chassant bien loin la misérable attente.
Et les désirs des cœurs ambitieux.
PHILIPPE DESPORTES. SoQ
Dedans mes champs, ma pense'^e est enclose;
Si mon corps dort , mon esprit se repose ;
Un soin cruel ne le va dévorant :
Au plus matin, la fraîcheur me soulage;
S'il fait trop chaud, je me mets à l'ombrage,
Et s'il fait froid, je m'échauffe en courant.
Si je ne loge en ces maisons dorées,
Au front superbe , aux voûtes peinturées
D'azur, d'émail, et de mille couleurs,
Mon œil se paît des trésors de la plaine ,
Riches d'oeillets, de lys, de marjolaine,
Et du beau teint des printanieres fleurs.
Dans les palais enflés de vaine pompe ,
L'ambition, la faveur qui nous trompe,
Et les soucis logent communément :
Dedans nos champs se' retirent les fées,
Reines des bois, à tresses décoiffées,
Les jeux, l'amour, et le contentement.
Ainsi vivant , rien n'est qui ne m'agrée ,
J'ois des oiseaux la musique sacrée ,
Quand au matin ils bénissent les cieux ,
Et le doux son des bruyantes fontaines,
Qui vont coulans de ces roches hautaines,
Pour arroser nos prés délicieux.
Que de plaisir, de voir deux colombelles.
Bec contre bec , en trémoussant des aîles ,
Mille baisers se donner tour à tour !
Puis , tout ravi de leur grâce naïve ,
36o PHILIPPE DESPORTES.
Dormir au frais d'une source d'eau vive ,
Dont le doux bruit semble parler d'amour !
Que de plaisir, de voir sous la nuit brune,
Quand le soleil a fait place à la lune,
Au fond des bois les nympbes s'assembler,
Montrer au vent leur gorge découverte ,
Danser, sauter, se donner cotte verte,
Et sous leurs pas , tout l'bcrbage trembler î
Le bal fini , je dresse en baut la vue ,
Pour voir le teint de la lune cornue,
Claire , argentée ; et me mets à penser
Au sort heureux du pasteur de l'Atmie;
Lors je souhaite une aussi belle amie :
Mais je voudrois en veillant l'embrasser.
Ainsi , la nuit je contente mon ame :
Mais quand Pliœ])us, de ses rais nous enflame,
J'essaie encor mille autres jeux nouveaux:
Diversement mes plaisirs j'entrelasse ;
Ores je pêcbe, or' je vais à la chasse,
Et or' je dresse embuscade aux oiseaux.
Je fais l'amour, mais c'est de telle sorte
Que seulement du plaisir j'en rapporte ,
N'engageant point ma chère liberté ;
Et quelques lacs que ce dieu puisse faire
Pour m'attrapcr, quand je m'en veux distraire,
J'ai le pouvoir, comme la volonté.
Douces brebis, mes fidcllcs compagnes,
Hayes, buissons, forets, prés et montagnes,
PHILIPPE DESPORTES. 36 1
Soyez témoins de mon contentement :
Et vous, 6 dieux ! faites, je vous supplie,
Que cependant que durera ma vie,
Je ne connoisse un autre changement.
CHANSON.
L\s ! que nous sommes misérables
D'être serves dessous les loix
Des hommes légers et muables ,
Plus que le feuillage des bois !
Les pensers des hommes ressemblent
A l'air, aux vents et aux saisons,
Et aux girouettes qui tremblent
Inconstamment sur les maisons.
Leur amour est ferme et constante
Comme la mer grosse des flots,
Qui bruit, qui court, qui se tourmente,
Et qui n'a jamais de repos.
Ce n'est que vent que de leur tête;
De vent est leur entendement :
Les vents encore et la tempête
Ne vont point si légèrement.
Qui se fie en chose si vaine,
Il semé sans espoir de fruit;
Il veut bâtir dessus l'arène
Ou sur la glace d'une nuit.
362 PHUJPPE DESPORTES.
Ceux qui peuvent mieux faire accroire
Et sont menteurs plus assurés,
Entr'eux sont élevés en gloire,
Et sont comme dieux adorés.
Car ils prennent pour grand' louange,
Quand on les estime inconstans,
Et disent que le tems se change,
Et que le sage suit le tems.
Hélas! qui ne seroit éprise
Quand on ne sait leurs fictions,
Lorsqu'avec si grande feinlise
Ils soupirent leurs passions?
Mais cet ardent feu qui les tue.
Et rend leur esprit consommé.
C'est un feu de paille menue.
Aussi-tôt éteint qu'allumé.
Ainsi Toisclcur au hocage
Prend les oiseaux par ses chansons,
Et le pécheur sur le rivage
Tend ses filets pour les poissons.
SONNET.
Si je me sieds à Tomhre, aussi soudainement
Amour, laissant son arc, s'assied et se repose;
Si je pense à des vers, je le vois qui compose;
Si je plains mes douleurs, il se plaint hautement.
PHILIPPE DESPORTES. 3G
Si je me plais au mal, il accroît mon tourment;
Si je répans des pleurs, son visage il arrose;
Si je montre la plaie en ma poitrine enclose,
Il défait son bandeau, Tessuyant doucement.
Si je vais par les bois , aux bois il m'accompagne
Si je me suis cruel, dans mon sang il se bagne;
Si je vais à la guerre , il devient mon soudart.
Si je passe la mer, il conduit ma nacelle ;
Bref, jamais Tinbumain de moi ne se départ
Pour rendre mon désir et ma peine éternelle.
EPITAPHE.
Le Gast , qui sous Brissac nourriture avoit prise ,
Et qui seul imita ses desseins généreux,
Eut le cœur grand et beau, l'esprit aventureux;
Pour lui du plus baut ciel basse étoit l'entreprise.
En ce tems traître et feint, il vécut sans feintise.
N'estima les plus grands, mais les plus valeureux;
D'argent il fit jonchée , et ne fut désireux
Pour tout bien, que de gloire ouvertement acquise.
H aida ses amis, ses ennemis chassa;
Et tous ses compagnons en faveurs surpassa ,
Fut fidelle à son maître et gagna son courage :
Enfin la nuit, au lit, foible et mal disposé
Se vit meurtri de ceux qui n'eussent pas osé
En plein jour seulement regarder son visage.
364 PHILIPPE DESPORTES.
SONNET.
Qd on ne me prenne pas pour aimer tièdement ,
Pour garder ma raison , pour avoir lame saine ;
Si comme un Bacchante , Amour ne me promené ,
Je refuse le titre et Thonneur d'un amant.
Je veux toute les nuits soupirer en dormant ,
Je veux ne trouver rien si plaisant que ma peine,
N'avoir goutte de sang qui d'amour ne soit pleine,
Et sans savoir pourquoi , me plaindre incessamment.
Mon cœur me déplairoit s'il n'étoit tout de flamme;
L'aise et le mal d'amourautrement n'ont point d'ame ;
L'Amour est un enfant sans prudence et sans yeux;
Trop d'avis et d'égard sied mal à sa jeunesse ;
Aux conseillers d'état je laisse la sagesse.
Pour m'en servir comme eux lorsque je serai vieux.
EPITAPHE DE CLAUDE DE L'AUBESPINE.
Autour de mon esprit, qui jamais ne repose,
Jour et nuit vont errant d'effroyables tombeaux,
Convois , habits de deuil , mortuaires flambeaux ;
La porte de mes sens ne reçoit autre chose.
Hélas! que le Destin Injustement dispose
Des ouvrages mortels plus parfaits et plus beaux!
Tuant les rossignols, il laisse les corbeaux;
Epargnant les buissons, il moissonne la rose.
PHILIPPE DESPORTES. 365
Entre tant de milliers, son coup malicieux
A bien su remarquer ce chef-d'œuvre des cieux,
Et ravir tout l'honneur de ce monde oii nous sommes.
Ce qu'est l'herbe à la terre , à l'herbage les fleurs ,
L'or aux autres métaux, la blancheur aux couleurs,
Cher ami, tu l'étois à la race des hommes.
PRIERE.
Las! que ferai-je? oserai-je hausser
Les yeux au ciel , pour à toi m'adresser
En cet effroi qui mon ame environne?
Je suis confus, j'ai l'esprit défaillant,
Mon œil se trouble, et mon cœur tressaillant
Veut me quitter, tant mou forfait Tétonne !
Cachons-nous donc ; mais oii pourrai-je aller,
Au ciel, en l'onde, en la terre ou en l'air,
O Seigneur Dieu , pour éviter ta face ?
Si je me couvre en l'obscur de la nuit.
Ton œil divin par les ombres reluit,
Et tout soudain remarquera ma trace.
D'aller au ciel tu es le commandant;
Il vaut donc mieux fuir en descendant.
Et m'abîmer au plus creux de la terre;
Mais de ton œil je ne serois absent ;
Car les enfers vont sous toi tléchissanl,
Et jusques-là tu me feras la guerre.
366 PHILIPPE DESPORTES.
Soit que je veille ou que je sois couché ,
Rieu que je fasse, hélas! ne t'est caché;
Tu sondes tout, pénétrant la pensée :
Veux-je fuir? tu me viens attraper.
Et pour courir je ne puis échapper;
Car par ta main ta foudre est devancée.
Tu peux, hélas! tu peux me foudroyer.
Mais voudrois-tu ta colère employer.
Et hassement frapper un peu de poudre?
Tu es, grand Dieu, tout juste et tout puissant,
Je ne suis rien, si qu'en me punissant
Tu perds , Seigneur, et ta peine et ton foudre.
Me châtiant, tu te rends poursuivant
Contre un fétu foihle jouet du vent.
Tu veux montrer ta force à un omhrage,
A un corps mort, à un hois desséché;
A un houton qui languit tout penché,
Et au houillon enflé sur le rivage.
Hélas , Seigneur, ayes pitié de moi !
Tu es mon tout, mon sauveur et mon roi;
Seul je t'invo(jue en ma plainte ordinaire.
Souvienne-toi que tu m'as façonné;
D'os et de nerfs tu m'as environné :
Voudrois-tu hien ton ouvrage défaire ?
Si je ne suis qu'ini bourbier amassé,
Tes mains pourtant, tes mains m'ont compassé;
Tu m'as couvert de charnure et de veines :
Quand tu voudras, tu me feras déchoir
PHILIPPE DESPORTES. 867
Comme la fleur qui flétrit sur le soir,
Et découler comme 1 eau des fontaines.
Déjà , Seigneur, déjà j'ai bien senti
Sur moi chétif , ton bras appesanti;
Je n'en puis plus , il faudra que je meure.
Un voile obscur me dérobe les cieux ,
Mille remords m'agitent furieux,
Et ma vigueur s'affoiblit d'heure en heure.
Mes tristes jours coulent légèrement ,
Je n'attends rien qu'un obscur monument;
Je suis en proye à mes peines terribles :
Las! je n'ai clos les yeux pour sommeiller,
Que tout tremblant il me faut réveiller,
Epouvanté de visions horribles.
O Seigneur Dieu, qui vois ma passion,
Ne me délaisse en cette affliction;
Chasse ton ire, adoucis ton courage;
Veuille en douceur ta colère changer !
Tends-moi la main, sauve-moi du danger
Qui m'est prochain par ce cruel orage.
ADIEU A LA POLOGNE.
Adieu Pologne, adieu plaines désertes.
Toujours de neige ou de glaces couvertes;
Adieu, pays, d'un éternel adieu :
Ton air, tes mœurs m'ont si fort su déplaire ,
Qu'il faudra bien que tout me soit contraire ,
Si jamais plus je retourne en ce lieu.
368 PHILIPPE DESPORTES.
Adieu maisons d admirable slructure,
Poêles adieu, qui, dans votre clciture,
]Mille animaux, pile-meme entassez.
Filles, garçons, veaux et bœufs tout ensemble:
Un tel ménage à l'âge d'or ressemble ,
Tant regretté par les siècles passés.
Quoi qu'on me dît de vos mœurs inciviles ,
De vos liabits , de vos mécbanles villes,
De vos esjjrits pleins de légèreté,
Sarmates fiers, je n'en voulois rien croire,
]Ni ne pensois que vous pussiez tant boire:
L'eusse- je cru sans y avoir été !
Barbare peuple , arrogant et volage ,
Vanteur, causeur, n'ayant rien que langage;
Qui, jour et- nuit dans un poêle enfermé,
Pour tout plaisir se joue avec un verre ,
Ronfle à la table ou s'endort sur la terre,
Puis comme un Mars veut être renommé.
Ce ne sont pas vos grand's lances creusées,
Vos peaux de loups , vos armes déguisées ,
Oii maint plumage et mainte aile s'étend,
Vos bras cbarnus ni vos traits redoutables,
Lourds Polonois, qui vous font indomptables :
La pauvreté seulement vous défend.
Si votre terre étoit mieux cultivée,
Que l'air fût doux, qu'elle fût abreuvée
De clairs ruisseaux, ricbe en bonnes cités.
En marchandise, en profondes rivières,
PHILIPPE DESPORTES. 869
Qu'elle eût des vins, des ports et des minières,
Vous ne seriez si long-tems indomptés.
Les Ottomans, dont Tame est si hardie.
Aiment mieux Cypre ou la belle Candie,
Que vos déserts presque toujours glacés;
Et l'Allemand qui les guerres demande,
Vous dédaignant, court la terre flamande,
Oii ses labeurs sont mieux récompensés.
Neuf mois entiers, pour complaire à mon maître.
Le grand Henri, que le ciel a fait naître,
Comme un bel astre aux humains flamboyant ,
Pour ce désert j'ai la France laissée ,
Y consumant ma pauvre ame blessée,
Sans nul confort, sinon qu'en le vovant.
Fasse le ciel que ce valeureux prince
Soit bientôt roi de quelqu'autre province ,
Riche de gens, de cités et d'avoir;
Que quelque jour à l'empire il parvienne;
Et que jamais ici il ne revienne.
Bien que mon cœur soit brûlant de le voir!
EPI GRAMME.
Tant de rapports flicheux indignes de notre ire,
Ne sortent que d'esprits jaloux ou mal contens .
Je suis d'avis de faire et de les laisser dire ,
Ils en auront la peine, et nous le passe-tems.
V. 24
^yO PHILIPPE DESPORTES.
SONNET.
Le jour chasse le jour, comme un flot l'autre chasse;
Le tems léger s'envole et nous va décevant,
Misérables mortels, qui tramons en vivant.
Desseins dessus desseins, fallace sur fallace.
Le cours de ce grand ciel qui les autres embrasse,
Fait que l'âge fuitif passe comme le vent.
Et sans voir que la mort de près nous va suivant,
En mille et mille erreurs notre esprit s'entrelasse.
L'un, esclave des grands, meurt sans avoir vécu;
L'autre de convoitise ou d'amour est vaincu:
L'un est ambitieux , l'autre est chaud à la guerre.
Ainsi diversement les désirs sont jioussés;
Mais que sert tant de peine, 6 mortels insensés!
Il faut tous à la fin retourner à la terre.
STANCES.
DU MARIAGE.
De toutes les fureurs dont nous sommes pressés,
De tout ce que les cieux ardcnnnent courroucés
Peuvent darder sur nous de tonnerre et d'orage,
D'angoisseuses langueurs, de meurtre ensanglanté,
De soucis, de travaux, de faim, de jiauvreté,
Rien n'approche en rigueur la loi de mariage.
PHILIPPE DESPORTES. 87 I
Jupiter en courroux, certain jour ici-bas
Fit descendre la femme aux yeux remplis d'appas ,
Et portant en la main une boëte féconde
Des semences du mal , les procès , le discord ,
Le souci, la douleur, la vieillesse et la mort,
Bref, pour douaire, elle eut tout le malheur du monde.
Vénus dessus son front mille beautés sema ;
Pi thon d'autant d'attraits sa parole anima;
Vulcain forgea son cœur ; Mars lui donna l'audace :
Bref, le ciel rigoureux si bien la déguisa,
Que l'homme épris de flamme aussi-tôt l'épousa.
Plongeant en son malheur toute Ihumaine race.
De-là le mariage eut son commencement.
Tyran injurieux, plein de commandement.
Que la liberté fuit comme son adversaire
Plaisant à l'abordée, à l'œil doux et riant,
Qui, sous un beau dehors, traître, nous va liant
D'un lien que la mort seulement peut défaire.
Il tient dessous ses pieds le repos abbatu ;
De cordage et de fers son corps est revêtu :
Le soin est à côté, le travail le regarde;
La peur, la jalousie et le mal inconnu.
Mal par opinion , qui rend l'homme cornu :
Puis vient le repentir, chef de l'arriere-garde.
Le deuil et le courroux, après le vont suivant:
A sa vue Amour fuit, léger comme le vent,
Bien que le nom d'amour masque sa tyrannie ;
Car ce puissant vainqueur, et des dieux et des rois,
372 PHILIPPE DESPORTES.
Magistrat souverain, n'est point sujet aux loix,
Et de toute sa cour la contrainte est bannie.
Hélas! grand Jupiter! si l'homme avoit erré,
Tu le devois punir d'un mal plus modéré.
Et plutôt l'assommer d'un éclat de tonnerre
Que le faire languir durement enchaîné,
Hôte de mille ennuis, au deuil abandonné,
Travaillant son esprit d'une immortelle guerre.
On parle des enfers oli les maux sont punis,
Trop cruel magasin de tourmens infinis.
Du chien toujours béant, des sœurs pleines de rage,
Des douleurs de Titye et des autres esprits;
Mais je ne puis penser que ce soit rien au prix,
Ni qu'il y ait enfer si grand que mariage.
Languir toute sa vie en obscur prison,
Passer mille travaux, nourrir en sa maison
Une femme bien laide, et coucher auprès d'elle;
En avoir une belle, et en être jaloux.
Craindre tout, l'espier, se gêner de courroux,
Y a-t-il quelque peine en enfer plus cruelle ?
Je tais tant de regrets, de soucis et d'ennuis.
Tant de jours ennuyeux, tant de fâcheuses nuits.
Tant de rapports semés, tant de plaintes ameres;
Qui les pense nombrer aura plutôt compté
Les fleurettes de mai, les moissons de l'été,
Et des plaines du ciel les flambeaux ordinaires.
Ecoutez ma parole : 6 mortels égarés,
Qui dans la servitude aveuglement courez ,
PHILIPPE DESPORTES. 3']^
Et voyez quelle femme au moins, vous devez prendre :
Si vous l'épousez riche , il se faut préparer
A servir, à souffrir, à n'oser murmurer,
Aveugle en tous ses faits et sourd pour ne l'entendre.
Si vous la prenez pauvre, avec la pauvreté
Vous épousez aussi mainte incommodité :
La charge des enfans, la peine et l'infortune ;
Le mépris d'un chacun vous fait Laisser les yeux;
Le soin rend vos esprits chagrins et soucieux;
Avec la pauvreté toute chose importune.
Si vous l'épousez helle, assurez-vous aussi
De n'être jamais franc de crainte et de souci :
L'œil de votre voisin , comme vous , la regarde ;
Un chacun la désire; et vouloir l'empêcher,
C'est égaler Sisvphe et monter son rocher :
Une beauté parfaite est de mauvaise garde.
Si vous la prenez laide , adieu toute amitié :
L'esprit tenant du corps est plein de mauvaistié :
Vous aurez la maison pour prison ténébreuse;
Le soleil désormais à vos yeux ne luira:
Bref, on peut bien penser qu'elle vous déplaira.
Puisqu'une femme belle en trois jours est fâcheuse.
Celui n'a voit jamais les noces éprouvé.
Qui dit qu'aucun secours contre amour n'est trouvé.
Depuis qu'en nos esprits il a fait sa racine;
Car, quand quelque beauté vient nos cœurs embraser,
La voulons- nous haïr, il la faut épouser :
Qui veut guérir d'amour, c'en est la médecine.
374 PHILIPPE DESPORTES.
Mille fois Jupiter, (raniour tout égaré,
Pour les yeux de sa sœur a plaint et soupiré,
Toutefois il la hait di's qui! l'a épousée,
Et lui déplaît si fort, que, pour s'en étranger,
En bète et en oiseau ne craint de se changer,
Ne trouvant rien fâcheux pour la rendre abusée.
La noce est un fardeau si fâcheux à porter,
Qu'elle fait à un dieu son empire quitter;
Elle lui rend le ciel un enfer de tristesse;
Il trouve en ses liens tant d'infélicité,
Qu il aime mieux servir en terre une beauté,
Que jouir dans le ciel d'une épouse déesse,
A rexomple de lui qui doit être suivi.
Tout homme (jui se trouve en ses lacs asservi,
Doit par mille plaisirs alléger son martyre,
Aimer en tous endroits sans esclaver son cœur.
Et chasser loin de lui toute jalouse peur :
Plus un homme est jaloux, plus sa femme on désire.
O supplice infernal en la terre transmis
Pour gêner les humains, gêne mes ennemis:
Qu'ils soient chargés de fers, de tourmens et de flamme;
Mais fuis de ma maison, n'approche point de moi;
Je hais plus que la mort ta rigoureuse loi,
Aimant mieux épouser un tombeau qu'une femme.
PHILIPPE DESPORTES. 375
ODE SACREE.
Arrière, 6 fureur insensée,
Jadis si forte en ma pensée
Quand d'amour j'étois allumé !
Rempli d'une flamme plus sainte,
Je sens maintenant toute éteinte
L'ardeur qui m'a tant consumé.
C'est trop, c'est trop versé de larmes,
C'est trop chanté d'amours et d'armes ,
C'est trop semé ses cris au vent,
C'est trop, plein de jeunesse foie.
Perdu tems, labeurs et parole,
Au lieu du corps, l'ombre suivant.
Seigneur, change et monte ma lyre.
Afin qu'au lieu d'un vain martyre,
Qui se paît des cœurs ocieux.
Elle ravisse les oreilles,
Resonnant tes hautes merveilles,
Quand de rien tu formas les cieux,
C'est toi, qui d'une main puissante
Dardes la foudre punissante.
Et qui d'un clin d'œil seulement
Fais tourner cette masse ronde;
La flamme, l'air, la terre et l'onde.
Sont serfs de ton commandement.
376 PHILIPPE DESPORTES.
C'est toi qui n'as point de naissance ,
Siiiij)Ie, unique et divine essence,
Tout saint, tout juste, tout clément :
Ton doigt ce grand univers range,
Et, bien que toute cliose change,
Tu demeures sans changement.
Ta parole est seule assurée,
Et quand plus n'aura de durée,
Du ciel l'assidu mouvement ,
Elle encor demeurei a Ifime ,
Comme n'ayant ni fin ni terme,
Non plus que de commencement.
Continue, ô Dieu, continue.
Afin que ta force connue
Soit toujours mon seul argument;
Délaissant les fausses louanjzes
De mille et mille dieux étranges
Que j'ai chantés trop follement.
Je m'en repens , rouge de honte.
Quand tout bas quelquefois je compte
Tant de propos que j'ai perdus.
Tant de nuits vainement passées.
Tant et tant d'errantes pensées
Et de cris si mal entendus.
Ores , troublé de jalousie ,
Ores, dedans la fantaisie.
Roulant quelque projet nouveau.
Selon que les vagues soudaines.
PHILIPPE DESPORTES. 877
De mille tempêtes mondaines
Agitoient mon foible cerveau.
Mais quoi! veux-je faire revivre
Les morts dont ta main me délivre?
Veux-je me plaindre une autre fois ?
Et par mes accens lamentables
Tâcher à rendre pitoyables
Les monts, les rochers et les bois?
Las! non; mais plein de repentance,
J'en veux perdre la souvenance ,
Et l'avoir toujours en horreur :
O Seigneur, à qui je m'adresse ,
Ne souffre , hélas ! que ma jeunesse
Retombe dans la même erreur.
Un cœur net en moi renouvelle.
Afin que plus je ne chancelé ,
Suivant mon instinct vicieux;
Et quelque chose que je fasse,
Donne-moi pour guide ta grâce ,
Qui me mené au chemin des cieux.
Fais que mon luth toujours te sonne;
Fais que mon doigt rien ne fredonne
Que tes œuvres grands et parfaits,
Et que ma bouche reste close.
Si je veux parler d'autre chose
Que de ta gloire et de tes faits.
378 ETIENNE TABOUROT.
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ETIENNE TABOUROT.
Étiewe Tabourot naquit à Dijon en i547, '^^
Guillaume Tabourot, célèbre avocat au Parlement
de Bourgogne, et maître des comptes, et de Didière
Tbiorry. Il fut procureur du roi au bailliage et à la
cbancellerie de Dijon.
Les armes de la famille de Tabourot étoient un tam-
bour, appelé autrefois tabour ou tabourain. 11 y joi-
gnit ces mots, à tous accords , ce qui donna lieu au
surnom de seigneur des Accords, sous lequel ce poète
est resté plus connu.
Zélé partisan de la Ligue, Tabourot remplit, au
rapport d'un écrivain de son temps , la cliarge de pro^
moteur aux affaires du conseil d* état tenu a Dijon pour
la sainte union; et l'on voit en effet, sur les registres
de la Grand-Cliambre (iSSp), qu'il agit en cette qua-
lité. Il mourut en 1.^90, et fut inliumé dans l'abbaye
de Saint-F'énigne , de Dijon.
La première de ses productions a pour titre Bigar-
rures ; ce recueil est divisé en quatre Livres , partie en
vers et partie en prose : il renferme une foule de
pièces diverses qui n'ont entre elles aucun rapport,
comme le titre l'annonce.
Les Touches du seigneur des Accords, qu'on trouve
à la suite du recueil précédent, sont des épigrammes,
dont la plupart se terminent par un trait de morale
ou de critique , sous le titre de Contre-Touche.
ETIENNE TÂBOIIROT. 879
Tabourot nous apprend dans ses Bigarrures^ c[ii étant
écolier a Paris ^ en j 564 , il fit la Coupe poétique , la
Marihite et autres ^ a riniitation des Grecs. 11 célébra,
en i58!, le baptême de Léonard-François de Saulx,
vicomte de Tavanes, par un poëme d'environ deux
cent cinquante vers, dans lequel l'enfant est présenté
sur les fonts par Pandore et les Nymphes. Un autre
ouvrage de Tabourot, intitulé la Défense et louange
du Pou , ensemble celle du Ciron , parut en 1 397. Enfin ,
La Monnoie, dans une lettre au président Bouhier,
lui attribue la Sj-nathrisie , alias y Recueil confus , dont
nous avons déjà parlé à l'article de Jean Desplanches
qui en fut l'imprimeur.
Tabourot a aussi laissé quelques poésies latines; il
fit une nouvelle édition du Dictionnaire des rimes de
Jean Lefèvre, avec des augmentations.
MARIAGE EGAL.
Comme on traitoit le mariage
D'une maligne et d'un malin ,
Un des parens dit, c'est dommage!
Ils se battront soir et matin :
Non, dit un d'entr'eux le plus sage.
Il les faut mettre ensemble, afin
Que du moins ce couple mutin
Ne puisse troubler qu'un ménage.
38o ETIENNE TABOUROT.
DU SERVITEUR.
Monsieur , vous plaît-il satisfaire
Le tenis que je vous ai servi?
Mon ami , tu ne me peux plaire ,
Déloge , voilà ton solvi :
Dont le serviteur tout ravi,
Ne sachant sur cela que faire ;
Adieu, dit-il, si j'ai servi.
Je prends liberté pour salaire.
SONNET.
Quoi! faut-il demander, voyant un amoureux.
S'il a désir d'avoir de son mal allégeance ?
Quoi ! faut-il demander quelle est son espérance ,
Et qu'est ce que prétend son travail ennuyeux?
Vous le connoissez bien , vous le savez trop mieux ,
Qu'il ne le pourroit pas lui-même faire entendre.
Mais si vous desirez plus sûrement l'apprendre,
Je vous l'enseignerols si nous étions nous deux.
Or, ne feignez donc plus d'ignorer mon tourment ,
Sans dire mot je prie, et vous fais seulement
Par signes évidcns concevoir mon martyre.
Que voulez-vous encore ? On connoît un amant
A ses seules façons, contentez-vous d'autant;
Car il faut beaucoup mieux le faire que le dire.
ETIENNE TABOUROT. 38 1
LE PEU DEVOTIEUX.
Un prothonotaire est cité
Devant son juge qui le blâme,
Pour ce que chacun le diffame i
De n'avoir jamais récité
Pater ni Bénédicité.
Lors monsieur le prothonotaire
Lui répondit tout dépité :
Je les veux penser et les taire. j
S'il les veut penser et les taire, 1
Ne les lui fais pas prononcer; *
Car il fera tout le contraire,
Et les dira sans y penser. j
A M. DE CHANLECY,
CAPITAINE DES GAEDES DE M"-" LE DUC DELBEUF.
Sa-IS-tu , mon Chanlecy, comme j'aurois envie
De vivre pour passer heureusement la vie ?
Suffisamment de biens, amassés sans labeur.
Par libéralité de quelque donateur :
Voir mes champs non ingrats, fertiles chaque année ;
Avoir toujours bon feu dedans ma cheminée;
Haranguer rarement , n'avoir aucun procès ,
L'esprit bien en repos; ne faire point d'excès;
Etre en bonne santé, le corps net et agile;
Sage simplicité; tenir table facile,
382 ETIENNE TABOLROT.
Sans art de cuisinier, et cncor je voiulrois
Des amis ni plus grands ni j)lus petits que moi;
Une joueuse nuit, n'étant toutefois ivre;
Un lit chaste et gaillard, de tous soucis délivre;
Le sommeil gracieux rendant courtes les nuits;
Vouloir tant seulement être ce que je suis;
Ne souhaiter la mort, et moins encor la craindre;
Je ne te saurois mieux tous mes souhaits dépeindre;
Que si jouir de tout n'est pas en mon pouvoir.
J'en prends ce que je puis, ne pouvant tout avoir.
LE TEMPS.
Dis-moi de quoi les grands seigneurs
Font chez eux le j)lus de dépense;
L'un dit que c'est en l'ahondance
De chevaux et de serviteurs;
L'autre dit, c'est en Taccointance
Des femmes et morceaux friants :
Pour en dire ce que je pense ,
Leur plus grand' dépense est du tems.
DU MAITRE POLI.
Si l)cau parler et hcaux semhlans
Valloient la pièce un pistolet,
Voire luu- pièce de six hlancs.
Monsieur paycroit hion son valet.
ETIENNE TABOUROT. 383
MAITRE SANS RAISON.
Jean servit très-fidélement
Son maître, qui e-nfin le chasse;
Encor de plus mauvaise grâce
Ne lui veut donner son payement :
Dont appelé en jugement;
Comment, dit monsieur, peut-il être
Qu'on souffre plaider librement
Un serviteur avec son maître ?
ÉPIGRAMME.
Heureuses seront les provinces
Dedans lesquelles régneront
Des rois qui philosopheront,
Ou quand les sages seront princes!
DES PROMETTEURS.
Celui est bien plein de folie
Qui trop au lendemain se fie ;
Aujourd'hui un œuf en la main
Vaut mieux que deux poulets demain.
384 ETIENNE ÏABOUROT.
DE BERTOT ET JEANNE.
Bertot veut Jeanne en mariage,
Je trouve qu'il fait sagement :
Jeanne n'en veut aucunement.
Je trouve Jeanne encor plus sage.
EPIGRAMME.
Un pauvre pitaut de village
Tout ébahi me demandoit
Un seigneur quel homme c'étoit;
Car il lui semhloit au visage
Qu'il étoit homme comme nous :
Ami , dis-je , il est davantage ;
Car s'il est fol, il nous perd tous,
Et nous rend heureux, s'il est sage.
TARDIVE RÉCOMPENSE.
Hélas! Jean se meurt à cette heure;
O le gentil entendement!
Eh quoi, mon Dieu! faut-il qu'il meure
Sans recevoir nul payement ,
iSi le salaire du service
Qu'il m'a rendu fidèlement?
Allez lui dire promptement
Que je lui donne un bénéfice.
ETIENNE TABOUROT. 385
Ah ! monsieur, vous avez grand tort
D'user de telle diligence ,
Pour lui donner sa récompense ,
Attendez qu'il soit du tout mort.
DE JEAN, PAUVRE.
Il fiiut que Jean pauvre meure,
Puisqu'il est pauvre à cette heure;
Car on ne donne plus rien,
Fors à ceux qui ont du bien.
LE BEAU BATIMENT.
L'on me montroit un bâtiment
Fait de très-belle architecture ,
Embelli de riche peinture,
Et meublé fort superbement;
Le maître dit : Quel jugement
Faites- vous de ce mien ouvrage?
Vraiment, lui dis-je, c'est dommage
Que Dieu n'y est aucunement.
— Pour bâtir donc à votre euise ,
Il eût fallu faire une église ?
— Non; mais il faudroit seulement
Y vivre plus chrétiennement.
ib
386 ETIENNE TABOtROT.
DE JACQUELIN.
0_\ (lit que Jacquelin pleure
Le trépas de ses deux sœurs :
Non; mais il jette des pleurs
Pour ce qu'une encor demeure.
AU LECTEUR.
Un envieux me blâme et dit
Que ce volume est trop petit;
Mais j'aurois un plaisir bien grand ,
Si cliacun en disoit autant.
A MAUMISERT, MON VALET.
Maumisert, je t'ai entendu
Pleurer ta fortune. Qu'as- tu
A te fâcher de mon service ?
Reçois-tu pas autant d'office,
De bienfaits et plaisir de moi,
Que j'en saurois tirer de toi ?
Viens-çà. Pendant que tu reposes.
Sans t'émayer d'aucunes choses,
Ronflant, libre toutes les nuits,
N'ai-je pas mille et mille ennuis ?
Et ne faut-il pas que je pense
A notre ordinaire dépense;
ETIENNE TABOUROT. 887
Et comme il faut le lenclemaia
Travailler pour chasser la faim ?
Vois-tu pas comme je courtise
Un âne masqué de faintise,
Pendant qu'à grand peine en un mois
Tu me salueras une fois ?
Puis tôt après, chargé d'affaire,
Allant selon mon ordinaire.
Ou par la ville , ou au palais ,
Je vais devant, tu viens après;
Ainsi sur l'élément liquide
A ton tour tu me sers de guide :
Et lorsque je suis au barreau,
Tu vas jouer sur le carreau,
A la darde mes aiguillettes ,
Ou bien souvent tu cabarettes :
Et lorsque du travail je prens,
Sans souci tu passes le tems.
Tu n'as pas peut-être agréable
De me venir servir à table :
Mais, quand tu as bien déjeuné.
Ne peux-tu attendre un dîné?
Sans manger point tu ne demeures ,
Comme je fais, jusqu'à dix heures;
Ainsi, me voyant un petit
Manger, tu reprens appétit.
Et aiguises ta dent pour paître
Ce qui reste devant ton maître;
Ainsi je t'ote le soupçon
Que ta viande est sans poison.
388 ETIENNE TABOUROT.
Le jour, fermé dans mon étude ,
Avec grande sollicitude,
Et courbé sur mon estomac,
Je feuillette quelque gros sac;
Et toi cependant tu te ris.
Ou de quelque joyeux devis
Tu t'entretiens, ou bien tu chantes
Oisif auprès de mes servantes.
Bref tu ne prens aucun souci
Du présent ni futur aussi;
Et tu n'as pas peur que la vigne
Reçoive quelque mal insigne ,
Moins encor que les autres fruits
Soient par un orage détruits;
Car tu n'en veux laisser de faire
Tes quatre repas d'ordinaire.
O heureux , trois et quatre fois,
Si ton bonheur tu connoissois !
Car pour vrai tu nous verrois être.
Moi du nom, toi par effet maître,
Et que je ne suis rien, sinon
Le dépensier de la maison;
Et encore au bout de l'année
Ta fortune est si fortunée.
Que, me servant de peu ou rien.
Il faut du plus clair de mon bien
Te donner salaire et bon gage :
Es-tu pas plus heureux que sage?
ETIENNE TABOUROT. 389
STANCES.
Il n'est rien si puissant que l'Amour et la Mort :
La Mort détruit le corps, l'Amour détruit les âmes;
Mais encore l'Amour me semble le plus fort :
Car la vie et la mort dépendent de ses flammes.
Amour, comme il lui plaît, nous fait vivre et mourir,
Par ses rigueurs on meurt , ses douceurs font revivre :
La Mort ayant blessé, ne nous peut plus guérir.
Et l'amant , pour mourir, d'Amour ne se délivre.
Jusques dans les enfers Amour nous va suivant,
La Mort tant seulement nous suit jusqu'à la tombe;
Au pouvoir de l'Amour Ton retombe souvent,
Au pouvoir de la Mort jamais on ne retombe.
La Mort dont le pouvoir s'amortit dans les cieux.
Contre des cœurs de terre exerce sa puissance ;
L'Amour va triomphant des hommes et des dieux.
Et prend force du ciel , dont il prend sa naissance.
Le malheur de la Mort, fin de tous nos malheurs,
Noyé au fleuve d'oubli nos pénibles pensées :
L'Amour, commencement de toutes nos douleurs,
Nourrit le souvenir de nos peines passées.
Si la Mort nous ayant au tombeau renfermés,
D'un bandeau ténébreux nous sille les paupières,
L'Amour, aveugle enfant , nous tient si bien charmés.
Qu'il prive la raison de toutes ses lumières.
390 ETIENNE TABOUROT.
Amour, fils de Vénus, Mort, fille du Destin,
Seules divinités que mon ame révère,
Hélas! je vous invoque et réclame sans fin;
Mais Tune m'est trop douce, et l'autre trop sévère.
ÉPITAPHE FAITE POUR UN ATHEISTE.
J'ai vécu sans ennui , je suis mort sans regret.
Je ne suis plaint d'aucun, n'ayant pleuré personne;
De savoir où je vais, c'est un autre secret:
J'en laisse le discours aux docteurs de Sorbonne.
ÉPITAPHE D'UN CHICANNEUR.
Du plus grand cbicanneur qu'on pourra jamais voir,
En ce tombeau glacé gît la dépouille morte :
Pluton, bote commun, ne le veut recevoir.
De peur qu'en son pays la cbicanne il ne porte.
ÉPITAPHE.
Ci gît qui fut plein de diffame;
C'étoit, pour vous le faire court,
Un Mars au combat de l'Amour,
Au combat de Mars une femme.
ETIENNE TABOUROT. 3ç)l
D'UNE VIEILLE ET RICHE COQUETTE.
Image de la mort, vieille sempiternelle,
Que vous sert-il d'user de tant de cruauté ?
Ma foi! vous vous trompez de faire la cruelle;
Car j'aime vos écus, non pas votre beauté.
Vos cheveux jà grisons, blondis par artifice,
Vos yeux qui semblent fiers d'une mourante ardeur,
N'obligeroient personne à vous rendre service.
Si vous n'aviez de l'or autant que de laideur.
Les dieux vous ont fait naître autant riche que laide ,
Vous faisant part de l'or, dont le monde est jaloux.
Afin qu'à vos laideurs l'or serve de remède ,
Et que pour avoir l'or on fasse cas de vous.
Ceux de qui vous avez la liberté ravie.
Sont remplis d'avarice , et non d'autre désir ;
Et si par le passé quelqu'un vous a servie.
C'est pour l'espoir du gain, et non pour le plaisir.
ÉPITAPHE.
NuD du ciel je suis descendu ,
Et nud je suis sous cette pierre;
Donc pour être venu sur terre,
Je n'ai ni gagné ni perdu.
392 CLOVIS HESTEAU.
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CLOVIS HESTEAU.
Clovis Hesteau étoit natit'de Blois; il vivoit encore
en i584> Il 'lit secrétaire de la chambre du roi et de
Monsieur, c'est-à-dire de Henri m et du duc d'Anjou.
Ses Œuvres poétiques, dédiées au duc d'Anjou,
turent publiées en iSyS. Ce recueil est divisé en trois
Livres, Le premier contient des Stances en faveur de
V Académie. Cette Académie n'étoit encore qu'une
société littéraire, que le duc d'Anjou avoit fondée, ou
dont il étoit du moins le protecteur; les Gémissements
de la France au roi^ Pallas h Monsieur, pièces rela-
tives aux troubles de la France; luie Hjinne a la
Fortune; une Ode pindariquc a Monsieur, sur ses inc-
^oi'rei; plusieurs autres odes, quelques sonnets, etc.
Les Amours composent le second Livre; c'est un
recueil de cent un sonnets , avec une prière , des
stances , un dialogue et une ode.
Le troisième Livre renferme , sous le titre de divers
poèmes , un Sonnet a mademoiselle d^Atry; un Chant
pastoral à la même; la Métamorphose du, fii^uier ; les
Reproches de Médée h Jason; les Enchantements du sieur
de Beaujojeux ; on trouve ensuite la Jalousie de Ca-
nidie; les Plaintes de Roger pour Bradamntite; la Plainte
de Telie a Echo; un Cartel; une Satyre contre les
ennemis de la France, et l'épitaphe de trois frères,
traduite du latin, de Jean Dorât,
CLOVIS HESTEAU. SgS
SONNET.
Lorsque l'astre du jour ses grands coursiers attelle,
Pour nous darder ses rets plus que l'or reluisans,
Je sens naître dans moi mille soupirs cuisans ,
Poussés d'un soin rongeur, qui toujours me martelle.
Autant qu'il va haussant sa lumière immortelle.
Autant mon mal s'avance et consomme mes ans :
Autant qu'il aide à tout, mes maux me sont nuisans,
Et comme il est sans fin , ma peine est éternelle.
S'il éloigne de nous son ardente chaleur.
De plus en plus s'accroît mon ardente douleur :
Tellement que le tems se change, et non ma peine.
La nuit chasse le jour, le jour chasse la nuit,
Et Phœbus et Phœbé chacun à son tour luit :
Bref tout est incertain, mais ma peine est certaine.
ODE.
UNE DAME QUI ÉTAIT FIERE DE SES RICHESSES.
De la vermeille courriere
La roussoyante lumière
Se ranime chaque jour;
Jamais la lune blafarde
Plus d'un quartier ne retarde ,
Faisant son oblique tour.
394 CLOVIS HESTEAU.
Jamais les ondes soufflées
Ne défaillent d'être enflées
Au tomps des ides de mars;
Toujours riierbc ^erdissante
Est au printemps renaissante
Dans la clôture des parcs.
Du manoir rempli d'encombre
La porte puante et sombre
Est ouverte à l'arriver;
Mais, quand Tame vagabonde
A franchi la bourbeuse onde,
On ne l'en peut retirer.
Atropos, grosse d'envie,
Sait bien cacher notre vie
Dessous le tombeau reclus;
Mais, quand par sa main meurtrière
Elle est en proie à la bière,
Clotho ne la fde plus.
Qui est le roi (|ue la panjue
Ne fait descendre en sa barque
Pcle-mêle errant au port ?
Quelles couronnes puissantes.
Quelles masses d'or luisantes
Le rachettent de la mort !
Je compare ta fortune.
Madame, ;iu biuyant Neptune,
Quand les vents sont courroucés ,
Qui les mats pousse aux étoiles.
CLOVIS HESTEAU. 3c^!j
Puis tantôt cache les voiles
Dessous les flots entassés.
Au nuage elle ressemble
Qui boit, qui pompe et assemble
La terrestre humidité;
Puis crevant elle desserre
Son lourd fardeau sur la terre ,
Lourdement précipité.
Souvent Tourse à la renverse
Entasse en mainte traverse
Sa queue au tour du mouton ;
Puis, l'empoignant à la tête.
Ne laisse rien de la bête
Que les os et le cotton.
Peux-tu bien faire la chiche
Du bien dont tu te vois riche ,
Et dire que ma valeur
Mérite bien quelque chose ;
Mais qu'il ne faut pas que j'ose
Attenter à ta grandeur?
Vois la reine Egyptienne
Et la grand' Phénicienne,
Aimoient-elles pour le bien ?
Non ; mais deux pauvres gens d'armes ,
Bannis par l'horreur des armes,
Dont le plus grand n'avoit rien.
Doncq' ce serpent d'avarice ,
Père envenimé du vice,
396 CLOVIS UESTEAU.
Entasse bien tes esprits;
Dédaignant celui, cruelle,
Qui te peut rendre immortelle
Par ses immortels écrits.
ÉPIGRAMME TIREE DU GREC.
Je voudrois de Crœsus posséder les trésors,
Je voudrois être roi de la puissante Asie;
Mais, quand je vois bâtir le sépulcbre des morts.
Je quitte ces grandeurs pour une douce vie.
A LA FORTUNE.
O fdle de Junon et du sacré Neptune,
Qui es reine d'Antye, 6 puissante fortune.
Dont l'inconstante main , retramant notre sort,
Elevé et fait vainqueur, et le foible et le fort;
Qui sur les grands palais emmoncelles les herbes.
Et qui changes en pleurs les triomphes superbes ;
Le plus puissant te suit, et les pauvres lunnains,
T'importunant de cris, vers toi tendent leurs mains.
Celui (|iii d'un soc dur va sillonnant sa terre.
Celui qui ])ar l'airain fait ranimer la guerre.
Celui qui, prisonnier dans ses frêles vaisseaux.
Possédé par le gain, tente l'ire des eaux.
Le Dace belliqueux et le peuple farouche,
Que l'ourse alaite aux Ijords où le soleil se couche,
CLOVIS HESTEAU. 397
Les Lybiens brùlans, les Scythes passagers,
Les Parthes cauteleux et les Gettes légers ,
Les fameuses cités, les peuples, les provinces,
Les tyrans redoutés, les grands rois et les princes,
Redoutent ta fureur; et craignent qu'à leurs yeux,
Tu n'oses les fouler d'un pied injurieux.
SONNET.
Le vautour affamé qui du vieil Promethée
Becquette sans repos le poulmon renaissant;
Et le vase maudit où le dieu punissant
Envoya nos malheurs au fol Epimethée :
Celui par qui amont est la pierre portée,
Celui qui, altéré, vit dans l'eau languissant,
Celles qui vont en vain leurs cuves remplissant,
Ce n'est que fiction à plaisir rapportée.
Les amours d'Hercules, et sa brûlante mort.
Le pipeur qui les sœurs deshonora si fort,
Te font avoir pitié d'une menteuse fable.
Mais, las! fermant les yeux à mon affliction,
Tu feins de n'en rien voir, et, sans compassion,
Tu tiens pour fabuleux mon tourment véritable.
398 THÉODORE AGRIPPA D'AUBIGNÉ.
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THEODORE AGRIPPA D'AUBIGNÉ.
Théodore Agrii'pa d'Albigné , gentilhomme pro-
testant et l'un des aïeux de madame de Maintenon,
étoit fils de Jean d'Aubignë, seigneur de Bie en Sain-
tonge, et de Catherine de Lestang , qui mourut en lui
donnant le jour , le 8 février i55o.
11 s'attacha de bonne heure au parti de Henri iv,
alors roi de jN'avarre; et, lorsque ce prince fut parvenu
au trône de France, il continua à le servir avec le
même zèle et le même dévouement, quoiqu'il se soit
plaint très souvent de ne pas en avoir reçu les récom-
penses qu'il espéroit Ce poète passa une grande partie
de sa vie au milieu des camps et dans le tumulte des
armes. On fit dans la suite de vains efforts pour le
faire rentrei' dans la religion catholi(|ue. Ses ennemis
le perdirent dans lespiit du roi, qui donna l'ordre de
le faire arrêter. 11 en fut instruit à temps, et se retira à
Genève. Les magistrats de cette ville le reçurent avec
les marques de distinction les plus honorables. Ce fut
à Genève que d'Aubigné se niaiia pour la seconde
fois. H niourni le ay avril i63o, âgé de quatre-vingts
ans.
La plus importante de ses productions poéticjues a
pour titre les Tragiques. On y trouve un génie plein
de feu et de hardiesse, des tableaux fortement colorés
et des portraits remplis de vivacité. Les horreurs de
la guerre civile y sont attaquées avec la plus grande
THÉODORE AGRIPPA D'AUBIGNÉ. 899
force. Cet ouvrage est divisé en sept Livres; le premiei-
a pour titre les Misères , le second les Princes.
LéŒ Chambre dorée est le titre du troisième ; le poète
y cherche l'origine des maux qui affligent sa patrie.
Dans le quatrième et le cinquième , intitulés l'un , les
Feux y et l'autre les Fers, il fait le récit des persécutions
auxquelles les calvinistes étaient exposés , et celui de
la Saint-Barthélemi , etc. Le sixième, les Vengeances, a
pour sujet la théologie et l'histoire ; enfin le septième
offre une apologie du calvinisme, sous le titre de
Jugement.
Les Tragiques avoient été commencés en iS^j,
mais ils ne furent imprimés qu'en i6i6.
Les autres productions de d'Aubigné sont des vers
funèbres sur la mort de Jodelle, composés en i5y4-
Une tragédie de Circé , qui fut représentée aux noces
du duc de Jçyeuse; une Histoire universelle contenant
ce qui s^est passé depuis Van i65o jusqu en 1601. Il
est aussi l'auteur de la fameuse satire connue sous le
nom de Confession catholique du sieur de Sancj, etc. ;
et enfin des Aventures du baron de Freneste.
D'Aubigné est riche d'idées; mais il manque sou-
vent de goiit : sa versification est en général fort né-
gligée. La plupart de ses ouvrages furent brûlés par la
main du bourreau.
4 00 THÉODORE AGRIPPA D'AUBIGNÉ.
L'AUTEUR A SON LIVRE.
Va, livre, lu n'es tjue troj) beau
Pour être né dans le tonil)eau
Du(|uel mon exil te délivre :
Seul pour nous deux je veux périr :
Connnence, mon enfant, à vivre,
Quand ton père s'en va mourir.
Encore vivrai-je par toi ,
Mon fds, comme lu vis par moi :
Puis il faut , comme la nourrice
Et fdle du Romain Grisou ,
Que tu allaicle et tu cliérisse
Ton père, en exil, en prison.
Aux uns tu donneras de quoy
Gémir et chanter avec toy;
Et les autres en la leclure,
Fronçant le sourcil de travers.
Trouveront bien ta couverture
Plus agréable ([ue tes vers.
Pauvre enfiint , comment parois-tu
Paré de la seule verlu?
C^ar, pour une aine favorable.
Cent le londamneronl au feu :
INIais c'est ton bul invariable
De plaire aux bons, et plaire à j)eu.
THÉODORE AGRIPPA D'AURIGNÉ. 4^'
Bien que de moi desja soit né '
Un frere et plus heureux aisné ,
Plus beau et moins' plein de sagesse;
C'est l'enfant de mes premiers jours :
Tu peux instruire son ainesse,
Et son partage est en amours.
J'eus cent fois envie et remord
De mettre cet ouvrage à mort :
Je voulois tuer ma folie ;
Cet enfant bouffon m'appaisoit;
Mais, malgré sa gaité jolie,
Il me déplut, car il plaisoit.
Suis-je fâcheux de me jouer
A mes enfans, de les louer?
Amis , pardonnez-moi ce vice ,
S'ils sont camus et contrefaits ;
Ni la mère ni la nourrice
Ne trouvent point leurs enfans laids.
Aujourd'hui abordé au port
D'une douce et civile mort ,
Comme en une terre féconde,
D'autre humeur je fais d'autres vers,
Marry d'avoir laissé au monde
Ce qui plait au monde pervers.
Alors je n'adorois sinon
L'image vaine du renom,
L'auteur avoit fait dans sa jeunesse un recueil de vers amoureux.
4oîi THÉODORE AGRIPPA D'AUBIGNÉ.
Renom de douteuse espérance ;
Ici , sans espoir , sans esinoy ,
Je ne veu\ autre récompense
Que dormir satisfait de moi.
Vallons d'Augrougne bienheureux,
Vous consolez les malheureux ,
Séparant des fanges du monde
Votre chrestienne liberté,
Vous défendez à coups de fronde
Le logis de la vérité.
Je cherchois de mes tristes yeux
La vérité aux aspres lieux,
Quand dans cette obscure tanniere
Je vis resplendir sa clarté ,
Sans qu'il y eiit autre lumière :
Sa lumière étoit sa beauté.
C'est toy, dis-je, qui sçus ravir
Mon cœur ardent à te servir ;
A jamais tu seras servie
De lui tant qu'il sera vivant:
Peut-on mieux conserver sa vie ,
Que de la perdre en te servant?
Le salaire est la mort certaine;
C'est un loyer bien à propos :
Le repos est fin de la peine,
Et la mort est le vrai repos
De quiconque avec fermeté
Montre l'austère vérité.
THÉODORE AGRIPPA D'AUBIGNÉ. 4o'
Quel château peut si bien loger?
Quel roy si heureux qu'un berger?
Quel sceptre vaut une houlette?
Tyrans , vous craindrez mes propos :
J'auray la paix en ma logette ,
"Vos palais seront sans repos.
Je sens ravir dedans les cieux
Mon ame aussi bien que mes yeux ,
Quand en ces montagnes j'advise
Ces grands coups de la vérité,
Et les beaux combats de l'Eslise
Signalés dans la pauvreté.
Dieu fit là merveille : ce lieu
Est le sanctuaire de Dieu :
Là Satan n'a l'ivraye mise
Ni la semence de sa main :
Là les agnelets de l'Eglise
Sautent au nez du loup romain.
Quand Dieu veut nous rendre vainqueurs ,
Il ne choisit rien que les cœurs,
Car toutes mains lui sont pareilles :
Et mesme en cherchant les moyens
D'opérer ses grandes merveilles.
Il choisit parmi les payens.
L'exemple de Scévole est beau ,
Qui, ayant failli du couteau,
Chassa d'une brave parole
L'ennemi du peuple romain ;
4o4 THÉODORE AGRIPPA D'AUBIGNÉ.
Et le feu qu'endura Scévole
Fit plus que le coup de sa main.
Rends-toy d'un soin continuel,
Prince Gédéon d'Israël : '
Boi le premier dedans l'eau vive,
En cette eau trempe aussi ton cœur:
Il y a de la peine oisive ,
Et du loisir qui est labeur.
Bien que tu as autour de toy
Des cœurs et des yeux pleins de foy.
J'ai peur qu'une Dalila fine,
Coupant ta force et tes cheveux ,
Te livre à la gent pliilistine.
Qui te prive de tes bons yeux.
Quand ta bouche renoncera
Ton Dieu, ton Dieu la percera,
Punissant le membre coupable :
Quand ton cœur, déloyal mocqueur,
Comme elle sera punissable.
Alors Dieu percera ton cœur.
Dans ces cabinets lambrissés ,
D'idoles de cour tapissés,
La vérité n'est pas connue:
La voix du Seigneur des seigneurs
S'escrit sur la roche cornue ,
Qui est plus tendre que nos cœurs.
Echos, faites doubler ma voix,
Et m'entendez à cette fois :
■ C'est Ilfiiri IV qui est ici désigné.
THÉODORE AGRIPPA D'AUBIGNÉ. 4o5
O célestes roches cornues ,
Poussez mes plaintes dedans l'air ,
Les faisant du milieu des nues,
En France , une autre fois parler.
Je sçay que les enfans bien nés
Ne chantent, mais sont estonnés ,
Et ferment les yeux, débonnaires,
Comme deux des fils de Noé ,
Voyant la honte de leurs pères ,
Que le vin fumeux a noyé.
Ainsi un temps, de ces félons,
Les yeux fermés , à reculons ,
J'avois caché l'ignominie ;
Mais nous les trouvons ennemis,
Et non pères de la patrie ,
Qui ne pèchent plus endormis.
Si mon cœur résiste à tes loix ,
Grand Dieu , i-ends ma bouche sans voix ;
Mais non, tu l'élevé au contraire;
C'est trop retenir mon devoir :
Ce qu'ils n'ont pas horreur de faire,
J'ai horreur de leur faire voir.
Sors , mon livre ; vois la clarté ;
Tu sers à la Divinité ;
Je ne te donne qu'à l'Eglise :
Tu as pour support l'équité ,
La vérité pour entreprise,
Pour loyer l'immortalité.
4o6 THÉODORE AGRIPPA D'ALBIGNÉ.
LES MISÈRES DU TEMPS,
TIRÉ DES TRAGIQUES.
Je n'escris plus les feux cVuu amour inconnu;
Je suis par le malheur plus sage devenu.
Le luth que j'accordois avec mes chansonnettes,
Est ores étouffé de l'éclat des trompettes.
Financiers, justiciers, qui livicz à la faim
Ceux qui pour vous font naître, ou conservent le pain;
Sous qui le laboureur s'abreuve de ses larmes ,
Qui laissez mendier la main qui tient les armes;
Barbares en effet, François de nom, François,
Vos fausses loix ont eu de faux et jeunes rois,
Impuissans sur leurs cœurs, cruels en leur puissance.
Rebelles , ils ont vu la désobéissance ;
Dieu , sur eux et par eux déploya son courroux ,
N'ayant autres boinreaux de nous-mêmes que nous.
Les rois qui sont du peuple et les rois et les pères.
Du troupeau domestiq' sont les loups sanguinaires;
Les vieillards enrichis tremblent le long du jour;
Les femmes, les maris, privés de leur amour.
Dans l'ombre de la nuit se livrent à la fuite;
Les meurtriers souldoiés courent à leur poursuite;
Jj'homme est en proie à l'homme, un loup à son pareil:
Le père étrangle au lit le fds; et le cercueil
Préparé par le fds , sollicite le père ;
Le frerc avant le temps hérite de son frcre:
On trouve, pour emplir les cités de bourreaux.
THÉODORE AGRIPPA D'AUBIGNÉ. /[OJ
Des poisons inconnus, et des crimes nouveaux;
Les places de repos sont places étrangères ;
Les villes du milieu sont les villes frontières :
Le village se garde , et nos propres maisons
Nous sont le plus souvent garnisons et prisons;
L'honorable bourgeois , l'exemple de sa ville ,
Voit violer ensemble et sa femme et sa fille,
Et se trouve au pouvoir de l'insolente main
Qui s'étendoit naguère à mendier du pain :
Le sage justicier est traîné au supplice.
Le malfaiteur lui fait son procès ; l'injustice
Est principe de droit, comme au monde à l'envers,
Le père est châtié par son enfant pervers:
Celui qui en la paix cachoit son brigandage ,
De peur d'être puni, étalle son pillage;
La terre sans labeur, honteuse de se voir.
Cherche encore des mains , et n'en peut plus avoir:
Les loups et les renards, et les bêtes sauvages,
Tiennent place d'humains, possèdent les villages.
Si bien qu'en même lieu, où en paix on eut soin
De resserrer le pain , on y cueille le foin :
La nature est sans force, et les mères non mères
Nous ont de leurs forfaits pour témoins oculaires.
C'est en ces sièges lents, ces sièges sans pitié,
Que des plus tendres cœurs s'envole l'amitié.
La mère en son berceau prend son fils dont la bouche
Sourit encore, hélas! à ce monstre farouche;
La mère, ayant long-temps combattu dans son cœur
La voix de la pitié, de la faim la fureur,
Convoite dans sou sein la créature aimée ,
4o8 THÉODORE AGRIPPA D'AUBIGNÉ.
Et dit à son enfant , moins mère qu'affamée :
Rends, misérable, rends le corps que je t'ai fait;
Ton sang retournera où tu as pris le lait ;
Au sein qui t'allaictoit rentre contre nature:
Ce sein qui t'a nourri sera ta sépulture.
La main tremble en tirant le funeste couteau;
Et cette mère enfin n'est qu'un lâche bourreau.
Henry, qui tous les jours vas prodiguant ta vie ,
Pour du sein des François bannir la tyrannie ,
Ennemi des tyrans, ressource des vrais rois,
Quand le sceptre des lis joindra le Navarrois,
Souviens-toi de quel œil , de quelle vigilance
Tu vois et remédie aux malheurs de la France :
Souviens-toi quelque jour combien sont ignorans
Ceux qui pour être rois veulent être tyrans.
Nos rois sont serfs d'un prêtre : on voit sans qu'on s'estonne
I;a pantouffle fouler les fleurs de la couronne :
Dont ainsi que Néron, ce JNéron insensé,'
Escrit, en sang, ces mots que son ame a pensé :
Entre tous les mortels, de Dieu la prévoyance
M'a du haut ciel choisi, donné sa lieutenance :
Je suis des nations juge, à vivre et mourir;
Ma main fait ((ui lui plaît et sauver et périr;
Par mes arrêts j'espars, je détruis, je conserve
Tout pays , toute gent , je la rends libre ou serve ;
J'esclave les plus grands ; mon plaisir, pou r tous droits,
Donne aux gueux la couronne, et le bissac aux rois.
Cet ancien loup romain n'en sçut pas davantage;
Mais le loup de ce siècle a bien autre langage.
' Il ne faut pas oublier que l'auteur est protestant.
THÉODORE AGRIPPA D'ALBIGNÉ. 4^9
Je dispense, dit-il, du droit contre le droit:
Celui que j'ai damné, quand le ciel le voudroit,
Ne peut être sauvé ; j'autorise le vice ;
Je fais à mon plaisir, de justice injustice;
Je sauve les damnés en un petit moment ;
J'en loge dans le ciel à coup un régmient :
Je fais de boue un roy, je mets les roys aux fanges;
Je fais les saints, sous moi obéissent les anges :
Je puis , cause première à tout cet univers ,
Mettre l'enfer au ciel , et le ciel aux enfers.
Seigneur, veux-tu laisser en cette terre ronde
Régner ton ennemi? ]N'es-tu seigneur du monde?
Toi, Seigneur, qui abats, qui blesse, qui guéris.
Qui donnes vie et mort, qui tue, et qui nourris.
Les temples du payen , du Turc , de l'idolâtre ,
Haussent dedans le ciel et le marbre et l'albâtre ;
Et Dieu seul au désert , pauvrement liébergé ,
A bâti tout le monde , et n'y est pas logé !
Les moineaux ont leurs nids, leurs nids les hirondelles;
On dresse quelque fuye aux simples colombelles:
Tout est mis à l'abri par les soins des mortels,
Et Dieu seul immortel, n'a logis ni autels.
Nous faisons des rochers les lieux où l'on te presche,
Un temple de l'estable , un autel de la crèche :
Eux du temple, une estable aux ânes arrogans,
De la sainte maison , la caverne aux brigands.
IjCs premiers des chrétiens prioient aux cimetières;
Nous avons fait ouïr aux tombeaux nos prières ,
4'0 THÉODORE AGRIPPA D'AUBIGNÉ.
Fait sonner aux tombeaux le nom de Dieu le fort.
Et annoncé la vie au logis de la mort.
En ces lieux caverneux, tes chères assemblées,
Des ombres de la mort incessamment troublées,
JVe feront-elles plus résonner tes saints lieux.
Et ton renom voler des terres dans les cieux ?
Quoi ! serons-nous muets? serons-nous sans oreilles?
Sans mouvoir, sans chanter, sans ouïr tes merveUles ?
As-tu esteint en nous ton sanctuaire? Non;
De nos temples vivans sortira ton renom.
Tel est en cet état le tableau de l'Eglise ;
Elle a les fers aux pieds , sur les gènes assise ,
A sa gorge la corde et le fer inhumain.
Un pseaume dans la bouche, et un luth en la main.
Que ceux qui ont fermé les yeux à nos misères,
Que ceux qui n'ont point eu d'oreille à nos prières ,
De cœur pour secourir, mais bien pour tourmenter.
De main pour nous donner, mais tout pour nousôter.
Trouvent tes yeux fermés à juger leurs misères!
Ton oreille soit sourde en oyant leurs prières !
Ton sein serré soit clos aux pitiés, aux pardons!
Ta main sèche, stérile aux bienfaits et aux dons!
Ils blasphèment le ciel; et les voûtes célestes
N'ont-elles plus de foudre et de feux et de pestes?
Ne partiront jamais du tlirosnc où tu te sieds,
Et la mort et l'enfer qui donnent à tes pieds ?
THÉODORE AGRIPPA D'AIjBIGNÊ. l\li
LES PRINCES.
TIRÉ DES TRAGIQUES.
Lâche jusqu'à ce jour, je n'avois entrepris
D'attaquer les grandeurs, craignant d'être repris
Par la malignité d'une glose étrangère,
Ou de peur d'encourir, pour cause trop légère,
Le courroux très-pesant des princes irrités ;
Celui-là se repent qui dit leurs vérités :
Mais qui en dit du bien trahit sa conscience;
Et je veux du vrai seul embrasser la défense.
Je vois ce que je veux, et non ce que je puis;
Je vois mon entreprise, et non ce que je suis:
Les flatteurs de l'amour ne chantent que leurs vices,
Que des termes choisis pour goûter les délices;
Que miel, que ris, que jeux, amours et passe-temps,
Une heureuse folie à consommer son temps.
Quand j'étois fol heureux, si cet heur est folie,
De rire ayant sur soi sa maison démolie ,
Je fleurissois comme eux de ces mêmes propos,
Et par l'oi.jiveté je perdois le repos.
Ce siècle , autre en ses mœurs , demande un autre style ;
Cueillons des fruits amers desquels il est fertile.
Mais , las ! qui osera persuader aux grands ,
Combien ils sont petits, et foibles et sanglans ?
Des ordures des grands le poëte se rend saie ,
Quand il peint en César un ord Sardanapale;
4l2 THÉODORE AGRIPPA DArBIGNÉ.
Quand un traître Sinon j)our sage est estimé,
Déguisant un Néron en Trajan hien-aimé ;
Quanti d'eux une Thaïs, une Lucrèee est dite;
Quand ils nomment Aciiillc un infâme Thersite.
Flatteurs, je vous en veux; je eommence par vous
A déployer les traits de mon juste courroux.
Ingrats, vous attaquez celui qui vous appuie ;
Vipéraux, vous tuez qui vous donne la vie.
Princes, ne prêtez pas l'oreille à vos flatteurs;
Ils entrent finement, ils sont subtils questeurs;
Ils ne prennent aucun que celui qui se donne :
A peine de leurs lacqs vois-je sauver personne ;
(^ar même en les fuyant nous en sommes déçus.
Et, bien que repoussés, souvent ils sont reçus.
Rois , par Dieu même élus , beaux piliers de son temple ,
Vous, de ce temple saint et la gloire et l'exemple,
Quand vous le profanez, vous restez esbabis,
Que désobéissans , vous n'êtes obéis ;
Car Dieu, rendant exprès les peuples infidèles.
Par leur rébellion, punit les rois rebelles.
Vous secouez le joug du puissant roi des rois!
Vous mespriscz son joug ! on mesprise vos lois.
De vos affections, quelle fureur despite
Tyrannise vos cœurs, vous pousse et vous excite
A tremper dans le sang vos sceptres odieux.
Vicieux commencer, achever vicieux.
Le règne insupportable et rempli de misères.
Dont le peuple poursuit la fin par ses prières.
El la haine et l'amour sont les marques à quoi
On distingue toujours le tyran et le roi.
THÉODORE AGRIPPA D'AURIGNÉ. 4l3
L'un renverse les murs et les loix de ses villes,
Et l'autre à conquérir met les armes civiles.
L'un cruel, l'autre doux, gouvernent leurs subjets,
En valets par la guerre , en enfans par la paix.
L'un veut être haï, pourvu que l'on le craigne;
L'autre sur l'amour seul veut établir son re^ne.
Le bon chasse les loups, l'autre est loup du troupeau;
Le roi veut la toison , l'autre arrache la peau ;
Le roi fait que la voix du peuple le bénie :
Mais le peuple en ses vœux maudit la tyrannie.
Voici quels dons du ciel, quels thrésors , quels moyens
Exigoient dans leurs rois les plus sages payens ;
Voici quel est le roi de qui le règne dure :
C'est celui qui sur soi fait régner la nature;
Qui craint Dieu, qui toujours au pauvre ouvre son cœur,
Sage en entreprenant, hardi exécuteur.
Craintif en prospérant, dans le péril sans crainte,
Au conseil sans chaleur, dans le discours sans feinte.
Imprenable au flatteur, gardant l'ami ancien.
Chiche de l'or public , très-libéral du sien ,
Seigneur de ses sujets, aux amis secourable,
Terrible à ses haineux, mais à nul mesprisable,
Familier, non commun, aux domestiques doux.
Effroyable aux médians, équitable envers tous.
Ami des vertueux , persécuteur du vice ,
Juste dans sa pitié , clément en sa justice.
Prince, comment peux-tu celui abandonner,
Qui pour toi perd le sang que tu ne peux donner?
Nous souffrons, malheureux, des peines immortelles,
Pour soutenir des grands les injustes querelles,
4l4 THÉODORE AGRIPPA D'AllBIGNÉ.
Valets de tvrniinic, et combattons evjjrès,
Pour estahlir le joug qui nous aecal)le aj3rès.
Nos pries estoient fVanes : nous ((ui sommes si braves.
Nous laissons des enfans qui seront nés esclaves 1
PIERRE LE LOYER. 4l5
PIERRE LE LOYER,
SIEUR DE LA BROSSE.
Ce poète naquit à Huillé , village sur le Loir, le 24
novembre i55o; il fit ses études de droit à Toulouse,
et vint ensuite à Paris « pour pratiquer, dit-il , à la
« suite du Parlement , les loix qu'il avoit apprises aux
« écoles. » Il se retira quelque temps api'ès à Angers,
où il occupa la charge de conseiller au présidial , et
s'y maria avec Jeanne Corneillan , dont il eut deux
fils. Il mourut dans cette ville en i634, âgé de quatre-
vingt-quatre ans.
Le Loyer étoit fort versé dans les langues anciennes.
Il avoit acquis par d'immenses lectures une profonde
érudition. Son amour pour les langues orientales lui
fit imaginer d'y chercher les étymologies, non seule-
ment des villes de la France , mais celles des villages ,
hameaux, maisons, etc., de la province d'Anjou. On
peut voir, du reste, jusqu'à quel point il a poussé ces
bizarres recherches, dans son ouvrage des Colonies
iduméanes ( Paris, 1620 , //i-8 ' ). 11 se livra à des visions
d'un autre genre, mais non moins ridicules, dans son
Traité des Spectres, autre écrit en prose.
Pendant son séjour à Paris, et en 1578, Le Loyer
fit imprimer lui-même ses OEuvres et Meslanges poé-
tiques. Ce recueil se compose des Amours de Flore
et de poésies de divers genres ; du Boccage de VArt
d^ aimer ^ imitation du poëme d'Ovide 5 des Meslanges
4l6 PIERRE LE LOYER.
poétiques en soixante-onze sonnets; de plusieurs épi-
graninies; du Muet insensé, comédie qui n'a rien de
remarquable; de la JSépkélocncugie , ou la nuée des
Cocus, autre comédie extrêmement libre, et qui n'est,
d'un bout à l'autre, qu'un long dialogue entremêlé
d'odes avec strophes, anti-stroplies et épodes, sans
division d'actes ni de scènes ; des Folatries et eshats de
jeunesse, reciu'il d'odes, de chansons, d'épigrammes;
de XErotopai^nie, nu passe-temps d^aniuur, qui est en-
core un autre recueil de pièces galantes.
PREMIER BOCAGE DE L'ART D'AIMER.
STANCES.
Quiconque soit des François qui ignore
Quel est d'aimer et 1 art et le savoir,
Lise mes vers et fasse son devoir
D'effectuer ce f|u'il va lire encore.
Par art , la nef parmi les (lois se glisse,
Et d'avirons la barque on fait tourner;
Par art on doit les charettes mener.
Par art il faut (|iu- l'amour se régisse.
Or ce bel art, bien qu'il soit difficile,
Aspre et fâcheux en ses premiers progrès,
S il esl suivi, l'on s'aj)per(oit après
Qu'il est plus doux, plus joyeux et facile.
L amolli' commence au ilioix (iii'on fait des belles.
A|)rès le choix survient le deviser,
Puis la |)ricre et le simple baiser,
Et la mcrcy que Ion désire d'elles.
PIERRE LE LOYER, 417
Et pour choisir les belles à ta guise,
Il faut hanter la cour où elles sont ,
Et les festins et les bals qui se font,
Et les beaux lieux, et la plus grande église.
Sois 1)ien vêtu, et surtout prens-toi garde
Detre bien net, bien propre et bien gentil :
Plus qu'un esprit admirable et subtil,
Ce qui se voit, une femme regarde.
Ce grand Socrate, ornement de la Grèce,
Fut-il jamais des femmes estimé ?
Et toutefois il tenoit enfermé
Dans son esprit le trésor de sagesse.
Et si tu peux, apprens la poésie
Et le beau ton de mille chants divers :
Ne vois-tu pas la musique et les vers
Gagner les sens, lame et la fantaisie?
Estre à cheval et lui donner carrière,
Virevolter en maint estourbillon ,
Darder la barre et pousser le ballon.
Cela sert bien d'une amorce première.
Mêle souvent du sel en tes paroles ;
N'hésite point, parle sans trop parler;
Ne sois point long, cela ne peut aller
Qu'à ces pédans qui tonnent aux écoles.
Va entre deux et ne sois point farouche ,
Ni trop joyeux , si tu veux parler bien ;
Car la vertu consiste en son moyen :
Au trop et peu toujours le vice touche.
V. 27
4l8 PIERR!-: LE LOYER.
Vers les amours, quand le désir t'appelle,
Ne songe pas à fonder ton appui
Dessus la veuve et la femme d'autrui,
Ainçois plustot sur la tendre pucelle.
L'œillet vermeil est au sein de la fille :
Quand il llélrit on le jette au fumier;
La rose est plus prisée en son vergier,
Que (|u;uid la main et l'arrache et la pille.
Dedans le bal va t'asseoir auprès d'elle.
L'entretenir, l'appuyer de tes bras ;
Et si tu vois qu'elle est sise bien bas.
Fais lui servir tes genoux d'escabelle.
Dessus sa robe ôte-lui la poussière,
Ou fais semblant de l'ôtcr pour le moins ;
Danse avec elle et lui serre les mains,
Montrant l'effort de sa grâce meurtrière.
Si trop long-temps la danse te retarde
Pour la conduire oii elle veut aller,
Tends-lui la main, et d "un humble parler
En t'inclinant prie que Dieu la garde.
Pour la servir sois prompt, hardi et vite;
Même voyant qu'elle entre en un couvent.
N'hésite point, songe à marcher devant,
Et, l'approchant, présente l'eau bénite.
Il faut souvent faire tes promenades
Près du logis où tu penses la voir;
Et quelquefois tu dois venir au soir
La réveiller de les douces auliades.
PIERRE LE LOYER. 4 [9
Pour la fléchir pleure un peu par contrainte :
Si tu ne peux, retiens bien mon conseil,
Mouille tes doigts et en frotte ton œil.
Elle croira que tu pleures sans feinte.
Que si la belle accueille ta requête.
D'un long parler trop doux ou trop hautain,
Assure toi de lavoir en ta main,
Et compte-la dès-lors pour ta conquête.
Quand elle dit : Jamais entre vous , hommes ,
]V'oublierez-vous d'attirer par vos pleurs,
Et d'ébranler par vos feintes douleurs
Le simple cœur des femmes que nous sommes?
Tu dois jurer pour mieux te faire croire,
Protestant Dieu , comme le courtisan ,
Qui de mensonge et de fraude artisan,
Par le jurer emporte la victoire.
Dis et redis que ton cœur s'évertue
De s'affranchir de l'amour, mais en vain;
Que si tu meurs, tu veux bien que sa main
Soit celle-là, non autre qui te tue.
Qu'elle ait pitié de ta chétive vie;
Qu'elle contemple et toi et ton amour;
Que tu ne peux vivre sans elle un jour,
Et qu'elle soit plus gracieuse amie.
Que ton audace et ta langue elle excuse,
Et que l'amour celer ne se pourroit;
Et s'il y a du crhne en ton endroit.
Que ses beautés plutôt elle en accuse.
420 PIERRE LE LOYER.
Si par hasard elle ne veut t'escrire,
Ne la contrains : aias fais tant seulement
Qu'elle te lise avec contentement;
Elle voudra à la fin te récrire.
Et si Phœbus t'espoind de sa folie,
Et si tu as les neuf Sœurs fréquenté,
Plains-toi en vers de sa grand' cruauté :
Par vers gentils rudesse est amolie.
Lesbie ainsi aux carmes de Catulle,
Ploya son cœur farouche et endurci;
Et Némesis eut l'esprit adouci
Par les doux vers de son amant Tibulle.
Ainsi Properce esbranla la poitrine
De sa Cinthye impitoyable à lui :
Ainsi Ovide appaisa son ennui ,
D'un vers lascif attirant sa Coryne.
Si ni les vers ni les lettres n'ont force ,
Dompte son cœur par quelques beaux présens
Que tu verras qui lui seront plaisans ,
Et qui pourront te servir d'une amorce.
Par les présens on rend l'homme ployable;
Par les présens on appaise les dieux;
Par les présens le grand prince des cieux
Retient en main sa foudre épouvantable.
Et (lu premier, pour entrer en sa grâce,
Tu lui feras des fruits nouveaux tenir.
Que de ton cru tu diras provenir.
Combien qu'ils soient achetés en la place.
PIERRE LE LOYER. 4^1
Si tu connois qu'elle est avare et chiche,
Sache par lor vaincre son cœur malin :
Il n'y a rien si subtil et si fin
Pour rébranler, comme ce métal riche.
Certainement en l'âge d'or nous sommes;
Par l'or, merveille ! amour est surmonté :
L'or cause l'heur, le nom, l'autorité.
Et la noblesse et les honneurs aux hommes.
Assez Acrise auroit gardé sa fille
Contre l'effort de mille et mille encor,
Si Jupiter ne l'eût prise par l'or,
Lorsqu'il aima sa grâce si gentille.
Et ne crains pas de faire grand' dépense
Pour lui bailler ce qu'elle aimera mieux;
Celui ne doit être avaricieux
Que Cupidon retient sous sa puissance.
Vous, les mignons des filles de Parnasse,
Que donnez- vous , qui n'avez aucun bien
Pour présenter, que le luth Cynthien,
Et un pauvre art qui rien ne vous amasse ?
Certes bien peu vos carmes on honore.
Bien peu vous sert d'avoir un Dieu au cœur
Qui vous échauffe et vous mette en fureur.
Si vous n'avez de quoi donner encore.
Que vienne Homère, ayant pour sa conduite,
Tant qu'il voudra, les Muses et Phœbus;
S'il n'est garni de dons, c'est un alsus,
Il est chassé lui et toute sa suite.
422 PIERRE LE LOYER.
Eh! croyez-vous que votre amie estime,
Au prix de l'or, vos carmes et vos chants?
Non, non, les dons sont hien plus alhchans
Que les hcaux mois compris en voire rime.
Ne laissez pas toutefois de lui tendre.
Pour l'attraper, vos fdets cauteleux:
Avec le temps , son cœur trop orgueilleux
Sera rendu humhle, facile et tendre.
Avec le temps , le taureau difficile
Vient sous le joug et endure la main :
Avec le temps, le farouche poulain
Dessous le frein pousse sa course agile.
Qui est plus mol que l'eau de la marine?
Qui est plus dur que le roc à touclier ?
Et toutes fois l'eau ({ui lave un rocher.
Par laps du temps, le consonnne et le mine.
N'employez l'art des sorciers détestables.
Et ne gâtez d'un breuvage nouveau
Son bon esprit, son corps et son cerveau;
Ains aimez-la , pour être aussi aimables.
Que si c'est mal d'empoisonner sa dame,
C'est mal aussi de l'enyvrer afin
De la ravir, quand la vapeur du vin
Trouble ses sens, son cerveau et son ame.
Amour, tu es difficile à contraindre;
S'il ne te plaît, tu as le corps dispos.
Tu es garni de deux ailes au dos,
Et peux aller où Ton ne peut l'atteindre.
PIERRE LE LOYER. 4 23
Donc ne pensez contraindre amour par charmes
Ni par prisons, ni par autres tourmens;
Vos hameçons et vos alléchemens ,
Ce sont les dons , la prière et les larmes.
Or j'apperçois que ma barque me meine,
Grâces aux dieux , près de la rive à bord ;
Il faut jetter mes ancres dans le port,
Caller la voile et abattre l'anteine.
En attendant une saison bénine.
Lorsque les vents cesseront leurs abbois,
J'équiperai ma nef une autre fois,
Et reviendrai voguer sur la marine.
SECOND BOCAGE DE L'ART D'AIMER.
STANCES.
Quand je nasquis, Amour et la Cyprine
S'assirent près de mon berceau, afin
De prononcer tout l'heur de mon destin ,
Et de m'orner de leur grâce divine.
Ma mère vit, estonnée en sa couche.
Comme Vénus d'un baiser gracieux
Pressoit mon front, mes lèvres et mes yeux,
Et me versoit du miel dedans la bouche.
Puis elle ouït qu'ils se disoient ensemble :
Ce jeune enfant, notre cher nourriçon ,
Dira un jour aux François la façon
Comme l'amour en deux cœurs on assemble.
'|24 PIERRE LE LOYER.
Il retiendra d'une heureuse mémoire
Dans son cerveau des Muses le seavoir,
Et de ses vers fera bruire le Loir,
Comme Bellay fit retentir la Loire.
Que si Thémis en son palais l'amuse,
Ce néanmoins il ne laissera pas
D'aimer Pliœhus et ses gentils eshats,
Et de chérir le doux soin de la Muse.
Ainsi Vénus et son fds discoururent;
Et comme un. songe errant dans le cerveau,
Ou comme un vent ou une bulle d'eau,
Eux de ma mère à Tinstant disparurent.
Notre âge coule avec grande vitesse ;
Je crus soudain, et voulant acquérir
Ce qui ne peut par notre mort périr.
Devers Paris se tourna ma jeunesse.
Là par cincj ans je goi'itai la doctrine
Qui se peut voir aux Romains et aux Grecs,
Et m'en allai dedans Tholose après,
Où je gagnai la fleur de Téglanline.
Depuis ce temps, j'ai toujours voidu suivre
Le beau sçavoir des loix et des neuf Sœurs;
L'un me retient de ses gayes douceurs,
L'autre j'exerce à celle fin d'en vivre.
Deux ancres font la navire j)lus sure;
Ainsi, au pis, je m'assurerai bien
Que si Phœbus ne me j)rofite en rien.
J'aurai la loi, en qui mieux je m'assure.
PIERRE LE LOYER. 4'2 5
Depuis ce temps , j'ai voué mon service
A Cupidon et à Vénus aussi.
Auxquels j'appends dévotement ici
Leurs fruits, leur art et leur brave exercice.
Et outre, ayant de cordage et de voile
Garni ma nef, comme il faut, tout autour,
Je ne craindrai de voguer en amour,
Puisque Vénus me veut servir d'étoile.
Jeune amoureux, qu'une beauté martyre
Et qu'un désir embrase sans repos.
Sois attentif à ouïr mes propos ,
Lesquels pour toi la Muse me veut dire.
Ce n'est pas tout que de gagner ta dame
Par pleurs, par plainte et par dons excessifs;
Il faut sçavoir de quels attraits lascifs
Tu useras pour esteindre ta flame.
Sçais-tu que c'est ? La belle idalienne
Se rit de ceux qui de honte trop froids,
Baisent ainsi comme font les François :
Va plus avant, baise à l'italienne.
Celui qui prend un baiser de sa mie,
Si par le reste il n'esteint son ardeur,
Ce peu déjà qu'il a pris de faveur.
Il doit le perdre et n'aimer de sa vie.
Du premier saut, d'aventure ta dame
Résistera; si veut-elle pourtant
Etre gaignée et prise en résistant ,
Pour colorer le désir qui l'enflamç.
126 PIERRE LE LOYER.
Et ne perds cœur si elle se despite
En te disant : Allez, fol estourdi,
Allez, meschani ; ({ui vous fait si hardi?
Quelle fureur roulre moi vous excite?
Ai-je donc pu vous donner, par ma vie,
Occasion de mal penser de moi ?
Vous suis-je folle, et plus que je ne doi?
Plutôt mourir que m'en vienne l'envie!
Comme un rocher sis au milieu de l'onde,
Qui ne craint point, assuré de son poids,
Ni d'Aquilon les violens ahhois,
Ni des hauts flots la rage furibonde;
Et comme un chesne estendant sa racine
Autant en bas comme sa feuille aux. cieux,
Ici le sud, ici l'ouest furieux
Le souffle en vain, et sur lui se mutine.
Ainsi, hardi et ferme envers ta dame.
Poursuis ta pointe et ne fais point de cas
Ou de menace, ou d'injure, ou d'un tas
De vains propos <jui accusent ta flame.
Celle qui est par ta crainte laschée.
Te hait en soi et t'estime couard ;
Et s'cUe montre un visage gaillard.
Dedans soa cœur elle est triste et faschée.
Et celle aussi que tu auras forcée.
T'admire après et t'engage sa foi ,
Et se sépare alors d'avccques toi.
Contente au cœur et au front courroucée.
PIERRE LE LOYER. 427
Par force fut Proserpine ravie,
Forcée fut du Cyntlnen la sœur;
Et l'une et l'autre aima son ravisseur,
Et demeura sous ses loix asservie.
Long-temps Thétis-, pour n'être violée.
Changea sa forme, et ores en oiseau,
Ore en baleine, en dauphin, en taureau.
Se défendit des assauts de Pelée.
Mais quand Pelée usa de violence,
Elle obéit, et chassant son courroux,
Elle voulut l'avoir pour son époux,
Bien qu'elle eiit pris des grands dieux sa naissance.
Après l'effet, la belle devient tendre.
Et de bon œil regarde le voleur.
Qui la priva de sa plus chère fleur,
Et lui ravit ce qu'il ne peut lui rendre.
L'Amour est nud et enfant, comme il semble;
Mais, quand son arc une fois il a pris.
Le grand Jupin en est de crainte espris ,
Les dieux ont peur, et tout l'Olympe tremble.
Ce qui sembloit impossible à poursuivre ,
Il le fait voir facile quand il veut ;
Il est agile et toute chose il peut.
Et du tombeau seul il nous fait revivre.
Or nous t'avons enseigné la manière
Gomme tu dois de ta dame jouir;
Et maintenant il te convient ouïr
Comme pour toi tu l'auras tout entière.
4 2 8 PIERRE LE LOYER.
Ce n'est pas moins de los et de science
De conserver des biens ja conquêtes,
Que d'en aller chercher de tous cotés;
L'un est honlieur, l'autre devient prudence.
Quand tu auias couronné ta victoire
Par le trophée d'amoureuse merci,
Tiens-le couvert d'un silence obscurci.
Et nul que toi ne connoisse ta gloire.
Si une fois ta dame tu décelle,
Ne pense plus en recevoir plaisir;
Elle te fuit, et change son désir
En une haine implacable et mortelle.
Aussi, vraiment qui décelle sa dame
Après avoir été d'elle reçu ,
Il est méchant, et n'a jamais connu
Que c'est qu'amour et que sa belle flame.
Il n'a raison, ni honneur, ni sagesse.
Indigne d'être estimé et chéri ;
Il a esté dans les rochers nourri,
Et alaicté du lait d'une tigresse.
Crains tes amis : Pyrithoùs, Thésée,
N'ont les amours l'un de l'autre blessé;
Pylade n'a son Oreste offensé
Eu ravissant sa fidèle épousée.
Si ton ami à tel point lu estimes.
Tu pourras bien quand cl (jiiand rslimer
Que les oiseaux habitent dans la mer.
Et que le ciel est au creux des abysmes.
PIERRE LE LOYER. 4^9
Quant aux rivaux, il faut qu'on les endure,
Sans rechercher sur elle et sur sa foi :
Car tu sçais bien ce qu'elle fait pour toi
N'est par devoir, mais de volonté pure.
Par fois aussi fais qu elle se défie
Qu'une autre qu'elle est de toi jouissant;
Par ce moyen tu iras accroissant
Dedans son cœur son amoureuse envie.
Heureux l'amant trois quatre fois j'estime,
Duquel la dame ayant ouï le bruit
Qu'une autre amour que la sienne il poursuit,
Pâlit soudain au récit de ce crime !
Sur tes genoux lors prens-la et la baise
De longs baisers doucement savoureux.
Et réveillant tes désirs amoureux,
Couche avec elle , et ainsi la rappaise.
Il n'y a rien qui sitôt puisse abattre
Le grand courroux dont son cœur est épris,
Que le doux jeu de la belle Cypris
Et les ébats d'un amoureux follàtre.
Sans ces ébats, les femmes mariées
Font aux maris des cornes sur le front;
Sans ces ébats , les amies ne sont
A leurs amis longuement alliées.
La femme veut qu'on lui fasse service.
Qu'on tienne d'elle et de ses actions,
Que l'on se plie à ses affections.
Qu'on la révère et qu'on lui obéisse.
43o PIERRE LE LOYER.
Mais est-ce chose indécente et infâme ?
Est-ce un péclié , est-ce un acte vilain
A ceuv qui ont le sentiment lunnain,
Que d être serfs du vouloir d'une femme ?
Ce grand Hereul , (jui de sa force égale
A la Nortu des plus souverains dieux,
S'alla frayer un chemin dans les cieux,
]\e fut-il serf et esclave d'Onipliale?
Lui, di'j)osant sa massue hordée
De nœuds autour, et dévêtant sa peau,
Ne fut honteux de prendre le fuseau
Et de filer de la laine escardée.
Près de sa dame étant assis à terre,
Et d'un habit de femme revêtu.
Il reposoit sa force et sa vertu,
Espris d amour qui lui faisoit la guerre.
Endure tout : l'amour est une guerre
Qui n admet point tie paresseux soldars;
C'est un beau camp, lequel de toutes parts
Les plus gaillards et jdus hardis enserre.
Dedans ce camj) , les j)atiens gens-d'armes
Sont à la pluie, à l'hyver et au vent,
Mouillés, gelés et soufflés bien souvent.
Pleins de soupirs, de frissons et de larmes.
Tout dur cliemin , toute pénible voie.
Tous grands travaux leur semblent gracieux;
Et tout le ten)ps ne leur est enmiyeux.
Qui au vouloir de leur dame s'emploie.
PIERRE LE LOYER. 4^1
Ce qu'elle estime, il faut que tu l'estimes,
Bien qu'il ne soit digne d'être estimé;
Ce qu'elle veut être aussi déprimé ,
De ton pouvoir faut que tu le déprimes.
Dit-elle oui, ne dis pas du contraire;
Dit-elle non, tu dois nier aussi;
Lui déplaist-il , qu'il te déplaise ainsi ;
Ce qui lui plaist sans raison doit te plaire.
Quand elle rit, fusses-tu en allarmes,
Esgaye-toy et lui ris doucement;
Quand elle est triste et pleure amèrement.
Que de tes yeux coule un ruisseau de larmes.
Et si tu joue aux dames avec elle,
Laisse-la prendre et damer dessus toi ;
Si aux eschecs, laisse matter ton roi.
Et donne ainsi la victoire à la belle.
Alors contente et joyeuse en la sorte.
Elle rira de te voir courroucer,
De te pouvoir en bonheur surpasser,
Et de gagner ton argent qu'elle emporte.
Que si son teint est de couleur bien brune ,
Dis-lui qu'il est d'un beau brun argenté;
Et s'il est blond , dis qu'il passe en beauté
Le teint plus clair et plus blanc que la lune.
Si jaune elle est, à l'aurore elle semble;
Pâle , à Junon ; et rougeatre , à Cypris ;
Que sa rousseur de Diane elle a pris ,
Et en rousseur à ses Nymphes ressemble.
432 PIERRE LE LOITR.
Si maigre elle est, il faut l'appeller grelle;
Si courte, il faut agile l'estimer:
Si grasse elle est, noble il faut la nommer;
Si longue, il faut (|ue grande tu l'appelle,
Façonne- loi d'une humeur bien civile,
Et sois farci de petits mots joyeux. ;
Sois doux, courtois, facond et gracieux,
Souple, dispos et d'un esprit habile.
Sois bien soigneux d'apprendre en ta jeunesse
Le beau parler des Romains et des Grecs,
Et de scavoir les plus doctes secrets
Et les beaux arts enfantés dans la Grèce.
Cet llhaquois (pii, poussé de l'orage.
Vit par dix ans tant tic belles cités.
Connut leurs loix, leurs mœurs, leurs volontés,
Seul leur coulume et leur divers langage.
]N'e la va voir (ju'une fois la semaine;
Car beaucoup mieux elle te cherchera.
Et son désir vers toi renforcera ,
Et t'aimera d'une amour |)lus certaine.
Mais par long-tems ne ])erds pas sa présence;
Elle s'en fôche et pour lâche te tient,
Et s'abandonne à un autre qui vient,
Si i\uli la fui tu es en oubliance.
]Ne scais-tu |)as (|u'nél('ne, courroucée
De voir absenl si long-temps Ménélas,
Rompit sa foi |i(jur suivre les appas
D'un estranger ([ui TaNoil carresséc ?
PIERRE LE LOYER.
Si Ménélas eust sçeu le grand esclandre
Qui vient à ceux qui, seule à la maison,
Laissent leur femme en sa jeune saison,
Il n'eut laissé sa dame encore tendre.
J'ai maintenant achevé mon ouvrage.
Aime Vénus, et toi, petit archer.
Faites que nul n'y puisse décocher
Les traits ailés d'une envieuse rage.
Je vous le sacre et vous en donne gloire
Sans vous jamais je ne l'eusse achevé ;
Donnez-lui vie , et qu'il soit engravé
Dedans le roc du temple de mémoire.
28
434 CHARLES IX.
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CHARLES IX.
Charles ix naquit au château de Saint-Germain-
en-Laye le 2j juin i55o; il monta sur le tronc en
i56o , et mourut le 3o mai i 574 > î»u château de Viui-
cennes, dans la vingt-quatrième année de son âge. On
assure que la passion de la chasse et celle de l'amour
abrégèrent sa vie , ce qui donna lieu au distique sui-
vant :
Pour aimer trop Diane et Cytliérée aussi ,
L'une et l'autre m'ont mis en ce tombeau ici.
Ce prince étoit né avec des qualités fort estimables;
il aimoit les lettres et les beaux-arts, et nous avons
eu souvent occasion de voir qu'il se faisoit un plaisir
de protéger ceux qui les cultivoient. Il disoit des
poètes, «qu'il falloit les traiter comme les bons che-
« vaux; les bien nourrir, non les engraisser. >- Mais,
dérogeant à ce principe, qui auroit iait honneur à
son trésorier de l'épargne, il les traita en rois, et les
combla de ses bienfaits.
Charles ix ne se borna pas à protéger les lettres ;
il se distingua lui-même dans la poésie. On trouve
dans les OEuvres de Ronsard deux billets qui lui
furent adressés par ce prince, âgé alors de moins de
quatorze ans; les vers en sont médiocres, malsils prou-
vent que Charles étoit doué d'un talent précoce.
On cite cet impromptu qu'il fit dans un moment
d'humeur :
François premier prédit ce point ,
Que ceux de la maison de Guise
CHARLES IX. 435
Mettrolent ses enfants en pourpoint ,
Et son pauvre peuple en chemise.
Un poète ayant présenté à Charles ix des vers sur
les victoires de Jarnac et de IMoncontour, dans les-
quels il louoit sa valeur : « Ne faites rien pour moi,
« lui dit-il ; toutes ces louanges ne sont que mensonge
« et flatterie, puisque je ne les ai pas méritées : adres-
« sez-les au duc d'Anjou, qui vous taille tous les jours
« de la besogne. » Cette manière d'apprécier les louanges
ne peut appartenir qu à un esprit supérieur. 11 existe
de ce prince un ouvrage que ViUeroi publia en 162.6 ,
sous ce titre : Chasse royale^ composée par Charles IX y
in-S . Ronsard et A.myot vantent beaucoup cet ouvrage.
A RONSARD.
Ton esprit est, Ronsard, plus gaillard que le mien;
Mais mon corps est plus jeune et plus fort que le tien :
Par ainsi je conclus qu'en savoir tu me passe.
D'autant que mon printemps tes cheveux gris efface.
L'art de faire des vers, dût-on s'en indigner,
Doit être à pkis haut prix que celui de régner.
Tous deux également nous portons des couronnes :
Mais roi, je la reçus; poète, tu la donnes.
Ton esprit enflammé d'une céleste ardeur,
Eclate par soi-même, et moi par ma grandeur.
Si du coté des dieux je cherche l'avantage,
Ronsard est leur mignon, et je suis leur image.
Ta lyre, qui ravit par de si doux accords.
Te soumet les esprits dont je n'ai que les corps;
436 CHARLES IX.
Elle t'en rend le maître, et te fait introduire
Oii le plus fier tyran n'a jamais eu d'empire;
Elle amollit les cœurs, et soumet la beauté.
Je puis donner la mort , toi l'immortalité. *
AUTRES VERS ADRESSES A RONSARD,
POUR LE FAIRE VENIR A AMBOISE.
Ronsard, tu connois bien que si tu ne me vois,
Tu oublies soudain de ton grand roi la vois;
Mais pour t'en souvenir, pense que je n'oublie
Continuer toujours d'apprendre en poésie :
Et pour ce j'ai voulu t'envoyer cet escript
Pour enthousiasmer ton phantastique esprit.
Donc ne t'amuse plus à faire ton ménage.
Maintenant n'est plus temps de faire jardinage;
' Ces vers, si on en excepte le mot de mignon, qui tient au
temps, pourroient être avoués par le meilleur poète. Ils ont été
écrits par un roi, il y a deux cent cniquante ans , et je doute si on
en trouve qui puissent leur être compares dans le volumineux
recueil des vers de Frédéric ii. Voici ce que j'ai vu écrit de la
main de l'impératrice Catherine ii, dans une lettre à M. de Meil-
han, qui les lui avait envoyés :
« Vous voulez que je vous donne la solution d'un problème qui
«vous occupe, dites-vous, dejjuis long-temps, et ce problème
« est, d'où vient que Charles ix , roi de France, éciivoit plus élé-
« gammeiit que le poète Ronsard? Eh iiien ! je vous le dirai. C'est
« que la cour épure la langue et non les auteurs. A Constantinople
M même, c'est la langue du sérail (qui cependant n'est pas la cour
« la plus éclairée du monde) qui est la langue la [)lus élégante, la
« plus mêlée d'arabe et de persan; c'est, enlin , le langage le plus
" relevé, le plus poli , le plus cérémonieux »
(^Essais sur la Littcrature françoise , par Craufind.)
CHARLES IX. 4^7
Il faut suivre ton roi qui t'ayme par sus tous,
Pour les ver>s qui de toy coulent braves et doux;
Et crois, si tu ne viens me trouver à Amboise,
Qu'entre nous adviendra une bien grande noise.
CHANSON.
Toucher , aimer ' c'est ma devise ;
De celle-là que plus je prise.
Bien qu'un regard d'elle à mon cœur
Darde plus de traits et de flamme,
Que de tous l'archerot vainqueur
N'en feroit oncq appointer dans mon ame.
' Aimer, toucher, Marie Touchet : Charles ix avoit choisi cette
anagramme de son nom; mais la véritable étoitye charme tout. Elle
étoit née à Orléans, fille du lieutenant particulier du bailliage, et
avoit autant de douceur que de charmes. Elle mourut le i8 mars
i638, âgée de quatre-vingt-neuf ans, après avoir vu les règnes de
six rois, et fut enterrée aux Minimes de la Place-Ro\ale. Elle eut
de Charles ix un fils, qui fut comte d'Auvergne et duc d'Angou-
lême.
438 CLAUDE DE TRELLON.
'^«e«««c«»«e«««««&«»«cw»A««'^'«»o«{^««s&«>e&«9«6'e9«»«»«'»«a«s0««e«9ft9tt»«
CLAUDE DE TRELLON.
L'histoire ne fait pas mention de Claude de Trellon;
mais les ouvrages qu'il a laissés offrent quelques traits
de sa vie et de son caractère. Labbé Goiijet présume
qu'il étoit né à Angoulême. 11 quitta fort jeune la
maison paternelle.
J'avois (ilit-il) quinze ou seize ans alors que le malheur
Me fît abandonner le lieu de ma naissance.
Il vint à la cour, servit pendant les guerres civiles
sous d'Epernon, de Nemours, de Guise et de Joyeuse;
fut long-temps prisonnier à Turin, chanta ses maî-
tresses, et fit un pèlerinage à Notre-Dame de Lorette.
Courtisan, militaire et poète, il ne fit fortune dans,
aucun de ces états, parce qu'il fut sans doute cour-
tisan maladroit, militaire inhabile, poète sans génie.
11 se plaint souvent dans ses vers de la cour et des
grands, qu'il avoit encensés sans profit;dela guerre, qu'il
fit sans succès, et de l'amour, qui lui a inspiré presque
tous ses vers. Ses poésies présentent souvent des idées
triviales, quelques vers heurevix, quelques pensées
fortement exprimées, des notions historiques et des dé-
tails sur les malheurs du temps. On y trouve des traits
indécents, des expressions grossières, et des opinions
qui déposent contre la moralité du poète. N'espérant
plus de fortune du côté de la cour, se sentant inca-
pable de servir l'amour et son prince, de Trellon se
jeta dans la dévotion; et, comme plusieurs autres
CLA.UDE DE TRELLON. 489
poètes de son temps, il consacra sa muse à la religion.
A ses œuvres galantes succèdent des Confessions, des
Oraisons , des Elégies et des Sonnets d'une piété exem-
plaire.
Il existe plusieurs éditions des Œuvres de Claude
de Trellon , mais nous ne ferons mention que de celle
qu'il donna lui-même à Lyon, iSpj, in-\i ^ sous ce
titre ; Le Cavalier parfait du sieur de Trellon, ou sont
comprises toutes ses OEuvres. Ce recueil, dédié au duc
de Guise , est divisé en quatre Livres , dont le dernier a
pour titre \ Ermitage , et comprend les poésies dé-
votes de l'auteur. Celui-ci, pour imposer silence aux
critiques , a recours à un moyen qu'un autre écrivain ,
plus rapproché de notre temps, employa quelquefois
avec plus d'audace que de raison , mais qui n'est pas
encore généralement usité parmi lespoètes. De Trellon
menace les téméraires qui oseroient attaquer les pro-
ductions de sa plume, de les punir avec son épée :
Qui que tu sois, lecteur, avant que me reprendre.
Pense bien, si je faux en ces vers que j'écris,
Je porte à mon côté ma réponse pour rendre
Confiis en un moment les plus savants esprits.
Claude de Trellon eut un frère nommé Gabriel,
qui cultiva également la poésie, et comme lui fit suc-
céder des chants de dévotion aux vers galants de sa
première muse.
44o CLAUDE DE TRELLON.
SONNET.
Allez, mes vers, allez annoncer la nouvelle.
Allez chanter par-tout la fin de ma langueur;
Celle qui dans ses yeux caclioit tant de rigueur,
Se montre maintenant aussi douce que belle.
Amans, qui vous moquez de l'amour éternelle,
Amans, qui en amour dédaignez la longueur.
Le temps est quel(|uefois de nos peines vengeur;
L'amant n'est pas amant s'il n'est ferme et fidelle.
Je veux bâtir un temple à ma fidélité,
Où dun côté sera peinte la cruauté.
Les travaux, la douleur qu'un amoureux supporte;
Et de l'autre côté ces vers seront écrits :
Amour m'a fait entrer dedans son paradis;
Qui ne sera constant, n'heurte point à la porte.
SONNET.
Tu connois bien la cour, mon Girard que j'honore.
Mais lu ne connois point ce qu'elle tient caché;
Elle n'a rien si cher qu'un vice cjue j'abhorre.
Qui des plus jeunes gens se trouve recherché.
Girard, un courtisan est toujours empesché :
Tantôt il est auprès de celle qu'il adore;
Or' il est, comme moi, malade et bien fasché
De n'avoir ce métal (jui les hommes décore.
CLAUDE DE TRELLON. 44 1
La vie de la cour est presque misérable :
Or' on n'a qu'une fesse ou demi-fesse à table ;
Et lorsqu'on veut manger, on trouve le plat net.
Tout cela me déplaît; mais ce qui me transporte,
C'est qu'on voit les plus sots entrer au cabinet.
Et les habiles gens demeurer à la porte.
LE PORTRAIT DE LA COUR.
La cour est un théâtre où l'on voit à toute heure
Tantôt quelqu'un qui rit, tantôt quelqu'un qui pleure.
La cour est un théâtre où Ton voit tous les ans
Diversement jouer les pauvres courtisans.
La cour est un théâtre où Ihomme peut connoître
Que celui qui n'a rien n'y peut long-temps paroître.
La cour est un théâtre où Ton voit à la fin
Le pauvre venir riche, et le riche coquin.
La cour est un théâtre où l'on voit le plus sage,
Pour vivre en courtisan, jouer ce personnage;
Se trouver au lever de ceux dont la faveur
Bâtit et débâtit des hommes la srandeur;
Faire la mine à l'un , et montrer bon visage
A tel que l'on voudroit voir mort de grand courage ;
Ne parler à demi, courtiser un vilain,
A cause qu'il aura les finances en main;
Pour porter un clinquant, engager une terre;
Se battre en estocade à celle fin d'acquerre
Entre ses compagnons le renom de vaillant ;
Despendre en vanité tout ce qu'on a vaillant;
44^ CLAUDE DE TRELLON.
Faire du rodomout, porter haute l'espée;
Penser être un César, penser être un Pompée,
Et n'avoir jamais vu batailles ni combats
Que ceux-là qui se font aux amoureux esbats;
Faire le desdaigncux, contre- faire le louche;
Avoir toujours ce mot, Dieu te gard*, dans la bouche;
Faire le compagnon avecques les plus grands ;
Ne se mesurer point, faire en tout les sçavans,
Et au partir de là n'avoir autre science
Que de sçavoir un peu discourir dune danse,
Et bien souvent encore on ignore comment
Un homme doit danser pour danser galamment ;
Porter sur une épaule une rappe pendante;
Penser valoir tout seul plus que ne font cincjuante;
Réciter de beaux vers, en discourir toujours;
Et ne sçavoir que c'est ode, stance, discours;
Se friser, se fraiser, se farder le visage ,
Et si c'est pour un grand, faire un maquerelage :
Voilà tout le boniieur de ceux qui lous les jours
S'engagent follement à la suite des cours.
CHANSON
a une belle, pour laquelle quelqu'un etoit mort
d'amour.
PoiiRQi oi lavez-vous fait mourir.
Celui (jui vous aimoit , madame ?
A faute de le secourir
Vous l'avez mis dessous la lame.
CLAUDE DE TRELLON. 443
Ah ! que cette rigueur vous nuit !
Voilà que c'est d'être cruelle :
Votre jour me semble une nuit;
Je ne vous trouve plus si belle.
Vous en mourrez de déplaisir,
Car vous voulez être servie;
Et l'on n'aura plus de plaisir
De crainte de perdre la vie.
Pour moi, si j'étois amoureux.
J'en ai rabattu de ma flame;
Il faut bien être langoureux.
Mais non pas mourir pour sa dame.
SONNET.
Je veux changer d'amour et veux changer de maître;
De l'un je suis haï, de l'autre je n'ai rien:
Je veux rompre à ce coup tout amoureux lien;
Si je fus sot et fol, je ne le veux plus être.
Madame ne me veut dans son paradis mettre;
Mon maître s'aime trop pour me donner du sien :
Par leur moyen jamais je n'acquerrai du bien;
Il faut que ma valeur se fasse ailleurs connoître.
Je veux changer de maître et veux changer d'amour;
Mon maître et ma maîtresse, un chacun à leur tour,
Ont trompé tant de fois mon amour trop sincère!
Ils se font un grand tort, si dire je le doi ;
Car ils n'en trouveront jamais un comme moi ,
El de trouver mieux qu'eux, c'est le moins que j'espère,
444 CLAUDE DE TRELLON.
SONNET.
J'ai appris de naissance à être véritable;
Je ne flatte personne et ne sçaurois mentir :
Je trouve qu'à mes yeux vous n'êtes plus aimable;
Aussi de votre amour je me veux départir.
Quand je vous aimois fort, vous m'étiez agréable;
Vos yeux à mon trespas m'eussent fait consentir;
Vous aviez si bien pris mon courage imprenable,
Que rien de vous aimer ne m'eût sçu divertir.
INTaintenant je ne vois rien qui me plaise en vous;
C'est la raison pourquoi je lasclic ailleurs mes coups ,
Et n'adore rien tant que mon amour nouvelle.
Ne vous en plaignez point, mais faites-en autant:
Si vous me reprocbez (jue je suis inconstant.
Je vous reprocherai que vous n'êtes plus belle.
SONNET.
Je ne puis supporter un sot présomptueux ,
Qui discourt d'un combat sans nulle expérience :
Je suis marri de voir un homme vertueux
Consommer son printcms pour un jicu d'espérance.
Basoche , je me plais à me mofjuer de ceux
Qui pensent tout sçavoir et n'ont point de science;
Connoissant leur défaut lorsque je parle à eux.
Pour leur faire plaisir, je vante fignorance.
CLAUDE DE TRELLON. 445
On voit beaucoup de gens bien parés, bien vêtus;
Mais on en voit bien peu qui aiment les vertus ;
C'est pourquoi bien souvent les cheveux je m'arrache.
Les princes et les rois n'aiment que le changeant:
Cela me fâche fort; mais ce qui plus me fâche,
C'est que je suis malade et je nai point d'argent.
TESTAMENT.
Parce que je voi bien que c'est l'arrêt des cieux,
Qu'il me faut déloger de ces terrestres lieux,
Et qu'il me faut mourir pour finir ma tristesse,
Je veux avant ma mort dire ma volonté,
Et supplie le ciel de punir la beauté
Qui paya mon amour d une telle rudresse.
Je meurs pour trop aimer sur l'avril de mes ans ;
Je meurs de trop d'amour : hélas ! je m'en repens;
Je me repens d'avoir tant aimé la constance;
Mais non, je m'en dédis, je ne m'en repens pas;
Je me sens bienheureux de courir au trépas ;
Car ma mort servira de modèle à la France.
Je laisse mes ennuis à l'infidèle cœur
De celle qui me fait mourir par sa rigueur;
Je lui laisse mes maux, mes douceurs tout ensemble ;
L'appelant mille fois sotte, sans jugement,
De n'avoir pas voulu goûter un seul moment
Le plaisir qui dans soi tous les plaisirs assemble.
44^ CLA.UDE DE TRELLON.
Je laisse à mon rival tout le contentement
Que j'ai h\cn mérité pour aimer constamment :
Aux amans inconstans ma trop terme constance;
Aux filles mon amoiu", et aux lemnies ma foi;
Au tems un souvenir percluraMe de moi;
I\la joie à mes amis, au ciel mon espérance.
Je \('U\ être enterre au son du tand)ourin.
Afin (|ue tout le monde accoure voir ma fin;
C'est l'instrument de ceux qui ont aimé la guerre;
Quelqu'un pariant de moi dira tout bassement,
Poussant quelque soupir : la mort cruellement
Despouille tous les jours de ses vertus la terre.
Mais afin (|ue quelcju'un ne die aprcs ma mort
Qu'en escrivant ces vers je me suis lait grand tort
De faire ces légats, je vous veux faire entendre
Que je suis d'une humeur qui n'aj)partient ([u'àmoi,
El (pie l'estime sot, et du tout hors de soi.
Le j)reinier (jui xoudia mon lestameiil rej)rendre.
Je veux (|u au lieu de noir, ;i mon enli'rrement,
Chacun de nies amis ait un accoulicmcnt
De gris, de verd, de bleu, |)our ma perte advenue:
Le gris témoignera mes cruelles douleurs;
Le verd l'espoir (pion a parmi tous ses malheurs;
Le hieii ma lo\aulc, <pi"on a mal reconnue.
Je veux (pu- cpuind mon corps sera prêt d ciili-rrer,
Afin (ju'après ma mort on ne puisse ignorer
Que mon cœur en vivant n'ait été plein de joie,
Qu'on ait des violons, (pie Ion danse hardiment:
CLAUDE DE TRELLON. 447
Nous ne sommes pas nés pour vivre incessamment;
Il faut prendre à la fin ce que Dieu nous envoie.
Je veux que quand mon corps sera sous terre mis^
On fasse un grand festin à tous mes ennemis,
Afin qu'ils aient sujet d'avoir plus de liesse ;
Que personne ne pleure, ains que l'on rie fort;
Qu'on die des bons mots; car jamais pour un mort
Un homme de bon sens ne doit avoir tristesse.
Je veux qu'expressément auprès de mon tombeau
On fasse peindre un mort dedans un grand tableau,
Où ces trois vers soient mis pour mémoire éternelle:
« Amans, que cbercbez-vous dans les liens d'amour?
«Pensez-vous faire ici dune nuit un beau jour?
« Je ne suis mort sinon que pour être fidelle. »
448 JEAN DE LA JESSÉE.
«oa«fBa>gf»»i»f »«»»»■■■«»»<» »«ta«e«afr»««»»»a»a«»«*iaf«»aef>«>
JEAN DE LA JESSÉE.
JiiAN DE La JrssÉE, né en i55o , à Monvaison , ville
de (iascogn»', clans 1 Ai inajjnac , s'attacha de Ijonne
heure à Jeanne d'Albret, reine de JNavarre. 11 accom-
pagna cette princesse dans le voyage qu elle fit à Blois,
et ensuite à Paris, où il eut la douleur de perdre sa
protectrice. Quelque temps après, le duc d'Anjou,
dernier fils de Henri ii , le nomma secrétaire de sa
chambre. Notre poète accompagna le prince dans plu-
sieurs voyages en Angleterre , cl il lui resta attaché
jusquà sa mort (io juin i584)- La Jessée vivoit encore
en iSyS.
Le recueil de ses OEuvres lut imprimé en i583, en
4 tomes /«-4° , par le célèbre Plantin , d'Anvers.
Le tome premier a pour titre la Jeunesse de Jean
de La Jessce.
Le second contient sept Livres de Meslanges.
Le troisième comprend les Amours de Marguerite,
en quatre Livres; les Amours de Si.vhre, en trois Livres;
et /es Amours de Grasinde , en deux Livres.
Enfin , le quatrième tome renferme des Discours
poétiques , en deux Livres , et en vers héroïques.
Plantin annonce à la fin de cet immense recueil,
que ce n est là (pu- le premier volume des productions
de La Jessée, et (pi'il se propose d en imprinu-r deux
autres qui seront composés de plusieurs Livres d odes ,
d'élégies , de satires , etc. , de tragédies, de poèmes , etc. ;
JEAN DE LA. JESSÉE. 449
mais l'impression n'eut pas de suite. En iSgS, La
Jessée publia sa Philosophie morale et civile , en cent un
quatrains sur divers sujets. Par l'un de ces quatrains ,
le poète nous apprend qu'il avoit composé une Hen~
riade en latin.
CHANSON.
Ce temps comblé d'un verd honneur,
Couvre la terre de son heur,
Les bois de cheveleure :
On voit rives, plaines et prés.
De gaye couleur diaprés :
Las ! tout rit, et je pleure.
L'artisan dedans les cités,
Les pasteurs aux champs habités,
Chantant, ses soins enchante :
Même on t>it jazer les oiseaux.
Bruire l'air , et courir les eaux :
Je me plains , et tout chante.
L'allégence suit le travail ;
Le genre humain, et le bétail.
Par fois dort et sommeille :
La nuit , et le silence ami ,
Tient le monde lors endormi :
Tout repose, et je veille.
Rien n'est perdurable ici bas;
Toujours le ciel ne gronde pas,
29
45o JEAN DE LA JESSÉE.
Ni la liquide plaine;
Les jours viennent après les nuits;
Moi , sans fin malheureux je suis :
Las ! tout change, hors ma peine.
SONNET.
J'estime le soldat qui peut suivre la guerre,
Sans se voir aux combats pris, ou mort, ou blessé:
J'aime l'aventurier qui sans peur a laissé ,
Pour illustrer son nom , les bornes de sa terre.
L'homme riche me plaît qui son trésor n'enterre,
Et qui de tous ses biens subvient à l'oppressé :
J'admire un courtisan qui jamais n'a pensé
A faire aux gens de bien une secrette guerre.
J'honore un magistrat de sagesse pourvu;
J'écoute l'étranger qui maints peuples a vu ;
Je vante es gens de lettre une gloire immortelle.
J'approuve en son désastre un grand cœur affermi ;
Je loue es vrais parens une foi mutuelle :
Mais plus (jue tout ceux-là, je prise un bon ami.
JEAN DE LA JESSÉE. 45 1
DES COURTISANS.
Leur vue est souvent éblouie ;
Un son s'attache à leur ouie ;
L'odorer leur est dangereux :
Au gré d'autrui leur vie passe ;
Ils tiennent des autres la grâce;
Même le goût n'est pas à eux.
Pire n'est la soif de Tantale ;
D'Ixion la peine fatale
N'est si fâcheuse tour-à-tour ;
Non, le travail du faux Sysiphe,
Ni la faim, le bec et la griffe
De l'insatiable vautour.
Dès la première connoissance ,
Ses biens sont en notre puissance;
Même il est notre partisan :
Mignon, ces façons sont honnêtes !
Mais on sçait qu'au besoin vous êtes,
Au lieu d'ami, vrai courtisan.
Vos harangues amadisées ,
Ainçois vos bayes desguisées,
Sçavent les fous entretenir :
Et dites , quoique Ton s'en fâche ,
Que c'est tout un , pourvu qu'on sçaclie
Promettre tout, et rien tenir.
432 JEAN DE LA JESSÉE.
Ça ! qu'on me prête une balance ,
Pour mieux priser leur excellence !
Mettons-les tretous d'un côté ,
De l'autre un rien : qui ne voit qu'ore
Ce rien pesé trop plus encore ,
Tant est vaine leur vanité !
QUATRAIN.
Quand sous ta main la fortune se trouve,
N'enfle ton cœur; lorsqu'elle changera,
Sa fuite aussi tes sens n'estonnera:
L'heur nous déçoit , le mallieur nous éprouve.
QUATRAIN.
N'use de fart, ni d'artifice caut,
Pour te montrer plus belle créature ;
L'art ne sçauroit suppléer à nature,
Où la nature à soi-même défaut.
QUATRAIN.
Quand les mortels vont la mort encourir.
Tout est en deuil : mais en jeux et louanges
Passe leur vie. O fantosmes étranges !
Vous ne savez ni vivre ni mourir.
JEAN DE LA .1ESSÉE. 453
D'UN LIBRAIRE.
Je me fàchois contre un libraire,
Qui toujours débite à Paris
De sots livres, faits pour attraire
Les plus simples et fols esprits;
Quand plein d'audace , il me va dire
Vous m'en voulez conter, beau sire !
Tenant ma boutique au Palais,
En moins de neuf ou dix journées ,
J'ai vendu plus de Rabelais
Que de Bibles en vingt années.
SONNET.
Lise se pare ainsi qu'une déesse ,
Riche , pompeuse ; et même les vendeurs ,
Passementiers , orfèvres et brodeurs ,
Sont empêchés pour l'orner de richesse.
Rien ne s'espargne, afin que sa vieillesse
Soit moins notoire aux jeunes demandeurs :
Tous les parfums, les drogues, les odeurs,
Flattent ses ans, et montrent sa mollesse.
Elle a beau s'oindre , elle a beau se farder,
Friser ses poils, ses gestes mignarder,
Encor voit-on sa laideur et son âge.
454 JEAN DE LA JESSÉE.
Elle esprendra quelque sot damoiseau :
Quant est de moi, vu son brave pennage,
J'aimerois mieux la plume que Toiseau.
SONNET.
A M. LE MARQUIS DE COXTY.
Quel poëte nouveau, quittant le gai lierre.
Pour le mirthe et laurier, se présente à mes yeux?
Vous me direz ainsi , vous qui par vos ayeux
Avez eu tant de rois de la gauloise terre.
Je suis vraiment celui qui chante pour acquerre,
Non de riches trésors , mais un bruit glorieux ;
Afin qu'en m'honorant je vous honore mieux,
Et qu'une laide mort votre beau los n'enterre.
Je m'offre donc à vous, et ne suis trop hardi :
Je ne m'abuse point quand je vous nonune et dl
Enfant du père aux rois, moi du père aux poètes.
Les princes et Phœbus viennent du grand Jupin ;
Doncques frères ils sont : et par même destin ,
Votre neveu je suis, et mon oncle vous êtes.
MARSEILLE D'ALTOLVITIS. 455
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MARSEILLE D' ALTOU VITIS.
Cette femme célèbre, qui s'appeloit Blarseille , parce
qu'elle avoit été présentée sur les fonts baptismaux
au nom de la ville de Marseille, naquit en i55o, de
Pliilippe d'Altouvitis , d'une illustre maison de Flo-
rence, premier consvd d'Aix, et de Renée de Rieux,
baronne de Castellane et de Châteauneuf, qui avoit
été maîtresse de Henri m. Elle eut le malheur de perdre
son père peu de temps après sa naissance. La même
année i55o, Philippe ayant eu quelque différend
avec Henri d'Angoulême , grand-prieur de France et
gouverneur de Provence , ils s'attaquèrent mutuelle-
ment , et se poignardèrent.
Marseille d'Altouvitis se distingua de bonne heure
dans la poésie , par plusieurs ouvrages qui lui valurent
l'estime et l'admiration des poètes de son temps, mais,
de tous ces ouvrages , il ne nous reste qu'une ode com
posée à la louange de Louis Bellaud de La Ballaudière,
de Grasse, et de Pierre Paul, de Marseille, qu'on regarde
comme les deux restaurateurs de la poésie provençale.
D'Altouvitis mourut à Marseille en 1606, âs^ée de cin-
quante-six ans , et fut ensevelie dans l'église des Grands-
Carmes de cette ville. Parmi les nombreuses pièces
qui furent consacrées à sa mémoiie, l'épitaphe sui-
vante mérite d'être distinguée ; elle est de Jean Brémond
ou Bermond , marseillois ;
Le jour étoit couché sous l'ombre,
Quand la parque, d'un esprit sombre
456 MARSEILLE DALTOUVITIS.
Couvrant les plus vives clartés
Qu'Amour écrit entre ses flammes,
Sépara des parfaites âmes
L'ame de toutes les beautés.
Ce fut des Grâces la quatrième,
Ce fut des Muses la dixième ,
Marseille , qu'elle nous ravit :
Mais tout le triomphe et la gloire
Qui nacquit de cette victoire,
De rien ou de peu lui servit ;
Car'l'esprit quittant la nature
D'un corps subjet à pourriture ,
Ne fléchit à même destin ;
Mais doué d'un astre plus ferme,
La fit , sans limiter son terme ,
Paroître au point de sou malin.
ODE
A LA LOUANGE DF LOUIS BELLAIJD PK H BALLAUDIKRE, ET
DE PIERRE PAUL DE MARSEILLE.
Nul n'aura dans le ciel partage,
S'il n'a chanté par l'univers
Le rare phénix de notre âge ,
Paul et Bellaud unis en vers.
Mercuriens , diserts poètes,
Enfans des neuf Muses chéris ,
Je sacre aux lauriers de vos testes
Deux fleurons de myrthe choisis.
Atropos a voulu dissoudre
Un couple d'amis si très heau ,
BIA.RSEILLE D'ALTOUVITIS. lySj
Ayant mis Louis Bellaud en poudre
Sous le froid marbre du tombeau.
Mais de quoy lui sert son envie ?
L'amour a dompté son effort ;
Car Paul lui redonne la vie ,
Maugré le destin et le sort.
458 JEAN DE LA CEPPÈDE.
»»avgi'B^frfcg^frC<^»»ft^»«g^tf^g^e^fr^<>^3«fi^'?^p^c^t-a'^^e^c^<^='a8^5«e»<<
JEAN DE LA CEPPEDE.
Jean de La Ceppède, né à Marseille, en iSdo, de
Jean-Baptiste de La Ceppède et de Claude de Bompar,
fut successivement revêtu de la charge de conseiller
au parlement d Aix, le 28 octobre iSyS; de celle de
président aux Comptes de Provence, en i586; et enfin
de celle de premier président de cette chambre , le
i4 juillet 1608. 11 épousa Madeleine de Brancas, fille
du baron de Cereste, et mourut à Avignon en 162'i.
Son corps fut transporté à Aigalades , près de Marseille,
dont il étoit seigneur.
La Ceppède fut intimement lié avec la plupart des
poètes de son temps. Voici les vers que le célèbre
Malherbe fit à sa louange :
Muses , vous promettez en vain
Au front de ce grand écrivain ,
Et du laurier et du lierre :
Ses ouvrages , trop précieux
Pour les couronnes de la terre ,
L'assurent de celle des cieux.
Personne ne sera la dupe d'un pareil éloge. L'amitié
pouvoit aveugler Malherbe, et certes nous sommes
bien éloignés de lui en faire un crime ; mais il n'est
pas moins vrai que les productions de La Ceppède ne
sont rien moins que des ouvrages précieux. Elles se
composent d'une Imitation des Pscawnes de la Péni-
tence de David, de quelques pièces pieuses, et des
Théorèmes spirituels sur la vie et la mort de Jesus-Christ,
JEAN DE LA CEPPÈDE. 459
SONNET
SUR LA CONDAMNATION DE J ÉSUS- CHR IST.
Comme ces assassins feignent d'avoir grand soin
De traiter cette cause en termes de justice,
Voici de toutes parts maint et maint faux témoin
Qui tâche de livrer l'innocent au supplice.
Mais, quoique ces menteurs colorent leur malice,
Tant qu'il leur est possible, ils s'égarent si loin.
Que leur bouche en un mot ne dit rien qui fournisse
Une apparente preuve à l'injuste besoin.
Un témoin contredit ce que l'autre dépose :
Au mensonge imposteur, la vérité s'oppose;
Plus on la veut noircir, plus sa blancheur reluit.
Ainsi Suzanne éprouve en son angoisse extrême.
Que de deux faux témoins l'un par l'autre est détruit,
Et que l'iniquité se dément elle-même.
46o JEA.N DE LA CEPPÈDE.
SONNET
SUR LA DÉSERTION DES APOTRES.
Surgeons du sang royal , fuyez-vous bien les amies,
Que la simple noblesse aime si chèrement?
Parens du Christ qu'on traite ores si durement,
Hé ! le quittez-vous seul parmi ces durs vacarmes ?
Vous , qui deviez le suivre aux plus chaudes alarmes.
Manquez-vous de promesse ainsi légèrement ?
Et vous , Jean , qu'il aimoit si paternellement ,
Lâchez-vous ce bon maître à ces cruels gens d'annes?
Péagiers , et pescheurs faits princes de sa main ,
Vous l'abandonnez donc à ce peuple inhumain ?
Tant la peur de la mort a votre ame asservie !
Si l'amour de la vie est le soin qui vous mord ,
Arrêtez : car par-tout vous trouverez la mort,
Et cil que vous fuyez est l'auteur de la vie.
FRANÇOIS D'AMBOISE. 4^1
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FRANÇOIS D'AMBOISE.
François d'Amboise , fils de Jean d'Amboise , qui fut,
chirurgien des rois François i*"', Henri ii, François ii,
Charles ix et Henri m, naquit à Paris en i55o.
Charles ix fit élever à ses frais le jeune d'Amboise,
qui, après avoir terminé l'étude des belles-lettres,
et les avoir même professées, les abandonna pour
se livrer au barreau , où il se fit , comme avocat , une
grande réputation. Henri m , appelé au trône de Po-
logne, le choisit pour l'accompagner dans ses nou-
veaux états; et, à la demande de ce prince, d'Amboise
en fit la description. De retour en France, il occupa
successivement différentes places dans la haute magis-
trature : il fut nommé conseiller d'état en i6o4, et
mourut en 1620. Les lettres ne furent qu'un délasse-
ment pour d'Amboise , et il y renonça de bonne heure
pour s'occuper de sa fortune. Ses ouvrages , mal indi-
qués par Lacroix du Maine et par Duverdier, le
sont plus exactement par Nicéron. Nous ne devons
mentionner ici que ceux qui sont en vers , et qui se
composent des Néapolitaines , comédie françoise Jbrt
facétieuse , sur le sujet de P histoire d'un Espagnol et un
François (Paris, i584î i«-i6); des Désesperades , ou
Eglogues amoureuses , es quelles sont au vif despeintes
les passions et le désespoir d'amour ( Paris , 1072, /«-8 ° \
462 FRANÇOIS D'AMBOISE.
ÉLÉGIE
SUR LE TRÉPAS d'aNNF. DUC DE MONTMORANCY, PAIR ET
CONXtSTABLE DE FRANCE.
Celut qui surmonta, vertueus en sa vie,
Vertueus en sa mort, le destin et l'envie,
Celiiy qui surpassa, rare et prodigieus,
Le les et la vertu des premiers demy-dieus ,
Foisonnant en renom, et comblé d'excellence.
Ce grand Montmorancy, connestable de France ,
Hclas ! est decedé. Plorés, peuples, plorés.
Et de vos pleurs tesmoins son trépas décorés,
Puisque les tristes sœurs de l'enfer citoyennes,
Conceuës par la nuict es maisons stygiennes.
De sa vie ont tranché le fd fatalement :
Plorés, François, plorés; car tout vostre ornement
Est mort avecques luy. Et vous sœurs oreades,
Vous nymphes des forets, vous gentilles naïades.
Exercés à jamais ung dueil continuel.
Arrachant vos cheveux, pour le trépas cruel
De ce grand duc , duquel la force et vertu rare
A tant et tant de fois surmonté le barbare.
Augmentés jiar vos pleurs, vous déesses des eaus,
Le cours argentelet des dous coulans ruisseaus.
Et faictes que vos flocs, près de l'herbeuse rive.
Déplorent son destin, comme si l'onde vive
De son murmure dous voudroit plaindre la mort
Do ce vaillant guerrier, lequel par son effort
FRANÇOIS D'AMBOISE. 463
Invincible a vaincu tous ses haineurs en guerre,
Ainsi que Scipion des armes le tonnerre ,
Et des armes l'honneur. Et combien que les cieus
Oii il faict sa demeure, ayent esté joyeus,
Lors que par mort ils ont jouy de sa présence ,
Si est-ce que tousjours la désolée France
Veuve regrettera son guerrier tant aimé ,
Son guerrier valeureus , son guerrier renommé ,
Lequel pour mieus graver en terre sa mémoire.
Et avoir le guerdon que meritoit sa gloire,
S'est emparé des cieus : mais quoy! l'air courroucé,
Avec les elemens se sentant offencé ,
Murmure et plaint sa mort, et les blondes avettes ,
Emues de douleur, bruyent près les fleurettes.
Puisque donc ainsin est, sus versés larmes d'yeus ,
Satires, chevrepiés, faunes et demi-dieus,
Plorés villes , chateaus , plorés herbeuses plaines ,
Plorés , et augmentés le cristal des fontaines ,
Plorés bois et taillis, et vous coustaus bossus,
Plorés jardins et monts , plorés antres moussus ,
Qu'on oye retenir l'air aus sons de vos plaintes.
Et toy, déesse Echo, respons à mes complaintes.
Complaintes que roulans ces larmes de mes yeus
Je voue à son trépas , ne pouvant faire mieus ,
Sinon de déplorer le malheur de la France
Veuve, helas! maintenant de sa douce présence.
Or donques il a pieu à celuy là qui meut
Toute ame, et qui repos luy donne quand il veut.
Il a pieu à celuy qui conduit et qui guide
Ce qui vit sur la terre , et dedans l'air liquide ,
464 FRANÇOIS D'AMBOISE.
Et au mylieu des eaus, de permettre à la mort
Eprouver sa puissance , et faire son effort
Contre Montmorancy, l'appuy et l'asseurance,
Le secours, le bon heur, le rampart de la France.
« Nous sçavons que rien n'est ayant œternité
«En tout cest univers, fors la divinité.
« Nous sçavons qu'on ne voit rien qui ne soit passable,
« Et qui n'ait la nature inconstante et muable,
« Et que ce qui est faict des quatre cors divers
« Au centre s'encernants de ce grand univers,
«En fin est ruiné. Et tout ce qui s'engendre,
« Et se compose d'eus, tourne en poudre et en cendre.
«Nous sçavons que la mort, et Saturne inhumain
« Fauchent également tout ce qui est mondain :
« Mais lors que nous voyons que ce chronien dévore,
« Et ravit ses enfans, puis en produit encore,
« Puis les dévore après , nostre fragilité
« Désireuse souhaite avoir œternité. »
De là, vient le désir de sçavoir les présages.
Avant-coureurs des maux, et des humains orages.
Et le désir de voir le poulmon des aigneaus ,
Et le vol gauche, ou droit, des prophètes oiseaus,
De là, vient le désir de sçavoir les augures.
Et la prédiction des ruines futures ,
Comme est du sang pourpré un découlant ruisseau,
Ou le foudre frappant d'un chesne le couppeau :
« Toutcsfois il est vain , pour ce ({ue nostre vie
« Est de la main de Dieu, ou conduite, ou ravie;
« Car c'est luy (jui commande au sort et au destin ,
« Praevoyant de long-temps le jour de nostre fin ,
FRANÇOIS D'AMBOISE. 465
« Laquelle quelquefois se mesle en nostre suitte ,
« Lors que nous la fuyons ; et puis se met en fuitte,
« Lors que nous la cherchons ; et en toute saison
« Pend dessus nostre chef, produitte d'Aclieron,»
Et de l'obscur manoir du dieu épouvantable.
Qui jamais eust pensé que nostre connestable
Ayant en tant d'assauts passé tous les dangers ,
Que le feu et le fer nourrissent familiers,
Ayant tant travaillé à maintenir les armes,
Et tant acquis d'honneur en donnant les alarmes ,
En martial arroy, ou courant au défaut
D'un bataillon forcé, ou donnant un assaut,
Fust ainsi decedé , alors que son vieil aage
Meritoit un repos, et non un tel carnage,
Autheur de son decés! Mais son cœur genereus.
Sur la fin de ses ans ne s'est monstre paoureus :
Ains voulant faire à Dieu et à son roy service,
N'a douté de son sang leur faire sacrifice ,
Comme le roy d'Athene, et comme le Thebain,
Comme celuy de Sparte, ou comme le Romain,
Qui combattans sont morts secourans leur patrie :
Aussy pour toy il n'a, France, épargné sa vie,
S'employant pour tes roys et pour les peuples tiens.
Donc que Grèce se taise, et ne vante les siens,
Donc que Rome se taise, et que plus ell' ne prise
Ceux par lesquels elle eut liberté et franchise :
Car France maintenant peut en son nourrisson
Contempler les vertus de l'antique Jason,
D'Hercule, d'Achillés, d'Ulysse et de Patrocle,
De Nestor et d'Ajax, et de ce Themistocle,
V. 3û
4G6 FRANÇOIS D'AMBOISE.
Lequel depiiys douta les cffors perslens,
Prenant le fer en main pour les Athéniens.
France peut maintenant admirer revcellence,
Et jusqu'au dernier ciel élever la vaillance
« De son ÎMontmorancy. Et puys que le vray los
« Doit estre concédé, lors que l'obscur chaos
« Couvre et presse au giron de sa masse brutale,
« Ceux lesquels de la mort la sagette fatale
« A attaints et réduits sous l'inhumain pouvoir
« Du gendre de Ceres, recteur de l'Orque noir, »
Qui seroit le François tant cruel et barbare,
Tant semblable au Gelon, ou au Scitic tartare,
Oui ne resretteroit nostre Nestor francois?
Surpassant en conseil l'autre Nestor grégeois,
Nestor, dis-je, prudent dans les murs de la ville,
Au dehors surpassant le valeureus Achille.
Car comme un feu lancé du ciel resplandissant,
Sacage la moisson , et l'épy jaunissant ,
Conune A(juilon alant d'une marche doublée,
Gallope sur les flocs entre la troupe élée;
Ainsi ce connestable en tous combats vainqueur,
Rompoit les rancs murés, et, poussé de l'honneur,
S'acqueroit es combats une innnortelle gloire.
Tesmoins m'en soyent ceus-là sur lesquels eut victoire
Ce grand Montmorancy. Tcsmoin soit l'empereur,
Duquel il repoussa l'effort et la fureur.
Tu le seais, Avignon, lors qu'il reprima l'ire
Par force et par conseil du recteur de l'empire.
Tu le sçais, Dam-ViUicrs, et toy, Mets, tu le sçais,
Lors que par ses effors les tiens furent forcés;
FRANÇOIS D'AMROISE. 467
Boulolgne , tu le sçais , quand par force forcée ,
En tes quatre chateaus vaillant il eut entrée:
Meuse, vous le sçavés, et le Pihosne, et le Rliin,
La Moselle, et la Seine, et l'Alpe, et l'Apennin,
Vous le sçavés, et si vous pouvés à nostre aage
Porter de sa vertu un ample tesmoignage.
Tairay-je le destroit de Suse et de Hedin,
La prise, et le combat donné près le Ticin
Contre le Mantouan, lors qu'ans chaudes alarmes,
Courageus à bastir un tombeau dans ses armes.
Ce guerrier surmonta , et domta de sa main
L'itale, l'Espaignol, l'Anglois et le Germain?
Tairay-je la bataille auprès de Han donnée,
Ou bien de Marignan? Tairay-je la journée
En laquelle depuis ce vaillant belliqueur
Pour Charles nostre roy combatant fut vainqueur
De l'ennemy à Dreus? Passeray-je en silence,
Comme il a constamment servy cinq rois de France :
Et comme il s'est trouvé, et tant, et tant de fois
En bataille rengée ? A bon droit roy françois.
Tu l'esleus entre tous pour estre connestable,
Esmeu de sa vertu et sa force indontable ;
Car le clair œil du ciel, le rayonnant soleil,
Au monde n'a jamais regardé son pareil.
Toutesfois, quoy qu'il fust tant vertueus et rare.
Et chery de la France, un étranger barbare
A osé employer, et la flamme et le fer
Pour de sept coups meurtriers l'occire , et le priver
De la veiïe du ciel et de sa douce vie.
Et semble que Mavors eut conceu quelque envie
468 FRANÇOIS D'AMBOISE.
Et haine contre liiv, se voyant seconder
En ses faicts belli([ueus , ou plustost surmonter:
Tant que jalous d'envie , et éineu de cholere ,
Il eut permis celuv, qui en art militaire
Le surpassoit, sentir d'un ennemy 1 effort,
Et pour France encourir par sept playes la mort :
Mort telle toutesfois qu'elle augmente sa gloire,
Et d'avantage engrave aus hauts cieus la mémoire
De ses illustres faicts, pour faire mieux florir
Cohiv ({ui pour son roy n'a doute de. mourir.
« Et combien qu'on ne puisse ou par pleurs, ou par plainte,
« Rallumer le (lambeau de ceste vie etainte,
« Apres que Saturne a fauché d'egalle main ,
« Ou soit tost, on soit tard, tout ce qui est humain,
« Et combien qu'un corps mort le pleur ne ressuscite,)^
Comme Diane sçait pour son chaste Hyppolite,
Si est-ce que tu dois, France, abonder en pleurs,
Et prolonger de siècle en siècle tes douleurs,
Puis ([u'ainsin Atropos, dure et inexorable,
A retranché la vie à ce tien connestable,
Tu luy dois un trophée, et un riche tombeau,
Luy dressant à sa mort un triomphe nouveau.
Car par le jugement de ce dieu qui desserre
Les bondes de l'olvmpe, et lançant son tonnerre,
Qui faict trembler le ciel et la terre d'borreur,
Et tout cest univers, duquel il est recteur.
Estant père des dieus, l'élément de la teri'e
Pour sa part a le corps de ce duc, et l'enserre,
Mère commune à tous, dedans l'obscur cercueil,
Et quitte sa verdure eu signe de sou dueil.
FRANÇOIS D'AMBOISE. 469
D'autre costé au monde a esté adjugée,
Par le grand Juppiter , la gloire et renommée
De ce grand chevalier. Et les cieus azurés
Ont prins pour eux l'esprit, dont ils sont décorés.
470 NICOLAS PAVILLON.
NICOLAS PAVILLON.
Nicolas Pavillon , avocat distingué au Parlement
de Paris, aïeul de Nicolas Pavillon ,évêque d'Aletz, et
d'Etienne Pavillon , de l'Académie Françoise , mort en
lyoS, étoit né à Paris, d'une famille originaire de
Tours; il vivoil encore en i584. Nous avons de lui une
traduction en vers François des Sentences de Théo^nis,
poète grec de JWégare, dans TAttique, qui llorissoit
vers la soixante-huitième olympiade. Cette traduction
parut en iSjS (Paris, /«-S^, Guillaume Julien); elle
est dédiée à Pierre Girard, fds d'un conseiller au siège
présidial de Moulins en Bourbonnois,à qui notre poète
en avoit fait plusieurs fois la lecture pendant soit sé-
jour dans cette ville. On n'y trouve pas toute la grâce
de l'original, elle n'est même pas littérale; mais Pa-
villon, qui d'ailleurs connoissoit très bien la langue
grecque, nous dit qu'il s'étoit plus attaché à exposer
clairement les maximes du poète grec qu'à les rendre
mot à mot. 11 parle, dans son épître dédicatoire, de
deux autres traductions plus considérables qu'il avoit
entreprises, mais qui n'ont pas été imprimées : celle du
géographe Denis d'Alexandrie , et celle des Commen-
taires d'Eustalhc sur Homère.
Pavillon nous a encore laissé une épitaphe de Jules
Scaliger, qu'on trouve à la page i56 des Epitapkes
Jrançoises , et un ouvrage qui a pour titre Discours sur
r histoire des Polonais et r élection du duc d* Anjou ^
avec une èpitre au roi de Pologne y sur sa biciL~venue
a Paris ( Paris , //i-8 , i SjS ).
NICOLAS PAVILLON. 4? '
SENTENCES DE THEOGNIDE.
Sois sage, et sottement ou bien injustement
JVe sois ny honoré, ni riche, ni puissant.
Ne hante les méchans , ains les bons à toute heure.
Bois , manges et te siés près ceux dont tu t'asseure ,
Et t'essaie sur tout de plaire aux grans seigneurs.
Si tu hantes les bons, tu prendras bonnes meurs:
Si li^s méchans , méchant tu seras à leur guise.
Si tu retiens ceci, quelquefois, sans feintise.
Tu me sauras bon gré de te l'avoir apprins.
Cyrné , cette ville a un ventre dont je crains
Qu'un homme en soit issu à sa maie partie :
Encor' les citoiens ont quelque modestie ;
Mais ces messieurs nous font mille méchancetés.
Cyrné , les bons primats ne perdent leurs cités ;
Mais si tost qu'il leur plaist mener mauvaise vie,
Entendre au populaire , et pour gain ou envie
Favoriser l'injuste, il se faut asseurer
Que la cité ne peut en long repos durer,
Bien que pour quelque temps le peuple se repose;
Car le gain qui provient de la publique chose
Est leur plus grand souci : de là mille débats
S'élèvent, et de là s'engendrent les combats,
Pource qu'un roi tiran à la cité n'agrée.
Voici une cité , Cyrné , qui est peuplée
D'un peuple qui n'avoit ni roi ni loix à l'œil.
Ains se couvrant les flancs d'une peau de chevreuil ,
472 1VIC0LA.S PAVILLON.
Comme cerfs se paissoit de quelque rude ortie,
Qui fut cil maintenant la nuu'aille est bastie.
Il fut doux quelque temps, Polypedc; mais cil
Qui fut le plus humain a le plus fier sourcil.
Je ne me puis garder d'en parler (|uand j i pense,
L'un l'autre se déçoit, l'un l'autre aussi s'offense,
Sans savoir discerner le bien d'aveq' le mal.
JVe sois point, Polypede, ami de cœur loial
Aveq' tels citoiens pour quelque gain en prendre.
Fai-loy leur grand ami , d'une langue assez tendre ,
Sans toutesfois les mettre au neud de tes secrets.
Ainsi tu connoitras que tels amis sont prests
Au parler non au fait, si lu veuK tu deceuvres
Leur feintise à leur foi, et à toutes leurs œuvres,
Leur dol, leur tromperie et leurs sombres desseins
Empeschcnt qu'on les die bomiues de force j)leins.
Ne prcns jamais conseil, Cyrné, d'un mauvais homme.
Si tu veuv <[u un affaire à ton bien se consonnne ;
Mais à riiomine de bien tu dois tout reveller,
Voire et pour le trouver dusses-tu loin aller.
Un seul cas toutesfois à plusieurs ne revelle;
Car peu entre beaucoup ont la langue fidelle.
Découvre en seureté grand cas à peu de gens,
Pour garder de douleur non-sainable les sens.
L'homme fidelle est digne, alors (ju'on est en trouble,
D'estre acheté pour l'or et pour l'argent au double;
Car on en trouve peu, Polypede, entre cent.
Voire mille ausquels soit un cœur ferme et constant ;
Le nombre est bien petit de ceux (|ui tousjours fermes
ridelles soient presens aux plus dangereux termes,
NICOLAS PAVILLON. 4? 3
Et qui aians tousjours le courage loial ,
S'offrent également à porter bien et mal ,
Tu n'en trouveras guère' au milieu de nous hommes ;
Car tous d'un mesme nef agités nous ne sommes,
Nous semblons bien à lœil et au parler honteux,
Et nous ne craignons pas de meffaire en tous lieux.
Ne t'accoste jamais du malin pour l'aimer,
Fuïs-le tout ainsi qu'un mauvais port de mer ;
Car plusieurs sont amis pour bien manger et boire ;
Mais bien peu quand on vient à quelque urgent affaire.
Il n'est rien plus scabreux qu'est un homme fourchu ,
Cyrné , pour le connoitre ains qu'à terre il soit chu.
Le mal nous est très grand que l'or et l'argent cause,
Cyrné , et d'en voir pris est trop commune chose.
Que si l'esprit se ccle au dedans des amis
Qui feins ont le cœur faux à malice sous-mis ,
Dieu l'a ainsi voulu, lui qui est notre maitre ,
Affin qu'en Thomme il fut difficile à connoitre.
Non, tu ne sauras point ce qu'un homme a dedans.
Si ainsi qu'au cheval tu ne lui vois les dens.
Tu n'en sauras non plus que du nef qui s'apreste
A voguer en dépit de Tireuse tempeste ;
Car l'idée souvent déçoit un simple esprit.
N'enfle point ta grandeur si le bon vent te rit
Pour tes biens, ains tousjours supplie la Fortune.
Il n'est rien de plus beau que la vie commune
D'un père et d'une mère aians soin d'équité.
Tu n'es cause du bien que tu as aqueté
Ou perdu; mais les dieux et leur bonté divine.
474 NICOLAS PAVILLON.
Aucun n'avise à soi comme il faut que tout fine,
Ou soit bien ou soit mal : celui qui pense en mal
Le plus souvent fait bien, et celui qui loial
S'efforce à faire bien, fait souvent le contraire.
Tout u'avient aux bumains ainsi qu'on délibère;
Car larrest du destin empt-cbe nos j)rojws.
Tout ce que nous pensons, soigneux, et sans repos.
Est frivole et sans fruit; car les dieux en disposent.
Ainsi que dans les cieux eux mêmes le composent.
Qui son boste déçoit, ou quelque pèlerin,
Polvpede, ne peut fuir les dieux sans frein.
Vis plustost justement aveq' peu de ricbesse.
Que ricbe injustement ; car la vertu s'adresse
A celui qui est juste, et ceux vivent beureux
Et ricbes et contcns qui vivent vertueux.
Le dœmon permettra à l'injuste (pi'il gaigne ;
Mais, Cyrné, la vertu peu de gens accompagne.
Dieu donne l'arrogance h l'bomme pour malbeur,
Connne à celui qu'il veut abvmer de terreur.
Quand un bomme ou mécbant ou sot est en la cbance
De gaigner, le par trop lui cause une arrogance.
Ne te moque jamais d'une bumble pauvreté.
Cyrné, n'aie à mépris l'apre nécessité;
Car vraiment Jupiter de sa juste balance,
A l'un donne des biens, et met l'autre en souffrance.
JN'enorgueillis ton front; car aucun n'est certain
De ce qui lui viendra ceste nuit ou demain.
Le malin (jui se veut 1res bon faire apparoistre,
A le vouloir malin et le dessein adextre ;
Et celui qui tousjours use de meur conseil ,
NICOLAS PAVILLON. 47 5
Faisant un œuvre inique a le destin pareil ;
Car aucun sans les dieux n'est ni pauvre ni riche,
Méchant ni bon aussi. Le vice n'est point chiche
Aux hommes, et de ceux que le clair soleil voit,
Un seul n'asseurera estre homme tel qu'il doit,
S'il n'est aimé des dieux et loué de l'envie.
Mais à ce vainement un homme s'estudie.
S'il ne prie les dieux tout-pouvans ; car sans eux
Les hommes ne sont point heureux ni malheureux.
La dure pauvreté dessus les bons se pose.
Et sur les vieux plustost la fièvre qu'autre chose.
Cyrné , chacun la doit comme il peut éviter,
11 la doit contre un roc dans la mer écarter:
Car celuy qu'elle prend ne peut dire ne faire
Rien, non plus qu'un qui est sans langue et sans artère;
Et n'a autre recours pour la chasser au loin
Que prendre sur la terre et sur la mer grand soin.
Aussi , ami Cyrné , la mort est plus joyeuse
A l'homme que la vie et pauvre et souffreteuse.
L'on élit au tropeau des ânes et chevaux
Pour augmenter son bien des meilleurs et plus beaux;
Mais un homme d'honneur trouve la fille acorte
De quelque fat, pourveu que du bien elle apporte.
Aussi ne voit-on point la femme refuser
L'homme riche et vilain s'il la veult épouser.
Les biens sont tant prisés , qu'un noble personnage
Prend la fille d'un sot, et qu'un sot a lignage
D'une fille d'honneur pour son très ample avoir.
Ne t'ébahis donq' pas , Polypede , pour voir
Ces citoyens périr puisque le beau se mêle
47^ NICOL\S PAVILLON.
Brouillé parmi le laid : puis qu'on court après celle
Incité de ses biens, qui est de vils parcns,
Encore qu'on le sache, et puisque de tout temps
La dure pauvreté contraint une personne,
Si bien que malgré luy son esprit l'abandonne.
Trop boire de vin nuit; mais le boire en raison,
Il ne peut qu'il ne soit bon en toute saison.
Si qnelcjuefois liauter de tes amis tu ose,
Regaitlc qu'à leurs meurs ton esprit se compose.
Imite, étant entre eux, le poulpe (|ui paroit
Tout pareil au caillou près duquel on le voit.
Il est, il est permis qu'un bomme se varie,
D'autant que c'est sagesse hors toute tromperie,
D'aller le dioit cbemin que vont beaucoup de gens.
Celui est un grand sot et a bien peu de sens,
Qui lait le sage entre eux et (|ui tout savoir pense,
Estimant son voisin voilé d'une ignorance;
Car cbacun de nous fait j)lusieurs choses à part.
Aucuns. auront remord d'enrichir en renard.
Les autres aiment mieux dévider leur finesse
Et prendre à toutes mains |)our croistre leur richesse.
Bien qu'un ihresor soit grand doublement on l'acroit,
Qui nous soûlera donq' vraiment celui qu'on voit
Avoir des biens n'a rien sinon une folie;
Car Juj)iter envoie une Até qui déplie
A l'un tous les thresors qu'à l'autre elle a otés.
Les nobles bien souvent or' qu'ils aient étés
Le rampart et la tour, Cyrné , dun peuple ignare,
N'ont sinon pour guerdon un bruit qui vole rare.
NICOLAS PAVILLON. 4? 7
Aussi ne reste-t-il les hommes saufs et seurs,
Que de nostre cité abattre les beaux murs ,
Au moins t'ai-je donné des ailes qui grand erre
Hautain te porteront sur la mer et la terre,
Tu seras assistant tous] ours aux grans banquets
Ou de toi seYeront mille et mille caquets,
Les jeunes jouvenceaux au monde tant aimables
Te chanteront au luth mille vers délectables.
Révère tes amis , et fais que tu endures
D'eux,pour l'honneur des dieux : et sottement ne jures.
Ne fais rien à la hâte : en tout ce que Ton fait,
Mêmes en la vertu, le temps est à souhait.
4?^ JEAN LE BLANC.
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JEAN LE BLANC.
Jean Le Blanc naquit à Paris d'une famille riche;
il eut beaucoup à souffrir des guerres civiles, et des
procès lui enlevèrent une partie de sa fortune. 11 fit
un voyage en Italie, et y servit dans les armées de la
république de Venise.
Il publia en i6o4 ses Odes pindariqucs , au nombre
de vingt. La quatorzième est adressée à Philippe Des-
portes, dont il étoit l'un des plus zélés panégyristes.
Ayant fait imprimer, en 1610, les mêmes odes avec
quelques corrections ; il y joignit plusieurs autres
pièces de ce genre qui navoient pas encore paru : un
poème sur la Vicissitude des choses humaines ; une
Hymne a F Espérance; un Paradoxe ; trois satires; un
autre poème sur la Convalescence ; un Discours de
Vexcellence des Poètes; quelques poésies galantes,
parmi lesquelles se trouvent ses Baisers; et enfin plu-
sieurs autres pièces sur divers sujets.
La versification de Jean Le Blanc est généralement
incorrecte; mais il avoit de la verve, et l'on trouve
souvent , à travers ses incorrections, des vers fort heu-
reusement tournés.
JEAN LE BLANC. 479
AUX ENFANS DE FRANCE.
ODE.
STROPHE PREMIÈRE.
Comme les gémeaux de Latone,
Et du père aux traits foudroyans ,
Par la puissance qu'il leur donne ,
Rendent les pôles flamboyans :
Ainsi les fils que ma princesse
Eut du meilleur de tous les rois ,
Décorent l'horizon françois
Du bon espoir de leur jeunesse :
Venez donc, peuples reculés
Dans les extrémités barbares,
Scythes froids , Numides brûlés ;
Et vous infidèles Tartares,
Venez aux pieds de leur grandeur
Confesser leur gloire immortelle ;
Bref, que la terre en sa rondeur
Courbe ses genoux devant elle.
ANTISTROPHE.
Aussitôt qu'ils vinrent au monde,
Tu vins mon courage saisir,
O Phébus à la tresse blonde,
Pour le ranger à ton plaisir :
Je sentis grossir ma poitrine;
Ma face changea de couleur,
Recevant l'ardente chaleur
D'une fureur toute divine.
48o JEAN LE BLANC.
Adonc mon esprit agité
De mille flammes inconnues,
Fut comme un aigle transporté
Pardessus les voûtes des nues.
Où, franc de tout mortel souci,
Plein de nectar et d'ambroisie,
Tu me fis augurer ceci
Par le son de ma poésie.
É p o D E.
Désormais la belle Astrée
Luira dans notre contrée ;
L'esbat, la joie et l'amour
Feront ici leur séjour;
Plus Erynne la bourelle
N'y sèmera de querelle ,
Plus ses rouges étendarts
Ne conduiront nos soldarts.
STROPHE II.
On verra la foi dans nos villes
Reprendre son premier lionneur;
Les cbamps , auparavant stériles,
Enrichiront le moissonneur :
Cérès aux fécondes mamelles
Nous allaitera doucement.
En faisant jaunir le froment
Dans ses blondoyantes javelles.
Et loi, père JNictelien,
Qui par une double origine
Entras du (lanc Sémélien
Dedans une cuisse divine,
JEAN LE BLANC. 481
Tu viendras, 6 roi des Indois!
Pour réveiller nos fantaisies.
Replanter sur ton petit bois
Tes belles grapes cramoisies.
AINTISTROPHE.
La vénérable Dindymène
Germera par-tout à foison
Pour le bien de la race humaine,
Son doux fruitage de saison ;
Et Flore, enceinte du Zéphire ,
Émaillera les prés fleuris,
Tandis que la belle Cloris
Y fera sa tresse reluire.
On aura souci des bons dieux ;
Les justes lois seront gardées,
Thémis éclairera des cieux
Les républi(jues mieux guidées;
Les rossignols et les tarins
Dégoiseront leur douce plainte,
Et sur les chariots marins
Les marchands vogueront sans crainte.
ÉPODE.
Ici le Dieu qui m'affole
Borna soudain ma parole.
Et recalma la fureur
Qui m espoinçonnoit le cœur:
Tel que la mer abaissée,
Quand la bourrasque est passée
Et que les frères gémeaux
Eclairent dessus les eaux.
V. 3i
482 JEAN LE BLANC.
SUR LE BLANC. '
Detes-moi, bergère cruelle,
Pourquoi vous n'aimez point le blanc,
Puisque blanche est votre mamelle.
Blanc votre teint et votre flanc?
Blanc est le dez, blanche est l'aiguille,
Blanc est le fil dont vous cousez;
Blanc ce lin que votre main file ,
Et l'eau de quoi vous l'arrousez.
Blanches sont les perles des larmes
Qui roulent sur votre tetin ,
Quand Amour avec ses allarmes
Vous réveille avant le matin.
Blanche est la crcme, la jonchée,
Le sucre et la manne du ciel;
Et la cire-vierge nichée
Dedans les ruchettes à miel.
Blanche est la couche de l'Aurore ;
De Thiton, blancs sont les cheveux;
Le jour est blanc, Phébus encore,
Diane et tous les autres fcu.v.
' Quoique le sujet de cette pièce soit un jeu de mots sur le nom
du poêle, qui s'appeloit Lt Blanc, nous n'avons pas cru devoir la
rejeter.
JEAN LE BLANC. 483
Nos lys sont blancs, blanche est la rose,
La camomille et le muguet;
Blanche la fleur de vigne esclose
Et blanc des vierges le bouquet.
Blanche est la p^n^le que l'Aurore
Enfante au lit oriental;
Les diamans sont blancs encore
Le nacre blanc et le cristal.
Aux festins et les jours de fête
Nos pères de blanc se paroient :
Blanc fut l'accoutrement de tête
Dont les Flamines s'honoroient.
Blanc est lœuf qui ça bas desserre
Sa largesse en mille façons :
Il peuple d'animaux la terre
L'air d'oiseaux , la mer de poissons.
L'air est blanc et l'onde agitée;
Blanches les voiles des vaisseaux-
Leucothé blanche et Galathée •
Les cygnes blancs et les ruisseaux.
De blanc les heureuses journées
Furent peintes antiquement;
Les vierges de blanc sont ornées
Au jour de leur enterrement.
Les Gaulois ont pris l'orioine
De leur nom, du blanc seulement;
Blanche est la voûte cristalline;
Blanche une voie au firmament.
4^'^'i JEAN LE BLANC.
Le blanc je porte en ma livrée :
Le prince Ta clans son armet ;
Quand une place est délivrée
On plante le blanc au sommet.
Vive donc le blanc, ma cruelle,
Et meure votre cruauté !
Aimez son cœur jjlanc et fidelle ,
Comme il aime votre beauté.
POEME
SUR LA VICISSITUDE DES CHOSES MONDAINES.
A LOUIS LAYER.
Rien n'est stable ici bas, tout s'altère et dissipe;
Ce qui reçut un corps retourne à son principe;
Comme un fleuve orgueilleux précipite son cours,
Ainsi les heures vont et s'enfuyent toujours.
De même qu'une vague est d'une autre poussée.
Comme une autre survient également pressée
D'une qui lui succède, et qu'une autre arrivant,
Pousse encor derechef celles qui vont devant :
Le tems d'un pied semblable cmpoudre sa carrière;
Le présent lugilif met le passé derrière;
Et, suivi du futur qui talonne ses pas,
Un autre court après qui jadis n'estoit pas.
Comme un rien, ce qui fut se tourne en décadence,
Et ce qui ne fut pas se met en évidence.
Yoit-on pas que la nuit précipite son train
Pour faire place aux. rais d'un jour pur et serein ,
JEAN LE BLANC. 485
Et qu'Apollon retourne en sa blonde charette ,
Quand sous le pôle arctique elle fait sa retraite ?
Le ciel même est sujet aux lois du changement :
Soit, quand sur la minuit, en ce bas élément,
Tout animal repose , ou quand Taube fourrière
Du palais olympique entr'ouvre la barrière;
Le clair flambeau qui luit par le nuitteux effroi,
N'est-il pas inconstant et dissemblable à soi ?
Tantôt c'est un croissant, tantôt c'est une lune;
Ore il brille en plein jour, ores par la nuit brune.
L'an, dont quatre saisons parfont le juste cours.
N'est-il pas un miroir de celui de nos jours ?
Le printems oli croît l'herbe encore tendrelette ,
Sont les mois enfantins qu'au berceau Ton allaite,
L'été, bouillant et chaud, est l'âge adolescent :
L'automne, oii l'ardeur manque et va s'attiédissant,
Est la virilité qui se tempère et semble
N'estre vieille ni jeune, ains tous les deux ensemble :
Et l'hiver paresseux dont le genouil fleschit,
La caduque vieillesse où notre crin blanchit.
Rien ne vit ici bas que les siècles ne mangent;
Tout penche vers sa fin , nos corps même se changent.
Lorsqu'au monde appelés, au jour nous paroissons,
Et des flancs maternels l'enceinte nous laissons.
Plutôt comme animaux qu'à la façon des hommes ,
En cheminant sur terre à quatre pieds nous sommes ;
Nos armes sont nos cris ; nous bronchons à tous coups.
Si quelqu'un ne soutient nos débiles genoux.
A peine avons-nous fait les ans de notre enfance,
Que nous entrons en ceux de notre adolescence
486 JEAN LE BLANC.
L'âge mûr vient après, qui modère nos feux,
Et la saison mauvaise aux talons paresseux.
C'est à l'extrême point d'une telle vieillesse.
Que le chenu Millon regrette sa jeunesse;
Et lorsqu'il voit son bras tellement descharné,
Qu'il ne le peut mouvoir, il demeure estonné :
Qu'est devenu, dit-il, cette force d'Alcide,
Qui des plus fiers lions fut jadis homicide ?
C'est alors qu'on entend Hélène se douloir.
Quand elle voit pâlir, au travers d'un miroir.
Ses cheveux pleins de neige et son front plein de rides.
Les tems, les ans jaloux et les siècles rapides,
Ne laissent rien d'entier dessous le firmament ;
Tout galoppe à sa fin , s'il eut commencement.
J'en appelle à témoins les principes du monde ,
Les élémens, le feu, l'air et la terre et l'onde.
Pùen qui soit né demeure en son premier état :
L'Être fit la Nature, afin qu'elle apportât
Du changement partout, et que les formes veuves
De leur figure antique, en reprissent de neuves.
Ce qui s'appelle naître , enfin , n'est seulement
D'un être tout nouveau que le commencement.
Ce qui s'appelle mort , n'est que sortir d'un être ,
Afin que par un autre on se voye renaître.
Combien que ce mélange erre de-çà, de-là ,
Jamais il ne se perd ou se meurt pour cela.
Ce qui fiit terre est mer; ce qui, mer, une terre.
Quand l'héritage d'Ops par le contre s'enferre, •
On y voit luire encore en diverses façons.
En change de cailloux, des conques de poissons.
JEAN LE BLANC. 487
Combien d'ancres sans eaux se trouvent aux montagnes !
Combien de fiers torrens ont creusé de campagnes !
Et combien le déluge a-t-il mis de rocbers
Où se tournoient jadis les rames des nochers !
Les marais ondoyans sont devenus arides;
Et ceux qui furent secs, maintenant sont humides.
Quand le fleuve du Lyce en terre s'escoula,
Sa carrière depuis s'estendit loin de-là :
Quelquefois l'Amazene a superbe la course,
Et se meurt quelquefois dans son aride source.
Les champs leucadiens, où Glauque estend ses bras,
Qui sont or' séparés, jadis ne l'estoient pas :
Et, n'eût été le cours des eaux de la marine,
Mycene ores grégeoise , encor seroit latine :
Les murs d'Hélice, et Bure, achaïques cités.
Dans le sein de Neptun' sont or' précipités;
Et parmi les replis des vagues renversées.
Le nocher montre encor leurs tours bouleversées.
Un tems étoit qu'Ortige erroit par l'Océan,
Maintenant elle est stable au pays Egéan :
Et quand Targenocher et ses jeunes brigades ,
Ramoit devers Colchos, il vit les Symplegades
Se choquer l'une l'autre ; et fermes désormais ,
Ni les vents ni les flots ne les meuvent jamais.
Un papillon renaît de la mort des chenilles :
Ainsi du gras limon les grenouilles sont filles,
Non que leur petit corps se forme en un moment;
Car sans pieds et sans force il est premièrement;
Leur cuisse vient après , et l'on voit la dernière ,
Afin de sauter mieux, surmonter la première.
488 JEAN LE BLAiVC.
Plutôt on compteroit les célestes flambeaux,
Qu'on ne pourroit compter ces cliangemens nouveaux.
Les peuples des cités et les cités Ilorissent
Aucune fois encore, et quelquefois périssent:
Ainsi Troye, qui fut l'honneur des champs phrygeois,
Et qui dix ans fit tête aux gendarmes grégeois.
N'est maintenant qu'une ombre au prix de son vieux lustre.
Sparte fut en vigueur, Mycene fut illustre;
Et le mur de Mopsope et l'Amphionien
Qui furent quelque chose, aujourd'hui ne sont rien.
ANTOINE MAGE. 4^9
ANTOINE MAGE,
SIEUR DE FIEFMELIN.
x'Vntoine Mage , seigneur de Fiefinelin , terre située
près de l'île d'Oléron , nous apprend lui-même qu'il se
livra fort jeune au commerce des muses; mais que dans
la suite leur ayant préféré létude du droit , il exerça une
charge dans la magistrature.
Ce fut à la sollicitation d'Anne de Pons , comtesse
de Marennes , qu'il consentit à faire imprimer , en
1601, le recueil de ses poésies, qui a pour titre la
Polymnie ou diverse poésie , etc. , divisée en Jeux et
Meslanges.
Les Jeux forment la première partie ; ce sont des
églogues , le Triomphe d'Amour, ji laide ; Aymée, espèce
de tragi-comédie , en cinq actes et en vers de diverses
mesures ; une tragédie de Jephté, imitée du latin de
Buchanan.
La seconde partie , ou les Meslanges , renferme des
odes, des sonnets, une satire contre les vices du temps,
le Saulnier, ou de la Façon des Marois salans , etc. ,
poème; des épigrammes et des épitaphes.
Il fit encore paroître en 1601 une autre collection,
sous le titre de V Image dhm Mage, ou le Spirituel
d^ Antoine Mage, etc. Ce que l'on y trouve de plus
remarquable, c'est que le poète y fait servir à des su-
jets très religieux les vers galants qu'il avoit autrefois
composés pour ses maîtresses ; et voici comment il le
490 ANTOINE MAGE,
confesse : « Je ne te veux celer, ains franchement avouer,
«lecteur, que j'ai en ce mien dernier essay changé
" quelques chants de mes amours, jadis prophanes,
" en ces airs spirituels, afin que les mesmes vers qui
« cy-devant tournés à lenveis, eussent pu scandalizer
« mon prochain , l'edilient maintenant étant contour-
« nés à leur endroit , etc. »
SONNET. '
Ci: inonde, comme on dit, est une cage à fous,
Oii la guerre, la paix, ramour, la haine, Tire,
La liesse, l'ennui, le plaisir, le martyre,
Se suivent toiu-à-tour et se jouent de nous.
Ce monde est un théâtre où nous nous jouons tous,
Sous hahits déguisés, à mal faire et médire.
L'un commande en tvran, l'autre humhle au joug soupire
L'un est has , l'autre liant ; lun juge, l'autre absous.
Qui s'esplore , qui rit, qui joue, (|ui se peine;
Qui surveille, qui dort , ([ui danse, (|ui se geine.
Voyant le riche saoul cl le pauvre jeûnant.
Bref, ce n'est qu'une farce ou simple comédie,
Dont la fin des joueurs la Parque couronnant,
Change la catastrophe en triste tragédie.
■ Ce sonnet rappelle l't'pigramine de J. B. Rousse.iu, qui com-
mence ainsi :
O monde-ci n'est qu'une œuvri- comique
Où cliacuu fait ses rôle» difftrcuts.
ANTOINE MAGE. 49»
QUATRAIN.
Souvent, malgré Minerve, aux Muses je m'amuse ;
Car peu je sens , rassis, la poétique fureur.
Mon vers ainsi traînant s'excuse en son erreur :
L'art ne rend bons les vers que nature refuse.
EPIGRAMME.
SçACHE, ami, que je ne sçai rien
Des raretés de l'Allemagne:
Bacchus t'en dira le moyen ,
Si sous Cérès il t'accompagne.
De boire ici nul ne s'abstient,
M'y disoit-on : sors ou viens boire:
Je liai le buveur qui retient
Rien , fors du vin , en sa mémoire :
Si qu'avec tous buvant d'autant,
J'oubliai comme eux le restant.
SONNET. !
■ '■i
Mal n'atteint nul animal, ^
Qu'il n'y trouve son remède :
Quand la langueur le possède, '
Il s'en sert contre son mal ;
La terre, à mont et à val,
De ses simples puissans l'aide.
J92 ANTOINE MAGE.
Le trait, l)lessanl le daim, cède
Au sain dictame idéal.
Nature, aux coqs salutaire,
Montre la pariétaire;
La sidérite au canard,
Le jonc marin à la grue,
A la belette la rue :
L'homme ne scait rien sans art.
EPIGRAMME.
LE SAGE DOIT FUIR LIVRESSE.
PouRQL'oi, seps vineux, et toi treille aussi.
Venez-vous charger mes branches ainsi?
Je suis de Pallas la plante sacrée;
Otez-moi d'ici votre ente pamprée,
Esloignez de moi sa grappe enyvrant;
La pucelle au vin son plaisir ne prend;
L'olive aussi bien sans vin se conserve;
Et bien ne s'accouple à Bacchus Minerve.
LE DESIREUX D'ALLER A L'EGLISE.
Le grand désir de voir mon Dieu,
Me prive de force en ce lieu,
Si crains là d'y mourir de joie ;
Terrible est son visage à tous ,
Et son parler tonnant, mais doux :
Il tonne plus qu'il ne foudroie.
'^
ANTOINE MAGE. 49^
EPIGRAMME EMBLEMATIQUE.
Quand deux s'accordent bien, ils peuvent toute chose.
Et rien ne peut contr'eux, quoique tout s'y oppose :
La main jointe à l'esprit nous donne ainsi tout bien.
C'est pourquoi Diomede est compagnon d'Ulisse,
A parfaire un chef-d'œuvre où un seul ne peut rien ;
Car il faut que la force à l'adresse s'unisse.
EPIGRAMME.
Un boiteux des deux pieds sur un aveugle mis,
Marche droit où il veut; l'aveugle voit sa voye.
L'un prenant ce qu'a Fautre, et s'entr'aidant, amis.
Le boiteux ses yeux prête à l'autre, et le convoyé:
L'aveugle prête après ses deux pieds aux boiteux;
L'un change eu yeux ses pieds, et l'autre en pieds ses yeux.
/|94 BA.LTHASAR BAILLY.
«^«<»»^««»>Kie»e«aJS»g»c»e»aBSc»ta»SQe»»8g«-a«»c«(KJ«ig»-»»«oa»««»K
BALTHASAR BAILLY.
Balthasar Bailt.y , échevin , conseiller du i-oi à
Troyes en Champagne, a laissé un poënie intitulé
Importunité et Malheur de noz ans , qui fut imprimé
en 15-6 (le 24jnill«^tj Troyes, i//-8°, Claude (laniier).
Le but principal de ce poëme est de prouver que les
maux dont la société est afUigée, ont une origine com-
mune dans les vices des grands et du peuple , et qu'ils
en sont le châtiment. Pour démontrer cette vérité de
lait, Hailly passe successivenuMit en revue les magis-
trats , les ecclésiastiques , etc. Quoique sévère , cet
examen est assez généralement exact. Notre poète ne
se borne pas à puiser ses exemples dans l'histoire de son
temps; il parcourt l'histoire ancienne, et y trouve que ,
à toutes les époques, la ruine des nations fut une con-
séquence nécessaire de leur corruption. Le crime seul
a pu, selon lui, renverser ces vastes et puissants em-
pires d'Orient, qui n'ont laissé aucun vestige de leur
existence. Il revient ensuite à des objets d'un intérêt
plus particulier; il s étend beaucoup sur les désordres
que les Reistres avoient occasionnés en France, et dont
il avoit été témoin.
Balthasar Bailly dédia son poëme à lîeauffremont ,
évêque de Troyes.
BALTHASAR BAILLY. 49^
PORTRAIT DU PEUPLE.
C'est le plus envieux , ingrat et mal disant ,
C'est le plus fort mutin, le plus contredisant,
Le plus hault à la main , plus désireux d'avoir :
Bref, qui faict tout au moins , et rien de son debvoir.
Il veult estre veu tout, et veult tout gouverner,
Et sil parle deux mots, ne fait que badiner.
Il parle de touts faits , et ne sçait rien de tout.
Il donne ordre à tout point, sans qu'il en vienne à bout.
Il a veu les auteurs, et ne leut jamais rien,
Et ne sçait décider ni de mal ni de bien.
Il corrige les grands, et de son seul babil
Il sçait tous les moyens d'éviter tout péril.
Quelquefois il s'esgaye, et puis il se refâche,
Et se fait comme il veut , ou fort, ou brave , ou lâche.
49^ DE LA ROQUE.
■»^««8««e«ece»a8«cc»c»s»^ii«geaa»e»a«#a#»aaaaea-a<e»aae»a«aa8««»e««»«
DE LA ROQUE.
La Roque étoit un gentillionime de Clermont en
Beauvoisis, ou, suivant l»aillet, du village d'yVynez ,
qui n'en est qu'à quelque distance.
L'époque de sa naissance peut être placée vers
i55i. 11 embrassa la profession des armes, et voyagea
dans divers pays, comme il le dit dans l'un de ses
sonnets :
J'ay quarante ans passés , je sçay que c'est du monde ;
J'ay suivi le dieu Mars et celui des amours :
J'ay veu de maints pays les cités et les tours ,
Et long-temps voyagé sur la terre et sur l'onde.
Ce poète étoit attaché à la reine Marguerite , à qui
est adressée l'épître dédicatoire de ses OKuvres. Dans
la J^ie de Malherbe, attribuée à Racan , on dit ({ue Li
Roque mourut à la suite de cette princesse ; par con-
séquent avant i6i5.
La plus grande partie des productions de La Roque
avoient déjà vu le jour, les unes en 1 597 , et les autres
en 1^98 , lorsqu il les réunit, en 1608, dans un même
recueil, qui contient les Amours, en trois Livres; des
Meslaiigcs; la Chaste Berbère, pastorale en cinq actes ;
et les OEuvres chrétiennes, en soixante-dix sonnets,
suivis d'élégies , de stances, et d'une paraphrase des
Pseaumcs pénitentiaux, de lamentations, etc.
La Roque a fait encore quelques imitations de
l'Arioste et d'Ovide, comme XEpitre de Didon a Enec,
DE LA ROQUE. 497
celle de Léandre a Héro, h s Amours de Pjrame et
Thisbé, le Jugement de Paris, etc.
La Roque ne manquoit pas de goût. On trouve dans
la plupart de ses ouvrages autant d'esprit que de senti-
ment ; son style est simple , mais agréable ; sa versifi-
cation a de l'aisance et de la douceur.
CHANSON.
Mon esprit n'a point de cesse ;
Je sens une grand' tristesse ,
Qui m'assaut en mille endroits,
Reconnoissant en mon ame
Que l'amitié d'une femme
Ne se garde pas six mois.
Car si l'enfant de Cyprine ,
Une fois dans sa poitrine
Débande son arc turquois ,
Pour un seul jour la constance
Y fera bien résistance :
Mais c'est beaucoup de six mois.
Le sexe est assez volage ,
Sans lui donner davantage
De liberté et de choix ;
Enfin , si la plus constante
En un moment est changeante ,
Que fera l'autre en six mois ?
D'un autre côté , je pense
Que bien souvent une absence
V. 32
49^ DE LA ROQUE.
Force nature et ses loix
Do faire quelque amourette :
Car de demeurer seulette,
Ah ! Dieu , c'est trop de six mois.
Elle peut dire en soi-même :
Non, je ne crois plus ([u'il m'aime,
A ceci je le connois ;
Ailleurs son ame est esprise :
Il me dédaigne et mcsprise ;
Car c'est beaucoup de six mois.
Alors elle peut eslire,
Pour alléger son martyre ,
Quelque mignon bien courtois,
Qui souvent, étant près d'elle,
Dira que chose si belle
Ne se doit laisser six mois.
Après viendra la servante ,
Qui , la voyant mal contente ,
Lui dira cent mille lois :
Monsieur a grant tort, je meure;
On peut bien faire demeure,
Mais c'est par trop de six mois.
DE LA ROQUE. 499
CONTRE ORPHEE.
Je sacrifie au temps qui m'ôta du martyre
Et des prisons d'Hymen où j'étois arresté ;
Hier tant seulement Ton entendoit ma lyre
Chanter la servitude , ore la liberté.
O toi qui porte au chef la couronne de flamme,
Qui préside à l'en tour des esprits de l.'i-bas,
Je ne viens pas ici pour retirer ma femme,
Mais bien pour te prier de ne la rendre pas.
Retiens-la pour jamais en cet obscur repaire,
Pour augmenter le mal des esprits ténébreux;
Car il n'est rien plus vrai qu'une femme peut faire
D'un luisant paradis un enfer langoureux.
Si je blâme, Pluton, la race féminine,
C'est aussi le fléau de la terre et des cieux ;
Et je crois que tu n'as épousé Proserpine,
Que pour rendre l'enfer encor plus odieux.
On dit qu'en ton palais, sous la nuit triste et brune,
Sept têtes a le chien qui vit dessous tes loix:
Tu le croiras, Pluton; ma femme n'en a qu'une,
Biais elle est plus mauvaise et plus fiere cent fois.
Fais donc sortir, ma lyre , un doux chant d'allégresse ;
Echo, réjouis-toi de cet advénement;
Ce qui fut autrefois cause de ma tristesse,
Soit ore le sujet de mon contentement.
5oo DE LA. ROQUE.
Malhoiireux est rà-l)as celui qui se marie ,
Parmi 1 iiorreur, l'ennui, la peine et le courroux!
Et (juand le triste enfer n'aura plus de furie,
On en pourra trouver eliez uji mari jaloux.
Or depuis tant de mois, de momens et d'années,
Las! j'ai eu, marié, deux bons jours seulement ;
Et pour vous expliquer ces deux bonnes journées,
C'est celle de la noce , et de l'enterrement.
Car la première nuit que j'amortis la braise
De ce doux feu d'amour, clair et plaisant flambeau,
Je l'avoue, il est vrai, je n'eus jamais tant d'aise
De la voir dans un lit, que dedans le tombeau.
Vous, flambeau , dans ce temple élancez votre flamme;
Et vous, funèbres voix, animez vos accords;
J'aime mieux dépenser à prier pour son ame.
Que de jouir des biens que m'apportoit le corps.
Esprit, si vous aviez une compagne telle,
Je vous tiendrois rempli d'un plus cruel tourment;
Car, conmicnt pourriez-voussans fin durer près d'elle,
Puisque l'iionmie s'en lasse en un jour seulement?
Fuyez, pâles couleurs, fuyez de mon visage,
Cbagrin, soucis, ennuis d'un cœur triste et jaloux ;
Mes yeux, prenez ici des pleureurs à louage;
Quand vous rirez ])our elle, ils pleureront pour vous.
Hé donc! puiscjuc le ciel tant de rejîos m'envoie,
M'ayant mtme d'esclave en francbise rendu ,
Mes yeux, ne pleurez plus, mais bien pleurez de joie,
Car je reçois du gain de ce que j'ai perdu.
DE LA ROQUE. 5o I
CHANSON.
Entre ma dame et moi la discorde est semée ;
Nous ne pouvons jamais être en paix tout un jour
Sans fin, elle se plaint qu'elle n'est point aimée;
Et moi , d'autre côté , qu'elle n'a point d'amour.
Elle se vantoit fort de son amour extrême,
Et puis en retenoit deux ou trois sous sa loi :
Si tel est son amour auprès de ce que j'aime,
Vraiment, je le confesse, elle aime plus que moi.
Puisque je me contente en ma seule fortune ,
Retirant en mon cœur votre objet seulement,
Que ne chassez-vous donc cette tourbe importune ?
Celle qui n'a qu'un cœur, ne retient qu'un amant.
Si vous avez plaisir de vivre ainsi volage.
Faites-en tout au moins comme fait l'arbrisseau,
Qui despouille l'Iiiver son antique feuillage.
Et ne garde jamais le vieil et le nouveau.
CHANSON.
Que j'estime votre beauté.
D'avoir rangé ma liberté.
Qui jamais ne fut tributaire !
Sus donc ! vantez-vous en tous lieux
D'avoir fait d'un trait de vos yeux
Ce que cent mille n'ont sçu faire.
5oa DE LA ROQUE.
Les Amours sçavans et rusés ,
Les souspirs des cœurs déguisés ,
Ne pouvoient rien sur ma jeunesse :
Tout en vous séduit ma fierté ,
Jusqu'à votre naïveté
Qui vous sert d'extrême finesse.
Mais s'il vous plaît en la prison
Retenir long-temps ma raison,
Faites que l'espoir y demeure :
Autrement, rebuté d'amour,
Comme je suis pris en un jour,
Vous me reperdrez en une heure.
STANCES CHRÉTIENNES.
Tout tremble sous le sceptre où reluit toji empire;
Grand Dieu ! lud ne résiste aux assauts de ton ire ;
Pour empêcher ta force, il n'est rien d'assez fort :
Et ceux qui sont privés du soleil de ta grâce,
Sont ainsi que les fleurs que l'orage terrasse.
Montrant eu un matin leur naissance et leur mort.
C'est ton divin soleil , objet de ma pensée.
Duquel soudainement la terre est traversée ,
Qui voit tout en ce monde, et ne bouge des cieux:
On a beau se couvrir des ailes de lonibrage ;
Les roches que je vois dans ce désert sauvage.
N'ont rien d'assez caché qui nous cache à tes yeux.
O Seigneur! devant toi p;issc un siècle d'années.
Comme font devant nous les plus courtes journées ;
DE LA ROQUE. 5o3
Nos secrets à tes yeux ne sont jamais cachés:
Tu vas comptant les pas du soir et de l'aurore;
Les heures, les momens, les minutes encore,
Tour-à-tour devant toi rapportent nos péchés.
Les roses de nos ans, de l'orage battues,
Nous semant dans le cœur leurs épines pointues,
Y laissent l'aiguillon d'un triste souvenir :
Ceux qui sont enchantés de ces erreurs mondaines.
Changent leurs veux honteux en ameres fontaines ,
Et, plaignant le passé, redoutent l'avenir.
Seigneur! remplis nos yeux de ta vive lumière.
Et nos âmes de foi, nos bouches de prière;
Veuille dedans nos cœurs ton service ordonner :
Ne nous fais point ouïr cette voix criminelle
Que tu prens quand tu sors pour juger l'infidelle ,
Mais celle que tu prens quand tu veux pardonner.
Convertis cette tourbe errante et fugitive,
Qui, s'égarant de toi, de soi-même se prive;
Change en paix notre guerre , en plaisirs nos douleurs.
Si l'homme naît en pleurs, augurant sa tristesse,
Seigueur ! fais-le mourir tout comblé de liesse,
Et détruis les péchés, et non point les pécheurs.
5o4 DE LA ROQUE.
STANCES.
Je sais bien qu'un grand roi peut avoir la puissance
De retenir un peuple en son obéissance,
De s'en faire servir, de lui donner la loi;
D'être seul qui commande à son puissant empire;
Mais nul, tant soit-il grand , jamais ne pourra dire :
Je possède une femme , et la tiens toute à moi.
Tenez votre maîtresse en secret embrassée;
Elle retient un autre au fond de sa pensée,
Qu'elle veut, comme vous, caresser à son tour :
Et lorsque vous avez sa traliison connue ,
Aussitôt dans son cœur votre place est perdue :
En baine tout soudain se cbangc son amour.
Il faut, pour se cbanger en ce qu'elle désire,
Etre aveugle et muet, avoir le cœur de cire,
Ou de fer, pour souffrir un martel furieux :
Il faut, le plus souvent malgré la raison, croire
Que la glace est de flàme, et l'ébene d'ivoire;
Et pour songe avouer ce qu'on voit de ses yeux.
Donc, sortez de mon cœur, race du vieil Protbée,
Démons qui décevez, dessous forme empruntée.
Les esprits des bumains pour les faire abismer ;
Heureux (jui n'a jamais eu votre connoissance !
Heureux (jui ne met point, avec peu d'assurance,
Son cœur à une femme , et son bien sur la mer !
JEAN BERTALT. 5o:
— ?a—»»»a9»»a«*?a»»J«g*«S'^>*c*sg«aos«»c»»a;at«s«»«ta»ac^»^;^«^»»
JEAN BERTAUT.
Jean Bertaut, néàCaen en 1 55 2, se livra de bonne
heure à l'étude de la poésie Françoise. Ses premiers
essais lui méritèrent le suffrage de Ronsard. Il vint à
la cour, où il fut très bien accueilli, et obtint, en
1377, la charge de secrétaire du cabinet du roi , qu'il
conservajusqu'àlamortde Henri m, en iSSg. Témoin
oculaire de l'assassinat de ce prince , Bertaut composa
une très longue pièce de vers sur cet événement. Il fut
peu de temps après premier aumônier de Marie de
Médicis 5 et Henri iv , à la conversion duquel il avoit
contribué, lui donna, en 1 394', l'abbaye d'Aulnay au
diocèse de Bayeux, et, en 1606, l'évêché de Séez en
Normandie. Jean Bertaut mourut dans son évêché , le
6 ou le 8 juin 161 1 , âgé de cinquante-neuf ans.
Le premier recueil des OEuvres de Jean Bertaut fut
publié en 1602 (Paris, /«-8'),par Pierre Bertaut,
son frère. Ce recueil se compose d'un assez grand
nombre de stances, de deux complaintes , de quelques
chansons, élégies, sonnets, mascarades, etc. Toutes
ces pièces ont l'amour pour objet. Il n'étoit pas rare ,
à cette époque, de voir des ecclésiastiques s'exercer
sur un sujet si opposé à leur profession ; mais peu
d'entre eux l'ont fait avec autant de retenue et de dé
cence que Jean Bertaut. Aussi mademoiselle de Scudéry
disoit-elle que ce poète donnoit « une grande et belle
a idée des dames qu'il avoit aimées. »
5o6 JEAN BErxTAUT.
Les autres OEuvres poétiques de Bertaiit parureni
en i6o5, en 1620 et 16 -'3. L'édition de i6o5 contient
une traduction en vers liéroïques du second Livre de
Y Enéide de Virgile, quelques canti([ues, dont un sur
la Conversion de Henri /r, la paraphrase de plusieurs
pseaumes, etc. , une Invitation à Henri IF de venir a
Paris , diverses pièces relatives aux événements de
cette époque, un long poème consacré à l'éloge histo-
rique de Saint-Louis, etc. , un discours funèbre sur la
mort de Ronsard , des épitaphes, des sonnets, etc.
Dans les éditions de 1620 et 1623, on a ajouté un
Recueil de quelques vers amoureux , un Discours funèbre
sur la mort de Ljsis, et un poème intitulé Panarette ,
ou bien Fantasie sur les événcmens du Baptcsme de M. le
Dauphin, depuis Louis XI II.
Jean Bertaut fut célébré par la plupart des poètes
de son tenqis : des poésies grecques et latines furent
composées en son honneur.
Voici le jugement qu'en portoit mademoiselle de Scu-
déry : « Desportes a une douceur charmante, Duper-
« ron luie élévation plus naturelle , et Certaut a tout
'< ce que les autres peuvent avoir d'excellent; mais il
« la avec plus d'esprit, plus de force et plus de har-
« diesse sans comparaison.... Il s'est fait un chemin
" particulier entre Honsard et Desportes. Il a plus de
" clarté que le premier, plus de force que le second,
'" et plus d'esprit et de politesse ([ue les deux, autres
« ensemble , etc. »
JEAN BERTAUT. Soj
STANCES.
Si faut-il rompre enfin ce cordage amoureux,
Bien qu'il puisse arrêter l'ame la plus sauvage,
Et penser désormais qu'il est bien malheureux
Qui peut vivre en franchise et languit en servage.
Il faut, il faut briser, en fuyant ces beaux yeux,
Le joug qui tient mon ame à leurs loix asservie :
Rien que la liberté ne nous rend demi-dieux;
Malheureux qui la perd sans perdre aussi la vie!
Ainsi dis-je parfois, menaçant mes prisons,
Lorsqu'un sage conseil mon ame persuade ;
Mais , las ! celui qui croit que ces foibles raisons
Peuvent guérir d'amour, n'en fut jamais malade.
Non, non, ne tuons point un si plaisant souci;
Rien n'est doux sans amour en cette vie humaine :
Ceux qui cessent d'aimer, cessent de vivre aussi ,
Ou vivent sans plaisir, comme ils vivent sans peine.
Tous les soucis humains sont pure vanité ;
D'ignorance et d'erreur toute la terre abonde;
Et constamment aimer une rare beauté.
C'est la plus douce erreur des vanités du monde.
5o8 JEAN BERTAUT.
SIXAIN.
SUR tJN DÉPA RT.
Je meurs, me souvenant que sa bouche de basme ,
D'un baiser redoublé qui me déroba lame,
En me disant adieu, me pria du retour;
Car, si je ne me trompe en l'ardeur qui m'allume,
Si le premier baiser fut donné par coutume,
Le second, pour le moins, fut donné par amour.
CHANSON.
Quand j'idolâtrois vos beaux yeux,
Je vous jugeois égale aux dieux;
Vos propos métoient des oracles :
Les moindres de vos actions
Me sembloienl des perfections.
Vos perfections des miracles.
Voyant donc en vous chacun jour
Ou naître ou mourir quelque amour,
Et le change êlre vos délices.
J'allai soudainement juger
Que Ihumeur de souvent changer
Est mise à tort entre les vices.
Lors, résolu d'en faire autant.
Et de me rendre moins constant
JEAN BERTAUT. Sog
Que la girouette cFun temple,
Je rompis soudain ma prison,
Estimant faire par raison
Ce que je faisois par exemple.
Ainsi votre légèreté
Débaucha ma fidélité,
Ce qu'elle est, m'apprenant à ITtre;
Tant qu'enfin je vous ai fait voir
Qu'en pratiquant ce doux sçavoir.
L'écolier a passé le maître.
Vous m'en avez en cent façons
Donné tant et tant de leçons,
Et par exemple et de parole.
Qu'il ne pouvoit qu'en vous suivant
Je ne devinsse bien sçavant
Sous un si bon maître d'école.
Maintenant, d'un si doux plaisir
Je ne puis plus me dessaisir;
Mon ame en reçoit nourriture :
Je l'ai si long-temps exercé.
Qu'il m'est en coutume passé,
Et puis de coutume en nature.
L'honneur de ma première foi
Se verra refleurir en moi ,
Quand vous ne serez plus légère :
Faisant du même lieu sortir
L'exemple de me repentir,
D'où me vint celui de mal faire.
5lO JEAN BERTAUT.
S'il plaît donc à votre beauté
Ressusciter ma loyauté,
Quittez cette inconstance extrême;
Ne changez plus à tous les coups :
Quand vous pourrez cela sur vous,
Je le pourrai bien sur nioi-mCinc.
AU ROI,
POUR LE CONVIER DE REVENIR A PARIS.
Venez revoir Paris, cet antique navire
Qu'un orage excité par la fureur du sort,
Alloit ensevelir dans les flots de son ire ,
Sans votre heureux secours, son vrai phare et son port.
Voyez comme le ciel l'en ayant préservée,
Elle brave l'orgueil des vents plus inhumains.
Et trouve nîoins de joie au bien d'être sauvée.
Que de gloire en riionneur de 1 être par vos mains.
Non: celte ville auguste, invincible monarque.
Ne sçauroit désormais fleurir qu'à votre honneur.
Sa grandeur n'étant plus qu'une éternelle marque
Et de votre clémence, et de votre bonheur.
Qu'un autre Tait fondée et ceinte de murailles,
Qu'un autre ait fait l'empire en ses murs résider,
Vous, vous l'avez sauvée au milieu des batailles;
Et sauver une ville, est plus (jue la fonder.
Aussi, m'est-il avis que je vois son génie
Tout couronné de tours et tout ceint de rempars.
JEAN BERTAUT. 5l I
Détestant à vos pieds Tinj Liste tyrannie
Qui la donnoit en proie à la rage de Mars,
Vous dire incessamment : O grand roi qui pardonnes,
Dès que le ciel a mis la vengeance en tes mains,
Il n'appartient qu'à toi de porter les couronnes
Qu'on donnoit aux sauveurs des citoyens romains.
Le ciel veuille assister la valeur de tes armes,
Roi qui , joignant toujours la force au jugement,
Sçais si vaillamment vaincre au milieu des allarmes,
Et puis de la victoire user si doucement.
Bien montrent tes effets, prince né pour éteindre
Les flammes qui souloient la France consumer.
Que ni ton ennemi ne peut assez te craindre ,
Ni ton sujet loyal ne peut assez t'aimer.
Ainsi dit tous les jours , soupirant votre absence ,
Le démon gardien des grands murs de Paris :
Ainsi dit mainte ville en qui votre clémence
Du cours de ses malheurs les surgeons a taris :
Ainsi maints boute-feux de la flamme civile.
Traités dans leur défaite avec tant de bontés ,
Qu'être dompté par vous leur est autant utile,
Comme à vous glorieux de les avoir domptés.
Croissez en cette gloire : 6 l'honneur des bons princes,
Vainquez et pardonnez, le ciel le veut ainsi :
Puis, si toujours ce mal travaille vos provinces.
Vainquez et punissez , le ciel le veut aussi.
Ne faites point qu'encor nous voyons en vous-même,
Pour être de César trop grand imitateur,
5 12 JEA.?f BERTAUT.
Ces effets de clémence et de douceur extrême
Conserver tout le monde et perdre leur auteur.
La clémence est pour ceux ipie l'aveugle ignorance
Ou la juste douleur dans leur faute a poussés;
Non jiour ceux qui, conduits d'une impie espérance,
Arment d'ingrats desseins leurs dosirs insensés :
Ayez écrit au cœur, d'un trait ineffaçable,
Que tout vice fleurit sous un prince trop doux,
Et qu'enfin on se rend également blâmable
Ne pardonnant à nul , et pardonnant à tous.
SUR LES COEURS DE TROIS GENTILHOMMES
INHUMÉS ENSEMBLE.
Passant, ce j)eu de marbre avarement enserre
Les cœurs ensevelis de trois procbes parens,
Tous trois morts en trois ans, en trois actes de guerre,
Tous trois pareils en sort, et tous trois différens :
Car l'un perdit la vie au fort d'une bataille ,
Noyé dedans son sang coulant de toutes parts;
L'autre, au front d'une ville, assaillant sa muraille;
L autre en défendant une et gardant ses remparts.
Ils brûlèrent tous trois d'une commune flamme,
Dont la sainte vertu fut l'unique flambeau;
Leurs trois corps en vivant n'eurent qu'une même ame;
Leurs trois cœurs étant morts n'ont qu'un même tombeau.
JEA.N BERTAUT. 5l3
CHANSON.
Les cieiix inexorables
Me sont si rigoureux ,
Que les plus misérables,
Se comparant à moi , se trouveroient heureux.
Mon lit est de mes larmes
Trempé toutes les nuits ,
Et ne peuvent ses charmes ,
Lors même que je dors, endormir mes ennuis.
Si je fais quelque songe.
J'en suis épouvanté;
Car, même son mensonge.
Exprime de mes maux la triste vérité.
Toute paix, toute joie
A pris de moi congé ,
Laissant mon ame en proie
A cent mille soucis dont mon cœur est rongé.
L'ingratitude paye
Ma fidelle amitié :
La calomnie essaye
A rendre mes tourmens indignes de pitié.
En un cruel orage
On me laisse périr;
Et courant au naufrage,
Je vois chacun me plaindre , et nul me secourir,
V. 3H
5l4 JEAN BERTAUT.
Et ce qui rend plus dure
La misère oii je vi ,
C'est es maux, (jue j'endure,
La mémoire de Tlicur que le ciel m'a ra\i.
Félicité passée,
Qui ne peux revenir,
Tourment de ma pensée.
Que n'ai-je en te perdant perdu le souvenir!
Hélas! il ne me reste
De mes contentemens
Qu'un souvenir funeste,
Qui me les convertit à toute heure en tourmens.
Le sort, plein d'injustice,
M'ayant enfin rendu
Ce reste un pur supplice ,
Je serois plus heureux si j'avois tout perdu.
AU ROI,
SUR LA RÉDUCTION DE PARIS E\ SON OBEISSANCE.
Voir Alexandre assis dans le trône de Cyre,
Ne fut oncques si doux à la grecque valeur.
Qu'il nous est de vous voir, après tant de douleur,
Assis dedans le vôtre, au cœur de cet empire.
On crovoil, et le ciel nous le semhloit prédire.
Que vous y monteriez triomphant du malheur,
Par des degrés sanglans et peints de la couleur
Dont un prince offensé teint les traits de son ire.
JEAN BERTAUT. 5(5
Mais Dieu vous a fait prendre un chemin plus heureux,
Montrant par votre exemple , aux princes généreux,
Qu'un roi de qui sa main soutient le diatlême,
Détruit par sa valeur ses plus fiers ennemis ;
Et puis, quand il les voit à son pouvoir soumis,
Détruit par sa douceur leur inimitié mcme.
PARAPHRASE DU PSEAUME CXLVIT.
Heureux hôtes du ciel, saintes légions d'anges,
Guerriers qui triomphez du vice surmonté ,
Célébrez à jamais du Seigneur les louanges,
Et d'un hyuine éternel honorez sa bonté.
Soleil, dont la chaleur rend la terre féconde;
Lune, qui de ses rais empruntes ta splendeur;
Lumière, l'ornement et la beauté du monde,
Louez, bien que muets, sa gloire et sa grandeur.
Témoigne sa puissance, 6 toi, voûte azurée.
Qui de mille yeux ardens as le front éclairci ;
Et vous, grands arrosoirs de la terre altérée,
Vapeurs, dont le corps rare est en pluie épaissi.
Chantez-la donc aussi, vous enfans de la terre.
Qui, composés de cendre, en cendre retournez.
Soit vous que l'océan dans ses vagues enserre.
Soit vous qui librement par l'air vous promenez.
Dites son los aux ])ois dont vos fronts se couronnent.
Grands monts, qui, comme rois, les plaines maîtrisez:
5i6 JEAN b?:rtaut.
Et vous, humbles coteaux, oîi les pampres foisonnent;
Et vous, ombreux vallons, de sources arrosés.
Féconds arbres fruitiers, l'ornement des collines,
Cèdres , qu'on peut nonmier géans entre les bois ;
Sapins, dont le sommet fuit loin de ses racines,
Cbantez-le sur les vents qui vous servent de voix.
Animaux, qui paissez la plaine verdoyante,
Et vous que l'air supporte, et vous(jui, serpentans.
Vous traînez après vous d'une échine ondoyante,
Naissez, vivez, mourez, sa louange exaltans.
Peuples nés entre nous, peuples de terre étrange,
Faites ouïr son nom aux rochers les plus sourds :
Hommes, femmes, enfans, donnez à sa louange
Le matin, le midi, le soir de vos beaux jours.
Vous que la fleur de l'Age aux voluptés convie,
Vous qui, chassés du monde, et jà prêts d'en sortir,
Touchez d'un pied tremblant les bornes de la vie,
Faites son nom sans cesse en vos chants retentir.
CANTIQUE
DONT l'argument EST PRIS DU PREMIER PSEAUME DE
DAVID.
Bienheureux est celui qui, parmi les délices
Dont le monde a sucré le poison de ses vices,
Et parmi tant d'appâts à mal faire alléchans ,
Régit si prudemment les désirs de son ame,
JEAN BERTAUT. 5 [7
Que nul secret remords son courage n'entame ,
Pour avoir augmenté le nombre des médians !
Qui n'admire en son cœur rien qui soit sous la lune;
Qui ne fait point hommage au sceptre de fortune ;
Qui ne lui laisse avoir nul empire sur soi;
Qui vraiment et d'effet est ce qu'il veut paroître ;
Qui de nul maîtrisé , de soi-même est le maître ,
Régnant sur ses désirs , et leur donnant la loi !
Qui lisant jour et nuit, des yeux de la pensée,
La loi du Tout-Puissant en son ame tracée ,
Conçoit de beaux désirs, produit de beaux effets.
Et de qui le courage abhorrant la vengeance,
D'un volontaire oubli noyé en sa souvenance
Les torts qu'il a reçus, et les biens qu'il a faits!
Cet homme-là ressemble à ces belles olives
Qui du fameux Jourdain bordent les vertes rives,
Et de qui nul liyver la beauté ne détruit :
Les ruisselets d'eau vive autour d'elles gazouillent :
Jamais leurs rameaux verts leur printemps ne dépouillent,
Et toujours il s'y trouve ou des fleurs ou du fruit.
Nul effroi, nulle peur en sursaut ne l'éveille:
Endormi , Dieu le garde ; éveillé , le conseille ;
Conduit tous ses desseins au port de son désir :
Puis fait qu'en terminant sou heureuse vieillesse,
Ce qu'il semoit en terre avec peine et tristesse ,
Il le recueille au ciel en repos et plaisir.
Il n'en va pas ainsi de celui qui méprise
Et la loi du. Seigneur, et la voix de l'Eglise,
5l8 JEAN RKRTAIT.
Soi-intmc étant son Dieu, son Eglise et sa loi :
Sa plus parfaite joie en douleurs est féconde ;
Et, bien qu'il semble avoir son paradis au monde.
Il porte, malliourouv, son enfer quant et soi.
Ni pompe, ni grandeur, ni gloire, ni puissance,
Ne seauroient détourner le glaive de vengeance ,
Pendant dessus son chef des mains de rÉlernel ,
De qui l'inévitable et sévère justice
Fait qu'il est à toute heure , en un même supplice.
Témoin , juge et bourreau, non moins que criminel.
Non, les fiers aquilons, de leur venteuse haleine,
Ne promènent pas mieux sur le dos d'une plaine
La paille rencontrée au champ du laboureur.
Que Dieu le poursuivra sur le front de la terre,
Si jamais son pouvoir, lui déclarant la guerre,
Change sa patience en ardente fureur.
Puis, quand viendra le jour, le jour épouvantable
Où les peuples jugés pnr sa bouche équitable.
Seront de leurs lorfaits eux-mêmes décclcurs ;
Alors le misérable, envoyé pour pâture
Au feu (jui sert là-bas aux âmes de torture,
Paîra ses courts plaisirs d'éternelles douleurs.
JEAN BERTAUT. ^19
SUR LE COEUR
DE MADAME LA DUCHESSE DE MONRAZON.
Les plus rares vertus dont on prise l'exemple,
Logeoient dedans ce cœur en un corps jeune et beau :
Mais, ainsi que vivant il leur servoit de temple,
Maintenant qu'il est mort il leur sert de tombeau.
Son époux toujours pleure, et rien ne le contente,
Sinon le souvenir de leurs aimables feux ;
On voit que dans ce vase, oii, trompant son attente,
La mort n'a mis qu'un cœur, l'amour en loge deux.
520 MARGUERITE DE FRANCE.
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MARGUERITE DE FRANCE.
Marguerite de France, reine de Navarre, sœur de
Charles IX et de Henri m, naquit le i4 niai ir)5a. File
survécut à tous les enfants de Henri ii et de C^atherinede
Médicis , et mourut sans postérité le 27 mai-s 1 6 1 ;"j , âgée
de soixante-trois ans. Marjjuerite de France alfeetion-
noit beaucoup les gens de lettres; elle se lit toujours un
devoir de les protéger. Cette femme justement célèbre
nous a laissé quelques poésies assez bonnes , et des Mé-
moires fort curieux, dont Auger de Moléon , sieur de
Granler, fut l'éditeur. Ces Mémoires, imprimés pour
la première fois en 1628, sont adressés à Pierre de
Bourdeille , seigneur de Brantôme , qui a consacré
à la reine de JNavarre im article dans ses Femmes
célèbres.
VERS COMPOSÉS PAR MARGUERITE DE FRANCE,
PENDANT SA DETENTION KV CHATEAU d'iISSON EN AUVERGNE,
SUR LA MORT d'aUBIAC, SON AMANT, PENDU A AICUE-
PER8E.
RiGOURiiUx souvenir d'une joie passée.
Qui logez les ennuys du cœur en la pensée,
Vous sçavez que le ciel , me privant du plaisir ,
M'a privé de désir.
Si queUjue curieux, informé de ma plainte,
S'ctonm^ (le nie voir si vivement atteinte.
MARGIERITE DE FRANCE. 5sè I
Respondez seulement , pour prouver qu'il a tort ,
Le bel Atys est mort.
Atys, de qui la perte attriste mes années;
Atys, digne des vœux de tant d'ames bien nées,
Que j'avois eslevé pour monstrer aux humains
Une œuvre de mes mains.
Quand le temps (mais pourtant cette crainte soit vaine),
Permettant qu'un oubly fist adoucir ma peine,
Je persiste aux serments diverses fois conclus
De n'aymer jamais plus.
Si je cesse d'aymer, qu'on cesse de prétendre;
Je ne veux désormais estre prise ne prendre,
Et consens que le ciel puisse esteindre mes feux.
Car rien n'est diyne d'eux.
Cet amant de mon cœur, qu'une éternelle absence
Esloigne de mes yeux, non de ma souvenance,
A tiré quant et soy, sans espoir de retour.
Ce que j'avois d'amour.
QUATRAIN SUR POMENÉ,
FILS d'dN chaudronnier d'auVERCNE , ET ENFANT DE
CHOEUR DE LA CATHEDRALE DE CLERMONT , QUI SUT
PLAIRE A MARGUERITE.
A ces bois, ces prés et cet antre,
Offrons les vœux, les pleurs, les sons,
La plume, les yeux, les chansons
D'un poète, d'un amant, d'un chantre.
02 2 MARGUERITE DE FRANCE.
VERS SUR LA MORT DE DATTE,
TUï PAR I,E JEUNE VERMOND , A LA PORTE DE SON CAHROSSE,
DU COMMANDEMENT DU ROY.
Atys , Tobjet de cette cour,
Bel Atys, mon dernier amour,
De qui le souvenir me tue ,
Dois-je point espérer de te revoir un jour,
Afin que cette attente encore m'évertue ?
Ces beaux yeux de moy tant cbantez ,
Me seront-ils tousjours cachez?
Faut-il pour jamais m'y résoudre ?
Nos cœurs et nos désirs par le ciel attachés.
Peuvent-ils par le temps estre réduits en poudre?
Les pleurs sur la tombe espandus,
Et les cris de tous entendus ,
Témoignent si ma plainte est feinte;
Et les plaisirs qui sont si chèrement vendus,
Font que tous mes plaisirs me donnent de la crainte.
Aux tristes accents de ma voix,
Tes amys pleurent quelquefois ,
Mais c'est quand j'attire leurs larmes,
Je suis seule qui rends l'amour en mesme poids.
Et (}ui , pour bien aymer, me fais quitter les armes.
Pour me donner alléeement ,
Mes yeux vont chcrciiant vainement
Quelque chose qui te ressemble,
Us en trouvent les traits ; mais c'est figurément;
Car le ciel ne joint plus tant de beautez ensemble.
CATHERINE DE PARTHENAY. 523
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CATHERINE DE PARTHENAY.
Les maisons de Parthenay et de Rohan ont produit
des femmes en qui le goût des lettres , et particulière-
ment de la poésie , fut développé par l'étude. Anne de
Parthenay, fille de Jean de Parthenay-l'Archevêque ,
et femme d'Antoine de Pont, comte de Marenne, avoit
étudié les langues grecque et latine , et même la théo-
logie. Marot assure qu'elle avoit du talent pour la
poésie , et qu'elle excelloit dans la musique. (Catherine
de Parthenay, sa nièce , née vers 1 53^ , se fit un grand
nom dans les lettres , et fut une des plus fermes co-
lonnes du parti protestant. Elle épousa en premières
noces le baron de Pont-Kellevé , en 1 568. La mère de
Catherine s'étant brouillée avec son gendre , l'attaqua
pour cause d'impuissance. Le procès duroit depuis six
ans, lorsque le baron fut enveloppé dans le massacre
de la Saint-Barthélemi. « Sa résistance, dit Varlllas,
« fut si longue , que ceux qui ne le virent succomber
•< qu'après avoir été percé comme un crible, lui ren-
'< dirent le témoignage qu'il étoit plus qu'homme dans
« le combat, s'il ne l'étoit point assez dans le lit nuptial.
'( Son corps fut traîné jusque devant la porte du Louvre,
« où plusieurs dames de la cour regardèrent curieu-
« sèment s'il ne paroîtroit aucune marque du défaut
« qu'on lui reprochoit. » Catherine eut pour second
mari René de Rohan , deuxième du nom , qu'elle per-
dit après dix ans de mariage. Le temps qu'elle donnoit
524 CATHERINE DE PARTIIEWY.
aux intrigues de cour, à la défense du parti protes-
tant et à la culture des lettres, ne l'enipècha pas de
prendre le plus grand soin de l'éducation de ses en-
fants. L'aîné de ses fils tut le duc de Rohan , le second
fut le duc de Soubise; elle eut trois filles: Henriette,
qui mourut en 1 6.-47 •''•'^"*» avoir été mariée j Cathe-
rine, qui épousa un duc de Deux-Ponts, et qui fit à
Henri iv cette réponse si connue : « Je suis trop pauvre
« pour être votre femme, et de trop bonne maison
« pour être votre maîtresse ; » et la célèbre Anne de
Rohan, qui, comme sa mère, cultiva la poésie avec
succès. Catherine, dit Lacroix du Maine, a composé
plusieurs tragédies et comédies françoises , et entre
autres la tragédie ôî Holojerne , laquelle fut représentée
en public à La Rochelle, l'an i5j4 ou environ. Elle
a composé aussi plusieurs élégies ou complaintes sur
la mort de M. le baron de Pont, son premier mari,
et encore de M. L'Amiral , et autres grands et illustres
personnages. Lacroix du Maine, qui écrivoit en 1584,
ajoute qu'elle florissoit encore cette année. Elle mou-
rut âgée de quatre-vingt-quatorze ans, trois ans après
le fiameux siège de La Rochelle, où elle donna des
preuves du plus grand courage. Anne , sa fille , étoit
enfermée avec elle dans cette ville; elles y furent ré-
duites pendant trois mois à quatre onces de pain par
jour j et, dans ce même temps, elles écrivirent au (hic
de Rohan de ne rien faire au préjudice de son parti,
quoi qu'on pût leur faire souffrir. Elles aimèrent
mieux rester prisonnières de guerre que d être com-
prises dans la capitulation. On attribue à Catherine
une apologie satirique de Henri iv, imprimée dans le
Journal de Henri m. Sa fille moiirut à Paris le 20 sep-
CATHERIjN^E de PARTHENAY. D2J
tembre 1646, âgée de soixante-deux ans. Elle auroit
pu être un des plus grands poètes de son siècle ; mais
sa piété la détourna trop souvent de son talent pour la
poésie. Elle possédoit parfaitement l'hébreu, et ne
lisoit l'Ecriture que dans cette langue.
STANCES SUR LA MORT DE HENRI IV.
Regrettons, soupirons cette sage prudence,
Cette extrême bonté , cette rare vaillance ,
Ce cœur qui se pouvoit fléchir et non dompter.
Vertus, de qui la perte est pour nous tant amère ,
Et que je puis plutôt admirer que chanter,
Puisqu'à ce grand Achille il faudroit un Homère.
Jadis pour ses haults faits nous eslevions nos testes:
L'ombre de ses lauriers nous gardoit des tempestes.
Qui combattoit sous luy mesconnoissoit Teffroy ;
Alors nous nous prisions, nous mesprisions lesaultres.
Estant plus glorieux d'estre subjects du roy ,
Que si les aultres roys eussent esté les nostres.
Maintenant nostre gloire est pour jamais ternie :
Maintenant nostre joie est pour jamais finie.
Près du tombeau sacré de ce roy valeureux,
Les lys sont abattus, et nos fronts avec eux.
Mais parmy nos douleurs , parmy tant de misères ,
Reine, au moins gardez-nous ces reliques si chères.
Gages de vostre amour, espoir en nos malheurs.
Estouffez vos soupirs , seichez votre œil humide ;
5i6 CATHERINE DE PARTHENAY.
Et pour calmer un jour l'orage de noz pleurs,
Soyez de cet estât le secours et le guide.
O Muses, dans l'enniiv qui nous accahle tous,
Ainsy que nos malheurs vos regrets sont extrêmes :
Vous pleurez de pitié quand vous songez à nous.
Vous pleurez de douleur en pensant à vous-mesmes.
Hélas! puisqu'il est vrai qu'il a cessé de vivre.
Ce prince glorieux, l'amour de ses suhjects.
Que rien n'arreste au moins le cours de noz regrets.
Ou vivons pour le plaindre, ou mourons pour le suivre.
AUGIER GAILLARD. 527
«•»««c»»g8»«8w<a«a»saa»*««»*»^**'*«*** •*«*»»»*''««*»««•«•»« »•—»*»«»
AUGIER GAILLARD.
AuGiER Gaillard, maître charron à Rabasteins en
Albigeois , poète facétieux , naturellement gai et bur-
lesque , a plus écrit dans la langue de son pays qu'en
françois. Le recueil de ses poésies renferme néanmoins
un assez grand nombre de vers françois. Il en existe
plusieurs éditions : nous ne parlerons ici que de celle
de i584 (Paris, //z-i2, François Audebertjj c'est la
plus complète : elle a pour titre Loii 0anqnet d'Jugié
Gaillard , roudié de Rabastens en Àlbigez , al cal Ban-
quet a belcop de sortos de meises , per so que tout lou
mouii n est pas d'un goust. Lou tout dédiât a monsur de
Seré, seignhour de Courronssac '. Le portrait de notre
poète, qui est en tête de cette édition, désigne un
homme déjà avancé en âge. Quant au motif qui porta
Augier Gaillard à versifier, voici ce qu'il nous apprend :
Pour me glorifie!- je n'ay point fait ce livre ,
Ni pour penser aussi mon nom éterniser ;
Je l'ay fait seulement pour voir et adviser
Si Testât de rimeur me donneroit à vivre.
J'ay un autre mestier lequel je voudrois suivre,
Qu'est Testât de rodier qu'il ne faut mespriser;
Mais il me cousteroit de faire authoriser,
Et tout le bien que j'ay ne vaut pas une livre.
' Le Festin d'Augicr Gaillard, maître charron de Rabasteins en
Albigeois, auquel Festin il y a plusieurs sortes de mets , parce que tout
le monde n'est pas du même goût. Le tout dédié à monsieur de Sere ,
seigneur de Courronssac.
025 AUGIER GAILLARD.
J'ay garnie boutique ii mon pays deux fois,
Que toujours m'ont jiillc- mes horis et mon bois;
Et me voyant pillé, il faut que je vous die
Que me suis mis à lire et à rimer aussi ;
]\ïais pour autre raison je n'ay point fait ceci,
Sinon tant seulement que pour gagner ma vie.
Ailleurs iiotie poète s'excuse ainsi de n'avoir pas
mieux lait son livre :
Je suis Augier Gaillard, auteur de cet ouvrage,
Lequel j'a\ faict icy pour mander en tous lieux;
Il est fait en françois, et en mon sot langage,
Pour faire gazouiller les jeunes et les vieux.
Je l'ai faict un peu mal, le pouvant faire mieux,
A celle fin qu'on die : Ah ! c'est Augier Gaillard.
Si je l'eusse mieux fait , quelques sots envieux
Eussent peut-être dit : Cecy a fait Ronsard.
Le recueil cl'Aiigier Gaillard contient des ëpi-
fframmes, des quatrains, une Réponse a un Rinieur
qui lui avoitfaii tenir une rime, etc. \ des vers au roi ,
sur les mauvais traitements que quelques gentils-
homnios av<^ient fait éprouver à un chat; d'autres vei'S
a tous ceux qui se jàckent de quelques mots de son pre-
îiùer li^re , etc. Il lui avoit été défendu de vendre ce
premier livre; mais, loin de se formaliser de cette dé-
fense , il n'y voit qu'un motif de plaisanterie :
A vous qui avez fait aux libraires défense
De ne vendre au public mon premier livre en France ,
J'en ay fait icy un il n'y a pas long-tenis.
Pour ce (jue je voudrois vous rendre tous contents.
Je ne suis pas marry qu'on me veuille; reprendre ;
Mais puisqu'il étoit fait, le deviez laisser vendre.
Du reste , poursuit -il, on ne devoit pas s'étonner
des incorrections qu'on y avoit remarquées,
Veu que c'est chose seuie
AUGIER GAILLARD. 629
Qu'un poëte apprenti ne peut faire autrement,
Ni artisan qui soit à son commencement.
Parmi les autres pièces d'Augier Gaillard , on dis-
tingue sa réponse à un de ses amis, qui, sur le bruit
que notre poète alloit se marier, s'étcit avisé de lui
écrire à ce sujet. Cette réponse est remplie de traits
comiques et satiriques.
On trouve dans le même recueil un second livre
qui a pour titre le Livre gras. Augier l'avoit ainsi inti-
tulé , parce qu'il se proposoit, au moyen de ce livre,
de vendre les deux cents exemplaires qui lui restoienC
du premier, en obligeant ceux qui achèteroient l'un
de se charger de l'autre.
Gaillard se joua constamment de sa fortune: bonne
ou mauvaise, il trouvoit toujours moyen d'en plai-
santer. 11 n'est pas jusqu'à sa propre épitaphe qui ne
lui ait fourni le sujet d'une plaisanterie :
Ci gist Augei' qu'on regrette bien fort ,
Car il rinioit mieux que nul de sa race ;
Et sa maîtresse est cause de sa mort ;
Que maintenant elle fût en sa place !
SONNET.
A MADAME LA COMTESSE DE SAINTERAîV.
Pour vous monstrer quelle est sur moy vostre puissance .
Je vous offre les vers que vous me demandez,
Du moins s'ils ne sont tels que vous les attendez,
Sont-ils d'humbles effets de mon obeyssance.
Si des dons d'Apollon l'agréable abondance
Piegnoit dedans mes sens, comme vous prétendez,
V. 34
53o AUGIER GAILLARD.
Les esprits et les cœurs à (jui vous commandez
Ven'oient vostre louange en ma recognoissance.
Pour chanter clignement vos divines vertus,
Je ferois un effort à mes sens abhafus,
Pour vous le feu (jue j'ay se rendroit manifeste,
Je dirois qu il n'est rien d'égal à vos bon-heurs,
Que Castille en la France a les plus grands honneurs,
Ma fluste après cela vous chantera le reste.
ADVIS CHARITABLE
nONKÉ AU SIEUR GAILLARD PAR LE SIEUR BR VQUEnrvRT , SUR LE
SUBJET DES LETTRES AMOUREUSES ESCRIXES A QUELQUES DAMES
PAR LEDIT SIEUR GAILLARD.
O rand démon de nos jours, ^
> dmirahle poëte,
I— 'apprends ([u'en tes amours
Ir^ on menace ta teste;
t-" on a desja des gaules
>- rompre tes espaules :
ps étire donc tes feux
O 'un lieu si dangereux.
AUGIER GAILLARD. 53]
RESPONSE DU SIEUR GAILLARD,
PHILOSOPHE NATUREL , CtC. , AUX lîiVECTITES DE MF.SSIRK
BRAQUEMART, CH VPEIAIN DES MUSES, FOXTAISE d'hELICOÎT,
PORTIER DE PARNASSE, ESTRII.LEUR DE PEGASE, SOY DISANT
^-SEIGNEUR DE iA. EOCUEMaNTE COSFITESDIERE , DE PRESENT
Port payé. A Paris.
Braquemart, ton colère escrit
A si fort touché mon esprit,
Que j'en suis dans le canicule;.
L'entousiasme m'en saisit :
Je me tiens plus vaillant qu'Hercule
Et plus sçavant que l'Antéchrist.
Je te responds comme un prophète,
Et non pas en mauvais poëte;
J'ai le doux^ chant du rossignol,
Ainsi tu verras des miracles
Qui te feront quitter ce vol
Oîj tu tendois par tes oracles.
Tu m'accuses que je furette,
Ainsi qu'un freslon sur l'avette,
Le miel de nos prédécesseurs;
Comme s'il n'estoit pas loisihle ,
Lisant, tirer des bons autheurs
Ce qui nous peut estre duisible.
Je parle de vin , je Tadvoue,
Le soleil luit bien sur la boue,
53» AUGIER GAILLARD.
Ainsi j'escils pour les laquais ;
Mais qu'un autre prenne ta place,
Et tu verras ce que je fais
Quanti je monte sur le Parnasse.
Les injures sont pour les femmes
Et non pas pour les nobles amcs,
Qui n'entretiennent qu'Apollon;
Elles sont doctes et modestes,
Et jamais le mont d'Hellcon
Ne produisit de chants funestes.
Si tu veux donc que nostre Muse
Nos maistres quelquefois amuse ,
Escrivons sans nous mal traicter :
J'aime la prose, elle est facile.
Sur tout je veux me contenter;
Reprenons donc nostre vieux stile.
Ce n'est pas que si je m'anime,
Je ne réduise bien en rime
Tous mes pensers facilement;
Mais c'est qu'on ne peut sans folie
Exceller en cet élément.
Contraire à ma philosophie.
Pour discourir à ma manière
De ([uelque sublime matière,
Comme je fais subtilement,
11 faut des mots faire un triage,
Ce qui ne se peut aysément
Dedans un poétique langage.
AUGIER GAILLARD. 533
Un mot contraint ne me peut plaire,
Et j'aime beaucoup mieux me taire
Qu'user de propos indecens,
Veu qu'aux choses mesmes frivoles,
Je m'arreste bien plus au sens
Que je ne fais pas aux paroles.
Si tu veux donc, hors de malice,
Continuans nos exercices ,
Que nous esgayons nos esprits,
Pratiquons par naïfves proses ,
Qu'il n'y ait rien dans nos escrits
Que de bons mots et bonnes choses.
Quittans ces boutades poétiques,
Qui font les âmes fanatiques ,
Discourons en termes plus doux.
Et faisons au moins que les hommes
Ne nous estiment pas si foux
Qu'il semble à ses yeux que nous sommes.
Ce faisant, je continuëray tousjours à me tesmoigner de mesme
zèle et affection,
Messire Beaquemart,
Vostre bon camarade et serviteur Gaillard , la
philosophe naturel, le docteur de ce temps,
h fidelle et le plaisant.
534 AUGIER GAILLARD.
INDIGNATION DE BRAQUEMART
l'OUR L\ DEFENSE DE TOUS LES POETES ET BEAUX ESPRITS DE Cli
TEMl'S, ACCUSEZ d'iGNORAKCE PAR GAILLARD.
Il n'est pas besoin que ma veine
S'enfle de Tonde d'Hipocrene,
Ny que j'implore vos leçons;
Je veux sans vous parer l'offense
Dont cet avorton d'ignorance
Ose outrager vos nourrissons.
Sainctes filles de la mémoire,
Permettez- vous que vostre gloire,
Que Ton va par tout adorant,
Puisse recevoir un outrage
En permettant cet avantage
A ce téméraire ignorant.
Ce pauvre et gros lourdaut de rustre
Voudroit bien ternir vostre lustre
Par ses misérables escrits;
Mais qu'il trotte parmy les rues
Crier pour gagner ses repues,
La mort aux rats et aux souris.
Qu'un autre à ses sornettes croye ;
Mais, sauf Tlionneur du bas de soye ,
Je crois qu il maudit bien l'amour
Pour le sujet d'une femelle.
Qui luy fit gagner la venelle
Lors qu'il fut postillon de cour.
AUGIER GAILLARD. 535
Une excessive frenaisie
Rend tellement sa fantasie
Esclave de la vanité ,
Qu'il croit qu'à juger de sa rime
Nos esprits commettroient un crime
S'ils usoient de leur liberté.
Il veut tout à plat qu'on le vante
Autheur des vers qu'il met en vente;
Mais je soutiens qu'il n'en est rien,
Car je suis seur que Théophile
Ne mesconnoist pas tant son stile ,
Qu'il ne conneust ce qui est sien.
Ce perroquet ne scait redire
Que ce qu'il oyt aux autres dire,
Pour nous estourdir de caquet;
S'il ne nous fait plus grande monstre,
Excusez-en une rencontre
Qui luy fît perdre son pacquet.
Mais qui seroit la grosse beste
Qui plustost que pour un poëte,
Ne le prendroit à sa façon
Pour un brasseur de Picardie,
Un ramoneur de Lombardie,
Ou pour un valet de maçon.
Toutesfois trop riche est sa muse
A ce qu'Apollon luy refuse
Le salaire de ses travaux ;
C'est la raison qui le guerdonne ,
536 ALGIER GAILLARD.
Et qui luy fasse une couronne
De riicrbe qu'on donne aux chevaux.
En quel pais nous croit-il estre,
Ce vagabond qui fat le maislre,
Pour nous dire que son crédit,
Quoy qu'ignorant qu'il fust en vie.
Toute l'Europe lient ravie;
Mais il est vrai puis qu'il le dit.
D'une façon insupportable
Il se veut rendre redoutable
A ceux qu'il appelle des nains;
Mais que dès à présent il sçache
Qu'ils n'ont point le courage lasclie
Lors qu'il en faut venir aux mains.
Bref, son discours imaginaire
Tesinoigne une humeur mercenaire;
Et je croy (ju'en fin les raisons
Que dans ses beaux vers il entasse,
Luy procureront une place
Dedans les petites maisons.
Esprits que la gloire chatouille,
Chassons comme un larron d'andouille
Ce misérable rimasseur;
Qu'il prenne son sac et ses quilles
Pour aller vendre ses coquilles
Où il fcia pour luy plus seur.
FIN DU TOME CI.NQUlijlI.
TABLE
DES NOMS DES POÈTES ET DES PIÈCES
CONTENUS DANS LE TOME CINQUIÈME.
Jaobf.rt Garnier. — Complainte de Rome Page 2
Fragment de la tragédie de Cornélie 4
Chœur 5
Scène de la tragédie de la Troade, où Hécube et
Andromaque apprennent la mort d'Aslyanax. ... 6
Chœurs \o et suiv.
Chœur des soldats de Pompée, vaincus par César. . i5
Fragment de scène de la tragédie de Marc-Antoine. 17
Chœur des soldats césariens 18
Scène de la tragédie d'Antigone 19
Elégie sur la mort de Ronsard. A Desportes 26
Jacques de Bill y. — Sonnet 18*^ du I<^'' Livre des
sonnets spirituels. Que celui qui tient le chemin
de salut ne doit tourner sa vue en arrière 3i
Sonnet aS*^, tiré du même Livre. A quoi se recon-
noissent les vrais enfans de Dieu Ibid.
Quatrains traduits de saint Grégoire de Nazianze.
Mieux vaut bien vivre que bien parler 32
La vraie noblesse gît en vertu Ibid.
Qu'en toutes choses est requis de prendre conseil
d'autrui 33
Nicolas Rapin. — Sixième satire du premier Livre
d'Horace, Hoc erat in vous. A M. le président de
Thou 36
A M. de Harlay, premier président au Parlement de
Paris /ia
538 TABLE DES NOMS DES POÈTES
Ode d'Horace, du. -premier Li\re , Mœcenas ata\is.
Adressée à M. le duc de Sully, pair de Franf-e. P. /^Z
A M. de Rosuy, conseiller d'état, et surintendant
des finances du roi 44
Jean-Baptiste Chassicnet. — Le mépris de la vie, et
consolalion contre la mort 52
Paraphrase du pseaume lxxix, Qui reg^is Israël , in-
tende 55
Sonnet $7
Du pseaume vi , Domine , ne infurore , etc 58
Sonnet 60
Sonnet. — Pseaume ix, Confilebor tibi , Domine , in
toto corde meo 6 1
Pseaume lxxxi , De us stetit in synagoga deorum .... 63
Pseaume xci , Bonum est confiteri Domino et psallere . 64
Sonnet 66
Livre 11. Pseaume xlviii 67
Antoine de Cotel, — Sonnet 70
Epigrainme 71
Sonnet sur la mort de Louis Le Roi, célèbre savant
du seizième siècle 72
Sonnet. De demoiselle J. L. D. — Épigrammc 78
Chanson 74
Sonnet 75
ScÉvoLE DE Sainte-Marthe. — L'avant mariage du
roi Charles ix 78
Sonnet. — Epitaphe d'un guerrier 85
Epitaphe du même 86
Comparaison du poète et du financier Ihid.
Epigramnics. — .Sonnets 88 rf suiv.
La statue de Pigmalion. A M. de Villeroy, secrétaire
d'état 91
Epigramme 94
Jean V'auquelin de La Fresnaye. — Satire. A J. A. de
Baïf. 97
ET DES PIÈCES. SSg
Épigramme. De l'or Page io4
Satire. A Jeau de Morel, chevalier, etc. , vicomte de
Falaise , • . i o5
Satire. A M. de Repichon, trésorier général de France
à Caen 112
La Belette. Fable 117
Epitaphe de l'Arétin. — Epitaplie de Jac. Tahureau ,
écuyer, sieur de la Chevalerie 118
Epilaphe de P. de Ronsard. . 119
Ej)igramme. De la variété de Fortune Ibid.
Satire. A Jérôme Vauquelin , sieur de Méheudin ,
lors conseiller du roi au Parlement de Rouen , et
depuis avocat-général Ihid.
Epigramme. De Cujas i ^3
Epitaplie sur un cas pitoyable Ibid.
Satire. A M. Le Biais, conseiller du roi au Parlement
de Rouen 124
Epigramme sur un buveur , 128
Amadis Jamin. — De la Libéralité. Au roi l'îo
Ode. De l'Inconstance 1 33
Ode. Pour justifier l'Inconstance i35
Sonnet 1 Sy
Sur la diversité de religion. A M. de Pimpoint 1 38
Dialogue. Le Passant et le Génie de Montcontour ... 141
Au roi Charles ix 14^
Elégie. A M. de Pibrac 1 43
Sonnet. A M. Brulart, secrétaire du roi, à qui Ron-
sard venoit de dédier un de ses ouvrages 144
Claude Mermet. — Chanson. L'Avis de mariage. . . . 147
Epigramme. Sur le Riche. — Epigramme. Un Geôlier •
parlant au mari d'une prisonnière i/i9
Epigramme. A un Ecolier ingrat. — Epigramme. Des
Amis. — Epigramme. D'unEnfantdebonne maison. i5o
Epigramme. A un gentil compagnon, qui sent tou-
jours son paysan. — Chanson pour les Hommes. i5l
54 O TABLE DES NOMS DES POÈTES
Epigranime. D'un Sot qui ^ouloil blesser l'honneur
des Femmes. — Éi)Itaplie. Sur un qui pleuroit la
mort dubanquier. — Épitaphe d'un riche décédé. P. 1 53
Marc CLàunK ue Buttf.t, — Au roi. Ode i55
A madame de SaiuJ-Vallier. Ode i58
A Apollon. Vers sai^hiques. Ode 162
Sur la mort d'une dainoisellc. Ode i63
Sonnets 1 06 , 167
GuiiLAUMK DU Sable. — Sonnet 170
Sonnet. Sur les dévotions prétendues de Henri m. . . 171
Florfnt Chrestien. — Fragment de la tragédie de
Jephté 174
Songe de George Buchanan 187
André Ducros. — Sonnet, A Catherine de la Selle,
dame de Chassincourt 191
Sonnet 192
Gabriel Le Breton. — Fragment du iii<" acte d'Adonis. 194
Fragment du v« acte de la même tragédie ig5
Jacques Grevin, — Tragédie de César. Acte v igc^
La Trésorière , comédie en cinq actes -lol
Sonnets. 277, 278
Jean de La Taille. — Le Blason de la Marguerite.
Chanson 280
Le Blason de la Rose. A demoiselle Rose de La Taille ,
sa cousine 281
Sonnet 282
ï'.pitaphe 283
Jacques de La Taille. — Epigramme. D'un Lyon et
d'un Renard 285
Epigramme. D'une Courtisane devant un miroir. . . Ibid.
Iiiscription pour la reine d'Ecosse, Marie 286
Epigramme. D'un Devin Ihid.
Inscription pour la reine Claude Ibid.
É])igramine, A madame Anne de Herte, duchesse de
Guise 287
ET DES PIÈCES. 54 1
Inscription pour le roi François, ])remler du nom. P. 287
Jean Doublet. — Sur les ruines de Rome a88
Élég'e. A sa Maîtresse 289
L'Enigme de Clcobule 290
Élégies. 291, 2g3
Pierre nu Brach. — Sonnet 297
L'Amour des Veuves. A G. Piquon , son cousin ,
avocat en la cour Ihid.
Quatrain. — Sonnet. '3oo
Élégie. A son Livre 3o 1
Marie Stuart. — Sur la mort de François 11 (en 1 56o). 3o6
Chanson faite lors du départ de Marie Stuart pour
l'Ecosse, étant encore à !a vue des côtes de France. 807
Guillaume de Salluste , sieur du Bartas. — Vers au
roi de Navarre 3n
Description du jardin d'Eden Ibid.
Moralité. — Le Déluge 3 1 4
François le Poulchre. — Sonnet. Complainte deDidon. 319
Sonnet. Aux Dames 320
Claude de îMorenne. — Églogiie sur le trépas du car-
dinal Charles de Bourbon 3x2
Pantaléon Barthelon dePiavières. -Quatrains. Z'i.^ctsuiv.
Jean Desplanches. — Dixain. D'un prêtre qui fit une
part de son gâteau plus qu'il ne devoit 33 1
Épitaphe. — D'un riche chasseur. — Pour chasser
les sergens 33^
Du Mari et de sa Femme , tous deux malicieux 333
D'un gros Monsieur Ibid.
D'un Prêtre breton, bretonnaiit 334
Des Clercs d'un bon personnage Ihid,
D'un Gendarme et d'un Cordelier 335
René Bretonnayau. — Le Singe 337
Philippe Desportes. — Sonnet 3/|6
Élégie 347
Epitaphe de Timoléon de Cosse, comte de Brissac. . 35 1
5^2 TABLE DES NOMS DES POÈTES
Sonnet. — Distours P(if;e 352
Chansons 358 , H6 i
Sonnet 362
Epitaphe 363
Sonnet. — Epitaphe de Claude de l'Aubespine 364
Prière 365
Adieu à la Pologne 367
Epigrarame 36g
Sonnet. — Stances. Du mariage 370
Ode sacrée 375
Étiïnne Tabourot. — ^ Mariage égal 379
Du Serviteur. — Sonnet 38o
Le peu Dévotieux. — A M. de Chanlecy, capitaine
des gardes de monseigneur le duc d'Elbeuf. 38 1
Le Temps. — Du Maître poli 38?.
Maître sans raison. — Épigramme. — Des Promet-
teurs 383
De Bertot et Jeanne. — Epigramme. — Tardive Ré-
compense 384
Do Jean , pauvre. — Le beau Bâtiment 385
De Jacquelin. — Au Lecteur. — A Maumisert, mon
valet 386
Stances 389
Epitaphe faite pour un Athéiste. — Epitaphe d'un
Chicanneur. — Epitaphe Syo
D'une vieille et riche Coquette. — Epitaphe 3yi
Clovis Hesteau. — Sonnet. — Ode. Une Dame qui
éioit fière de ses richesses 393
Epigramme tirée du grec. — A la Fortune 3y6
Sonnet 097
Thlouore Agrippa d'Aubigné. — L'Auteuràson Livre. 400
Les Misères du temps. Tiré des Tragiques /jo6
Les Princes. Tiré des Tragiques /i 1 1
Pierre Le Loyer, sieur de La Brosse. — Pi-emicr Bo-
cage de l'Art d'aimer. Stances ^\(j
ET DES PIÈCES. 543
Second Bocage de I'a rt i'aimer. Stances Page 4'3
Charles ix. — A Ronsard /,35
Autres vers adressés à Ronsard , pour le faire venir
à Aniboise 4^6
Chanson 4^7
Claude de Trf.llok. — Sonnets 44o
Le Portrait de la cour 44 1
Chanson à une belle, pour laquelle quelqu'un étoit
mort d'amour l^[^%
Sonnets. — Testament 44^ ^^ suif.
Jean de La Jessée. — Chanson. — Sonnet 449» 4^^
Des Courtisans , 45i
Quatrains 45^
D'un Libraire. — Sonnet 453
Sonnet. A M. le marquis de Conty 454
Marseille d'Altouvitis. — Ode à la louange de Louis
Bellaud de la Ballaudière, et de Pierre Paul de
Marseille 4^6
Jean de La Ceppède. — Sonnet sur la condamnation
de Jésus-Christ 4^9
Sonnet sur la désertion des Apôtres 460
François d'Amboise. — Elégie sur le trépas d'Anne duc
de Montmorancy, pair et connestable de France . . 4^1
Nicolas Pavillon. — Sentences de Theognide 471
Jean Le Blanc. — Aux Enfans de France. Ode 479
Sur le Blanc 4^2
Poème sur la vicissitude des choses mondaines. A
Louis Layer 4^4
Antoine Mage, sieur de Fiefraelin. — Sonnet 490
Quatrain. — Epigranime. — Sonnet 491
Epigramme. Le Sage doit fuir l'ivresse 49^
Le Désireux d'aller à l'égiise Ibid.
Epigramme emblématique. — Epigramme 493
Balthasap^ Bailly. — Portrait du peuple 49^>
De La Roque. — Chanson 497
544 TABLE DES IVOMS DF<Î POÈTES, etc.
Contre Orpliéc i Page 499
Cliaiisoiis. — Slances ^o\ et sitiv.
Jean Bi rtaut. — Stances 5o7
Sixain. Sur un départ. — Chanson 5o8
Au Roi , pour lo convier de revenir à Paris 5 1 o
Sur les cœurs de trois gcntillionimes inlmniés en-
semble 5 1 2
Clianson . 5 1 3
Au Roi , sur la réduclion de Paris en son obéissance. 5 i !^
Paraphrase du pseaunie cxLvii 5i5
Cantique dont l'argiiraent est pris du premier
pspaume de David 5 1 6
Sur le cœur de madame la duchesse de Monbazon. . 5 19
3Iarcukrite de France. — Vers composés par ÎVlar-
gucrite de France, pendant sa détention au châ-
teau d'Usron en Auvergne , sur la mort d'Aubiac ,
son amant , ])cndn à Aigue-Perse Sïo
Quatrain sur Pomené, fils d'un chatidronnier d'Au-
vergne, et enfant de chœur de la calliédialc de
Clermont, qui sut plaire à îMarguerite 52i
Vers sur la mort de Datte, tué par le jeune Vcrinond,
à la porte de son carrosse, du commandement du
roi 522
Catufrink i)k Parthenay. — Stances sur la mort de
Henri iv 52 5
AuGiER (lAii.i.ARD. — Sonucl à madame la comtesse do
Sainleran 529
Ailvis chariiabie donné au sieur Gaillard, etc 63o
Réponse du sieur Gaillard, etc 53 1
Indignation île Braquemart pour la défense de tous
les poètes et beaux esprits de ce temps, accusez
d'ignorance par Gaillard 534
FIX DE LA TAllLE U\: TOME CIKJ^UIt.AIt.
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OEUVRES
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IDE QUIN\\ULTj
AVEC LES REMARQU}/
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% tio?i, dégagée des premières productions de P auteur j
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I qui , seules , lui avoient attire le
% comme il en convient lui~^ijetne
% de ses pré/aces. «^ y ajouJt'i}.
r "■ le temps où j'écrivis aontlrc
I «deux fort jeunes, et bi * .
t «beaucoup d'ouvrages/ q tu
* « acquis une juste répiitati n. »
"ensure de Boueau ,
ce passage cCune
'iikult, que dans
tous étions tous
it pas fait alors ?
It dans la suite $
On souscrit A PARIS,
CFFZ CRAPELET, IMPRI^T
rUki«*|-*A.UGIRARD, K" u, V
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UR-EDITEUB,
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